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Le cinéma critique de Jean-Gabriel Périot

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Lien publiée le 9 février 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.zones-subversives.com/2019/01/le-cinema-documentaire-de-jean-gabriel-periot.html

Le cinéma critique de Jean-Gabriel Périot

Le cinéma ne se réduit pas à des belles histoires de fiction. Il peut aussi coller au plus près du réel. Des films documentaires et des images d'archives peuvent permettre de porter un regard critique sur la société marchande. 

Le cinéma documentaire permet de comprendre le monde dans lequel nous vivons. Le cinéaste Jean-Gabriel Périot se penche sur des sujets historiques pour ouvrir des réflexions politiques. Il dialogue avec le philosophe Alain Brossat. Les deux hommes réfléchissent sur des sujets communs. Les femmes tondues à la Libération, la prison, Hiroshima et le désastre nucléaire, la lutte armée font l’objet de réflexions nouvelles, à rebours de la vision dominante de l’histoire. Le cinéaste et le philosophe proposent leurs conversations dans le livre Ce que peut le cinéma.

                        

Cinéma politique

Jean-Gabriel Périot déplore la disparition du « cinéma politique ». Après le bouillonnement des années 1968, peu de films évoquent directement la réalité sociale et politique. C’est ce vide qui décide Jean-Gabriel Périot à réaliser des films. « Je rêvais d’un cinéma politique qui interroge de manière critique le monde tout en restant dans une inventivité formelle, un cinéma qui permettrait d’adresser des films à un public de mon âge et non pas à un public par avance convaincu soit du fond politique, soit de la forme expérimentale de ses films », décrit Jean-Gabriel Périot. Il se distingue du cinéma de propagande à la Michael Moore qui utilise les codes traditionnels de la télévision pour faire passer un message. Ken Loach se contente également de conforter les certitudes de la vieille gauche. Au contraire, le cinéma doit laisser libre le spectateur et le considérer comme un être émancipé.

L’industrie culturelle impose un conformisme et un formatage. Arte ou Canal + financent fortement le cinéma, qui doit alors se fondre dans le moule imposé par la télévision. Jean-Luc Godard abandonne le cinéma politique car il se considère comme trop peu payé. Les cinéastes, qui viennent souvent de milieux privilégiés, considèrent qu’ils font un métier méritant salaire. Jean-Gabriel Périot estime au contraire que le cinéma ne doit pas se réduire à un modèle professionnel et à une marchandise. Il relativise la portée politique des films, qui restent éloignés de l’action. Néanmoins, le cinéma peut inciter à la réflexion critique. « Les trouées qu’il peut opérer parfois dans notre quotidien aident à ne pas totalement désespérer et parfois même, de manière miraculeuse, donnent envie de continuer à se battre », souligne Jean-Gabriel Périot.

Le cinéma français a longtemps été porté par des acteurs populaires, issus du monde ouvrier. Ils n’ont pas besoin d’imiter les corps et les accents populaires. Le cinéma considère même que le monde du crime fait parti du monde ouvrier, au même titre que le travailleur syndiqué. Mais le cinéma français dérive vers le conformisme. Léa Seydoux peut jouer une prolétaire. Les pauvres sont montrés uniquement comme des victimes et la morale de gauche remplace la lutte des classes.

« Ici, le cinéma français n’a fait qu’accompagner cette sorte de restauration idéologique dont les deux piliers sont, d’une part, la disparition de la visibilité des classes et de ce qui les oppose au bénéfice de la montée du paradigme de la "classe moyenne" à géométrie variable ; de l’autre, l’essor du bavardage éthique », observe Alain Brossat. La réception du cinéma devient plus individuelle. La projection de films s’accompagne rarement de discussions collectives. Le maillage des ciné-clubs, catholique de gauche ou communiste, a progressivement disparu.

Histoire et lutte des classes

Eût-elle été criminelle évoque la tonte des femmes à la Libération. Cet épisode efface les histoires personnelles. Au nom de la condamnation de la barbarie nazie, des horreurs sont également commises. Ce film montre des femmes qui sont les vaincues de l’histoire. « Les vainqueurs du jour sont devenus les perpétuateurs de la pire violence », observe Jean-Gabriel Périot. Dans V pour vendetta, le personnage anarchiste rase la jeune femme pour qu’elle apprenne à défier son ennemi plutôt que d’implorer de lui laisser la vie sauve. Cette scène évoque les femmes rasées en 1945. « Par leurs regards, certaines de ces tondues refusent tout à la fois la culpabilité et le rôle de victime », décrit Jean-Gabriel Périot.

