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Allons-nous vers la grève générale?
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://aplutsoc.org/2019/01/30/allons-nous-vers-la-greve-generale-editorial-du-30-janvier-2019/
Il est de mode de qualifier la situation politique française présente d’ « inédite ». Cela ne signifie à vrai dire pas grand-chose en dehors de l’effarement de ceux qui pensaient qu’une explosion sociale était impossible, tout en se représentant celle-ci comme une réédition du déjà vu, déjà connu.
La situation présente comporte beaucoup d’aspects prévisibles, en particulier tout ce qui relève de la crise de l’État et du régime de la V° République – on se croirait, et plutôt deux fois qu’une, souvent dans les pages de La lutte des classes en France de Marx, pourtant écrit en 1850.
Cette situation participe en outre d’une crise internationale, de décomposition des vieilles puissance capitalistes : si les États-Unis avec Trump et le Royaume-Uni avec le Brexit sont des cas particulièrement flagrants, cette décomposition affecte également le cœur de la vieille Europe, avec l’Allemagne et l’Italie.
Mais dans cette chaîne de décompositions, le maillon français est celui où, pour l’heure, le mouvement des masses, spontané, explosif, prenant des formes réellement inédites, a fait irruption, ce qui rattache ce pays à une autre chaîne : celle des révolutions du XXI° siècle qui chassent des présidents, particulièrement depuis les « révolutions arabes » de 2011 et le Maïdan ukrainien.
L’ « inédit » est donc tissé des expériences récentes et il les porte à un nouveau stade. La France n’est plus depuis longtemps le pays décisif des Lumières et de l’Humanité ! … mais à la jonction de ces deux chaînes, elle tient aujourd’hui une place importante comme brandon de la révolution.
Tout devrait, pour le pouvoir et la plupart des commentateurs, rentrer dans l’ordre, et rien ne rentre dans l’ordre.
La crise pré-révolutionnaire ouverte en novembre-décembre dernier perdure.
Il ne peut en être autrement dans la mesure où la question du pouvoir central, ouverte, n’a pas été réglée. Elle a été ouverte par Macron, qui voulait faire du régime mixte et affaibli de la V° République un régime autoritaire bonapartiste de plein pied. D’où la crise au sommet (affaire Benalla) et l’explosion sociale (gilets jaunes).
Macron est cassé et n’a pas de successeur légitime, pourvu du charisme bonapartiste, capable de prendre sa place – et non, tel n’est pas le cas de Marine Le Pen : l’option capitaliste protectionniste qu’elle prétend incarner suppose au préalable, pour pouvoir se saisir solidement du pouvoir, que la crise sociale ait pris fin par la défaite du prolétariat, qui n’est pas possible à brève échéance, exigeant un bain de sang qui ne ferait, dans l’immédiat, que précipiter le dénouement et la chute de Macron et du régime.
Le pouvoir rame : le bruit médiatique fait autour du « grand débat » ne saurait masquer le fait que la population, l' »opinion publique », ne s’y intéresse pas (au passage, ne confondons pas le « grand débat » et les collectes de « doléances » notamment dans des mairies rurales, produit direct, lui, parfois illusoirement recyclable dans le « grand débat », de la crise pré-révolutionnaire qui a commencé).
Le pouvoir a deux jambes de bois : son « grand débat » et ses LBD, les sinistres lanceurs de balles de défense ayant multiplié ces énucléés qui resteront comme la marque de Macron, qui pendant ce temps va s’afficher avec les tyrans sanguinaires, Idriss Déby ou Sissi.
Ce sont des jambes de bois, le centre présidentiel de l’État est cassé et la banquise, la marée, la lave, se mettent en mouvement, avec des rythmes différents, dans le pays.
Les gilets jaunes, c’est-à-dire le mouvement spontané de centaines de milliers de prolétaires le plus souvent travailleurs précaires, ont fait l’objet de toutes sortes de manœuvres visant à les discréditer, les diviser, mais rien n’y fait. On a des listes aux Européennes pilotées par des philanthropes de la police et de la macronie. On a des agressions de nervis fascistes visant à diviser et inquiéter, combinées aux agressions policières qui, avec l’énucléation de Jérôme Rodrigues, ont définitivement franchi le seuil de la honte indélébile.
