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Absorption d’Alstom par Siemens : un blocage bienvenu… mais pour de très mauvaises raisons
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://ruptures-presse.fr/actu/alstom-siemens-fusion-blocage-commission/
(Certains éléments de cet article sont extraits de l’entretien exclusif avec Jean-Michel Quatrepoint, spécialiste des questions industrielles, à paraître dans l’édition de février de Ruptures – pour ne pas manquer cette édition, abonnez-vous !)
La Commission européenne a bloqué, le 6 février, la fusion prévue entre le groupe français Alstom et la branche Transports du géant allemand Siemens. Les syndicats français se sont réjouis de cette décision : un tel mariage ne pouvait en effet qu’entraîner des suppressions d’emploi massives, et une perte de maîtrise industrielle et technologique majeure pour la France. Car en fait de rapprochement, il se serait agi d’une absorption pure et simple au profit de la firme de Munich.
Pourtant, ce n’est pas ce qui a motivé la décision de Bruxelles. Loin d’évoquer la sauvegarde des emplois, la Commission a fait prévaloir les sacro-saintes règles de la concurrence : celle-ci, a-t-elle indiqué, aurait été faussée par l’émergence du nouvel ensemble. Cet argumentaire a fâché non seulement les directions des deux entreprises, mais également les gouvernements à Berlin et à Paris qui voulaient créer un « géant européen » notamment capable de combattre contre le grand groupe ferroviaire chinois CRRC. Emmanuel Macron et son ministre de l’Economie, Bruno Le Maire ne se préoccupaient nullement de l’indépendance nationale, mais entendaient s’inscrire au contraire dans la mondialisation et sa logique financière.
Au fil des ans, Alstom a été progressivement dépossédé de ses atouts industriels et technologiques
Il faut rappeler qu’Alstom a été progressivement dépossédé de ses atouts industriels et technologiques. C’était l’une des entreprises issues du grand groupe national CGE dont les compétences, des années 1960 à la fin des années 1990, allaient des télécommunications à l’ingénierie et à la construction navale, en passant par l’énergie et le transport.
Après différentes ventes et cessions, notamment à des entreprises américaines, Alstom ne comportait plus, en 2014, que ces deux dernières grandes branches. Et en avril 2014, on apprenait que la direction d’Alstom négociait secrètement avec le mastodonte américain General Electric (GE) en vue de céder à celui-ci le secteur énergie, en l’occurrence la conception et la fabrication des turbines, soit 70% de l’activité de l’entreprise, dont l’usine historique de Belfort. Le ministre de l’Economie de l’époque, Arnaud Montebourg, avait alors fait une grosse colère en découvrant avoir été mis devant le fait accompli.
L’accord finalement signé en juin 2014 a présenté un habillage flatteur : la fusion allait être une « alliance entre égaux », à travers la création de co-entreprises. Mais quelques mois ont suffi pour que se confirme la prééminence de GE, qui récupérait ainsi les marchés juteux de son ancien concurrent français, ainsi que ses technologies de pointe. Avec d’importants dégâts sur l’emploi, malgré les promesses mirifiques
A l’époque, Emmanuel Macron était secrétaire général-adjoint de l’Elysée. Il conseillait directement le président d’alors, François Hollande, en matière économique et industrielle. On sait maintenant que M. Macron est intervenu pour s’opposer à ce que quelques contraintes soient imposées au repreneur GE. Avec un argument : la France « n’est pas une économie dirigiste, n’est pas le Venezuela »… Et en 2015, c’est lui qui, devenu ministre des Finances, a entériné l’opération.
Il faut aussi noter la partie « Energie » d’Alstom a été larguée au groupe US suite à un chantage et des pressions sans précédent exercés conjointement par le ministère américain de la justice, les tribunaux de ce pays, et la direction de GE. Alstom était alors poursuivi par les Américains pour « corruption » dans d’autres dossiers. Et les autorités françaises n’ont pas imaginé d’autre possibilité que de céder à Washington.
Emmanuel Macron, avant de prendre ses fonctions publiques, était banquier chez Rothschild ; or cet établissement était précisément la banque conseil d’Alstom…
Il convient enfin de rappeler qu’Emmanuel Macron, avant de prendre ses fonctions publiques, était banquier chez Rothschild ; et que cet établissement était précisément la banque conseil d’Alstom…
Conséquences – entre autres – de la désastreuse opération de 2015 : les turbines qui équipent les 58 centrales nucléaires françaises, dépendent désormais du groupe américain pour la maintenance. En outre, cela représente un problème majeur pour l’exportation : Washington peut bloquer la vente de centrales françaises à l’étranger. Par ailleurs, GE a désormais le monopole sur les turbines de propulsion du porte-avions et des sous-marins nucléaires français…
Entre le bradage des turbines d’Alstom à GE et le projet – désormais condamné – d’absorption d’Alstom ferroviaire par Siemens, existent différentes similitudes, à commencer par l’apparence d’une alliance « entre égaux » qui s’avère en réalité un bradage des compétences et des emplois. Et le sacrifice des atouts économiques nationaux au nom de l’insertion dans la mondialisation.
En 2003, Alstom n’avait dû son salut qu’à une nationalisation (partielle), mais en 2006, la Commission condamnait la France pour « aides d’Etat illégales » et imposait une re-privatisation
En 2003 déjà, Alstom avait essuyé une tempête et n’avait dû son salut qu’à une nationalisation (partielle) décidée par Nicolas Sarkozy, qui n’était pourtant pas un bolchevik avéré. Ce dernier avait tenté quelque chose, là où son successeur actuel à l’Elysée défend exclusivement les intérêts de l’oligarchie mondialisée.
Mais en 2006, la Commission avait finalement condamné la France pour « aides d’Etat illégales », et avait imposé une re-privatisation d’Alstom. En l’occurrence via la vente des actions détenues par la puissance publique au groupe privé Bouygues (bâtiment, médias…). Huit ans plus tard, ce dernier manifestait son intention de revendre ses parts, en 2014, moyennant un très substantiel dividende exceptionnel… Un élément qui a également contribué à provoquer la catastrophe industrielle.
Les salariés d’Alstom ne peuvent décidément compter ni sur les pouvoirs publics, ni sur Bruxelles pour défendre leurs emplois et la maîtrise industrielle nationale.