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Système Macron: Violence et état de droit à géométrie variable
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://www.vududroit.com/2019/01/systeme-macron-violence-etat-de-droit-a-geometrie-variable/
J’ai fait l’objet d’une interview du média Atlantico à propos de la répression judiciaire dont font l’objet les participants au mouvement des gilets jaunes. Je reproduis ci-dessous mes propos que l’on peut retrouver également sur le site d’Atlantico.
1/ La perception d’un « deux poids deux mesures » sur la capacité répressive du gouvernement envers les gilets jaunes donne l’impression que le gouvernement emploie les grands moyens contre ce mouvement politique qui lui est directement opposé alors qu’il demeure sans armes face à la criminalité ordinaire ou quotidienne, dont de nombreux indicateurs semblent indiquer qu’elle progresse dans certains domaines. Est-ce vraiment le cas ? Le gouvernement est-il fort avec les faibles et faibles avec les forts ?
Je crois que le problème ne se pose pas de cette façon. Ce que vous appelez la criminalité ordinaire ou quotidienne, celle qui pourrit la vie des gens dans les cités, dans les transports, et dans la rue qui laissent des quartiers entiers sous la coupe de trafiquants qui ont passé un accord avec les barbus, c’est un phénomène de masse. Que l’État français refuse depuis plus 30 ans de traiter. C’est devenu un phénomène endémique. C’est la raison pour laquelle on ne peut pas faire de parallèle avec le mouvement des gilets jaunes et la répression policière et judiciaire brutale dont il est l’objet.
C’est vrai que si l’on compare les moyens de la violence d’État utilisés contre les gilets jaunes et la passivité des forces de l’ordre à l’occasion du grand rituel de la Saint-Sylvestre avec le millier de voitures incendiées, cela ne peut que provoquer l’indignation.
Mais il faut savoir que dans les deux cas il s’agit de décisions politiques prises par le pouvoir. En ce qui concerne la criminalité ordinaire, le choix est fait depuis longtemps de ne pas donner à la justice les moyens dont elle a besoin pour la traiter. Dans un ouvrage bilan absolument remarquable et indispensable intitulé : « Justice, une faillite française ? » Olivia Dufour fait le point de la situation d’un système à bout de souffle qui est une honte pour la République. En démontrant implacablement que le problème a une seule véritable origine : l’absence de moyens. La répression de la délinquance ordinaire est totalement en déshérence, ce qui a permis la dépénalisation d’un nombre considérable d’infractions. Il faudrait plus de magistrats, plus de greffiers, plus d’éducateurs, plus de prisons ou de centre pour les mineurs. Malheureusement cette clochardisation aboutit à la non-exécution des peines quand ce n’est pas carrément à la démission des autorités de poursuite. Sait-on que près de 2 millions d’infractions par an avec auteurs connus ne font l’objet d’aucune poursuite dans notre pays. Rajoutez au sentiment d’impuissance que vivent les magistrats, la sensibilité au gauchisme culturel et à une certaine culture de l’excuse d’une partie d’entre eux, et vous aurez ce résultat calamiteux. Qui est le fruit, il faut le répéter, d’une décision politique. La feuille de route d’Emmanuel Macron, comme d’ailleurs de ses prédécesseurs, est bien l’appauvrissement de tous les services publics, y compris celui de la justice au nom de l’impératif austéritaire. Le projet de « loi justice » en discussion actuellement au Parlement en est une éclatante démonstration. Économies à tout prix au détriment de la mission et des principes qui la guident.
Le problème des gilets jaunes est complètement différent. Il s’agit là aussi d’une décision politique, celle d’un pouvoir en panique, qui a basculé dans une certaine radicalité et qui ne voit que dans la répression massive d’un mouvement social, le moyen de s’en sortir. Le bilan de ces quelques semaines est complètement ahurissant. Nous n’avons jamais assisté et même en mai 68 à une telle violence répressive, qu’il s’agisse des comportements des forces de l’ordre dont une partie se croit tout permis ou de la magistrature qu’elle soit du parquet ou du siège qui a appliqué avec célérité les consignes du pouvoir. Plus de 300 personnes incarcérées, des blessés par centaines, des procédures absurdes où se multiplient les excès de zèle parfois déshonorants, dans le silence de cathédrale des organisations syndicales de magistrats en général plus prolixes.
2/ Si la loi reste la loi pour tous, il peut paraître plus simple de s’en prendre à des gilets jaunes globalement facilement identifiables et très exposés qu’à une certaine délinquance systémique. Comment le gouvernement peut-il réussir à appliquer la loi sans paraître défendre en premier lieu la raison du plus fort ?