Mais le mouvement de fond, lui, continue, autour de son véritable axe : s’affronter au pouvoir central (et donc à sa police), résoudre la question du pouvoir ouverte en France, en dégageant ce pouvoir.
La lame de fond s’est donc emparée de la journée d’action lancée par la CGT le 5 février, reprenant une élaboration spontanée qui avait déjà commencé à toute allure début décembre, lorsque les barrages routiers se posaient massivement la question du « blocage général » de tout le pays pour le lundi 10 décembre.
En outre elle a assez largement trouvé à exprimer son contenu dans le déroulement et l’appel de l’assemblée des délégations de groupes de gilets jaune tenue à Commercy.
En même temps et c’est essentiel, les grèves dans les entreprises sont fort nombreuses, de plus en plus énergiques, et portent le plus souvent sur les salaires, exigence économique de rattrapage et de rétablissement immédiat du droit à vivre contre l’exploitation, qui, politiquement, heurte toute la politique de Macron sur les revenus, la fiscalité, les retraites.
Grève reconductible décidée par les 500 salariés entraînant les syndicats à l’usine Carrier-Transicold près de Rouen. « Black-out total » aux magasins Kingfisher à compter du 1° février. Piquet de grève permanent à l’usine chimique Bayer de Villefranche-sur-Saône/Limas …
Si les organisations syndicales jouaient leur rôle au niveau des branches et au niveau national, elles centraliseraient le tout contre Macron. Certes, la CGT par exemple formule des revendications générales. Mais la centralisation, dans la situation présente, c’est contre Macron. Le mouvement vers la grève générale est politique, au sens vrai du terme.
Dans les universités, lycées, collèges, écoles, ça fermente et ça bouillonne. La grève du 24 janvier dans les lycées surtout a été réellement l’occasion de réunions, d’assemblées générales, d’organisation des personnels par eux-mêmes dans des dizaines d’établissements.
La poussée lycéenne de décembre n’a pas spontanément repris à la rentrée : c’est normal, la jeunesse plus encore est sensible, de manière organique, à la perspective de combat immédiate et politique. Elle s’est ébranlée suite à l’explosion des gilets jaunes, utilisant un mot d’ordre central lancé par l’UNL, exprimant ce qu’elle pense réellement de Parcoursup, subissant la répression.
Elle mûrit cette expérience et elle repartira quand elle sentira une nouvelle occasion de pousser avec le mouvement d’ensemble – ce qui pourrait donc ne pas tarder.
L’ensemble de ces éléments : gilets jaunes s’emparant à leur manière de l’appel au 5 février, qui, initialement, visait surtout à donner le sentiment de « pousser fort » à des milliers de militants CGT mécontents, grèves dans les entreprises, mise en mouvement dans l’enseignement public, venue possible de la prochaine vague dans la jeunesse, a un axe politique. Il faut le formuler clairement : c’est celui des mots d’ordre « Macron démission » et « Macron dégage », et pas pour le remplacer.
C’est là le mouvement réel de la révolution, poussée du corps social contre les forces capitalistes, étatiques et patronales, qui menacent son existence présente (travail, salaires, retraites, services publics, impôts indirects) et prochaine (urgence climatique).
Mais cela, il faut une force politique pour le dire haut et fort !
Rien ne ressemble plus à l’apesanteur du pouvoir, glissant sur la bulle du « grand débat » tout en distribuant les coups et en crevant les yeux, que l’apesanteur des forces politiques issues de la gauche et du mouvement ouvrier (LFI comprise : le « populisme », « de gauche » ou pas, a été tout autant pris au dépourvu par le mouvement réel que les forces dites traditionnelles).
Aucune ne reprend le mot d’ordre des masses : Dehors Macron.
Toutes flirtent parfois avec des formules rusant avec la question du pouvoir mais préservant celui-ci, c’est-à-dire son cœur, l’exécutif, en jouant avec la dissolution, le référendum, la « démocratie participative », etc. Tout cela est à cent lieues du réel. Enfin pratiquement tous s’affichent très préoccupés par les élections européennes. Comme si un scrutin « européen » partagé entre LREM et RN, les deux partis de l’ordre subsistants, avec une majorité de non votants, pouvait avoir la force de stopper la crise du régime et la vague prolétarienne qui affronte ce régime. Non : l’Achéron s’est mis en mouvement.
