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Quelle politique économique pour J. Corbyn ?

économie Royaume-Uni

Lien publiée le 17 janvier 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.contretemps.eu/corbyn-mcdonnell-labour-economie/

Mike Haynes a réalisé, pour la revue Revolutionnary socialism in the 21st century, ce compte-rendu critique d’Economics for the Many. Ce livre regroupe des articles compilés par John McDonnell, le chancelier de l’Échiquier — l’équivalent du ministre des Finances — du cabinet fantôme du Parti Travailliste (Labour Party).

On pourra lire en complément cet article récent de Thierry Labica sur la situation politique en Grande-Bretagne, marquée par l’instabilité et la polarisation.

Economics for the Many est le livre dont Theresa May a déformé les propos à la Chambre des communes pour ridiculiser Jeremy Corbyn et John McDonnell, chargé des questions économiques en tant que chancelier du cabinet fantôme. « Attaqué par les mensonges du Premier ministre britannique » n’est pas un mauvais bandeau publicitaire. Mais ce livre vaut-il la peine d’être acheté et lu ?

La réponse est oui. Édité et présenté par McDonnell, celui-ci est composé de seize chapitres courts et souvent critiques qui s’attaquent à tout ce qui ne va dans la Grande-Bretagne contemporaine. Seul un chapitre a été rédigé par un politicien, le député Barry Gardiner, ministre fantôme du Commerce, et c’est l’un des rares chapitres irritants[1]. Mais c’est aussi un livre profondément insatisfaisant. C’est en partie à cause de ce qu’il n’est pas : pas un seul chapitre n’est consacré à des questions telles que la santé, l’éducation, la protection sociale et les politiques spécifiques nécessaires. Mais c’est aussi dû au fait que même dans les domaines qui sont abordés, peu d’efforts sont déployés pour donner à voir en détail ce à quoi pourraient ressembler des politiques viables. Cela montre les profonds problèmes qui existent dans le Parti de Corbyn et en cela, la lecture de ce livre permet de mieux s’en rendre compte.

Ce n’est pas un manifeste pour la révolution. Le mot socialisme est utilisé quelques fois (il n’apparaissait pas du tout dans le Manifeste de Corbyn en 2017). Mais les aspirations générales sont vagues — « radicalement plus juste, plus démocratique, et plus durable, dans une société où la richesse… serait partagée par tous ». Qui pourrait être en désaccord ?

Le programme de Corbyn-McDonnell est un programme de réforme radicale à l’intérieur du système — pas seulement le système capitaliste, mais le système parlementaire et le système de gouvernement de façon plus large, et dans la principale gouvernance existante. Il s’agit de réformes à l’intérieur du cycle électoral, dans lequel un gouvernement travailliste pourrait être en fonction une année et sortir l’année suivante. Le mouvement social promis n’est pas advenu et la manière dont il pourrait et devrait réapparaître en dehors de mobilisation électorale n’est pas claire.

Acceptons cela. À quoi pourrait ressembler un programme viable ? Mes principes seraient simples. Il y a besoin d’un objectif majeur, mais à court terme, des priorités claires doivent être dégagées. Il faudrait impliquer autant de personnes que possible dans le choix de ces priorités, créant ainsi des structures qui puissent survivre. On devrait encourager les gens à soutenir l’obtention du gain économique, social, environnemental le plus important pour un coût économique, social et environnemental le plus bas possible. Les gens doivent aussi voir des résultats positifs se réaliser dans des délais plus courts. Il vaut mieux réaliser correctement des choses simples plutôt que de mal faire des choses complexes. Et il faut se méfier des charlatans et des projets très coûteux, par exemple les consultants qui pompent du temps, de l’énergie et des ressources.

McDonnell s’est lancé dans des tournées de présentation dans tout le pays. Mais la participation est limitée et tourne davantage autour des problèmes que des solutions. Et il y a de grandes failles. L’une d’elles, et pas la moindre, est la question de ce qu’un ministre des finances radical peut faire en travaillant à l’intérieur du système. Est-il un élément moteur ou juste le type qui trouve l’argent pour les idées des autres ?

