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Plongée au cœur du Facebook des gilets jaunes

Gilets-jaunes

Lien publiée le 4 février 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article47712

Les Décodeurs ont analysé les 200 messages les plus partagés par les groupes du mouvement pour cerner la « pensée jaune ».

  Sommaire  

C’est une France qui ne manifeste pas spécialement de pensée raciste, homophobe ou antisémite, et se réclame plus volontiers de Coluche que de n’importe quel parti politique. C’est une France qui nourrit un sentiment de défiance, voire de ressentiment profond pour les « élites » de tous bords. C’est une France qui se sent vulnérable et injustement traitée, que ce soit par les forces de l’ordre, Emmanuel Macron ou les chaînes d’information. Et qui verse facilement dans un sentiment de persécution et dans une certaine forme de complotisme.

Pour tenter de saisir la pensée des « gilets jaunes », nous avons réuni et analysé les deux cents publications les plus partagées au sein des différents groupes Facebook de la mouvance, depuis sa naissance jusqu’au 22 janvier.
Au total, ces publications ont été partagées près de 6,9 millions de fois. La plus populaire d’entre elles a réuni à elle seule 340 000 partages [1] et présente, ironiquement, une image qui aurait été « censurée par Facebook », selon l’auteur du message. L’intérêt de ce corpus est qu’il donne une vision des sujets qui rassemblent le plus d’internautes qui se revendiquent « gilets jaunes » en ligne, et permet d’appréhender les idées qui font consensus dans le mouvement.


MÉTHODOLOGIE

Pour réaliser cette étude, nous avons répertorié les 200 publications les plus partagées sur Facebook dans un ensemble de 204 groupes de « gilets jaunes » entre le début d’octobre et le 22 janvier, à l’aide de l’outil d’analyse Crowdtangle. Nous les avons ensuite consultées une par une, afin d’en étudier le fond comme la forme. Lorsque cela a été possible, nous avons évalué la véracité des faits qui y sont présentés.

Les données utilisées dans le cadre de cet article sont consultables [2].


Après analyse, quatre grandes thématiques se dégagent de ce grand déversoir de frustrations. Elles se répondent, parfois se chevauchent, et souvent s’alimentent les unes les autres. Sans grande surprise, viennent d’abord les messages sur la mobilisation en elle-même et les instantanés de manifestations.

Les violences policières sont vite devenues un sujet majeur au sein du mouvement

Mais juste derrière, vient ce qui est rapidement devenu le grand sujet de discussion : la dénonciation de la répression du mouvement, qu’elle s’appuie sur des faits avérés ou fantasmés. Dans ce contexte, le discours anti-élite et les revendications précises de la mouvance sont finalement relégués au second plan.

La répression du mouvement, sujet majeur de partage chez les « gilets jaunes »

Parmi un ensemble de 200 messages publiés dans plus de 200 groupes Facebook avant le 22 janvier 2019.

[Tableau non reproduit ici]

[Thèmes les les plus présents : 1. La mobilisation 2. La répression du mouvement 3. La critique des élites 4. Les revendication]

Autre élément intéressant dont nous avons pu mesurer l’ampleur : 35 de ces 200 messages n’étaient plus en ligne le 23 janvier, soit environ un sur cinq. Il s’agit de messages qui ont pu être modérés par les groupes Facebook en question, supprimés par leurs auteurs ou retirés par la plate-forme lorsqu’ils contrevenaient à ses conditions d’utilisation.

La mobilisation jaune : fierté et solidarité

Il existe un très fort sentiment d’appartenance à la cause « jaune », qui se confond souvent avec une représentation idéalisée du peuple. La part principale des posts les plus populaires porte sur la dimension massive de leur propre mouvement, soit pour l’alimenter, soit pour s’en féliciter, soit pour le relancer.

Cela passe tout d’abord par des messages d’organisation, souvent rudimentaires. Ici, des appels à bloquer un sous-traitant de la Bourse de Paris ou le marché de Rungis. Là, des appels à la solidarité, souvent lancés en direction des routiers, des motards, des chômeurs ou de figures du mouvement. A noter que si la volonté de paralyser le pays est explicite, les appels à la violence ne sont pas populaires à l’échelle du mouvement, d’autant qu’au fil des semaines, on a pu constater une modération des propos à caractère violent, raciste ou conspirationniste. En 200 messages, nous n’avons ainsi recensé, encore en ligne à ce jour, qu’une seule glorification des violences contre les forces de l’ordre, et une invitation à mettre le « bordel » lors de la Saint-Sylvestre.

[La vidéo montrant la banda des « gilets jaunes » interprétant « Dans les yeux d’Emilie », au péage de l’autoroute A 64, à Pau (Pyrénées-Atlantiques), postée le 24 novembre.]

A travers leurs groupes, les sympathisants témoignent surtout avec enthousiasme du sentiment de faire corps, de faire masse. Photos de foule en jaune, appels à se compter, chansons ou clips louant le mouvement, partage de chiffres flatteurs des mobilisations, vidéos et photos de manifestants à l’étranger illustrent cette « fierté jaune », dont la mise en scène emprunte aussi bien à l’iconographie des révolutions françaises qu’à la musique populaire – de la guinguette au rap.

