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Le combat des gilets jaunes – Quelques réflexions sur le RIC

Gilets-jaunes

Lien publiée le 1 janvier 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article47358

Par Léon Crémieux (militant NPA)

La montée de la question du Référendum d’initiative citoyenne (RIC), qui était présent depuis le début mais parmi bien d’autres exigences parmi les gilets jaunes, et sa mise en avant par les médias et le gouvernement recouvrent plusieurs choses :

- du côté de beaucoup de responsables politiques, une manœuvre, un miroir aux alouettes pour entraîner le mouvement du terrain de la lutte sociale sur le terrain du débat institutionnel, pour faire rentrer dans sa boîte insonorisée une contestation populaire fondée sur la mobilisation et l’action directe ;

- mais du côté des gilets jaunes, une revendication parmi bien d’autres pour contester le pouvoir de ceux d’en en haut qui, non contents de confisquer les richesses, confisquent aussi la parole politique. Cela accompagne donc toute une série d’exigences démocratiques apparues dans le mouvement, comme la suppression du Sénat, la proportionnelle intégrale, le fait de payer les députés au salaire médian.

Donc, la mise en avant de ce type de mesures traduit un mouvement pour l’exigence de plus de droits démocratiques pour les classes populaires, exclues et rendues muettes par la représentation. Cela va de pair avec le rejet du système politique actuel, accaparé par les possédants, en cherchant des outils capables de remédier à cette confiscation. Cela n’a rien de révolutionnaire, mais cela n’est en rien réactionnaire. et correspond à la même démarche que celle présente, par exemple, dans les exigences démocratiques mises en avant lors de la campagne présidentielle de Philippe Poutou. Il faut noter aussi que le RIC était présent en tant que tel dans les mesures avancées dans le programme de la France insoumise (FI) (voir « l’Avenir en commun », p.25). Ce n’est donc pas en tant que telle une revendication d’extrême droite, même si le FN et DLF l’avaient aussi dans leur programme.

Du côté des gilets jaunes, ces derniers jours notamment, il y a aussi la volonté de garder quelque chose du rapport de force établi depuis deux mois en obtenant un droit nouveau qui, face au rejet des partis, enfonce un coin dans un système politique, dit de la démocratie représentative, qui est tout sauf la souveraineté populaire et donc d’obtenir un outil permettant de faire respecter une exigence populaire.

Donc, oui, en premier lieu, de manière générale, il y a, parmi les gilets jaunes, un mouvement pour plus de droits démocratiques et une « votation » citoyenne peut en être un, tout comme des référendums locaux, des référendums de destitution des élus. La société capitaliste ne changerait pas de nature si les institutions représentaient plus réellement les classes populaires et était plus fidèle à la devise d’égalité citoyenne. Ceci pour une raison simple. La réalité du système dans lequel nous vivons est ce que Marx appelait la société civile bourgeoise, celle qui est la réalité face à l’illusion démocratique. « De même, disait-il, que les chrétiens sont égaux dans le ciel et inégaux sur terre, les membres du peuple pris chacun dans leur singularité sont égaux dans le ciel du monde politique et inégaux dans l’existence terrestre de la société » La représentation politique, même plus fidèle à la réalité sociale, ne changerait donc pas la réalité de l’exploitation capitaliste et de la nature de classe de l’Etat, structuré pour maintenir cette exploitation. Mais le combat du mouvement ouvrier a toujours été à juste titre de se battre pour une série d’exigences, pour imposer des droits démocratiques pour les exploité-e-s et les opprimé-e-s.

Aussi, est-il tout d’abord nécessaire combattre les déclarations réactionnaires disant que le RIC serait une simple revendication populiste, la porte ouverte au fascisme. Cela fait partie de la campagne visant par plusieurs moyens à peindre le mouvement des gilets jaunes en mouvement des « gilets bruns ». Au-delà, derrière cela, il y a le vieil argument bourgeois de peur de la mobilisation populaire et même de l’expression directe populaire.

La limite des droits démocratiques populaires, leur canalisation, a souvent été justifiée au nom des risques d’atteinte à la démocratie et à la « République » (ce fut pendant des dizaines d’années l’argument avancé contre le droit de vote des femmes « soumises aux idées cléricales », contre la proportionnelle intégrale pour « ne pas favoriser le FN »).

C’est aussi le fantasme du peuple fanatisé, sanguinaire, lorsqu’il brise son aliénation... et aussi manipulable par tous les démagogues, ouvrant la porte au totalitarisme. Le peuple, non encadré par la représentation institutionnelle et par des gens « éduqués et intelligents » serait un danger... La démocratie est une chose trop sérieuse pour être mise dans les mains du peuple ! Vieux débat : 1789/1794, 1848, 1871, la Révolution russe, les images sont nombreuses de cette peur bleue considérant que les mouvements populaires, s’ils ne sont pas canalisés dans un cadre institutionnel, mènent au totalitarisme !.. A travers cette attaque, c’est évidemment la peur de classe des mouvements et des insurrections populaires qui cherchent à abattre un système d’exploitation et d’oppression… Heureusement et malheureusement, le fascisme et les dictatures ne fleurissent pas sur la crête des mobilisations et des insurrections populaires par en bas, mais sur leurs trahisons ou leurs défaites.

On peut par contre s’interroger sur l’efficacité du RIC lorsqu’il est présenté comme la panacée, l’outil permettant de changer les choses. Car c’est bien le type de revendication institutionnelle qui, lorsqu’elle est présentée comme la correction d’un système antidémocratique, lui sert surtout de béquille sans le remettre en cause. Sur ce point, Jean Luc Mélenchon n’est pas le dernier à respecter scrupuleusement les mécanismes des institutions.

