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Pakistan: Les élections générales les plus truquées de l’histoire

Pakistan

Lien publiée le 1 janvier 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.inprecor.fr/article-Pakistan-Les%20%C3%A9lections%20g%C3%A9n%C3%A9rales%20les%20plus%20truqu%C3%A9es%20de%20l%E2%80%99histoire?id=2196

Le 6 juillet 2018, dans son discours de victoire électorale, Imran Khan fut sobre, contrairement au langage très violent qu’il a utilisé tout au long de la campagne électorale. Son parti, le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI, Mouvement du Pakistan pour la justice) a « gagné » 116 députés de l’Assemblée nationale, sur les 272 élus au suffrage universel direct uninominal à un tour (1). Il n’atteint donc pas les 137 sièges nécessaires à la majorité au Parlement, mais il y a beaucoup de parlementaires élus en tant qu’« indépendants », dont plusieurs devraient rejoindre son parti ou voter pour lui (2).

Imran Khan, nouveau premier ministre. © Tom Pietrasik/CorbisImran Khan, nouveau premier ministre.

Dans plusieurs villes, des manifestations contre le truquage des votes après le scrutin ont eu lieu. La majorité obtenue par plusieurs douzaines de candidats a été transformée en minorité par des « mains inconnues ». Ces « inconnus » sont connus de tous, mais si vous écrivez leur nom, vous pouvez disparaître pour ce crime. Presque tous les médias commerciaux sont sous contrôle de ces « inconnus ».

Les médias étaient quotidiennement alimentés par ces « inconnus », pour faire obtenir le mandat favorable à leur bien-aimé « grand Imran Khan », qui était autrefois le capitaine de l’équipe de cricket – le jeu le plus populaire au Pakistan – qui a remporté une coupe du monde en 1992. Imran Khan est un politicien conservateur qui a développé ces dernières années son amour magique pour les généraux de l’armée et garde une place dans son cœur pour les fanatiques religieux.

Ce sont les élections les plus truquées de l’histoire du Pakistan. De la période pré-électorale jusqu’au 28 juillet, tous les efforts ont été faits pour qu’Imran Khan obtienne une majorité simple. Avant les élections, le pouvoir judiciaire a mené des attaques constantes contre la Ligue musulmane du Pakistan - Nawaz (PML-N), le parti au pouvoir, sur le thème que celui-ci devait rendre des comptes.

Le PML-N s’est séparé de l’establishment militaire et judiciaire principalement sur deux questions. La plus importante était la suprématie des civils sur l’armée. La deuxième était la relation avec l’Inde. Le PML-N voulait plus de commerce avec l’Inde et pas de guerre. Mian Nawaz Sharif, l’ancien Premier ministre et politicien de droite, doit payer un lourd tribut pour avoir insisté sur le fait qu’en tant que Premier ministre, c’est lui et non l’armée qui dirigeait le Pakistan. Il a été évincé par la Cour suprême, disqualifié à vie et purge actuellement avec sa fille une peine de dix ans dans une prison de Rawalpindi.

Depuis l’annonce des élections, les médias ont décrit Imran Khan comme l’homme politique le plus propre avec un plan pour réduire la corruption. Ses principaux slogans électoraux étaient « changement » et « Pakistan nouveau ». Des milliards de roupies ont été dépensés en publicité par des milliardaires qui ont rejoint son parti. Les politiciens les plus riches sentent toujours les vents changeants du pouvoir et en conséquence ils modifient leurs affiliations politiques. Ils sont dits « éligibles », c’est-à-dire capables de dépenser des milliards pour les élections et acheter des voix. Le parti d’Imran Khan (PTI) a vu un afflux de ces « éligibles », qui sont passé du PML-N au PTI sans aucune honte, car au moment des élections ils l’ont toujours fait.