La « répression » : entre violences avérées et théories du complot

Dans cet imaginaire, face au mouvement populaire et pacifique des « gilets jaunes » se dresse une « forteresse d’Etat » qui tenterait d’écraser la révolte comme dans les pires dictatures. Et ce, avec la complicité des médias. C’est en tout cas ce que décrivent les nombreux messages fustigeant les méthodes employées par le gouvernement depuis le 17 novembre.

Les « gilets jaunes » considèrent cette violence d’Etat comme injustifiée. Ils expliquent les débordements du mouvement par des théories aux accents conspirationnistes. Les dégradations lors de certaines manifestations ? Forcément la faute à des policiers déguisés en casseurs pour décrédibiliser le mouvement – une théorie qui n’a pas été avérée à ce jour. Des voitures saccagées à Paris ? De faux véhicules, sans immatriculation. Une mobilisation qui recule au fil des semaines ? La faute à de prétendus barrages sur l’autoroute qui auraient empêché les manifestants de se rendre aux rassemblements.

« On n’a plus le droit de reculer, maintenant »

Parallèlement, dès les premiers rassemblements, la « jaunosphère » relaie massivement les photos et vidéos de ses « frères » aux visages tuméfiés, d’une femme âgée au bord de l’évanouissement ou de policiers frappant un « gilet jaune » par surprise. Dès le 29 novembre, un mot d’ordre soude la foule numérique :

« On a plus le droit de reculer maintenant, pour tous ces gens décédés, blessés gravement, tabassés gratuitement… »

Il est toujours délicat d’interpréter ces scènes, puisqu’il s’agit souvent de courts extraits, voire d’instantanés de situations beaucoup plus complexes, quand ce ne sont pas des clichés des blessures des contestataires a posteriori. Un constat d’ensemble s’impose tout de même : la quasi-totalité des images de personnes blessées que nous avons analysées nous sont apparues soit authentiques, soit invérifiables. Deux exceptions tout de même :

1. la rumeur – infondée – d’un homme tué en direct à la télévision ;

2. une vidéo qui compile des violences policières, mais remontait en réalité aux manifestations contre la loi travail en 2016.

L’abondance des exemples entretient un sentiment d’injustice et de persécution, probant dans les commentaires. Face à ce qui est perçu comme un abus de pouvoir de la part des forces de l’ordre, les « gilets jaunes » partagent deux types de message, l’un faisant l’apologie de jets de cocktails molotov contre la police en Corse (un seul post de ce type, mais partagé près de 50 000 fois) ; l’autre suggérant le recours à des bombes de peinture, jugé plus ludique et plus pacifique (trois posts similaires, pour 105 000 partages au total).

On trouve également des hommages appuyés aux « gilets jaunes » considérés comme « martyrisés » par le pouvoir. C’est le cas très médiatisé de Christophe Dettinger, le boxeur accusé d’avoir frappé des policiers lors de l’acte VIII du mouvement à Paris, présenté comme un héros ayant défendu des manifestants vulnérables. Ou de celui moins connu d’un Narbonnais condamné à un an de prison.

Critique des élites : Macron et le train de vie des élus dans le collimateur

Il y a les « gilets jaunes » d’un côté, et de l’autre eux, les nantis, les élus, les médias, pour lesquels les membres de ces communautés nourrissent un profond ressentiment. Une personnalité concentre leur animosité : Emmanuel Macron. Le président de la République est la cible de nombreuses critiques et mises en scènes, dont certaines ordurières. On lui reproche, pêle-mêle, un exercice jugé monarchique du pouvoir, sa politique économique libérale, ses liens avec la finance… Sans oublier la hausse des prix des carburants : plusieurs photomontages le présentent ainsi comme « Miss Taxes 2018 » et appellent à sa démission.

Mais au-delà du président, ce sont tous les élus qui sont visés. Trop rémunérés, pas assez actifs, déconnectés de la vie quotidienne des Français… Notre échantillon des coups de gueule des « gilets jaunes » est un bon condensé des procès faits aux représentants politiques. Certains sont fondés sur des faits – comme les avantages accordés aux députés français – ; d’autres, sur des rumeurs ou de fausses informations – comme l’affirmation selon laquelle ces mêmes députés seraient deux fois mieux payés que leurs homologues allemands ou britanniques.

Les médias ne sont pas épargnés, à commencer par BFM-TV, qui fait l’objet d’une poignée de publications virulentes l’accusant de manipulation des chiffres ou des images. Mais ils sont souvent critiqués au détour d’une dénonciation plus large, comme des complices ou des idiots utiles du système.

A la marge, une troisième catégorie plus étonnante apparaît : le showbiz, auquel les « gilets jaunes » reprochent de s’être détourné des classes populaires. Outre Franck Dubosc, deux posts très plébiscités accusent Les Enfoirés d’avoir tourné le dos aux plus démunis en ne soutenant pas les « gilets jaunes ». « Coluche aurait eu comme nous honte de vous », y lit-on. A l’inverse, ils ont été nombreux à faire circuler une chanson antipolitique de Patrick Sébastien (Ah si tu pouvais fermer ta gueule) et un sketch des Guignols de l’info sur les bénéfices de Total.

