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    Populisme ou gauche : de la présidentielle à aujourd’hui

    Lien publiée le 16 février 2019

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    http://www.regards.fr/politique/article/populisme-ou-gauche-de-la-presidentielle-a-aujourd-hui

    Du côté de ceux qui s’en réclament à gauche, la référence au "populisme" se nourrit d’une interprétation de ce qui provoqua le bon résultat de Mélenchon à l’élection présidentielle de 2017. Si le leader de la France insoumise a frôlé le second tour, ce serait pour avoir voulu "fédérer le peuple" et non pas "rassembler la gauche". Cette interprétation apparait, pour l’historien Roger Martelli, hasardeuse et dangereuse.

    Les données : la progression des sondages

    1. Au début février 2017, la victoire de Benoît Hamon à la primaire socialiste inverse les courbes d’intentions de vote de Mélenchon et du PS, reléguant le premier au-dessous de la barre des 10%. Très vite l’écart se réduit. Coincé entre Macron et Mélenchon, peu à peu lâché par la droite de son propre parti, le candidat socialiste ne parvient pas à trouver son rythme de croisière. Après le 18 mars (date du discours de JLM sur la place de la République), la cote de JLM se met à enregistrer une hausse continue. Dès la fin mars, les courbes se sont croisées et ne cesseront de s’écarter, au bénéfice du leader de la France insoumise. Entre février et mars, le vote utile, pour une gauche bien à gauche, a changé de camp.

    IFOP : intentions de vote Hamon et Mélenchon (sondage quotidien)

    2. Dans quelles catégories se font les gains (Sondages IFOP, 2017) ?

    Le tableau ci-dessous indique les plus fortes et les plus faibles progressions entre février et avril, la moyenne étant à 9,5%. En regard est indiqué l’évolution du vote Hamon.

    Sociologiquement, les progressions les plus importantes s’enregistrent chez les jeunes scolarisés (+17%), les professions intermédiaires (+16%) et les employés (+15%). Mais les progressions les plus élevées correspondent avant tout à des gains à gauche, et d’abord à une mobilisation de l’électorat Mélenchon de 2012, un temps séduit par l’hypothèse Hamon. On notera que c’est dans les mêmes catégories à gauche que les reculs de Hamon sont les plus prononcés, au profit de Macron et de Mélenchon.

    On note aussi que les gains dans le monde ouvrier sont faibles (la propension ouvrière à voter Mélenchon est forte dès le début). Surtout, le vote Mélenchon ne mord ni à droite ni à l’extrême droite : le transfert entre les supposés "populismes" relève du mythe. Chaque "camp" surmobilise les siens, à droite comme à gauche ; les transferts d’un "camp" à l’autre restent exceptionnels.

    Le vote présidentiel du premier tour : radiographie

    1. La ventilation des choix (pénétration des électorats)

    L’âge oppose, aux deux extrêmes, un électorat jeune tenté plutôt par Jean-Luc Mélenchon (26% des moins de 35 ans et 29% des 18-24 ans) et un électorat âgé porté vers la droite traditionnelle d’un François Fillon (39% des plus de 65 ans, 34% des retraités).

    La ventilation des groupes sociaux est tout aussi éclatée que celle de l’électorat dans son ensemble. On note toutefois une surreprésentation des catégories socioprofessionnelles supérieures chez Emmanuel Macron (32%) et des catégories inférieures chez Marine Le Pen. Jean-Luc Mélenchon se situe dans une situation intermédiaire, attirant 26 % des professions intermédiaires et 24% des catégories inférieures. Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon se partagent les électeurs en cours de formation, essentiellement étudiants (30% et 31%).

    Pour l’essentiel, les électeurs proches d’une organisation politique de gauche se sont partagés entre Emmanuel Macron (40%) et Jean-Luc Mélenchon (38%), Benoît Hamon se contenant d’un modeste 13%. Il est à noter que, malgré la décision des Verts de rallier la candidature de Benoît Hamon, 38% de leurs proches ont préféré in fine le leader de la France insoumise.

    Aucun candidat ne récupère la totalité des voix de la présidentielle précédente. La mieux placée sur ce plan est Marine Le Pen, qui a attiré 80% de ses soutiens de 2012, suivie par Jean-Luc Mélenchon (73%). Les électeurs de François Hollande ont pour moitié choisi Emmanuel Macron, mais un quart a rejoint Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon se contentant là encore d’un modeste 16%.