Entre chiens et loups montre un homme qui livre des pizzas et cherche un autre travail en parallèle. Jean-Gabriel Périot reste attaché à la lutte des classes. En 2001, la mort de Carlo Giuliani à Gênes montre le vrai visage de la démocratie prête à tout pour maintenir l’ordre existant. We are winning don’t forget montre des « travailleurs » dociles devenir des manifestants. « Le film est très clair : aux photographies de travailleurs trop souriants pour être réalistes succèdent des images de manifestations dans lesquelles on voit des militants qui luttent et prennent position », décrit Jean-Gabriel Périot. Le film Les Barbares montre également des personnes qui luttent et qui résistent.

Jean-Gabriel Périot s’oppose à Alain Brossat qui valorise « la plèbe » et les luttes sectorielles. Le cinéaste ne s’enthousiasme pas pour le mouvement Nuit debout ou pour la lutte de la ZAD. Seule la lutte des classes permet de dessiner un horizon révolutionnaire. « Je crois de manière totalement archaïque qui si nous ne rebattons pas les cartes et que si nous ne nous réaffirmons pas en tant que travailleurs, en tout cas appartenant à une classe opposée à ceux qui dirigent, rien ne pourra réellement advenir », analyse Jean-Gabriel Périot.

            the-devil-periot  

Mouvements révolutionnaires

The Devil évoque les luttes afro-américaines à travers les Black Panthers. Ce mouvement reste peu documenté. Pourtant, il imprègne l’imaginaire des jeunes révolutionnaires occidentaux, mais aussi le cinéma. Les Black Panthers apparaissent dans des films de fiction et des documentaires. On peut les voir les armes à la main.

Ce mouvement émerge après l’échec de la stratégie pacifiste de la lutte pour les droits civiques. Martin Luther King et Malcom X ont été assassiné. Les émeutes de Watts révèlent la colère des ghettos noirs. Face aux violences policières, l’auto-défense populaire devient un enjeu majeur. « La prise d’armes des Panthers a d’abord été tactique : c’était le seul moyen d’empêcher les exactions policières dans les quartiers afro-américains », décrit Jean-Gabriel Périot.

Ensuite, les Black Panthers se distinguent par leurs discours et leurs pratiques. Ils s’appuient sur la solidarité concrète à travers des cantines et des dispensaires qui permettent d’aider la population afro-américaine. Ces pratiques au plus près du quotidien s’accompagnent de discours anticapitalistes et révolutionnaires.

Une jeunesse allemande montre des archives sur les fondateurs de la RAF (Fraction armée rouge). Les jeunes révolutionnaires ont eux-mêmes pris la caméra et réalisé des films. « Toutes ces archives visuelles nous renseignent sur qui sont ces jeunes gens, comme ils voient le monde, comment ils luttent et comment ils pensent l’image comme moyen d’action », décrit Jean-Gabriel Périot. Mais ils abandonnent la caméra pour passer à la lutte armée. La seconde partie du film montre les images de propagande de la télévision au service de l’Etat. Tout discours critique est écarté pour construire une réalité qui correspond à l’idéologie des gouvernants.

L’absence de voix off laisse le public se faire son propre avis. Le cinéaste n’est pas un juge qui donne une leçon de morale. Il laisse ouvertes les questions posées dans son film. Néanmoins, le montage construit une structure narrative. La succession d’images de propagande suggère une critique de la télévision.

           Quatre membres de la RAF (Fraction Armée Rouge) le 31 octobre 1968 : Thorwald Proll, Horst Soehnlein, Andreas Baader et Gudrun Ensslin. Au tribunal pour l'incendie d'un grand magasin de Francfort, ils attendent le verdict. 

Cinéma critique

Ce dialogue avec Alain Brossat permet de présenter la filmographie de Jean-Gabriel Périot. Ce livre attise le plaisir de découvrir les films présentés. Mais il dévoile surtout une conception exigeante du cinéma. Jean-Gabriel Périot réalise des films immergés dans le réel. Mais sa caméra porte surtout un regard critique sur l’histoire et l’actualité.

Jean-Gabriel Périot se situe en marge du cinéma commercial, professionnel et conformiste. Il tient également à se démarquer d’un cinéma de propagande qui reste à la mode dans les milieux de la vieille gauche. Le film ne vise pas à réveiller le spectateur et à lui délivrer un message clair. Le cinéma doit avant tout poser des question et ouvrir des réflexions critiques, plutôt que d’apporter des réponses simplistes. Jean-Gabriel Périot reste attaché à l’esthétique et à la sensibilité. Le cinéma n’est pas chez lui un simple instrument au service d’un discours. La caméra porte aussi son propre langage et la forme ne se réduit pas à un simple emballage.

