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    Christophe Guilluy sur les gilets jaunes

    Gilets-jaunes

    Lien publiée le 11 février 2019

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    https://lemediapresse.fr/idees/christophe-guilluy-les-gilets-jaunes-representent-la-france-des-categories-populaires-et-des-petits-salaires/

    Géographe, Christophe Guilluy est avant tout connu pour sa cartographie des classes populaires, dont est né le concept de « France périphérique », qu’il affine un peu plus à chaque ouvrage. Selon lui, contrairement aux idées reçues, la majorité des classes populaires ne vit pas dans les grandes métropoles. Reléguées dans des zones loin des pouvoirs économiques, politiques et culturelles, dans cette « France périphérique », qui inclut zones rurales, périurbaines et petites villes, les classes populaires sont oubliées et méprisées des « élites ». Les banlieues ne formeraient donc pas les seuls quartiers populaires. Son dernier livre, No Society. La fin de la classe moyenne occidentale, est sorti en 2018 chez Flammarion. Les travaux du géographe nous paraissent aujourd’hui importants pour comprendre la révolte des Gilets jaunes, auxquels est consacré le dossier du troisième numéro de 99%, encore en vente sur notre site.

    Christophe Guilluy : « Les Gilets jaunes représentent la France des catégories populaires et des petits salaires »

    Le Média : Dans vos travaux, vous avez beaucoup ana­lysé la France périurbaine. Or, pour Hervé Le Bras, la mobilisation des Gilets jaunes correspond principale­ment à la diagonale du vide et donc à une France très rurale. Qu’en pensez-vous ?

    Christophe Guilluy : Justement, ce n’est pas la France périurbaine que j’ai analysé, mais la France périphé­rique.

    Mais qui comprend la France périurbaine….

    Il y a du périurbain dans la France des métropoles et dans la France périphérique. Il y a une incompréhension ou une volonté de ne pas comprendre ce que je raconte. J’ai élaboré le concept de « France périphérique » entre la fin des années 1990 et le début des années 2000. Je travaillais sur les quartiers de logements sociaux en Seine-Saint-Denis, où je suis né. Je me suis rendu compte que ce n’étais qu’une fraction des classes populaires. Cela m’a emmené avec un autre géographe, Christophe Noyé, à élaborer les premières cartes de répartition dans l’espace des classes populaires. Nous avons analysé la répartition des ouvriers, des employés, des petits revenus, des petits retraités, etc. Évidemment, nous retrouvions parmi ces classes populaires des banlieues. Mais ce n’était qu’une minorité. La cartographie nous disait que la répartition dans l’espace des catégories populaires avait complètement changé. Aujourd’hui ces gens vivent très loin des zones d’emplois les plus actives, qui sont essentiellement des grandes métropoles.

    En quoi est-ce si important ?

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    Je suis arrivé à la conclusion que les classes populaires vivent sur des territoires qui étaient très différenciés. J’ai été contraint de trouver un concept englobant qui ne passait pas par les typologies habituelles. L’incompréhension vient de là. La France périphérique n’est pas spécifiquement urbaine, rurale ou périurbaines. Elle est un peu tout cela. Le point commun entre ces territoires très différents, c’est que nous trouvons une majorité de catégories populaires. Il peut aussi y avoir des catégories supérieures, mais elles sont minoritaires. Nous avons bien une représentation sociale de la France. C’est pour cela que je dis qu’on se trompe en utilisant des typologies qui ne sont plus pertinentes. Les catégories de l’Insee qui divisent l’espace entre rural, urbain, etc. ne dit absolument rien. Aujourd’hui, quand on regarde les premières cartes de répartition des Gilets jaunes, c’est assez frappant. Dans La France périphérique (Flammarion, 2014), nous avons fait un indicateur de fragilité sociale. C’est un copié-collé de la carte des premières manifestations de novembre. Les Gilets jaunes ne proviennent pas exclusivement de la France rurale. Ils cassent complètement les représentations géographiques et sociales. On constate aussi qu’il n’y a plus l’opposition traditionnelle entre la France de l’est et celle de l’ouest. Les Gilets jaunes se répartissent équitablement entre l’est et l’ouest de l’Hexagone, entre petites villes, campagnes et « périurbain subi ». Le géographe Laurent Chalard distingue le « périurbain subi » de la France périphérique et le « périurbain choisi » de la France des métropoles. Par exemple, les Yvelines il s’agit de périurbain riche de grandes métropoles. Cela n’a rien avoir avec celui de Charleville-Mézières.