Les revendications : automobile, justice sociale et RIC

Trois grands thèmes ressortent de notre analyse : un premier, historique, sur le traitement réservé aux automobilistes (péages, carburant, radars…), qui a été le ciment de la mobilisation à ses débuts. Un second, la précarité, qui s’est ajouté dans un second temps. Puis un troisième, le référendum d’initiative citoyenne (RIC), qui s’est imposé progressivement dans les débats.
Ainsi, dès le 28 novembre, un message posté par une internaute récolte près de 40 000 partages. Il liste six exigences : le retour de l’impôt sur la fortune, la suppression de la hausse de la CSG pour les retraités et les handicapés, la revalorisation du smic, l’annulation de la hausse du prix du carburant, la baisse des charges pour les petits commerçants et les artisans, et la réduction du nombre des élus et de leur train de vie.

Les « gilets jaunes » sont-ils « apolitiques », comme ils aiment à le clamer ? A parcourir leurs groupes Facebook, une chose est sûre : les discours et argumentaires des partis politiques traditionnels n’y tiennent qu’une place marginale, voire anecdotique. Sur deux cents messages, seuls trois relaient ainsi directement une personnalité politique : il s’agit de Marine Le Pen (RN), pour une vidéo par ailleurs mensongère sur le pacte de Marrakech, et de la députée de La France insoumise Caroline Fiat, qui apparaît deux fois pour ses prises de position en faveur des « gilets jaunes ».

A l’inverse, bon nombre de thématiques chères à l’extrême droite ne sont peu ou pas abordées, à commencer par l’immigration. Tout comme la sortie de l’Union européenne, la pénalisation de l’interruption volontaire de grossesse ou l’abrogation de la loi sur le mariage pour tous.

Si des sites et des figures de l’extrême droite ont parfois réussi à surfer sur le mouvement, c’est d’abord en dehors des communautés de « gilets jaunes ». La « pensée jaune » est sans doute elle aussi une « pensée complexe ».

William Audureau et Adrien Sénécat

Les 200 contenus les plus partagés des Gilets jaunes / 22 janvier 2019

• Le Monde. Publié le 30 janvier 2019 à 06h35 - Mis à jour le 30 janvier 2019 à 15h22 :
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/01/30/plongee-au-c-ur-du-facebook-des-gilets-jaunes_5416440_4355770.html


 Comment les violences policières sont devenues le principal ciment des « gilets jaunes »

L’enquête des Décodeurs sur les groupes Facebook montre que la brutalité de la répression a choqué et soudé le mouvement dès ses débuts.

Cet article est le deuxième d’une série de quatre consacrés aux groupes Facebook des « gilets jaunes ».

C’est un thème qui ne s’est imposé que récemment dans le débat public, au point que le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, pouvait encore se dire « sidéré » par les accusations de violences policières, le 18 janvier. Mais il hante les « gilets jaunes » de longue date. Depuis le début des manifestations, les groupes Facebook des manifestants évoquent fréquemment la répression brutale, les violences injustifiées, les blessés graves. Ce thème est même devenu central.

Nous avons analysé les 200 publications les plus populaires de la « jaunosphère ». Parmi eux, trente-deux posts – partagés 1,17 million de fois – ont pour sujet ces violences.

Ce sont avant tout des vidéos de violences policières qui sont échangées. L’interprétation de telles scènes est toujours délicate, à défaut de connaître avec précision le contexte dans lequel elles se déroulent. Nos vérifications ont cependant dégagé un constat : la grande majorité des vidéos et images les plus partagées sont authentiques - elles ont bien été tournées lors de rassemblements des « gilets jaunes ».

Cela n’empêche pas quelques outrances : de vieilles vidéos sorties de leur contexte circulent aussi, comme un montage de violences policières datant de 2016 (depuis supprimé), tandis qu’une caricature très partagée met en scène un CRS frappant sa propre mère en gilet jaune. Un internaute affirme même que des pompiers ont été « gazés » volontairement, sans que la vidéo ne permette vraiment d’en juger.

Les violences policières vite devenues la préoccupation centrale des groupes de « gilets jaunes »

[Tableau non reproduit ici]

Un sentiment rapide de disproportion

Dès le 17 novembre 2018, au soir de l’acte I du mouvement, une vidéo d’un « gilet jaune » frappé d’un coup de pied par un CRS lors d’une interpellation est reprise (sans source) et relayée plus de 110 000 fois. Captée par le journaliste du Huffington Post Pierre Tremblay, la scène demeure l’une des plus partagées. Elle sera suivie de très nombreuses autres, au point de devenir le sujet de conversation premier des groupes Facebook.

Dans les groupes de « gilets jaunes », on crie ainsi son inquiétude pour un manifestant qui s’effondre en arrière-plan d’un reportage. On fait des gros plans sur un « gilet jaune » frappé par surprise. On relaie abondamment, sans information sur le contexte, la photo d’un lycéen interpellé le visage en sang. Autant d’images qui discréditent les forces de l’ordre auprès de la jaunosphère.

89 000 « gilets jaunes » partagent la vidéo montrant un « gilet jaune » frappé semble-t-il par surprise par un CRS.