Lorsque le PML-N a donné les investitures à ses candidats, ces « inconnus » ont téléphoné aux personnes nommées et leur ont demander de refuser l’investiture au dernier moment et de se présenter en tant qu’indépendants. Ceux qui ont refusé ont été passés à tabac dans leurs bureaux et leurs domiciles. Ces menaces et intimidations ont fonctionné et environ 40 candidats investis par le PML-N ont effectivement annoncé se présenter en tant qu’indépendants.

Pendant la campagne électorale, plusieurs candidats du PML-N ont été arrêtés et certains ont été disqualifiés à vie et envoyés en prison sous prétexte de corruption. Toutes ces mesures donnaient l’impression générale que les institutions militaires et judiciaires voulaient qu’Imran Khan remporte à tout prix les élections. Imran Khan a déjà créé un mythe parmi les jeunes, selon lequel nous aurions besoin d’un changement et d’un gouvernement sans corruption. Il y a eu une euphorie parmi une grande partie de la jeunesse au Pakistan : Imran Khan passait pour un incorruptible… même s’il avait besoin d’« éligibles » pour gagner la majorité.

Deux organisations interdites de fanatiques religieux ont été autorisées à se présenter aux élections par la Commission électorale. Il s’agissait de réduire les votes du PML-N, qui avait bénéficié du soutien de ces groupes dans le passé. Un de ces groupes, le Tehreek-e-Labaik Pakistan (TLP), est devenu en termes de candidats sur le terrain le troisième plus grand parti, après le PTI et PML-N (3).

Plus de 300 000 militaires ont été déployés dans tous les bureaux de vote avec un pouvoir judiciaire pour les officiers militaires à la « demande » de la Commission électorale afin d’assurer une sécurité complète. Cela a été aidé par les terroristes religieux qui ont mené des attaques suicidaires lors des réunions publiques de campagne électorale, tuant des centaines de personnes, y compris des candidats. Dans une de ces attaques, plus de 150 personnes dont le candidat ont été tuées dans le district de Mastung (province du Baloutchistan). La plupart des groupes de défense des droits humains dans le pays, notamment la Commission des droits de l’homme du Pakistan (HRCP), ont critiqué cette tricherie préélectorale lors de conférences de presse jugeant que ces mesures extraordinaires favorisaient certains partis politiques.

Le jour dit, le scrutin s’est déroulé sans heurt et les militaires étaient omniprésents. Cependant, le travail de truquage a commencé après 22 heures, quatre heures après le début du comptage. Soudain, la plupart des résultats des circonscriptions où la différence des voix était entre 1 000 et 5 000 ont été suspendus. Puis il y a eu un black-out du dépouillement, qui n’a refait surface que le matin : les vainqueurs des élections annoncés à la nuit tombée étaient devenus les perdants. Et les candidats PTI étaient proclamés gagnants.

Les résultats finaux ont été retardés pendant plus de 72 heures, ce qui ne s’était encore jamais produit.

Les résultats ont donné pour le PTI 116 sièges, pour le PML-N 63 et pour le PPP 43 sièges, au Parlement national. Le PPP, sous la direction de Bilawel Bhutto, a amélioré son précédent résultat dévastateur (28 sièges !) et a gardé le contrôle de l’assemblée provinciale du Sind avec plus de sièges qu’auparavant. L’assemblé de la province Khyber Pakhtunkhwa a été remporté par le PTI. Au Pendjab, le PML-N a réussi à arriver en tête des élus, tout en perdant plus de la moitié de ses sièges, alors que le PTI, second, a annoncé qu’il formera le gouvernement provincial avec l’aide des élus « indépendants » (4).

Les deux groupes religieux fanatiques qui se présentaient n’ont pas eu de siège à l’Assemblée nationale, mais l’un d’entre eux, le Tehreek-e-Labaik, a obtenu deux sièges à l’assemblée du Sind. Ils ont obtenu des scores significatifs. Dans presque toutes les circonscriptions, ils ont obtenu de 1 % à 10 % des voix et dans certains cas ils ont obtenu plus de 20 % des voix. C’est une situation assez alarmante.