Prenez une question de principe cruciale. Comment un gouvernement devrait-il dépenser et taxer ? Le sujet est à peine abordé ici. Des spécialistes de la théorie monétaire moderne plaident pour une extension des arguments keynésiens de base. Tant qu’il y a des capacités de réserve dans une économie, un gouvernement peut dépenser plus qu’il n’est habituellement admis et les marchés le supporteront. On peut récupérer ces dépenses dans des recettes fiscales plus importantes lorsque l’économie se développe. Ceci signifie également que l’on peut contourner les contraintes habituelles imposées par la banque centrale et le trésor. Dans ce livre, Ann Pettifor, qui est toujours intéressante, s’approche de ce point de vue dans son article sur « un New Deal Vert ». Cette théorie est-elle juste ? En réalité, je ne le sais pas. Mais McDonnell, son équipe et leurs conseillers se sont positionnés : ils pensent que celle-ci est fausse. Ils voient des limites importantes à ce qui peut être dépensé. Ils soutiennent la Règle de Crédibilité Fiscale qui est exposée par Simon Lewis dans le chapitre qu’il a rédigé. Ils veulent travailler au travers de et avec la Banque d’Angleterre et la Trésorerie.

Mais cela implique alors d’être plus rigoureux dans les dépenses et les plans de taxation. Il faut trouver un moyen de faire ce que les gouvernements précédents ont échoué à réaliser : apprivoiser la Banque d’Angleterre et le Trésor. Prenez les impôts : même les théoriciens monétaires pensent qu’ils sont importants. L’un d’entre eux, Richard Murphy, a écrit un livre intitulé The Joy of Tax [La Joie de l’Impôt]. La Grande-Bretagne est un pays atypique en Europe en tant qu’elle taxe peu et dépense peu. Comment pouvons-nous taxer davantage ?

Prem Sikka, l’un des principaux critiques de la politique économique de la Grande-Bretagne, écrit qu’il a deux voies possibles. Premièrement, on peut refermer « l’écart fiscal ». Il s’agit de l’écart entre ce qui devrait être payé et ce qui l’est réellement. Toutefois, cet écart est difficile à refermer. Par exemple, une part de cet écart correspond à la perte des paiements de la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA). Ceux-ci sont très importants du fait que nous sommes tous impliqués dedans d’une façon ou d’une autre, que ce soit en rémunérant officieusement des personnes ou en faisant des achats sur des sites internet douteux. La deuxième voie est celle qui s’attaque à l’évasion fiscale — l’argent qui va dans les paradis fiscaux. On pourrait peut-être faire plus en finançant davantage l’administration fiscale et douanière pour rappeler à l’ordre les sociétés multinationales, mais cela impliquera de longues batailles légales. Il y aurait également besoin d’un accord sur l’action internationale pour changer les règles de comptabilité.

La troisième voie consisterait à augmenter les impôts en changeant leur nature. Cela va bien au-delà des 1 %, 5 % voire 10 %. Il s’agit d’augmenter le rôle des impôts directs progressifs et de diminuer les impôts indirects régressifs. Le Royaume-Uni est l’un des pays les plus centralisés et avancés, mais qui a le courage de donner aux régions la capacité de taxer plus ? Le chapitre sur les régions reconnaît l’importance de « la délocalisation fiscale », mais les idées fiscales des Travaillistes semblent terriblement minces et loin d’être courageuses.

Alors combien dépensez-vous et comment le dépensez-vous ? Certains auteurs parlent de ce qui doit être dépensé, mais sans cohérence ni priorités. De façon saisissante, de même que le manifeste Travailliste de 2017 s’avérait faible sur la question des niveaux et des dépenses sociales, celle-ci n’est toujours pas abordée ici comme un sujet en soi, sauf pour suggérer qu’une part soit rebaptisée « investissement social ». Pourtant nous sommes censés croire que pour des raisons de justice et de politique, « les pauvres » sont au centre de la stratégie du Parti travailliste.