Ce dialogue entre Alain Brossat et Jean-Gabriel Périot reste cordial. Ainsi, les points de vue du cinéaste et du philosophe se complètent, plus qu’ils ne se confrontent. Chacun apporte son regard et son approche singulière. En revanche, les sujets de débats ne sont malheureusement pas approfondis. Les deux hommes partagent des sujets d’intérêt communs. Mais leur vision politique semble diverger. Le débat entre les deux approches s’esquisse, mais reste peu approfondi.

Alain Brossat est un universitaire passé par le trotskisme de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR). Mais il s’est rapproché d’une lecture foucaldienne du monde. Il adopte une vision postmoderne. Il reste attaché aux micro-résistances, plus qu’à la perspective d’un renversement de l’ordre capitaliste. Il s’éloigne de la lutte des classes pour mettre en avant la « plèbe », sujet révolutionnaire assez confus qui ne renvoie pas au rapport d'exploitation.

En revanche, Jean-Gabriel Périot reste attaché à l’histoire du mouvement ouvrier. Il semble davantage indifférent aux nouvelles formes de lutte. Il préfère évoquer l’exploitation et le monde du travail. Il contribue à faire revivre les révolutionnaires des années 1970, dont la stratégie s’appuie sur la lutte des classes. Le cinéma de Jean-Gabriel Périot contribue à raviver l’élan révolutionnaire et le désir de révolte.

Source : Alain Brossat et Jean-Gabriel Périot, Ce que peut le cinéma. Conversations, La Découverte, 2018

Articles liés :

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Les contre-cultures françaises

Le cinéma hip hop de Spike Lee

Pour aller plus loin :

Vidéos : films de Jean-Gabriel Périot 

Vidéo : Rencontre avec Jean-Gabriel Périot, publié sur le site Les 2 scènes 

Vidéo : Discussion avec le réalisateur Jean-Gabriel Périot 1/3, publié sur le site de LR Cinéma en 2015

Vidéo : Interview Jean-Gabriel Périot – Une jeunesse allemande, publié sur le site 40e Cinéma du réel le 22 mars 2015

Vidéo : Interview de Jean Gabriel Périot et compétition des courts métrages – Festival Tous Courts 2012, publié sur le site du du centre socio-culturel Jean Paul Coste 

Radio : Jean-Gabriel Périot et Alain Brossat dans "Chroniques rebelles", publié sur le site Ici et ailleurs le 22 septembre 2018 

Radio : Interview de Jean-Gabriel Périot, par Mathilde Saraux, étudiante de l’Université de Nantes, publié sur le site Univerciné en 2015 

Radio : émissions avec Jean-Gabriel Périot diffusées sur France Culture

Site de Jean-Gabriel Périot

Didier Epsztajn, Des irruptions de manifestations extraordinaires du désastre, publié sur le site Entre les lignes entre les mots le 18 octobre 2018 

Le cinéaste et le philosophe publié sur le site Ici et ailleurs le 20 décembre 2018

Jean-Gabriel Périot : « C’est très petit-bourgeois de lier art et résistance », publié sur le site de la revue Ballast le 13 janvier 2018 

Une jeunesse allemande / Entretien de Jean-Gabriel Périot (avec Alain Brossat), publié sur le site Le silence qui parle le 16 octobre 2015 

Une jeunesse allemande Interview du réalisateur Jean-Gabriel Périot, paru dans lundimatin#42 le 4 janvier 2016

"Une jeunesse allemande"de Jean-Gabriel Périot, en sa présence le 3 décembre à 20h30 au Lido, publié sur le site Mémoire à vif le 16 novembre 2015 

Matthieu Bareyre, entretien avec Jean-Gabriel Périot, publié sur le site de la revue Débordements le 13 octobre 2015 

Bidhan Jacobs, Jean-Gabriel Périot : “Cette violence-là, je la comprends…”, publié sur le site Culturopoing le 17 octobre 2015 

H. G. Castaño, CINEMA - "Une Jeunesse allemande" de Jean-Gabriel Périot : de l'image à l'action, publié sur le site Non fiction le 14 octobre 2015 

Matthieu Foucher, Jean-Gabriel Périot : « L’art et le cinéma n’ont presque aucune efficacité en termes politiques », publié sur le webzine Friction magazine

Vidéo : Intervention d’Alain Brossat, 2ème TABLE RONDE : Gouvernance et terrorisme, publié sur le site Fragments du visible le 18 octobre 2010 

Radio : Emmanuel Moreira, De La démocratie comme dispositif discursif, entretien avec Alain Brossat, mis en ligne sur le site de Radio Grenouille

Radio : émissions avec Alain Brossat diffusées sur France Culture 

Alain Brossat sur Daniel Bensaïd, publié sur le site de la revue Dissidences le 10 septembre 2012 

Articles d'Alain Brossat publiés sur le site Ici et ailleurs  

Articles d'Alain Brossat publiés sur le site de la revue Temps critiques