Les casseurs et les violences contre les CRS ne sont en revanche jamais évoqués, ou alors discrédités par diverses théories à l’accent conspirationniste, accusant l’Etat de mise en scène (faux casseurs, fausses voitures incendiées, etc.). Dédouanant au passage les membres du cortège jaune de toute responsabilité.

Deux bulles d’information, deux sons de cloche : couvrant samedi après samedi les actes successifs du mouvement des « gilets jaunes », les chaînes d’actualité en continu comme BFM-TV font la part belle aux images de débordements, voire de « guérilla urbaine ». La casse y éclipse alors largement les témoignages de blessés et les images de violences policières, accentuant la fracture entre les groupes Facebook et les rédactions parisiennes.

Le choc des blessés graves

A partir du début de décembre 2018, le phénomène franchit un nouveau cap chez les « gilets jaunes ». L’indignation de principe laisse place à une émotion plus vive face à des images toujours plus dures, comme celles tirées d’un reportage vidéo du Monde sur un adolescent au plancher de l’orbite fracturé et au visage tuméfié après un passage à tabac (depuis retirée de notre site en raison d’une confusion entre deux cas de violence distincts).

Une nouvelle séquence débute, plus crue, plus choquante, celle de la mise en avant des victimes de « l’Etat policier », et tout particulièrement des lanceurs de balles de défense (LBD). Ces images, chaque fois très fortes, difficiles à recouper, sont lâchées sans contexte ni contradiction. Entre autres exemples : la colère et l’attroupement autour d’une femme évanouie, « une mamie de 70 ans » qui aurait reçu un tir de LBD, le témoignage révolté d’un commerçant rapportant avoir vu un homme « la chair à vif » ou encore l’appel à témoignages d’une femme opérée après « un coup de Flash-Ball en plein visage ».

De quoi nourrir une colère sourde, que l’accalmie des fêtes de fin d’année ne suffira pas à l’effacer, les nouveaux cas se multipliant dès le début de l’année 2019.

L’héroïsation du boxeur Christophe Dettinger

On comprend mieux, dans ces conditions, la réception faite par les « gilets jaunes » aux coups portés par le boxeur de Christophe Dettinger à des CRS, le 5 janvier sur un pont parisien. Alors que la classe politique fustige une agression des forces de l’ordre, la jaunosphère idéalise son intervention. « Tu as défendu des gens, mec », le félicite Maxime Nicolle, l’un des porte-parole du mouvement, qui l’appelle par solidarité son « ami ». Et bien qu’il se revendique pacifiste, il estime que « ne pas craquer, c’est difficile quand on voit la répression policière ».

Le boxeur Christophe Dettinger est perçu comme un héros ayant défendu des « gilets jaunes » vulnérables frappés par les forces de l’ordre.

Une internaute pointe, de son côté, ce qu’elle estime être une incohérence de traitement entre le lynchage médiatique d’un « “gilet jaune” [tapant] à main nue sur un CRS protégé et armé », et l’absence de réaction face la vision de « 10 CRS frappant à coups de pied un “gilet jaune” à terre… » Plusieurs messages de soutien apparaissent, dont l’un recontextualise son action en publiant une compilation – très dure – de violences policières.

Notre base de données, arrêtée au 22 janvier, juste avant l’acte XI, ne rend pas compte des réactions à la blessure à l’œil de Jérôme Rodrigues, une des figures du mouvement. Pas besoin de chercher bien loin cependant pour constater que les images de son calvaire, le visage en sang ou le poing serré au fond de son lit d’hôpital, ont secoué la communauté. En quelques heures, le nom de « Jérôme » s’est ajouté à la longue liste des « martyrs » de la cause.

[Les 200 contenus les plus partagés des Gilets jaunes / 22 janvier 2019 : tableau non reproduit ici]

William Audureau et Adrien Sénécat

• https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/01/30/comment-les-violences-policieres-sont-devenues-le-principal-ciment-des-gilets-jaunes_5416781_4355770.html


 Dans le Facebook des « gilets jaunes » : le vrai du faux des affirmations

Les Décodeurs ont vérifié 74 publications populaires sur les groupes des « gilets jaunes ».

Cet article est le troisième d’une série de quatre consacrés aux groupes Facebook des « gilets jaunes ».

Les « gilets jaunes » ont-ils un problème avec la vérité ? La chronique du mouvement, dès ses prémices en octobre, passe par la circulation d’intox et fausses informations en tous genres au sein des groupes Facebook qui en constituent l’ossature. Cette déferlante a touché tous les aspects du débat : la réalité de la pollution liée aux voitures, le niveau des impôts en France, les différents « actes » de mobilisation, lors desquels la machine à rumeur a, chaque samedi, tourné à plein. Sans oublier les critiques de la mouvance qui ont, eux aussi, fait circuler des contrevérités.

Difficile, pour autant, d’évaluer la portée réelle des discours mensongers dans la « pensée jaune ». Est-ce, somme toute, anecdotique ? Ou au contraire un phénomène constitutif du mouvement, qui reposerait donc en bonne partie sur de fausses croyances ?