Certes, le militant de gauche bien intentionné a raison de déplorer la division aux Européennes, mais lui-même ne fait que l’accroître dès qu’il tente de lui trouver une solution dans le cadre des « institutions », dans le cadre du scrutin « européen », en dénonçant la culpabilité de tel ou tel appareil, de tel ou tel courant accusé, le plus souvent à juste titre, de division. Mais le stade est passé où « l’unité de la gauche » si elle se réalisait conjurerait le fiasco. Elle ne le pourrait qu’en se réalisant sur un mot d’ordre central : Macron dégage. Sauf que si elle en était capable, ce ne sont pas les élections européennes qui seraient censées être sa ligne de mire …
Alors il faut une force politique qui ne prépare pas « les européennes » mais la centralisation contre Macron.
Qui ne dénonce pas les gilets jaunes comme « petite-bourgeoisie », allant jusqu’à traiter les prolétaires en action de fascistes, qui ne protège donc pas les appareils existants mais qui appelle et agisse pour l’unité d’action.
Qui soit parmi les gilets jaunes, parmi les grévistes, à la défense des services publics et avec la jeunesse pour leur dire : « allez-y : poussez, par vous-mêmes, prenez le contrôle des axes de communication, de la logistique, vers la grève générale, mettez les syndicats avec vous, affrontez le pouvoir central« .
Qui dise qu’en chassant Macron, on n’ira pas vers des élections présidentielles mais vers la démocratie, celle des comité de grève élus, des comités de quartier, des comités locaux désarmant police et fascistes, assurant la logistique et permettant l’élection d’une assemblée de représentants dotés d’un vrai pouvoir, car l’appareil préfectoral de l’État aura été détruit, dotés d’un vrai mandat, et soumis à un vrai contrôle.
On peut appeler cela une assemblée constituante, à condition – condition indispensable – de préciser que sa souveraineté passe par la destruction de l’appareil bonapartiste de l’État, et parce que l’élection générale par toutes et tous trouverait là son véritable sens.
Une force politique, donc, qui agisse pour la centralisation tout en ouvrant la perspective de l’après. Ce qui, de plus, conduit à ouvrir le débat avec nos camarades anglais, allemands, italiens, du Maghreb, d’Afrique, d’Europe centrale et orientale … sur l’union des peuples nécessaire !
Nous ne nous sommes là éloignés qu’en apparence de la question qui fait le titre de cet article : allons-nous vers la grève générale ?
Pourquoi ? Parce que nous en arrivons à la vraie question qu’elle recouvre, celle de l’organisation politique formulant haut et fort pourquoi la grève générale hante le pays.
La grève générale peut s’emmancher à partir de la poussée du 5 février. Ou pas. Il faut agir en ce sens en gardant la tête froide.
La grève générale est une question politique : il faut une force politique pour nourrir l’Achéron en mouvement, politiquement, pas pour le stimuler ni pour l’inventer puisqu’il est là, il n’a pas besoin qu’on l’excite, mais qu’on formule ce qu’il cherche à dire, donc qu’on l’écoute et qu’on organise le dialogue pour aider le mouvement réel à avancer par lui-même.
C’est peut-être pour la semaine prochaine, c’est peut-être pour plus tard, mais c’est engagé, il faut le dire, le rendre conscient :
-
Dehors Macron.
-
Grève générale pour battre ce pouvoir.
-
Grève générale pour toutes les revendications urgentes.
-
Des comités, des comités de grèves, des délégués élus et mandatés.
Oui, il faut le dire, c’est de la révolution prolétarienne qu’il est question en France, en cette année 2019.
Nous ne proposons pas juste une grève. Nous ne proposons pas juste une intersyndicale au service du mouvement. Nous ne proposons pas juste une assemblée des assemblées. Tout cela est bien, nécessaire et tout cela est et sera. Mais tout cela doit vaincre. C’est à ce sujet, pour grouper politiquement, qu’il faut se réunir. Pour parler de la révolution et de l’organisation politique visant, non à guider les masses, mais à leur permettre d’aller de l’avant, de vaincre et de tenir ferme leurs futures victoires.
La rédaction, le 30-01-2019.