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Vincent Gerber, "On doit se remettre à produire localement"

écologie

Lien publiée le 4 janvier 2019

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https://lemediapresse.fr/idees/vincent-gerber-on-doit-se-remettre-a-produire-localement/

Historien de formation, Vincent Gerber est le fondateur du site Écologie sociale.ch, plateforme francophone d’écologie sociale. Il est également l’auteur de Murray Bookchin et l’écologie sociale (Écosociété, 2013) et de Murray Bookchin pour une écologie sociale et radicale, avec Floréal Romero (Le Passager clandestin, coll. « Les précurseurs de la décroissance », 2014). Nous nous sommes entretenus avec lui au sujet de Murray Bookchin, théoricien de l’écologie sociale et du municipalisme libertaire.

Anarchiste américain décédé en 2006, Murray Bookchin a tenté pendant 50 ans de trouver une alternative au système capitaliste à la fois démocratique et soutenable écologiquement. Pour lui le salut ne peut venir que d’un retour à des échelles plus petites et locales. C’est ainsi que son écologie sociale s’est appuyée sur le « municipalisme libertaire », c’est-à-dire la défense de confédérations de communes de tailles humaines, autonomes et radicalement démocratiques. Cette idée a notamment inspiré Abdullah Öcalan, leader du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Ce dernier tente encore de mettre en place ce système dans le Rojava, Kurdistan occidental, situé en Syrie. Vincent Gerber, nous parle de l’actualité de cette pensée.

Le Média : Quelle est l’influence de Murray Bookchin aujourd’hui ?

Vincent Gerber : Je dirais qu’elle a pris tout d’un coup beaucoup d’ampleur. Il y a dix ans, quand j’ai commencé à m’intéresser à lui, j’ai l’impression qu’il était oublié dans le monde francophone. Très peu de gens le connaissaient et le lisaient. De même, il n’y avait presque aucune publication sur lui. Depuis que le mouvement kurde s’intéresse à ses idées, il y a une sorte de renouveau. J’ai l’impression que le public a redécouvert Bookchin. Beaucoup comprennent la pertinence de sa pensée, par rapport au système actuel. L’idée de revenir aux communes, de fonder une confédération de communes et de repartir de la base, progresse. De même la question écologique prend une place croissante. On se rend compte à quel point la réflexion de Murray Bookchin est pertinente pour notre époque. Il avait anticipé la crise écologique. Il avait une longueur d’avance sur beaucoup de monde dans le milieu radical. Mais je pense que les Kurdes ont fait le principal. Le fait qu’ils puissent expérimenter cette voie a aidé.

Quel est, justement, le bilan des Kurdes aujourd’hui ?

Ils sont dans une phase très difficile. Ils ont réussi, durant la guerre civile en Syrie, à créer leur espace d’autonomie. Ils ont fondé un système de communes fonctionnel, dans un contexte très délicat. Des échos que nous avions, cela tenait assez bien jusqu’ici. Je ne suis pas allé sur place et je ne vais pas me prétendre spécialiste de la question. Mais il semblerait que tant que le gouvernement de Bachar el-Assad était occupé ailleurs, avec les rebelles, et que dans le même temps les Kurdes se battaient contre l’État islamique, ils avaient des alliés qui les soutenaient et les protégeaient. Cependant, depuis que la Turquie veut envahir des zones-tampons au nord et que Bachar el-Assad a pu reconquérir le pays, avec l’aide de la Russie, les Kurdes sont un peu seuls. Surtout, avec l’annonce du retrait américain, ils risquent de se faire bouffer [entretien réalisé le 21 décembre 2018 – NDLR]. Cela risque de se passer avec les anarchistes en Espagne en 1936, alors que les autres camps [staliniens et franquistes – NDLR] étaient aidés en matériel. Les Kurdes vont manquer de soutiens. Ils ont néanmoins montré que leur modèle fonctionnait bien. Ils ont réussi à inclure toutes les minorités et à les défendre. Cela peut rester dans les esprits et aider à un changement de mentalité. Apparemment, il y avait un fort racisme vis-à-vis des Kurdes dans cette zone. Mais je crains beaucoup pour l’avenir du Rojava, à moins qu’une forme d’entente avec Bachar el-Assad se fasse et qu’il leur laisse de l’autonomie. Mais cela me paraît difficile. Je suis assez négatif.