74 publications populaires vérifiées

Pour tenter de répondre à ces questions, nous avons examiné les 200 publications les plus populaires au sein de 204 groupes de « gilets jaunes », de leur naissance en octobre jusqu’au 22 janvier. Parmi elles, 36 ne sont plus accessibles aujourd’hui, parce que supprimées par leur auteur ou par le groupe où elles avaient été publiées. Nous avons également écarté 88 des 164 messages restants car ils ne reposent pas sur des éléments factuels : ce sont par exemple des consultations internes au groupe, des plaisanteries ou encore des avis.

Notre analyse a donc porté sur les 74 messages restants, partagés 1,7 million de fois, ceux qui reposent sur des faits. Nous les avons évalués un par un, en suivant la méthodologie que nous appliquons habituellement aux Décodeurs :

• Chaque publication a été associée à une question qui en synthétise, selon nous, le message essentiel ;

• lorsque c’était possible, nous avons évalué ce message sur la base d’éléments factuels ;

• une fois ce travail fait, nous avons évalué la pertinence de l’affirmation : de « vrai » lorsque nous avons pu la confirmer pleinement à « faux » lorsque nous avons pu la démentir. Nous n’avons pas toujours été en mesure de confronter l’affirmation initiale à des faits vérifiables. Dans ces cas, nous avons qualifié l’information d’« invérifiable ».

22 messages problématiques sur 74 publications

A l’arrivée, nous avons jugé 14 publications comme fausses et 8 autres douteuses (parce qu’en partie fausses, exagérées, hors contexte…). Soit un total de 22 messages problématiques sur 74, contre 40 publications globalement correctes.

Près d’un tiers des contenus étudiés sont faux ou en partie faux

[Tableau non reproduit ici.]

Ces résultats montrent que les groupes Facebook des « gilets jaunes » ne sont pas des nids à fausses informations, comme on a parfois pu l’entendre. Les affirmations les plus partagées par ces communautés s’avèrent au contraire majoritairement correctes. Pour autant, un tiers des contenus que nous avons étudiés étaient, au moins partiellement, faux. Ils portent quasi exclusivement sur deux des quatre grands thèmes de discussions dans les groupes : la critique des élites et la répression du mouvement :

Les intox portent surtout sur la répression du mouvement et la critique des élites

Répartition des affirmation vérifiées selon leurs thèmes.
[Tableau non reproduit ici.]

Une « censure » fantasmée et une critique parfois outrancière des « élites »

Les conversations des « gilets jaunes » restent la plupart du temps dans le vrai lorsqu’il s’agit de commenter la mobilisation en elle-même ou d’en documenter les péripéties avec des images. Par ailleurs, nous avons observé qu’un tri est opéré après publication, autant par les administrateurs des groupes que par certains internautes, qui admettent avoir publié une information douteuse, et la retirent spontanément. La modération semble même s’améliorer à mesure que les semaines passent.

Les publications qui dénoncent une prétendue « censure » sont souvent partagées des dizaines de milliers de fois

Fait intéressant, les publications mensongères ou erronées portent le plus souvent sur des questions politiques (rémunération des élus, droit constitutionnel, pacte de Marrakech…), mais rarement sur la vie quotidienne du mouvement. Beaucoup de messages concernent les manifestants blessés : il s’agit en grande majorité d’images et de vidéos authentiques. Notons tout de même que certaines images publiées sans contexte ne permettent pas de tirer de conclusions sur l’intervention des forces de l’ordre.

En revanche, des affirmations fantaisistes se sont multipliées au sujet d’une forme de répression plus large. Par exemple, un message affirmant que de nombreux véhicules auraient été empêchés de rentrer dans Paris le 15 décembre pour manifester… mais illustré par une photographie d’un blocage de péages par des « gilets jaunes » eux-mêmes, un mois plus tôt. De même, de nombreuses publications évoquent une supposée « censure » des réseaux sociaux, alors qu’elles sont elles-mêmes partagées des dizaines, voire des centaines de milliers de fois – et demeurent en ligne…

Le cas des publications dénonçant le train de vie des responsables politiques est tout aussi intéressant. Bon nombre d’affirmations à leur sujet sont globalement correctes – citons par exemple une publication qui s’insurge du salaire de Christine Lagarde au Fonds monétaire international (FMI). Mais de nombreux fantasmes circulent aussi à grande vitesse. C’est le cas d’un message affirmant à tort que les députés français sont deux fois mieux rémunérés que leurs homologues britanniques ou allemands. Des contre-vérités et exagérations qui n’ont rien d’anodin.

Nos vérifications en détail

Voici, au cas par cas, notre analyse des publications des « gilets jaunes » (à l’exception des contenus que nous avons jugés « invérifiables », et dont vous retrouverez le détail dans ce document).

