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    Fins de mois cherchent fin du monde

    Lien publiée le 2 janvier 2019

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    https://paris-luttes.info/fins-de-mois-cherchent-fin-du-11393

    Alors que l’aggravation de la crise a fait porter ses coûts principalement sur les prolétaires, la fin du bipartisme qui pacifiait les relations entre travailleurs et bourgeois a entraîné avec elle les mobilisations sociales victorieuses centrées sur des revendications spécifiques. Les nouvelles formes de mobilisation plus radicale, se présentent également avec plus ambiguïté alors qu’aucune forme de compromis social ne semble plus envisageable.

    À lire également sur le blog Agitations

    Une contraction de budgets déjà serrés

    L’augmentation des dépenses contraintes (un contrôle technique plus cher exigeant une voiture plus chère ; deux fois plus de PV avec les 80km/h ; taxe carbone) corrélée à une restriction de la circulation des prolétaires (ne peuvent plus entrer dans les villes avec une voiture d’avant 2003) a fait l’effet d’une bombe, au point de réveiller ceux qui se révoltent pour la première fois.

    Dans une période de crise, contenue par un équilibre très précaire fait de débrouilles, la multiplication des législations durant l’année 2018 sur la voiture a été vécue comme un acharnement contre une partie de la classe ouvrière, celle qui n’a pas accès aux services publics de transports.

    D’ailleurs, pour environ la moitié des Gilets Jaunes, les impôts sur la consommation (TVA, essence, clopes) constituent même les seuls qu’ils payent, puisqu’ils sont exonérés d’impôts sur le revenu.

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    Ainsi, la politique actuelle contre l’occasion et le diesel va à l’encontre des tendances majoritaires de consommation. Les chiffres récents montrent que les achats de voitures se font majoritairement via le marché de l’occasion (informel ou formel) : 3 voitures sur 4 achetées en 2015 le sont d’occasion. Le durcissement du contrôle technique va dans le sens contraire de cette tendance à privilégier l’occasion, car il pousse à une contraction du marché uniquement vers le haut de gamme, et réduit ainsi la capacité de motorisation des prolétaires.

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    La taxe sur le diesel a aussi été vécue comme une attaque de classe, puisque le diesel est l’essence des pauvres : plus robuste et moins cher sur le long terme, l’achat d’un véhicule diesel est la garantie d’utiliser sa voiture plus longtemps. Ceux qui roulent au diesel « se répartissent dans les régions où se concentrent le plus de ménages modestes, exonérés de l’impôt sur le revenu. Cette superposition consacre les territoires marqués par la désindustrialisation (Nord, Est) et les zones rurales très excentrées comme de gros consommateurs de gasoil. (…) Les grandes agglomérations ainsi que certains départements ruraux plus riches que la moyenne (Côte-d’Or ou Loiret) ont, a contrario, tendance à s’en détourner. Le diesel, conclut L’Argus, se présente comme un « signe extérieur de pauvreté ». »

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    D’ailleurs, ce clivage de classe se retrouve dans les sondages. Le soutien des cadres au mouvement envers les gilets jaunes ne fait que baisser, et bien avant que ceux-ci n’attaquent les lieux de la bourgeoisie lors des « Samedi à Paris » (à partir du 1er décembre).

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    La voiture était jusque dans les années 1950 essentiellement bourgeoise. Dès les années 1960, avec l’augmentation du niveau de vie, les classes intermédiaires s’en équipent. Puis, à partir des années 1970, les prolétaires ont accès à l’automobile. Or depuis quelques décennies, en l’absence d’augmentation des salaires (mais la nécessité de s’équiper individuellement pour travailler) l’augmentation de la motorisation en France s’est fait en grande partie via le marché de l’occasion et du diesel.

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    Taxer l’outil pour vendre sa force de travail

    Et derrière les revendication contre la baisse de salaire que constitue la taxe carbone, il y avait aussi la hantise du spectre du chômage. Car dans de nombreuses zones sans desserte publique, la motorisation est le primat pour pouvoir vendre sa force de travail. La difficulté voire l’impossibilité immédiate de payer ces nouveaux frais ouvrait alors la voie à la peur du déclassement ou de la lumpenisation : ne plus avoir de moyens matériels d’être réellement disponible au marché du travail.