    Lire aussi : Anne Steiner : « La seule réaction syndicale à la hauteur des événements serait un appel à la grève générale illimitée » 

    Paradoxalement, je suis géographe, mais je ne crois qu’aux gens. Un territoire cela n’existe pas. Pour moi, il n’y a pas de déterminisme géographique. Je pars des gens pour arriver aux territoires et pas l’inverse. La typologie géographique ne dit absolument rien. Quand un bobo s’installe dans le Lubéron, il ne se met pas à voter FN et il n’achète pas un berger-allemand. Ce qui compte, c’est le destin de ces catégories populaires, le champ du possible. Et le résultat est que ces territoires périphériques créent très peu d’emplois.

    Peut-on parler réelle­ment de France d’en bas pour qualifier les Gilets jaunes ?

    Oui, c’est la France de catégories populaires et des petits salaires. Il ne s’agit pas exclusivement la France des pauvres. Mais l’instrumentalisation des pauvres par la bourgeoisie est vieille comme le monde. Dans les débats, on fait souvent l’impasse sur quelque chose : les pauvres sont issus des classes populaires à 99%. Il y a un lien organique entre ces dernières, même si elles travaillent, et les pauvres. Dans les milieux populaires, et c’est le cas chez les Gilets jaunes, il y a des gens qui occupent un emploi, heureusement. Mais ils sont parfois passés par la case pauvreté. Ils ont souvent dans leur entourage une sœur, un cousin, un père, etc. qui est pauvre. La pauvreté est intégrée au monde populaire. Mais la bourgeoisie, au moins depuis le XIXe siècle, fait tout pour scinder en deux les pauvres et les milieux populaires. Mais il n’y a pas d’oppositions de principe. C’est pareil avec les minorités.

    Effectivement, les Gilets jaunes ne sont pas les plus pauvres, puisque être contraint de prendre sa voiture pour travailler exige d’avoir un emploi, même mal payé…

    Les mouvements sociaux ne sont jamais portés par les pauvres. Ils sont trop fracassés. Quand on est pauvre, on pense juste à boucler non pas les fins de mois, mais les fins de journée. On ne se mobilise pas, c’est évident. Mais il n’y a pas d’opposition. On peut être dans les milieux populaires et avoir conscience de la pauvreté parce qu’elle est très proches. Pourquoi ? Parce que ces gens ont des petits salaires et vivent sur des territoires où il y a très peu de créations d’emploi. La case pauvreté vous attend très probablement, si vous perdez votre emploi. Le champ du possible se restreint pour soi-même et pour ses enfants hors des métropoles.

    Lire aussi : Nicolas Framont : « Ce ne sont pas les Gilets jaunes qui ont rallumé la mèche de la lutte des classes, c’est Macron »

    Les Gilets jaunes se sont beaucoup mobilisés sur des ronds-points. Qu’est-ce que cela représente pour eux, selon vous ?