    Enfin, l’enquête confirme que ceux qui se déclarent "sans sympathie partisane" se partagent entre Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et Emmanuel Macron, avec semble-t-il une petite préférence pour le premier (24%).

    2. Les profil des électorats (composition)
    L’électorat de Jean-Luc Mélenchon est jeune (près d’un tiers de moins de 35 ans), socialement populaire (un tiers de catégories socioprofessionnelles inférieures), mais éduqué (près de 40% de formation au-delà du baccalauréat). Il est composé pour les trois quarts de proches des formations politiques de gauche et pour 16% de personnes "sans sympathie partisane" (ce qui n’implique pas que ces personnes ne se situent pas sur l’axe gauche-droite).

    Celui de Marine Le Pen est plus populaire (plus de 40% de catégories inférieures) et moins éduqué (45% de formation inférieure au baccalauréat). Il se dit à près de 70% proche du FN, à un peu plus de 10 % proche de la droite et à 14% sans sympathie partisane.

    Celui de Emmanuel Macron est plus âgé que les deux précédents (25%), moins populaire (20% de catégories supérieures), plus éduqué (56% de formation post-baccalauréat). Pour les deux tiers, il est situé politiquement à gauche. Il a voté à 45% pour Hollande en 2012 et pour plus de 30% à droite.

    3. La distribution départementale des votes
    La présidentielle de 2017 amplifie la nationalisation du vote entamée en 2012. Alors que le vote communiste touchait aux lisières de la marginalisation avant 2012, le vote Jean-Luc Mélenchon a retrouvé la distribution qui était celle du PCF avant son déclin électoral. En 2017, les votes se distribuent entre 34% en Seine-Saint-Denis à 13,6% en Haute-Corse ; 35 départements le placent au-dessus de la barre des 20%, aucun n’étant au-dessous des 10%. À la différence de Marine Le Pen, il progresse partout, doublant même son score dans le Bas-Rhin, le Val-d’Oise et la Seine-Saint-Denis. Il progresse plus que la moyenne dans 36 départements.

    4. Un ancrage à gauche prononcé
    Dans l’ensemble, le vote Jean-Luc Mélenchon s’insère dans l’espace électoral, communal et départemental, qui fut celui du communisme français, à quoi s’ajoute une implantation (notamment dans le Sud-Ouest) plus proche de celle de la gauche socialiste traditionnelle.

    L’analyse du Cevipof publiée en volume [1] contient une étude de Bruno Cautrès (« Mélenchon, "vainqueur caché" de la présidentielle ? ») qui souligne elle aussi l’enracinement du vote Mélenchon dans ses territoires de force de 2012 et donc la forte corrélation avec le vote communiste ancien. Ses calculs montrent aussi la corrélation statistique forte du vote JLM avec les votes socialistes passés et avec les autres votes de gauche en 2017.

    Dans tous les cas, l’ancrage territorial du vote Mélenchon ne s’éloigne pas des zones de force historiques de la gauche française.

    Vote Mélenchon : le populisme ou la gauche ?

    1. Le vote des circonscriptions
    Jean-Luc Mélenchon, est en tête dans 58 circonscriptions, dont 2 du Front de gauche et 49 ayant à leur tête un député socialiste ou apparenté.

    On notera que les 10 circonscriptions métropolitaines qui ont un député Front de gauche sont celles où le vote en faveur de Mélenchon est le plus fort et le vote Macron le plus faible. Le vote Le Pen y est aussi supérieur à la moyenne nationale.

    2. Le vote des communes
    Le tableau ci-dessous présente les résultats des 3447 communes de la France métropolitaine qui ont placé Jean-Luc Mélenchon en tête. On y distingue les communes qui ont à leur tête un maire communiste ou "apparenté".

    Dans l’ensemble des villes où il est en tête, Mélenchon obtient 29,7% des suffrages exprimés. Dans ce groupe, un quart de ses voix se trouve dans les villes PCF, où son pourcentage atteint les 34,9% de suffrages exprimés.

    L’effet de taille accentue le phénomène. On a vu précédemment que la densité du vote Mélenchon est plus forte dans la France urbaine et les aires métropolitaines. Au total, on compte 614 communes dont le nombre d’inscrits est supérieur à 10.000. Mélenchon est en tête dans 124 d’entre elles et y obtient 31,5%. Sur ces 124 communes, les villes PCF ou apparentées sont au nombre de 38 et donnent à Mélenchon un pourcentage de 36,2%. À quoi s’ajoute une quarantaine de communes, notamment en région parisienne, qui ont été dans la mouvance communiste de 1977 à 2008.