Le municipalisme est-il possible à l’heure de la mondialisation, où les grandes décisions se jouent à des échelles plus grandes ?

C’est cela la grande question. Le municipalisme reste possible, mais il sera en tension avec les multinationales et les grands États-nations. Le pouvoir n’est clairement pas dans les communes aujourd’hui. Il est même de moins en moins au niveau des États. C’est cela le gros problème. Mais quelque part, le système mondialisé est aussi en position de faiblesse. La crise de 2008 a révélé la fragilité des banques, qui ont dû demander aux États de venir les sauver. Je ne suis pas forcément partisan des thèses sur l’effondrement. Mais le système économique actuel traverse une grosse crise et on doit se remettre à produire localement. Il ne sera pas toujours possible de faire venir des denrées de l’autre bout du monde.

Est-ce que la métropolisation n’a pas affaibli l’hypothèse municipaliste ?

Oui, elle l’a affaibli, au moins au niveau de la possibilité d’autonomie de la production. Mais dans l’idée de Bookchin, il n’y avait pas que cette question d’autonomie productive. Il y avait également la question politique. À ce niveau-là, la densité de la métropole peut permettre la fondation d’un noyau assez grand pour mettre en place une forme de politique locale. Avec cela, il est réellement possible de réfléchir aux infrastructures de son quartier de manière élargie, sans que cela soit à l’échelle de la ville entière. Cela reste possible à mon avis.

En quoi le municipalisme préfigure-t-il l’écologie radicale et la décroissance ?

Je pense que là où cela se rejoint, c’est dans la défense du retour au local. Il y a cette idée de retrouver des circuits courts et de réfléchir avec ses voisins et ceux qui sont sur place. Le problème c’est cette confrontation avec tout un système qui n’est pas pensé pour être local. Le lieu de travail et le lieu de vie sont séparés. Les gens sont dispersés un peu partout et sont obligés de se déplacer. Mais si nous pouvions tout effacer et redémarrer avec une page blanche, en nous demandant comment faire en étant aussi nombreux sur Terre et fonctionner avec un système non-destructeur de la nature, l’idée de Bookchin est pertinente. Il s’agit d’un idéal. C’est un but, un système à mettre en place. Mais lorsque nous partons de la situation d’aujourd’hui, nous en sommes à des kilomètres.

Comme les marxistes, Murray Bookchin perçoit le progrès technique comme une bonne chose, même si vous nuancez ce point dans votre livre avec Floréal Romero. N’est-il pas en rupture avec les autres décroissants sur ce point ?

Je pense qu’il y a une rupture et que la position de Bookchin n’est pas tout à fait tenable. Il avait conservé l’espoir progressiste des socialistes du XIXe siècle, qu’une certaine technique allait nous libérer. Il parlait des techniques avancées. Je pense qu’il a cependant sous-estimé ce qu’il y a autour des techniques et tout ce que cela demande. Il est resté dans cette idée que c’était le profit capitaliste qui détournait la technologie de ses buts et de ses réalisations. C’est en partie vrai, je pense que les décroissants passent cela parfois trop sous silence. C’est vrai qu’une grande partie du développement technologique actuel est fait pour des fonctions de vente et de profit. C’est même le moteur fondamental. Mais ce n’est pas parce qu’on retire cet élément que la technologie devient forcément bénéfique. La question de ce qu’est une bonne et ce qu’est une mauvaise technologie demeure ouverte. Je crois que ni Bookchin, ni les décroissants d’ailleurs, sont sur la bonne voie. Il y a de bonnes choses à prendre, mais il y en a aussi à jeter. Bookchin est probablement trop radical d’un côté, les décroissants le sont sûrement de l’autre. Il y a un juste milieu qui n’est pas clair en fait. Où est la limite entre une bonne technologie et une mauvaise technologie ? Quels sont nos critères pour les distinguer ? Cela n’est pas évident. Dans la préface de la traduction de son livre, Notre environnement synthétique, était intéressante par rapport à cela. Elle disait que Bookchin n’allait pas au fond des choses sur cette question du progrès technique. C’est très juste.

Légende de l’image de une : Murray Bookchin