    C’est très symbolique, puisque le mouvement est parti de la taxe carbone Ils sont sur des territoires où le déplacement en voiture est une obligation. Ce n’est pas un choix. Bien évidemment, la question du rond-point s’impose. La grande difficulté de la question sociale est dispersée. Le système statistique français est très bon pour repérer les questions de concentration. Mais il est très nul pour les dispersions. Avec Christopher Noyé nous avons fait cet indicateur de fragilité sociale pour montrer à quel point il était difficile de toucher les classes populaires, parce qu’elles sont dispersées dans l’espace. C’est un problème politique, mais aussi pour les syndicats. En plus les représentations tendent à invisibiliser tous ces territoires. La typologie de l’Insee vise toujours à marginaliser. Par exemple, si vous prenez les ruraux, c’est 10% à 15% de la population, c’est marginal. Si vous parlez du périurbain, pareil, c’est 15%. Mes travaux ont permis d’expliquer que le rural, plus les petites villes, plus certaines villes moyennes forment un tout. Du coup, j’ai démontré que les classes populaires sont encore majoritaires, ce qui a gêné les classes dominantes.

    La classe moyenne devait, à terme, englober, selon la classe dirigeante, deux Français sur trois. Il semble pourtant qu’elle est en voie de précarisation. Les classes populaires sont-elles en train de grossir à cause de ce phénomène ?

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    Bien sûr. C’est le sens de ce que j’écris depuis le début. Dans mon dernier livre, No Society, je me penche sur la classe moyenne, au sens culturel. Je laisse de côté la définition économique. Savoir à quel niveau de revenu on entre dans la classe moyenne, c’est une construction intellectuelle. Le plus important pour moi, c’est qu’hier, la classe moyenne était majoritaire. Il s’agissait en effet des « deux Français sur trois » de Valéry Giscard d’Estaing. Les gens étaient intégrés économiquement, donc politiquement et donc culturellement. Tout cela formait un tout. Aujourd’hui, nous voyons bien que cette catégorie qui allait de l’ouvrier au cadre, n’a plus de sens.

    Elle commence à disparaître à partir des années 1980. Il s’agit d’une conséquence du modèle mondialisé. La société devient de plus en plus clivé. Comme l’a montré Thomas Piketty, il y a une vraie poussée des inégalités. Le système économique fait exploser la classe moyenne dans le sens culturel, en France, en Europe ou aux États-Unis. Nous sommes bien dans un mouvement de recomposition des classes sociales. Ce qui m’intéresse dans ce mouvement, c’est que j’appelle « le mouvement réel des sociétés », c’est-à-dire celui du plus grand nombre et donc des classes populaires. Selon moi, il s’imposera de toute façon. C’est pour cela que les Gilets jaunes ne me surprennent pas. Nous avons là des gens qui peuvent être ouvriers, petits indépendants, paysans, etc. Hier, certains étaient considérés comme des catégories de gauche, comme les ouvriers, et d’autres de droite, comme les paysans. Aujourd’hui, ils se retrouvent et ont une perception commune des effets du système économique mondialisé. Cela montre bien une recomposition sociale, politique et culturelle. L’essentiel des partis politiques l’ont raté.

    Lire aussi : « Nous ne sommes ni périphériques, ni invisibles », par Marion Messina

    En-dehors des ronds-points il existe un deuxième type de mobilisation au sein des métropoles. S’agit-il de montrer aux pouvoirs économiques, politiques et médiatiques qu’ils existent ? Ou s’agit-il d’un affrontement de la France périphérique contre celle des métropoles ?

    Il faut bien insister sur le fait que le mouvement des Gilets jaunes est d’abord un mouvement existentiel. Il s’agit pour eux de dire : « Nous existons et nous voulons être pris au sérieux. » C’est très important symboliquement de venir à Paris et dans les grandes métropoles. Ce sont les espaces où ils n’ont plus leur place. À cause du modèle économique, on n’a plus besoin de ces gens pour faire tourner la boutique. Venir au cœur du système, c’est venir au cœur des grandes métropoles, qui sont devenus des grands espaces hyper-embourgeoisés. On me rétorque à chaque fois : « Oui, mais il y a des banlieues. » C’est une instrumentalisation des pauvres et des minorités. On instrumentalise leur présence pour bien montrer que la ville est ouverte. Selon ce discours notre système correspond à celui d’une société où tout le monde aurait sa place. Mais l’instrumentalisation des minorités marche de moins en moins, notamment dans les quartiers de logements sociaux.