La gauche n’a été présente que dans une cinquantaine de circonscriptions nationales et provinciales dans tout le Pakistan. Pourtant, Ali Wazir, du groupe The Struggle (La Lutte), qui fait partie du Left Democratic Front (Front démocratique de gauche), a remporté un siège d’Assemblée nationale dans les anciennes Zones tribales administrées par le gouvernement fédéral (5), dominées par des fanatiques religieux. En obtenant une confortable majorité de 16 000 voix, Ali Wazir a permis un nouvel espoir aux forces de gauche. Leader du mouvement Pashtun Tahafuz qui a organisé cette année des rassemblements publics de masse à travers le Pakistan pour l’indemnisation des victimes de la « guerre contre le terrorisme », Ali Wazir s’est présenté en tant que candidat indépendant.

Presque tous les partis politiques à l’exception du PTI ont qualifié cette élection générale comme étant la plus truquée de l’histoire. Ils ont rejeté les résultats. Le PTI, qui avait lancé un mouvement de trois ans contre le truquage des élections de 2013 a pour sa part qualifié cette élection comme étant la plus libre et équitable de l’histoire du Pakistan ; ce fut le seul parti à le dire !

Alors que nous écrivons cet article, le nouveau gouvernement est en cours de constitution et il est évident que c’est Imran Khan qui deviendra le nouveau Premier ministre (6). Ce nouveau gouvernement sera faible et devra faire face à une grave crise économique. Le ministre des finances désigné par le PTI a déjà suggéré de se tourner vers le FMI pour un nouveau prêt (7). Les prêts étrangers massifs obtenus de la Chine durant le mandat de cinq ans du PML-N constituaient l’un des principaux axes de la campagne du PTI. Maintenant, ils n’ont aucune honte à dire, avant même de former le gouvernement, qu’ils doivent se tourner vers le FMI.

Le gouvernement essaiera d’améliorer l’assiette fiscale au cours de la période initiale et cela les mettra en contradiction avec le lobby des commerçants qui n’ont pas l’habitude de payer des impôts. Imran Khan a laissé entendre qu’il voudra promouvoir une relation amicale avec l’Inde, mais cela ne se fera pas. Avec un soutien ouvert des généraux de l’armée, il est hors de question d’améliorer les relations entre le Pakistan et l’Inde.

Imran Khan s’est déjà engagé à « négocier » avec les talibans et il a toujours eu une attitude conciliante envers les fanatiques religieux. Il a soutenu des madrasas [écoles coraniques] connues pour être liées aux talibans, leur attribuant des subventions lorsqu’il contrôlait le gouvernement provincial de Khyber Pakhtunkwa en 2013-2018.

Dans ce contexte, les partis d’opposition ont annoncé une mobilisation contre les résultats des élections et ont exigé de nouvelles élections. Cependant, ils pourraient ne pas réussir à mobiliser. Une intéressante période est devant nous…

28 juillet 2018

Lal Khan, militant marxiste pakistanais, médecin, est rédacteur en chef de Asian Marxist Review, secrétaire et dirigeant de The Struggle (La Lutte), une organisation qui a rompu avec la Tendance marxiste internationale (TMI) en 2016. Farooq Tariq, militant de la IVe Internationale, est le porte-parole national d’Awami Workers Party formé en 2012 par la fusion de trois partis se réclamant de la classe ouvrière, dont le Labour Party Pakistan. (Traduit de l’anglais par JM).

Notes

1. L’Assemblée nationale du Pakistan, chambre basse du Parlement, compte 342 membres, mais seulement 272 sont élus directement. Les 70 autres sièges – 60 réservées à des femmes et 10 aux minorités religieuses – sont répartis entre tous les partis ayant remporté au moins 5 % des voix au suffrage direct, en proprtion du nombre des sièges déjà obtenus (et non en proportion des voix obtenues). Notons que la participation aux élections du 25 juillet 2018 était de 51,77 % des inscrits.

