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"A Paris, les inégalités s’aggravent de manière abyssale"

inégalités

Lien publiée le 29 janvier 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.lemonde.fr/smart-cities/article/2019/01/29/michel-pincon-et-monique-pincon-charlot-a-paris-les-inegalites-s-aggravent-de-maniere-abyssale_5416039_4811534.html

Les sociologues Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon dénoncent l’embourgeoisement de la ville et l’impact d’Airbnb ou Uber.

Les sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, en septembre 2015.

Sociologues spécialistes de la grande bourgeoisie française, Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, publient ces jours-ci Le Président des ultra-riches (La Découverte, « Zones », 176 pages, 14 euros). Proches de la gauche anti-capitaliste, ils ont aussi coécrit deux petits « guides » de Paris, Sociologie de Paris (La Découverte, 2014) et Paris. Quinze promenades sociologiques (Payot, 2013). Spécialistes des ségrégations sociales et urbaines, ils dénoncent d’une même voix l’embourgeoisement de la capitale et l’impact des plates-formes numériques sur la vie de ses habitants. Ils participeront à la matinée de débats organisée par Le Monde le 30 janvier.

Paris est-il devenu une ville de riches ?

Si l’on observe l’évolution de la population depuis cinquante ans, grâce aux recensements, l’embourgeoisement est évident. Il s’est d’ailleurs accéléré ces dernières années. On constate une montée des professions intermédiaires et supérieures, de 34,5 % de la population en 1954 à 71,4 % en 2010, tandis que le pourcentage des employés et des ouvriers de la population active habitant Paris a chuté de 65,5 % à 28,6 %. C’est une baisse vertigineuse.

Comment expliquer cette évolution ?

Elle est liée à plusieurs facteurs, dont le premier est la désindustrialisation de la capitale. Paris était en 1962 une ville industrielle avec 576 000 emplois dans ce secteur. On est tombé à 134 000 en 1989, puis à 80 283 en 2009, selon les estimations de l’Insee [Institut national de la statistique et des études économiques]. Et il est évident que cela baisse encore.

A cela s’ajoute une deuxième cause, liée à la révolution dans le domaine de la construction, qui a connu un tournant néolibéral en 1977 avec le passage de l’aide à la pierre à l’aide à la personne. Autrefois, les aides publiques finançaient des bailleurs sociaux pour construire du logement bon marché. A partir des années 1970, elles ont financé les individus, incitant les ouvriers à s’exiler en banlieue avec la généralisation des constructions de maisons individuelles loin des centres. Le dernier facteur, qui est aussi la cause principale de tout le reste, c’est l’évolution du système capitaliste, qui est passé d’une phase industrielle, de type paternaliste, à une phase financiarisée et mondialisée.

Concrètement qu’est-ce que cela change pour Paris ?

Les inégalités entre les plus riches et le reste de la population s’aggravent de manière abyssale. Le pouvoir d’achat des acteurs de la finance est devenu considérable et leur permet d’acheter les biens dès qu’ils sont mis en vente. Le phénomène est mondialisé à Paris, qui bénéficie d’un capital symbolique incroyable : tous les multimilliardaires de la planète veulent y avoir un pied-à-terre. Comme c’est une capitale très petite en superficie, il y a une spéculation immobilière énorme, qui majore le coût de l’immobilier. Les logements y sont devenus inaccessibles.

On constate le même phénomène dans d’autres métropoles occidentales. Qu’est-ce qui caractérise la capitale française ?

La singularité parisienne tient à ses poches de très grande pauvreté. Les espaces collectifs que sont la rue, le métro chauffé, les passages ou les centres d’hébergement abritent beaucoup de pauvres à Paris. Il y a plus de 10 000 personnes sans domicile. Un ménage sur vingt touche le RSA [revenu de solidarité active]. En 2015, le taux de pauvreté y était de 16,1 %.

Comment cette cohabitation entre très riches et très pauvres s’organise-t-elle ?

Il y a, à Paris, un phénomène spectaculaire qui s’apparente à une objectivation spatiale de la lutte des classes. On a, d’un côté, les beaux quartiers à l’ouest et, de l’autre, les quartiers les plus populaires à l’est et au nord. Cohabitent au sein même d’une surface très réduite les richesses les plus insondables et les pauvretés les plus atroces. Mais elles ne se mélangent pas. Une des conditions indispensables à la reproduction des inégalités, c’est que les riches vivent entre eux, dans un entre-soi qui doit être très pur. C’est le cas dans plusieurs arrondissements parisiens, comme le 7e, le 8e, une partie du 17e sud, le 16e, surtout au nord, où l’on voit une concentration de richesse. Qui se prolonge dans les villes limitrophes, comme Neuilly-sur-Seine, Meudon (Hauts-de-Seine) ou Saint-Germain-en-Laye (Yvelines).

On assiste pourtant à la gentrification des arrondissements du nord-est de Paris. Cette évolution conduit-elle à plus de mixité sociale ?

A l’est, la population est en train de changer avec l’arrivée d’acteurs investis dans les nouveaux secteurs de l’activité économique et sociale, comme le design, l’architecture, les nouvelles technologies, les médias, le monde de la mode… Ces gens gagnent bien leur vie et sont souvent d’origine populaire, attirés par d’anciens logements ouvriers ou d’anciennes usines réhabilitées.

Mais la mise en place d’une vraie mixité sociale reste sociologiquement très compliquée et ambivalente. On s’est rendu compte, dans nos études, que la proximité physique a plutôt tendance à exacerber la distance sociale. Les jeunes couples avec de bons salaires qui vivent à la Goutte-d’Or (18e) ne se mêlent pas aux familles issues de l’immigration, notamment pour la scolarité. La population blanche va à l’école privée, la population noire, à l’école publique. La violence symbolique est toujours là.

De nouveaux acteurs économiques, comme Uber et Airbnb, sont en train de transformer le travail et le logement à Paris. A qui profitent ces plates-formes ?

Elles ne profitent certainement pas à la population. Avec ces plates-formes, on assiste, à Paris comme dans d’autres grandes villes, à une aggravation de la déréglementation des rapports entre les êtres humains, à la destruction des contrats sociaux, fruit de luttes extraordinaires pour la protection de l’humain. On a franchi, avec elles, une étape de plus dans le néolibéralisme, où des entreprises ne sont plus obligées de payer des impôts à leur juste mesure, de réglementer leur profession, de respecter les arrêts maladie… C’est le règne de la loi du plus fort. Ces plates-formes sont en réalité un processus d’« esclavagisation » de jeunes qui ne trouvent pas de travail et prennent des risques fous pour livrer des pizzas à toute allure.

Sociologiquement, comment cela modifie-t-il Paris ?

Ce qui se passe est très grave. Sur les conséquences économiques d’Airbnb, le livre de Ian Brossat (Airbnb, la ville ubérisée, La ville brûle) donne des statistiques sur les effets négatifs, sur le prix des logements, sur la crise des hôtels… D’un point de vue sociologique, en favorisant la location à des étrangers ou à des provinciaux de passage, Airbnb empêche l’installation de Parisiens et l’enracinement de gens sur le territoire. Or, on a besoin de racines pour créer l’identité d’une ville.