Ces images montrant des blocages sont-elles authentiques ?
EN PARTIE FAUX

La chaîne BFM-TV a-t-elle manipulé des images de manifestations des « gilets jaunes » à Bordeaux le 8 décembre ?
EXAGÉRÉ

Cette image montrant des « gilets jaunes » rassemblés près de l’Arc de triomphe a-t-elle été censurée ?
FAUX

Les députés sont-ils deux fois mieux rémunérés en France qu’en Allemagne ou au Royaume-Uni ?
FAUX

La présidente croate a-t-elle vendu l’avion présidentiel et baissé son salaire ?
FAUX

Le pacte de Marrakech sur les migrations va-t-il entraîner un afflux de réfugiés ?
FAUX

La dette publique française a-t-elle été créée par la loi Pompidou-Rothschild en 1973 ?
FAUX

Ces voitures dégradées dans les rues de Paris n’avaient-elles pas de plaques d’immatriculation ?
FAUX

Cette photographie d’Emmanuel Macron à Saint-Martin a-t-elle été censurée sur Facebook ?
FAUX

Cette vidéo montre-t-elle un « gilet jaune » qui aurait été tué le 24 novembre à Paris ?
FAUX

Cette photographie montre-t-elle Edouard Philippe s’endormir à l’Assemblée nationale ?
FAUX

Des « gilets jaunes » ont-ils été bloqués en masse aux portes de Paris pour les empêcher de manifester le 15 décembre ?
FAUX

Les CRS ont-ils bloqué les bus et les voitures qui se rendaient à Paris le 15 décembre pour la manifestation des « gilets jaunes » ?
FAUX

Les publications des « gilets jaunes » sur les réseaux sociaux ont-elles été censurées ?
FAUX

L’affaire Benalla a-t-elle été enterrée ?
FAUX

Est-il vrai que des grenades lacrymogènes ont été tirées depuis un hélicoptère de la police à Toulouse le 12 janvier ?
FAUX

Cette vidéo montre-t-elle des violences policières contre des « gilets jaunes » ?
HORS CONTEXTE

Cette vidéo montre-t-elle des policiers frapper un « gilet jaune » ?
HORS CONTEXTE

Y a-t-il des faux casseurs infiltrés dans les manifestations de « gilets jaunes » ?
NON PROUVÉ

Faut-il croire ce témoignage selon lequel les casseurs sont en réalité des policiers infiltrés ?
NON PROUVÉ

Les casseurs sont-ils en réalité des policiers infiltrés ?
NON PROUVÉ

Cette vidéo montre-t-elle des policiers infiltrés dans une manifestation de « gilets jaunes » pour commettre des dégradations ?
NON PROUVÉ

Cette image montre-t-elle un lycéen frappé par des CRS à Tours ?
PLUTÔT VRAI

Un policier a-t-il frappé des manifestants à Toulon le 5 janvier ?
PLUTÔT VRAI

Cette vidéo montre-t-elle une arrestation à Bordeaux ?
PLUTÔT VRAI

Cette vidéo de « gilets jaunes » à Bordeaux est-elle authentique ?
PLUTÔT VRAI

Un « gilet jaune » a-t-il été condamné à un an de prison ferme à Narbonne ?
PLUTÔT VRAI

Ces photos qui montrent des manifestations de « gilets jaunes » un peu partout en Europe sont-elles authentiques ?
PLUTÔT VRAI

Les ambulanciers ont-ils manifesté devant l’Assemblée nationale le 3 décembre ?
PLUTÔT VRAI

Y a-t-il 6 millions de demandeurs d’emploi en France ?
PLUTÔT VRAI

Ces vidéos montrent-elles des manifestants blessés pendant le mouvement des « gilets jaunes » ?
PLUTÔT VRAI

Cette vidéo de « gilets jaunes » à Arcelor est-elle authentique ?
PLUTÔT VRAI

Les avantages des députés listés dans ce message correspondent-ils à la réalité ?
PLUTÔT VRAI

Cette vidéo de « gilets jaunes » en Normandie est-elle authentique ?
PLUTÔT VRAI

Cette vidéo montre-t-elle un manifestant blessé le 1er décembre à Paris ?
PLUTÔT VRAI

Cette vidéo montre-t-elle un homme interpellé par des policiers à Nantes ?
PLUTÔT VRAI

Cette vidéo de « gilets jaunes » défilant en tracteurs est-elle authentique ?
PLUTÔT VRAI

Le symbole du « gilet jaune » s’est-il exporté à l’étranger ?
PLUTÔT VRAI

Cette vidéo d’un gendarme face à des « gilets jaunes » est-elle authentique ?
PLUTÔT VRAI

Cette vidéo de « gilets jaunes » à Clermont-Ferrand est-elle authentique ?
PLUTÔT VRAI

Cette vidéo montre-t-elle un « gilet jaune » frappé par des policiers à Paris ?
PLUTÔT VRAI

Cette vidéo d’une députée La France insoumise à l’Assemblée nationale est-elle authentique ?
VRAI

Cette vidéo de policiers frappant un manifestant est-elle authentique ?
VRAI

Cette vidéo a-t-elle été tournée le 24 novembre à Paris ?
VRAI

Cette vidéo a-t-elle été tournée le 8 décembre à Paris ?
VRAI

Cette vidéo d’une députée qui avoue ne pas connaître le montant du smic est-elle authentique ?
VRAI

Cette vidéo montrant des lancers de cocktails Molotov sur des voitures en Corse est-elle authentique ?
VRAI

Cette photo d’Emmanuel Macron descendant de son avion en Argentine est-elle authentique ?
VRAI