2. 9 des 13 élus indépendants ont rejoint le Mouvement du Pakistan pour la justice (PTI) d’Imran Khan. Finalement, après l’attribution des 70 sièges restants, l’Assemblée nationale se compose de : Mouvement du Pakistan pour la justice (PTI), 158 sièges ; Ligue musulmane du Pakistan - Nawaz (PML-N), 82 sièges ; Parti du peuple pakistanais (PPP), 54 sièges ; Muttahida Majlis-e-Amal (extrême droite islamiste), 15 sièges ; Muttahida Quami Movement (libéral laïque), 7 sièges ; Ligue musulmane du Pakistan Quaid e Azam Group (PML-Q), 5 sièges ; Parti baloutche Awami, 5 sièges ; Parti national baloutche, 4 sièges ; Grande alliance démocratique (alliance électorale de droite autour de PML-Functionnal, visant à défaire le PPP dans la province du Sind), 3 sièges ; Parti national Awami, Ligue musulmane Awami et Jamhoori Wattan – chacun 1 siège ; Indépendants – 4 sièges. 2 sièges restent vacants, le scrutin n’ayant pas été réalisé dans ces circonscriptions.

3. Le TLP a réuni 2,2 millions de voix (4,2%) mais n’a pas réussi à remporter de circonscription nationale. Dans la province du Sind, il obtient trois députés provinciaux (sur 168), grâce à son score à Karachi (près de 12 % des suffrages exprimés).

4. Finalement, dans l’assemblée provinciale du Pendjab, le PTI dispose de 183 sièges sur 371 (23 des 28 élus « indépendants » l’ayant rejoint), contre 164 sièges au PML-N (qui n’a bénéficié que d’un seul « indépendant »).

5. Federally Administered Tribal Areas (FATA, Zones tribales administrées fédéralement) était une région tribale semi-autonome du nord-ouest du Pakistan, existant depuis 1947 jusqu’à leur intégration le 31 mai 2018 dans la province voisine du Khyber Pakhtunkwa. Il s’agit de sept districts (agency) tribaux et de six régions frontalières qui avaient été administrées directement par le gouvernement fédéral, entre la frontière afghane et les provinces pakistanaises de Khyber Pakhtunkwa, Pendjab et Baloutchistan. Habitée essentiellement par les Pachtounes, la région était soumise à une loi d’exception (Frontier Crimes Regulation ou FCR), promulguée par l’Empire britannique au XIXe siècle pour tenter de briser la lutte anticolonialiste des Pachtounes, et reconduite après la création de l’État du Pakistan (que les Pachtounes rejetaient, réclamant l’indépendance du Pachtounistan). L’intégration de FATA dans la province du Khyber Pakhtunkwa a mis fin à la FCR et permet enfin l’application de la Constitution pakistanaise dans ces zones.

6. Imran Khan a obtenu l’investiture de l’Assemblée nationale par 176 voix le 17 août 2018, a prêté serment le lendemain et la majorité de ses ministres ont été nommés le 20 août. Parmi les 26 ministres et les 6 secrétaires d’État, les membres du PTI sont 24, deux sont membres du Muttahida Quami Movement, et les autres partis qui se sont ralliés à Imran Khan disposent d’un seul ministère : le Parti baloutche Awami (BAP), la Ligue musulmane du Pakistan Quaid e Azam Group (PML-Q), la Grande alliance démocratique (GDA) et la Ligue musulmane Awami (AML).

7. Une délégation du FMI s’est rendue fin septembre 2018 à Islamabad pour discuter des conditions de l’octroi d’un nouveau prêt de 12 milliards de dollars, après que la Chine a accordé un nouveau prêt de 2 milliards début août.