Injecter plus d’argent dans le système existant est dangereux. Si vous doublez subitement le budget de votre patron, quand le dépensera-t-il (et pourrez-vous avoir votre mot à dire) ? S’ils n’ont aucune idée de leurs priorités, un problème va se poser. Ils demanderont : pour combien de temps est-ce que je dispose de cet argent ? Si la réponse est : « rien n’est certain », ils le dépenseront rapidement, sans réfléchir à un plan d’investissement à long terme. Qu’en est-il du personnel ? Payer davantage les employés devrait réduire le renouvellement des équipes, mais si vous ne pouvez être sûr que le financement sera garanti, le mieux est d’embaucher du personnel temporaire. En fait, vous finirez probablement par gaspiller l’argent, juste pour vous en débarrasser avant de le perdre. C’est ce qui s’est passé pour une partie des véritables augmentations du New Labour.

Prenez la santé mentale. Quand le gouvernement actuel a dit qu’il dépenserait davantage, la profession a explosé — nous devons parler de la façon dont on dépense ! Prévention ou traitement ? Hôpitaux ou soin communautaire ? Soins d’urgence ou longue durée ? Tous ceux qui liront de tels débats seront en mesure de poser les mêmes questions dans leur propre domaine — où sont ce débat et l’espace pour que nous puissions y contribuer ?

Les suggestions, lorsqu’il y en a, sont modestes. Il y a un débat sur ce que nous pouvons apprendre de l’expérience de villes progressistes — comme Preston. Je suis d’accord pour faire tout ce qu’il est possible de faire. Il y a du mérite dans les institutions locales qui tentent de faire de commerce au niveau local, mais il existe un problème de flexibilité et la difficulté de l’erreur de composition : si quelques-uns le font, ils peuvent tirer profit de ceux qui ne le font pas. Si tout le monde le fait, alors les gains vont probablement diminuer. Je suis en faveur de façons créatives de soulever les problèmes liés à la propriété. Adoptons, comme cela est proposé ici, plus de coopératives de travailleurs, de mutuelles et différents types de banques. Mais cela laisse la partie majeure de l’économie à l’extérieur de ces réformes. Que se passe-t-il quand les entreprises appartiennent à des groupes mondiaux et font partie de chaînes d’approvisionnement plus longues ? L’un des contributeurs pose la question, mais la majorité ne veut pas s’aventurer là-dedans. Il y a, trop souvent, une négligence des détails qui s’étend à l’ensemble du livre et jusqu’à son édition[2].

Enfin il y a la question de la position de départ. Les contributions laissent clairement voir que l’économie se trouve dans un désordre structurel profond. Sa performance et la productivité sont faibles. Cela empirera en cas de crise et le Brexit (même si le livre ne veut pas en parler) déstabilise encore davantage les choses. Mais la question d’un programme même vague pour les cent premiers jours de changement n’est pas ouverte, bien qu’il soit normal pour l’opposition de discuter de tout cela avec la Fonction publique avant une élection.

McDonnell finit son introduction en disant qu’« un meilleur monde est en vue ». Nous devons présenter des arguments convaincants pour y arriver et remporter l’adhésion des gens. Bien sûr. Mais discuter de la façon dont on va traverser le fleuve et franchir les collines peut donner confiance aux gens dans le fait qu’ils peuvent aussi traverser les montagnes qui se dressent non loin. La lecture de ce livre peut attiser nos espoirs de changement, mais il contribue aussi à montrer le chemin qu’il reste à parcourir au parti Travailliste pour les réaliser.

Notes

[1]    Corbyn et McDonnell ont fait preuve d’une très grande résilience, mais les résultats du cabinet fantôme dans son ensemble ont été lamentables. Certains d’entre eux semblent être de simples opportunistes et encore, peu performants même dans ce rôle. Gardiner est censé être au-dessus de la moyenne ainsi qu’une personne très intelligente. Ses notes de bas de page mettent en valeur ses lectures. Malheureusement, son propos me semble inconsistant et, compte tenu de sa fonction, en tant que ministre fantôme du Commerce et du Changement climatique, proche de l’obscurcissement et de l’induction en erreur sur certaines questions clefs.

[2] Tous les auteurs font des erreurs. Certaines sont grammaticales, d’autres de terminologie. L’édition est censée corriger ces erreurs. À la page 10, Antonia Jennings écrit que l’enseignement de l’économie est « massivement hétérodoxe » – il fallait certainement lire orthodoxe. Ann Pettifor semble dire que la plupart des logements au Royaume-Uni datent de l’ère Victorienne, ce qui est faux. Il n’y a même pas d’index, ce qui est énervant.