L’article 68 de la Constitution permet-il de destituer le président ?
VRAI

Cette vidéo d’un homme interpellant Emmanuel Macron est-elle authentique ?
VRAI

Cette image montre-t-elle un jeune homme de 15 ans blessé dans une manifestation des « gilets jaunes » ?
VRAI

Un « gilet jaune » a-t-il été percuté par une voiture à Montpellier ?
VRAI

Cette vidéo montre-t-elle un manifestant ciblé par un canon à eau à Paris ?
VRAI

Cette image d’un policier face à des manifestants est-elle authentique ?
VRAI

Des « gilets jaunes » et des VTC ont-ils bloqué le marché de Rungis le 17 décembre ?
VRAI

Le salaire de Christine Lagarde au Fonds monétaire international (FMI) est-il supérieur à 31 000 euros par mois et non imposable ?
VRAI

Des « gilets jaunes » ont-ils bloqué l’accès à un entrepôt Amazon à Toulouse le 12 décembre ?
VRAI

Des policiers vêtus de gilets jaunes ont-ils arrêté des « gilets jaunes » ?
VRAI

Des « gilets jaunes » ont-ils tenté de bloquer une raffinerie en Haute-Garonne ?
VRAI

Ces images de la mobilisation des « gilets jaunes » à Paris sont-elles authentiques ?
VRAI

Cette vidéo d’une députée qui avoue ne pas connaître le montant du smic est-elle authentique ?
VRAI

Ces photos montrent-elles une manifestante blessée à Paris ?
VRAI

Les Décodeurs

William Audureau et Adrien Sénécat

Le Monde. Publié le 31 janvier 2019 à 15h42 - Mis à jour le 01 février 2019 à 10h21 :
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/01/31/dans-le-facebook-des-gilets-jaunes-le-vrai-du-faux-des-affirmations_5417270_4355770.html


 Un monde sans médias, ou presque

L’enquête des Décodeurs dans les groupes des « gilets jaunes » dévoile un univers paradoxal où les médias sont fustigés, mais leurs productions souvent utilisées comme preuves.

Cet article est le quatrième d’une série de quatre consacrés aux groupes Facebook des « gilets jaunes ».

Dans les groupes Facebook des « gilets jaunes », les médias sont relégués aux marges d’un mouvement qui compte avant tout sur lui-même pour s’informer.

Si la fracture entre cette population en colère et les « élites » a largement été commentée et analysée ces dernières semaines, notre enquête la matérialise de manière spectaculaire. Parmi les deux cents publications les plus partagées de cette « jaunosphère » que nous avons analysées, on ne trouve ainsi pas le moindre partage d’article d’un site d’actualités, quel qu’il soit.

Les Décodeurs

L’auto-information, mieux que les médias ? C’est l’idéal qui semble se dégager des groupes de « gilets jaunes ». Editoriaux, enquêtes ou encore articles de vérification brillent par leur absence ou leur discrétion, au contraire, des informations qui s’échangent directement entre internautes, la plupart glanées par leurs propres soins. Les sympathisants du mouvement comptent sur le bouche-à-oreille pour les diffuser au plus grand nombre, en reprenant l’une de leurs expressions fétiches, ode à l’information horizontale : « Faites tourner ! »

Sans surprise, l’absence de la parole médiatique est liée à une profonde défiance. Quand les médias sont cités, c’est surtout pour les critiquer. Et notamment BFM-TV, qualifiée de « première chaîne de propagande de France ». Son traitement de l’information est une des obsessions des « gilets jaunes ». La moindre négligence apparaît à leurs yeux comme une preuve de malveillance. Ils ont, par exemple, accusé de manipulation la chaîne lorsqu’elle s’est trompée en attribuant des images de dégradations à la mauvaise ville dans un bandeau.

Elle fait, par ailleurs, l’objet de railleries récurrentes sur les chiffres de mobilisation cités par la chaîne d’information – en fait, il s’agit des estimations du ministère de l’intérieur, systématiquement contestées par la « jaunosphère ». Alors, régulièrement, les sympathisants épinglent la chaîne dans leurs groupes Facebook en lui opposant des images de leurs rassemblements, dont ils estiment qu’elles démentent le « discours officiel ».

Même « Vécu » et « France Actus », des médias lancés par des « gilets jaunes », restent au second plan

Si BFM-TV concentre les critiques, ce discrédit touche l’ensemble des médias, ou presque. Il arrive pourtant – rarement – que des extraits de productions médiatiques soient massivement relayés par les « gilets jaunes » sans que ces derniers ne contestent leur authenticité ou leur bonne foi.

Parmi ceux-ci, quelques extraits de reportages tirés des chaînes d’information en continu ; un live du site français de Russia Today, proche du Kremlin ; une vidéo du journaliste Rémi Bruisine, de Brut, très populaire auprès des « gilets jaunes » ; ou encore une photo partagée sur Twitter par un journaliste de Radio Canada montrant des policiers en gilets jaunes. Il s’agit, sans surprise, des publications allant dans leur sens.

Des mondes relativement étanches

Les sympathisants du mouvement sont également plus sensibles à certains formats que d’autres. Les membres des groupes Facebook que nous avons étudiés privilégient largement l’image au texte : près de la moitié des publications populaires contiennent ainsi une ou plusieurs photographies, et un tiers, une vidéo ou un live. En revanche, les liens externes vers des articles de presse sont totalement inexistants dans les messages populaires. Ils existent, pourtant, sur les groupes de la « jaunosphère », mais ils semblent tout simplement moins remarqués.