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http://www.inprecor.fr/article-Pakistan-Ali%20Wazir,%20un%20marxiste%20dans%20un%20Parlement%20domin%C3%A9%20par%20les%20f%C3%A9odaux%20et%20les%20capitalistes?id=2195

Ali Wazir, un marxiste dans un Parlement dominé par les féodaux et les capitalistes

Muhammad Ali Wazir, membre du comité central du groupe The Struggle (1), a remporté un siège au Parlement national

Ali Wazir

Muhammad Ali Wazir a obtenu 23 530 voix, soit 16 015 voix de plus que son plus proche rival, le candidat de l’alliance religieuse d’extrême droite, Muttahida Majlis-e-Amal (MMA), qui n’en a obtenu que 7 515.

Ali Wazir est un des principaux dirigeants du Pashtun Tahafuz Movement (2). Au cours de cette année, des réunions de masse ont été organisées dans les grandes villes pour réclamer une indemnisation équitable des victimes de la « guerre contre le terrorisme », et pour exiger la libération de toutes les personnes « disparues », ou bien les présenter devant les tribunaux si des accusations pèsent sur elles.

Deux autres dirigeants du PTM se sont également présentés pour le Parlement national et l’un d’eux, Mohsin Dawer, a également remporté le siège, obtenant 16 526 voix, tandis que Aurangzeb du PTI, le parti d’Imran Khan, n’en a obtenu que 10 422 et le candidat du MMA, le Mufti Misbahudin, 15 363 voix.

Les deux dirigeants du PTM qui ont été élus étaient candidats dans le Sud-Waziristan, une zone dominée jusque-là par les fanatiques religieux. Mais un fort mouvement pour les droits civiques a réduit l’influence des fanatiques, et malgré toutes les menaces les Pachtounes ont élu les dirigeants de leur mouvement de masse. La présence des deux principaux leaders du PTM au Parlement a donné de l’espoir à beaucoup de Pakistanais, qu’au moins il y aurait quelques voix du peuple dans un Parlement dominé par les seigneurs féodaux, les capitalistes corrompus et les serviteurs de l’establishment militaire et judiciaire.

Qui est Ali Wazir ?

Son histoire personnelle illustre son engagement. Il était étudiant en droit au tournant du siècle lorsque sa ville natale, la capitale du Sud-Waziristan, Wana, est devenue l’épicentre du terrorisme mondial car de nombreux groupes alliés aux talibans ont pénétré les communautés.

Il ne fait aucun doute que les terroristes avaient des facilitateurs locaux, mais en fin de compte c’est l’État qui ne les a pas empêché d’utiliser ce territoire. Lorsque son père, le chef de la tribu Ahmadzai Wazir, et d’autres dirigeants locaux, se sont plaints de leur présence, les fonctionnaires du gouvernement les ont ignorés et réduits au silence. Plus généralement, Islamabad a passé des années à nier la présence de militants afghans, arabes ou centrasiatiques.

En 2003, les talibans avaient pris pied dans les districts tribaux du Sud et du Nord-Waziristan et tentaient d’y construire un émirat local. Le frère aîné d’Ali Wazir, Farooq Wazir, un militant politique local et leader des jeunes, est devenu la première victime d’une longue campagne au cours de laquelle des milliers de chefs tribaux pachtounes, des militants, des politiciens et des religieux ont été tués avec une impunité quasi absolue. Leur seul crime était de questionner la présence de dangereux terroristes ou de s’y opposer.

En 2005, Ali Wazir était emprisonné au moment où son père, ses frères, ses cousins et un oncle ont été tués au cours d’une embuscade. Il était en prison parce qu’une loi draconienne de règlement des crimes de frontière datant de l’ère coloniale (FCR) tient une tribu ou une région entière responsable des crimes d’un individu ou de n’importe quel crime allégué commis sur le territoire. Ali Wazir n’a commis aucun crime, n’a jamais bénéficié d’un procès équitable et n’a pas été condamné, mais il a même été empêché de participer aux funérailles de sa famille. Au cours des années suivantes, six autres membres de sa famille élargie ont été assassinés. Les autorités n’ont même pas enquêté sur ces crimes et encore moins tenu quiconque pour responsable.