    Dans l’ensemble, l’espace du "communisme municipal", ancien ou persistant, s’est reconnu dans un vote qui amplifiait pour lui l’expérience antérieure du Font de gauche.

    3. Les trois lignes de force du vote Mélenchon
    Le score de Jean-Luc Mélenchon en 2017 est le plus élevé obtenu par une gauche bien à gauche depuis les années 1970. Jusqu’à ce jour, cette fraction de la gauche était pénalisée par un recul continu du PCF, qu’aucune dynamique alternative n’avait pu compenser. Le scrutin de 2012 avait été un premier signe de renouveau : le candidat du Front de gauche avait réussi à agréger des forces jusqu’alors dispersées. Mais le niveau global de la gauche de gauche restait dans les basses eaux des années précédentes. En 2017, un seuil a été franchi : pour la première fois depuis 1969, le vote utile à gauche s’est porté sur une personnalité incarnant un esprit de rupture.

    La campagne menée tambour battant du candidat de la France insoumise a redonné à la gauche la plus critique un profil qui la rapproche de ses traits historiques fondamentaux. La représentation des catégories populaires n’est plus l’apanage du FN. Un quart au moins des catégories intermédiaires, des ouvriers et des employés se sont retrouvées dans un vote à gauche affirmé. Ajoutons qu’il s’agit d’un espace populaire de notre temps, jeune, inséré dans le cadre urbain et métropolitain et relativement éduqué (les deux tiers des électeurs Mélenchon ont un niveau égal ou supérieur à celui du baccalauréat).

    Si l’on combine les données de sondages et les analyses territorialisées, on peut dire que le socle du vote Mélenchon comprend aujourd’hui trois grands ensembles. Il a redynamisé un espace électoral communiste en voie d’affaissement continu, ce que montre les remarquables résultats en région parisienne et dans les couronnes urbaines. Il continue de s’inscrire, comme le fit autrefois le vote communiste, dans les espaces de la tradition révolutionnaire et républicaine, celle des sociétés populaires jacobines, de la "démocratie socialiste" de 1849, puis du premier radicalisme. Cet espace a été celui du socialisme français du XXe siècle, dans le centre, l’ouest et le sud-ouest. Le vote Mélenchon s’installe enfin, depuis, 2012, dans un espace urbain dense et métropolisé qui avait peu à peu échappé à l’emprise communiste. C’est dans ce dernier espace qu’il se montre le plus dynamique, davantage que toutes les autres forces, à commencer par le FN.

    4. Le discours présidentiel de Mélenchon a-t-il été « populiste » ? 
    On peut en douter. Dans le volume du Cevipof précédemment évoqué, le politologue Damon Mayaffre [2] explique que le discours de Mélenchon s’est installé dans un discours « néo-humaniste » où les références au "peuple" et aux "gens" sont perpétuellement raccordées aux souvenirs des Lumières et de 1789 (Montesquieu, Diderot, Robespierre, bonheur, vertu). Il s’agit d’un peuple « plus sans-culotte que bolchevik », renvoyant à une France « plus civique que prolétarienne ». En même temps, le vocabulaire social (Smic, salaires, Sécu, ouvriers) colore le discours et mobilise la tradition communiste-socialiste, tandis que l’écologisme appuyé s’adresse à d’autres générations et milieux sensibles à la "règle verte". Au total, « Jean-Luc Mélenchon semble avoir décomplexé en 2017 un discours de gauche usé par la gestion raisonnable des affaires gouvernementales : un discours de gauche à nouveau fier de l’héritage révolutionnaire, clairement populaire et social, et désormais écologique »C’est en puisant dans l’imaginaire de la gauche et en le rafraîchissant, que Jean-Luc Mélenchon a réalisé sa percée et frôlé la présence au second tour.

    Un avenir à gauche ?

    1. Les structures du vote présidentiel de 2017 ont-elles été maintenues ?
    Il est difficile de le dire. Le vote législatif qui a suivi le scrutin présidentiel montrait déjà que le vote FI ne se retrouvait pas en totalité sur les candidats de la France insoumise, mais confirmait que la nouvelle formation représentait 45% du total des voix de gauche. Dans une gauche laminée, le vote en faveur de la FI frôlait l’hégémonie.

    Globalement, la série d’élections partielles qui a égrené l’année 2018 n’a toutefois pas confirmé la poussée de 2017 et les difficultés précoces du nouveau pouvoir n’ont pas profité à la principale force d’opposition à l’Assemblée nationale.