    Face à la fin d’un cycle de lutte, une rupture sémantique et idéologique de la revendication

    Des thématiques oubliées par la gauche :

    Une méfiance de la gauche par rapport aux sujets mobilisés : la voiture et la route. Celle-ci est traditionnellement une thématique de la droite ou de l’extrême droite, alors qu’elle est très ancrée dans la composante de classe. Ce sont les ouvriers qui utilisent le plus la voiture, et surtout ce sont ceux qui la payent (les cadres eux aussi l’utilisent, mais souvent par choix, et quand il ne s’agit pas d’un choix leur frais sont pris en charge par l’entreprise). Voilà donc une rupture thématique historique, car la question de la reproduction de la force de travail est peu prise en compte, et encore moins cet aspect de la reproduction. La droite convoque plus souvent cette question, en créant même son propre langage, « le pouvoir d’achat » (sauf pour les DOM-TOM, où le pouvoir d’achat est communément une notion de gauche).

    Pareil pour la question de « la lutte contre les taxes », il s’agit traditionnellement d’un vocable utilisé par le patronat et la droite.
    Or, quand il y a un transfert des impôts du capital vers les ménages, quand c’est la classe ouvrière qui finance le CICE, la lutte contre la fiscalité prend une autre tonalité.

    Depuis 10 ans, « Les principaux impôts et cotisations acquittés par les entreprises ne se sont accrus que de 6,4 % en volume entre 2008 et 2017, moins que le produit intérieur brut (PIB). Tandis que ceux payés par les ménages augmentaient de 22,3 %, plus de 3 fois plus. Quant à ceux sur la consommation (en bleu qui sont largement subis surtout par les ménages) ils se sont accrus également de 18,2 %. »

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    Ainsi, au moment où l’impôt cesse d’être redistributif pour le prolétariat, le consentement à financer l’impôt s’estompe. L’État providence qui disparait laisse place à un État perçu comme parasitaire.

    La fin des structures politiques post-30 glorieuses et le « nouveau monde »

    La fin des mouvements sociaux victorieux s’est aussi traduit par la fin du bipartisme : Chirac était élu, mais il finissait toujours par reculer face à la pression de la rue ; Sarkozy, lui, n’a pas reculé, et il n’a pas été réélu non plus. Hollande a achevé son parti avec la loi travail, le faisant passer d’un parti de masse à un parti de groupuscule (29 % à 6% de vote entre 2013 et 2018).

    Macron a alors absorbé l’ensemble des votes des classes supérieures. Cette transition des partis traditionnels vers un parti sans démagogie, dont le mépris de classe n’est plus caché, a achevé d’opérer la rupture envers la classe politique qui existait depuis longtemps (à travers l’abstention par exemple). Le manque de formation des militants d’En Marche et leur arrogance, son élection sur un malentendu, et surtout son absence de démagogie lui font payer les pots cassés d’années de lois contre les prolétaires. La différence entre En Marche et le bipartisme, c’est que ce dernier offrait des options de droite à la baisse des revenus direct et indirect, mais des options quand même : défiscalisation des heures supp, développement des emplois aidés.. ; Bref, les prolétaires apolitiques ou de droite pouvaient y projeter un vague espoir. La fin de cette séquence a vu le basculement de prolétaires déclarés apolitiques, ou même de droite, s’aventurer vers une forme qu’ils n’avaient pas expérimenté avant. C’est pourquoi l’on voit un mouvement qui ne dispose pas de bases politiques bien définies, sans grille idéologique claire.

    Le compromis fordiste avait perduré tant bien que mal en France grâce aux luttes des grands mouvements sociaux des années 1990 et 2000. La fin des mouvements sociaux victorieux (et donc la désintégration du compromis de classe) a sonné la fin du bipartisme, qui n’assurait plus l’assurance d’une redistribution.

    La fin des mouvements sociaux victorieux s’est aussi traduite par un changement des modalités de lutte : l’augmentation de la violence pour se faire entendre. Depuis quelques années, la différence entre bons et mauvais manifestants, assez forte dans les années 1990, et qui est devenue plus poreuse au fur et à mesure que la revendication devenait illégitime (en 2016 par exemple), jusqu’à s’estomper un peu plus avec les Gilets Jaunes.