Le « meilleur » exemple des limites de l’efficacité des référendums est bien sûr celui du Traité constitutionnel européen (TCE) rejeté majoritairement en 2005 et réintroduit par la fenêtre du Traité de Lisbonne. L’exemple aussi du référendum sur NDDL dont le cadre et l’interprétation restaient totalement aux mains des institutions existantes. Cela pose évidemment la question de qui détient le pouvoir au-delà d’une consultation éphémère.

Cela démontre surtout l’absence de représentativité du système parlementaire et renforce l’exigence d’aller un peu plus loin et de changer quelques règles des institutions dans ce pays, dans un des systèmes le moins démocratiques d’Europe : proportionnelle intégrale, non cumul des mandats et limitation à deux mandats successifs, suppression des divers privilèges électifs, suppression du Sénat « assemblée de notables élue par des notables », remise en cause du système présidentiel de la monarchie républicaine. Et, au-delà, la mise à bas de la Constitution gaulliste mise en place par le coup d’Etat de 1958. Tout autant d’exigences qui, sans régler les questions sociales, visent à l’obtention de droits démocratiques.

Sinon le RIC, en tant que tel, n’empêcherait pas le maintien de toutes les structures actuelles du pouvoir institutionnel.

L’exemple suisse prouve que l’existence quatre fois par an de votations citoyennes équivalentes au RIC ne change en rien des institutions au service des capitalistes. Tout au plus, comme les élections quinquennales, elles donnent plus de visibilité à des exigences populaires et des moyens de campagne aux mouvements qui veulent les mettre en avant. Cela peut donc être un outil, parmi d’autres, en aucun cas la panacée.

Mais le débat sur le RIC doit être l’occasion de mettre en avant la nécessité, en dehors des structures institutionnelles du système, de s’organiser démocratiquement pour agir, débattre, faire entendre les exigences populaires et se mobiliser, de contrôler et de remettre en cause les institutions et le pouvoir capitaliste en créant un réel rapport de forces.

Là, cela suppose de mettre sur pied des assemblées populaires, à l’échelle locale prenant en charge ces taches, sans déléguer à une représentation permanente.

Cela pose deux autres questions :

- Les exigences essentielles apparues dans la dynamique de la mobilisation contre la taxe carburant sont celles de l’injustice fiscale, et plus largement de la répartition des richesses.

Inutile de prendre beaucoup de temps pour détailler que le mesures Macron ne règlent ni l’un ni l’autre et prennent soin au contraire de préserver et de protéger toutes les mesures fiscales prises au profit des plus riches ces dernières années (CICE, flat tax, baisse des seuils de l’IS). Toutes les mesures prises ne modifient en rien la part octroyé aux classes populaires, ce qui est chichement redistribué dans les budgets sociaux, ne modifient pas d’un iota la répartition des richesses faite au profit des capitalistes. Donc reste totalement ouverte la question de la mobilisation nécessaire pour aller plus loin ces prochaines semaines, en s’en prenant aux privilèges fiscaux des capitalistes, tout en remettant en cause la fiscalité indirecte, la TVA en premier lieu. Cela suppose aussi de remettre au centrer les revendications concrètes sur le SMIC et les salaires en général et tous les revenus sociaux –allocations, retraite et chômage -, en exigeant leur augmentation générale, leur indexation sur l’inflation (l’échelle mobile).

Ainsi évidemment, le pouvoir a tout intérêt à faire comme si le rideau était tiré sur les revendications sociales et essayer de focaliser le mouvement sur la question du RIC pour l’écarter des questions d’exigences sociales. Or, une action déterminée, un rapport de force social, est bien plus à même de bloquer des attaques et d’obtenir des revendications qu’une hypothétique consultation référendaire. Empêcher ce détournement dépendra aussi des capacités des militant-e-s combatifs-ves du mouvement ouvrier d’engager des secteurs professionnels dans l’épreuve de force sur les salaires lors des prochaines semaines.

- L’autre question est bien sûr celle du débat public bidon proposé par le gouvernement en janvier.

Les deux seules réponses à cette mascarade seront non seulement la continuation des actions de rue, mais aussi la capacité à donner vie aux assemblées populaires locales autour des gilets jaunes, permettant que leur parole ne soit pas confisquée par des représentants auto-proclamés et permettant aussi de présenter les réels « cahiers de doléance », pas ceux remplis gentiment dans des cahiers de mairie ou dans une concertation bidon, mais ceux portés par des structures de mobilisation. Aussi, les deux appels des gilets jaunes de Commercy méritent d’être largement popularisés.

En ce sens, de telles assemblées peuvent être le support pour de réelles exigences de contrôle et de pouvoir démocratique, de « contre-pouvoir », tout en comprenant qu’une réelle avancée dans ce sens, à une échelle nationale, ne peut avoir lieu que dans des phases d’affrontement d’un autre niveau. Cela n’empêche pas d’avancer le plus loin possible dans ce sens, tout en refusant les illusions des « démocraties participatives » simples béquilles débattant de portions marginales des budgets municipaux.

Cette organisation démocratique et directe d’assemblées populaires est sûrement plus porteuse que le RIC et un meilleur point d’appui pour exercer la vigilance nécessaire face aux menées, au sein du mouvement, d’individus ou de groupes d’extrême-droite qui, même si ils sont souvent amplifiées et médiatisées dans les médias, sont néanmoins bien présents.

Léon Crémieux