    En l’absence d’élections générales, on peut utiliser les sondages disponibles, en se gardant d’y voir des prédictions, mais en essayant de voir s’ils suggèrent des tendances d’évolution.

    Globalement la FI se situe dans une fourchette de 8 à 14% avec une tendance à la baisse en fin de période. Le total de l’extrême droite reste élevé, ne descend jamais au-dessous de 24% et se situe actuellement dans une fourchette de 28 à 33%. La gauche confirme sa faiblesse globale de 2017 et se trouve aujourd’hui dans une fourchette de 29 à 33%. A la fin de 2017, la FI regroupait presque la moitié du total des intentions de vote exprimées à gauche, confirmant son hégémonie dans cet espace. Actuellement, elle se situe entre un quart et un tiers du vote de gauche. Sa première place est confirmée, mais l’écart se réduit, en même temps que l’hégémonie globale. Alors que l’extrême droite profite des difficultés de la droite classique, la FI perd du terrain à l’intérieur d’une gauche toujours rabougrie.

    2. L’intention de vote LFI (IFOP)

    Si l’on en croit les données de l’IFOP, la FI progresse dans les catégories intermédiaires, résiste un peu mieux chez les moins de 35 ans, mais recule dans les catégories populaires (PCS -). La donnée la plus massive est dans le recul de la propension au vote FI chez les électeurs Mélenchon de 2017 et les électeurs du Front de gauche de 2014 : dans les deux cas, la formation de JLM est au-dessous de la moitié du vote de départ.

    Les données proposées par Elabe diffèrent de celles de l’IFOP sur le plan sociodémographique : elles suggèrent une bonne résistance dans les catégories populaires. Mais elles confirment le constat politique : la propension au vote FI décline chez ceux qui se disent proches des organisations de gauche. Les votes FI antérieurs de sont pas épargnés : la moitié seulement des électeurs JLM de 2017 déclarent vouloir voter FI au mois de mai prochain.

    Il est à noter que la FI ne semble mordre ni sur l’électorat de droite et d’extrême droite, ni sur ceux qui se déclarent "sans préférence partisane", ni sur ceux qui se sont abstenus ou ont voté blancs ou nuls au premier tour de la présidentielle.

    Le recul dans l’électorat de gauche n’est compensé par aucun gain tangible en dehors de cet espace. Le recul dans l’opinion de la pertinence du clivage droite-gauche ne signifie pas qu’il est remplacé par un autre mode de distribution des suffrages, a fortiori dans une élection qui s’annonce à très faible participation.

    Alors que Macron et Le Pen ferait le plein des intentions de vote dans leur espace de proximité, Mélenchon se situerait à un niveau plus modeste. Et tandis que ses deux concurrents garderaient respectivement 80 et 86% de leur électorat de 2017, Mélenchon n’en conserverait que 63%.

    Selon le sondage, Macron mord nettement sur la droite classique (40% des électeurs Fillon), Le Pen mord sur une autre part de la droite, la plus radicalisée. En revanche, Mélenchon ne mord qu’à la marge sur les électeurs de droite et d’extrême droite. À la limite, Le Pen gagne plus sur la gauche que Mélenchon n’y parvient sur la droite.

    Alors que le trio Mélenchon-Macron-Le Pen se partageait en 2017 l’essentiel de ceux qui ne se reconnaissaient dans aucun parti, Mélenchon ne recueille les suffrages que de 7% de cette catégorie. C’est Le Pen qui en attire un gros tiers, davantage que Macron (19%). Au total, les "sans appartenance partisane" se portent massivement vers la droite et même vers l’extrême droite, pas vers la gauche.

    Au total, on constate encore sur ce sondage que Mélenchon, de 2017 à aujourd’hui, perd sur la gauche et ne gagne rien, ni sur la droite ni sur les "sans appartenance".

    3. Réflexions en perspective
    L’expansion de l’extrême droite française, qui se fait en parallèle avec son dynamisme européen, est à ce jour un mal absolu. Or deux méthodes ont montré leur incapacité à enrayer cette poussée. La droite a choisi le vieux conservatisme d’une France des notables, réfractaire tout autant au désordre qu’à l’égalité : elle a voulu chasser sur les terres du Front ; elle n’a fait que le conforter. Quant au socialisme, qui a cru pouvoir profiter du repoussoir frontiste, il s’est déchiré entre une social-démocratie à l’ancienne et le vertige libéral.