Ce manque de circulation entre la « jaunosphère » et les médias traditionnels est aussi à double sens. La presse traditionnelle a du mal à exploiter les messages et les images partagées en abondance par les membres du mouvement sur les réseaux sociaux. Les vidéos de heurts entre policiers et protestataires, bien souvent authentiques, n’ont ainsi pas toujours été couvertes par les médias.

Cependant, même des articles ayant a priori tout pour satisfaire les « gilets jaunes » peinent à trouver leur public dans le mouvement. Ainsi, le recensement méticuleux des blessés graves du mouvement depuis le 17 novembre réalisé par Libération n’a connu qu’un succès limité dans ces communautés, pourtant obnubilées par les violences policières. Et même les travaux des médias lancés par des « gilets jaunes », Vécu et France Actus, ne figurent pas dans notre liste des contenus les plus populaires.

Du contenu journalistique qui n’est pas identifié comme tel

Ces deux mondes ne sont toutefois pas complètement étanches. Les contenus journalistiques ont une présence plus importante qu’il n’y paraît dans la « jaunosphère », mais à condition de parvenir à les reconnaître. Ils sont en effet souvent détournés, anonymisés, voire remixés sous la forme de citations, photos ou vidéos extraites sans mention de la source d’origine, non sans créer des quiproquos.

Il arrive ainsi fréquemment que des sympathisants diffusent largement une photographie ou une information présentée comme « cachée par les médias », alors que ces derniers en sont la source. Lorsque, le 15 janvier, un internaute publie dans le groupe La France en colère une photo d’un contrôle d’identité de « gilets jaunes » par des policiers, tout laissait entendre qu’il en était l’auteur. Il n’en était, en réalité, que le relais : le cliché avait été pris et partagé quelques heures plus tôt sur Twitter par une journaliste du Monde.

Il en va de même d’une vidéo de CRS frappant un manifestant à Paris, largement partagée sans source ni contexte, en fait tournée par un journaliste du HuffPost, Pierre Tremblay. Le contenu le plus partagé de notre échantillon, un cliché d’une manifestation de « gilets jaunes » près de l’Arc de triomphe, à Paris, présenté à tort comme ayant été victime de censure, a, lui, été pris par le photoreporter Olivier Coret. La presse est ainsi une source que les « gilets jaunes » partagent plus abondamment qu’il n’y paraît, mais souvent sans s’en rendre compte.

Extraire des productions journalistiques de leur contexte de publication d’origine amène parfois à des contresens. Le 15 décembre 2018, reprenant une accusation récurrente dont nous n’avons pas trouvé de preuve, un internaute s’insurge que le gouvernement bloque des voitures et bus de « gilets jaunes » aux portes de Paris. Il illustre son propos par une photo de l’AFP d’un barrage autoroutier, mais qui est, en réalité, tenu par… des « gilets jaunes ». Cette précision utile figurait, pourtant, dans la légende originale du cliché, mais c’est comme photo diffusée brute, sans contexte, qu’elle a été postée sur Facebook.

Des erreurs et des corrections

Si la popularité de certaines affirmations maladroites laisse croire à une certaine crédulité, il arrive également que des « gilets jaunes » se corrigent entre eux. Ce montage de photographies de manifestations en Catalogne, par exemple, est présenté par son auteur comme lié aux « gilets jaunes » français. Or, les photos datent de 2017 et du référendum sur l’indépendance de la région espagnole et n’ont donc rien à voir avec le mouvement, comme le font remarquer certains internautes dans leurs commentaires.

Dans d’autres cas, les messages problématiques finissent par être supprimés par leur auteur ou les modérateurs des groupes Facebook concernés. Ainsi, les « gilets jaunes » sont parfois présentés comme une communauté perméable aux fausses informations, mais cette affirmation mérite d’être nuancée.

Au cours de notre enquête, nous avons aussi pu constater que lorsque des publications erronées se propageaient dans le mouvement, ce n’étaient bien souvent pas les « matières premières » des informations qui posaient problème. Les vidéos ou photos présentées étaient souvent authentiques, mais pas toujours le contexte auquel elles étaient associées : des images datées, des interprétations hâtives, des accusations de « censure » sans fondement…

Ces exemples nous rappellent que si tout citoyen peut s’improviser journaliste, les réflexes journalistiques en tant que tels – vérifier, mettre en contexte, mentionner les sources des informations, confronter les points de vue… – restent plus que nécessaires.

William Audureau et Adrien Sénécat

• https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/02/01/dans-le-facebook-des-gilets-jaunes-un-monde-sans-medias-ou-presque_5417692_4355770.html


P.-S.

• Pour les tableaux, les illustrtations et les liens, se reporter aux articles originaux.

Notes

[1https://www.facebook.com/groups/1136704289828258/permalink/1144241582407862

[2https://docs.google.com/spreadsheets/d/1yp2fJtJn9ZVHPkIyg_FRFmcY-9LhgE0L-_VUJE0IiuM/edit#gid=0