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Amiante: l’espoir d’un procès relancé
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Le Monde) Des associations espèrent réunir des milliers de victimes dans une procédure inédite
Les victimes de l'amiante changent de stratégie. Leur objectif ? Obtenir " d'ici un à deux ans " la tenue du procès pénal des responsables nationaux d'un scandale sanitaire ayant causé des milliers de morts, qu'elles réclament depuis la première plainte déposée en 1996.
Mardi 8 janvier, Pierre Pluta et Michel Parigot – respectivement présidents de l'Association régionale des victimes de l'amiante Nord-Pas-de-Calais(Ardeva 59-62)et du Comité anti-amiante Jussieu, regroupés au sein de l'Association nationale des victimes de l'amiante et autres polluants (AVA) – ont fait part du dépôt imminent d'une citation directe collective devant le tribunal de grande instance de Paris. L'annonce a été faite lors d'une conférence de presse au cabinet de leurs avocats, les pénalistes Eric Dupond-Moretti et Antoine Vey.
Cette procédure permet de citer l'auteur supposé d'une infraction à comparaître à l'audience de jugement sans passer par la phase de l'instruction, à charge pour les requérants d'apporter les preuves de l'infraction visée. " Cette nouvelle action judiciaire s'adresse à toutes les victimes de l'amiante quelles qu'aient été leurs conditions d'exposition à cette fibre tueuse : des ouvriers d'usine ou de chantier naval aux travailleurs de tous les secteurs du bâtiment, en passant par les femmes contaminées parce qu'elles entretenaient les bleus de travail souillés de leurs époux ", explique Michel Parigot au Monde.
D'ici à " quelques semaines ", l'AVA pense pouvoir regrouper des milliers de victimes, ce qui constituerait une première en France dans une telle procédure. Cette démarche exige de contourner plusieurs obstacles juridiques. La prescription en matière d'amiante n'en est pas un puisque c'est la date de découverte de la maladie chez la victime qui fait foi, mais la loi ne permet pas à une même partie civile de mettre en cause, par le biais d'une citation directe et pour les mêmes faits, une personne déjà citée dans une plainte ou mise en examen dans un dossier qui s'est soldé par un non-lieu.
L'AVA et ses conseils assurent cependant avoir trouvé une solution à l'ensemble des problèmes. La citation directe comportera de nouvelles incriminations adaptées à l'action qu'a menée le Comité permanent amiante (CPA), structure de lobbying créée en 1982 et financée par les industriels de l'amiante, soupçonnée d'avoir retardé l'adaptation de la réglementation et de s'être opposée à l'interdiction de la fibre, reconnue cancérogène par le Centre international de recherche sur le cancer dès 1973, arguant d'un " usage contrôlé ". " Nous présenterons de nouvelles victimes, et nous mettrons en cause, y compris des personnes qui n'ont pas encore été mises en examen ", dit M. Parigot.
Bombe à retardement
Huit des ex-membres du CPA – issus du milieu industriel, scientifique et médical ou de la haute fonction publique liée aux ministères du travail, de la santé ou de l'industrie – ont été mis en examen entre fin 2012 et début 2013 dans divers dossiers encore en cours d'instruction pour lesquels la justice a demandé des non-lieux en 2017. L'entité a été dissoute en 1995.
Mais les " nouvelles victimes " ne manquent pas.Véritable bombe à retardement, l'amiante provoque des pathologies mortelles qui se déclenchent entre dix et quarante ans après la première exposition. " L'amiante, c'est environ dix morts par jour, et 3 000 à 5 000 morts par an en France ", rappelle Pierre Pluta. Selon une étude de 2012 de l'Institut de veille sanitaire, la fibre tueuse devrait en provoquer au total entre 130 000 et 180 000. Déjà, au sein de l'AVA, des centaines de victimes ne figurent dans aucune procédure en cours et s'inscriront dans cette nouvelle démarche.
La citation directe reposera aussi sur de nouvelles preuves collectées par l'AVA ces deux dernières années. Mais, avec cette procédure, Pierre Pluta et Michel Parigot reviennent à leur idée d'origine, imaginée dès 1996, à l'époque de la rédaction de la plainte initiale par des membres du comité antiamiante du campus universitaire parisien de Jussieu. Au sein de l'Association nationale des victimes de l'amiante (Andeva), dont leurs propres associations étaient alors membres, ils prônaient la stratégie d'une plainte unique regroupant toutes les victimes et visant principalement les membres du CPA. Mais cette voie n'a pas été choisie.
" L'Andeva a décidé de décliner la plainte en une multitude d'autres, déposées un peu partout en France contre des employeurs, explique Michel Parigot. Une erreur fondamentale à l'origine de la situation actuelle, puisque les pouvoirs publics et le parquet se sont engouffrés dans la brèche et se sont ensuite opposés à la jonction des plaintes, ce qui a rendu impossible l'instruction de l'affaire de l'amiante. "
Pour lui, ce désastre sanitaire n'est pas le fait de milliers de chefs d'entreprise des quatre coins de la France qui auraient enfreint une réglementation qui n'existait pas. " Il est imputable à une poignée d'industriels de l'amiante qui ont monté le CPA et sont parvenus à faire qu'on continue à utiliser, sans prendre les protections nécessaires, un matériau dont on savait qu'il ferait des dizaines de milliers de morts ", estime M. Parigot.
En 2016, MM. Parigot et Pluta ont quitté l'Andeva, créé l'AVA et engagé Mes Eric Dupond-Moretti et Antoine Vey afin d'éviter le naufrage judiciaire annoncé. La citation directe est le fruit d'un travail mené depuis un an. " Par cette démarche, nous pointons les carences du pôle judiciaire de santé publique, où sont réunis la majeure partie des dossiers amiante depuis 2005 ", explique Me Vey. Le but : " Ouvrir la voie à un débat contradictoire qui donnera la parole dans l'enceinte judiciaire à des victimes qui n'ont jamais eu voix au chapitre. Il faut expliquer comment, pendant des décennies, on a pu repousser l'interdiction d'un matériau dont on savait, dès les années 1970, qu'elle était une absolue nécessité. "
Rappelant que le scandale sanitaire de l'amiante n'incombe pas à " la malchance ", Pierre Pluta appelle " tous ceux qui souhaitent lutter contre les lobbys d'empoisonneurs " à s'associer à cette citation directe. " Jusqu'ici le message que la justice et les pouvoirs publics leur a adressé est “continuez, vous n'avez rien à craindre, vous pouvez compter sur nous”, déplore-t-il. Ils doivent maintenant rendre des comptes qui feront jurisprudence et permettront de préserver les générations futures. "
Au-delà de l'affaire de l'amiante, les fondateurs de l'AVA comptent, par leur démarche, faire aussi avancer le traitement judiciaire d'autres polluants comme le glyphosate, les pesticides et autres perturbateurs endocriniens. Autant de substances dont les pouvoirs publics, disent-ils, " feignent encore d'ignorer qu'ils risquent de causer des milliers de victimes dans les années à venir ".
Patricia Jolly
- Les Dates
1994
Création du Comité anti-amiante Jussieu qui lance la bataille contre ce matériau cancérogène.
1995
Dissolution du Comité permanent amiante, créé en 1982 et soupçonné d'avoir délibérément retardé l'interdiction de l'amiante.
1996
Dépôt des premières plaintes ; mise place d'une réglementation de protection contre les risques d'exposition à l'amiante ; création de l'Association nationale des victimes de l'amiante.
1997
Interdiction de l'amiante en France.
2000
Création du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante.
2003
Création du pôle judiciaire de santé publique où les plaintes seront regroupées en 2005.