En 2016, après que l’explosion d’une bombe a accidentellement tué un officier, le marché appartenant à sa famille à Wana a été dynamité. Ainsi, dans le cadre du règlement des crimes de frontière (FCR), les moyens de subsistance de la famille Wazir ont été détruits. De plus, le gouvernement a interdit à la communauté locale – principalement les membres de la tribu Ahmadzai Wazir – de collecter des dons pour les aider, car il ne pouvait accepter que quiconque aide ceux qu’il punit, ce qui serait un inacceptable précédent !

En tout, seize membres de sa famille, dont son père et deux de ses frères, ont été assassinés par les talibans au cours de ces années.

Ali Wazir est devenu un des principaux dirigeants du mouvement de défense des droits civiques des victimes de la guerre contre le terrorisme, le PTM. Il a fait un tour du pays, organisant des rassemblements de masse dans les villes de Lahore, Karachi, Peshawar et Swat. À Lahore, le meeting co-organisée avec le Front de gauche de Lahore a été formellement interdit par les autorités – nous n’avions pas le droit de faire la campagne, de coller des affiches dans la ville, Ali Wazir et sept autres militants furent arrêtés la nuit précédant le meeting… Mais à la suite d’une mobilisation massive, ils ont été relâchés juste avant le début du meeting et il a pu s’adresser à 10 000 participants.

En avril dernier des dizaines de sympathisants du PTM ont été blessés et dix furent tués à la suite d’une attaque menée contre Ali Wazir par des « militants progouvernementaux » d’un soi-disant Comité pour la paix. Mais les sympathisants du PTM réunis ont réussi à faire à faire fuir les agresseurs. Parmi les blessés on dénombrait un cousin d’Ali Wazir ainsi qu’un journaliste de la radio la Voix de l’Amérique.

Dans une interview réalisée en avril 2018, Ali Wazir expliquait : « Ces derniers mois ont transformé ma vie. Au milieu des souffrances que j’ai endurées et des menaces, des soupçons et des accusations auxquelles je suis confronté, l’amour, le soutien et le respect que je reçois sont écrasants. Depuis qu’en février nous avons commencé à protester pour attirer l’attention sur les souffrances des Pachtounes – qui sont parmi les principales victimes du terrorisme – j’ai beaucoup appris sur le potentiel des Pakistanais ordinaires. Leur soif de changement est une source d’inspiration et l’annonce d’un avenir pacifique et prospère que nous devons bâtir pour les générations futures. »

Au cours de ces années difficiles, Ali Wazir n’a pas perdu la confiance dans la lutte des masses et il est resté attaché à une politique de lutte de classe. Lors des élections législatives de 2008 et de 2013, il avait été candidat. En 2013, sa victoire a été transformée en échec sous la menace des armes. Il a perdu d’à peine 300 voix après que les talibans eurent intimidé les électeurs en torturant ses sympathisants et les militants de sa campagne.

Dans ce volcan de violence qu’est devenu le Waziristan, des milliers de civils ont disparu et des milliers d’autres ont été victimes d’exécutions extrajudiciaires. Les dirigeants du PTM sont présentés comme des terroristes présumés à travers tout le pays et sont humiliés dans les postes de contrôle de sécurité, des civils innocents sont victimes de la violence pendant les ratissages et les opérations des forces de sécurité. Les Pachtounes, la plus grande société tribale au monde, connue pour son hospitalité, sa responsabilité et sa bravoure, ont été injustement accusés de sympathie pour les terroristes, alors qu’ils sont leur principale victime.