Comme vous le dites très bien, s’en prendre à une délinquance systémique nécessiterait une volonté politique. Et surtout des moyens, que les exigences de Bruxelles interdisent. La vision par ce pouvoir des services publics, n’est que celle de l’austérité. Les transports, la santé, la justice sont des parents pauvres et, il est hors de question pour Bercy et pour les élites de renoncer à cette stratégie. Elles sont en général très peu concernées par cette délinquance, les voitures que l’on brûle, les agressions, les violences, ce sont les pauvres contraints d’habiter dans ces ghettos qui les subissent. Les stratégies d’évitement tout à fait identifiées par Christophe Guiluy dans son récent ouvrage, leur permettent d’y échapper tranquillement. Eux habitent dans les quartiers sûrs mettent leurs enfants à l’École Alsacienne, le pourrissement c’est pour les pauvres, et ce n’est pas grave.
Le problème de la répression du mouvement des gilets jaunes n’est pas un problème d’application de la loi. C’est un problème d’utilisation de la violence d’État pour s’opposer à un mouvement social. Les motivations d’Emmanuel Macron, d’Édouard Philippe ou de Nicole Belloubet n’ont rien à voir avec la volonté de faire appliquer la loi dont ils sont tout à fait capable de se moquer comme d’une guigne. Le choix de la répression est une décision politique et entendre les gens du pouvoir parler « d’État de droit » est simplement une plaisanterie. Juste un exemple, la loi interdit désormais que le ministère de la justice donne des instructions individuelles au parquet. Eh bien croyez-moi, que ce soit depuis Matignon ou depuis la place Vendôme ces injonctions sont tombées comme à Gravelotte. Par téléphone bien sûr…
3/ La plupart des gilets jaunes arrêtés ne sont pas des délinquants acharnés. Cela veut-il dire que les plus acharnés réussissent de toute façon à s’en sortir ? Une telle situation ne risque-t-elle pas de dégénérer si le pouvoir ne donne pas des signes d’équité ? La situation ne pourrait-elle pas devenir ingérable ?
D’après les informations dont on peut disposer, les gilets jaunes incarcérés avaient massivement des casiers judiciaires vierges. Il vaut mieux en effet brûler des voitures en banlieue que se faire prendre en gilets jaunes avec des lunettes de piscine à l’occasion d’une manifestation. Évidemment que la partialité avec laquelle l’État, que ce soit par l’intermédiaire de sa police ou d’une magistrature docile, traite ce mouvement va générer des sentiments d’injustice et de frustration. Et comme dans le même temps d’une façon passablement stupéfiante les amis du pouvoir bénéficient d’une complaisance judiciaire étonnante… Alexandre Benalla, François Bayrou, Richard Ferrand, Muriel Pénicaud pour ne s’en tenir qu’à ceux-là, malgré des infractions évidentes et avérées sont tout à fait tranquilles alors même qu’on embastille des gilets jaunes par centaines, l’exaspération est devenue rage.
J’ai pu constater que dans le monde politique, dans la presse et sur les réseaux la perception de cette orientation répressive était perçue comme une radicalisation dangereuse. De ce point de vue, les vœux d’Emmanuel Macron, ressemblaient plus à un discours de chef de bande qu’à celui rassembleur qu’aurait dû faire un président de la république.
4/ L’autre versant du mécontentement pourrait aussi trouver sans source dans une relative impunité de la classe politique. Un autre deux poids deux mesures ?
C’est la question que j’abordais ci-dessus, où l’on est contraint de constater que c’est spécifiquement Emmanuel Macron et son entourage qui bénéficient d’une incontestable complaisance judiciaire. Il ne faut pas se tromper, quand il a été nécessaire de condamner des politiques, la justice a fait son travail quoique parfois lentement. Mais depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron c’est une véritable protection dont celui-ci et son entourage bénéficient. Il y a d’abord eu les problèmes posés par le financement de sa campagne, l’opacité de l’origine de certaines contributions, l’utilisation de fonds publics à des fins électorales lorsqu’il était au ministère de l’économie, ensuite les quelques enquêtes préliminaires ouvertes sont toutes enlisées : Collomb, Bayrou. Quand contraints et forcés, ont saisi un juge d’instruction est saisi, il est prestement déchargé du dossier comme dans l’affaire Ferrand. Il y a bien évidemment l’affaire de Las Vegas et ses ramifications concernant l’agence Havas où à l’évidence Madame Pénicaud aurait dû être poursuivie, le refus par le parquet d’enquêter sur la disparition du coffre de Benalla, etc. etc. Et pendant le même temps, le Rassemblement National fait l’objet d’un acharnement judiciaire allant jusqu’à lui saisir ses dotations d’État sans qu’aucune décision n’ait été rendue sur le fond et voit convoquer sa présidente chez un psychiatre ! La France insoumise quant à elle, a eu droit à une perquisition géante à grand spectacle, mobilisant près de 100 policiers et 7 magistrats dans ses locaux et dans les appartements de ses dirigeants. Et on peut être sûr que cette instrumentalisation va durer au rythme des échéances politiques.
Le deux poids deux mesures dont vous parlez, et qui est ressenti comme tel, n’est pas entre les politiques en général et les gens d’en bas, mais bien dans la protection dont bénéficie l’équipe au pouvoir et la volonté de ne traiter le mouvement social des gilets jaunes par le biais de la violence d’État.