    En 2017 le vote Mélenchon a été le seul dont le dynamisme a été suffisamment fort pour contenir la percée frontiste en zone urbaine, qu’elle soit "métropolitaine" ou plus "périphérique".

    Il a pu le faire en retissant les liens perdus du peuple et de la gauche, pas en tournant le dos à la gauche. Le discours du 18 mars à la République, celui qui a marqué le point de départ d’une spectaculaire "remontada", était en ce sens un modèle du genre. Il reprenait, tout en le modernisant, le florilège complet des mots, des symboles et des figures de la gauche, de la Révolution à nos jours, de la Commune à Nuit debout. En le faisant, il est parvenu, tout à la fois, à agréger la gauche désespérée et à redonner le sens de l’espérance collective aux catégories populaires que la gauche officielle avait abandonnées.

    Tout ce qui nourrit le ressentiment, tout ce qui contourne la remise en cause des bases fondamentales des maux sociaux, tout ce qui éloigne des projets collectifs sans lesquels les catégories populaires dispersées ne peuvent être un peuple rassemblé, tout cela éloigne d’un rassemblement populaire propulsif, capable de rompre avec le désordre de l’état des choses existant. Au contraire, tout ce qui, autour des valeurs fondatrices d’égalité, de citoyenneté et de solidarité, redonne vigueur à l’espérance dans la "Sociale" permet de refaire du peuple politique le pivot de l’avancée démocratique.

    Les récentes élections dans les Abruzzes italiennes, l’effondrement du M5S et la percée concomitante de la Ligue suggèrent que la revendication du "ni droite ni gauche" finit toujours par porter vers une droite radicalisée. Encore et toujours revient à la mémoire la formule utilisée par le philosophe Alain, membre du Parti radical, déclarant en 1931 :

    « Lorsqu’on me demande si la coupure entre partis de droite et partis de gauche, hommes de droite et hommes de gauche a encore un sens, la première idée qui me vient est que l’homme qui pose cette question n’est pas un homme de gauche. »

    Une gauche qui contredit ses propres valeurs n’a plus de gauche que le nom et fait désespérer de la gauche. Mais sans le dynamisme d’une gauche qui a enfin repris ses couleurs, il est difficile de rassembler le peuple. Rassembler le peuple ou rassembler la gauche : opposer les deux termes ne sert à rien. Mieux vaut les penser et les conduire ensemble. C’est la seule manière d’écarter le cauchemar antidémocratique.

    S’ancrer dans cette conviction n’a rien d’une répétition. Si le clivage de la droite et de la gauche reste pertinent, les formes historiques qui ont été les siennes au XXe siècle sont en état d’obsolescence. À la droite de définir les voies qui seront les siennes. À gauche, une triple certitude peut servir de point de départ : le face-à-face du socialisme et du communisme n’est plus l’axe ordonnateur de la gauche française ; l’union de la gauche dans sa forme ancienne n’est plus le modèle du rassemblement à gauche ; la forme historique, verticale et hiérarchique, du parti politique n’est plus l’archétype par excellence de l’organisation politique.

    La gauche n’est pas sortie de la crise qu’ont nourrie les dérives sociales-libérales amorcées après 1982. Incontestablement, elle souffre d’un morcellement caricatural qui contredit de façon absolue son ambition des responsabilités et qui contraste avec le dynamisme persistant d’une extrême droite "boostée" par ses résultats continentaux.

    Qu’il faille surmonter cet éparpillement mortifère est une évidence, mais cette exigence ne doit pas faire oublier que le puzzle actuel de la gauche n’est pas sans rapport avec les carences qui furent les siennes dans les dernières périodes. Rassembler la gauche pour contribuer à refaire du peuple un acteur majeur de sa propre émancipation est donc un impératif. Cet impératif est toutefois inséparable d’un autre, tout aussi stratégique : la gauche française, comme la gauche européenne, se rassemblera d’autant mieux qu’elle se sera refondée, dans toutes ses composantes.

    Refonder et rassembler la gauche ; contribuer à ce que se produise et s’impose politiquement le projet émancipateur, qui fait de la multitude en lutte un peuple producteur d’avenir…

    Roger Martelli

    Notes

    [1] Pascal Perrineau (dir.), Le vote disruptif : Les élections présidentielle et législatives de 2017 (Chroniques électorales), Presses de Science Po, 2017.

    [2] Damon Mayaffre, « Les mots des candidats, de "Allons" à "vertu" », in Pascal Perrineau, Le vote disruptif…, ouvrage cité.

    titre documents joints