Ali Wazir est militant du groupe La Lutte, une organisation marxiste-révolutionnaire au Pakistan. Cette organisation a rejoint le Front de gauche de Lahore, une plateforme unie de plusieurs groupes et partis de gauche. Ce Front organise des actions de masse, auxquelles Ali Wazir a pris part.

Les élections de 2018 ont été les plus truquées de toute l’histoire pakistanaise. La société s’est déplacée à droite avec l’arrivée au pouvoir du Mouvement du Pakistan pour la justice (PTI) d’Imran Khan. Avant ces élections, Imran Khan a contacté Ali Wazir en lui offrant l’investiture du PTI dans la région, ce que ce dernier a poliment refusé. Cependant celui qui allait devenir le nouveau Premier ministre pakistanais a annoncé à Ali Wazir, qu’en tout état de cause, par le respect qu’il lui doit, il ne présentera pas de candidat contre lui !

Avant les élections, l’establishment a organisé l’achat des candidatures. Des candidats de la Ligue musulmane du Pakistan - Nawaz (PML-N, à la tête du gouvernement sortant) ont été menacés, contraints de changer de loyauté etc. Le PTI a bénéficié du soutien ouvert de la plupart des institutions étatiques. Dans le contexte où le PTI, encore plus à droite que le PML-N, a remporté les élections, la présence au Parlement d’un marxiste va représenter un courant d’air frais dans cette assemblée nauséabonde.

Alors que d’autres organisations de la gauche, y compris le Awami Workers Party, ont également présenté des candidatures lors de ces élections et ont mené une formidable campagne électorale, la candidature d’Ali Wazir était particulière. Tout en faisant du porte-à-porte, il prenait la parole chaque jour dans des meetings publics, malgré ses très faibles moyens matériels. Des milliers de personnes l’acclamaient. Nous étions certains qu’il allait l’emporter, mais nous craignions qu’un incident puisse faire annuler son élection.

Mais Ali Wazir a ouvert les portes pour toute la gauche. La plupart de militants sociaux l’apprécient, car il est modeste et a toujours les pieds sur la terre lorsqu’il parle aux travailleurs, mais qu’il rugit comme un lion quand il s’adresse à la classe dirigeante. Un intrépide combattant de la classe ouvrière qui a émergé dans l’histoire récente du prolétariat pakistanais comme l’un des dirigeants de la gauche le plus respecté.

27 juillet 2018

Farook Tariq militant de la IVe Internationale, porte-parole national d’Awami Workers Party (formé en 2012 par la fusion de trois partis se réclamant de la classe ouvrière, dont le Labour Party Pakistan), est le coordinateur de Lahore Left Front (Front de gauche de Lahore). Cet article a été publié par Asian Marxist Review. Traduit de l’anglais par JM.

Notes

1. The Struggle (La Lutte) est une organisation marxiste-révolutionnaire qui a rompu en 2016 avec la Tendance marxiste internationale (TMI, dont le dirigeant le plus connu est l’anglais Alan Woods).

2. Pashtun Tahafuz Movement (MPT, mouvement de protection des Pachtounes) est un mouvement social pour la défense des droits humains, actif dans les provinces du Khyber Pakhtunkhwa et du Baloutchistan. Il a été lancé en 2014 pour exiger l’élimination des mines antipersonnelles au Waziristan et dans les autres zones tribales sous administration fédérale. Après l’assassinat par la police à Karachi de Naquebullah Mehsud, injustement accusé, en janvier 2018, le MPT a organisé une longue marche pachtoune avec des dizaines de milliers de participants dans diverses villes pakistanaises. Son principal dirigeant, Manzoor Afmad Pashtun, vétérinaire, a été arrêté avec son père par l’armée fin 2017 pour « avoir porté atteinte au moral de l’armée ». Il a alors déclaré : « Vous construisez votre moral en tuant les enfants innocents puis en nous traitant de terroristes ». L’armée a été obligée de le libérer à la suite de la mobilisation populaire.