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Cinema: Tout ce qu’il me reste de la révolution

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Lien publiée le 19 février 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://blogs.mediapart.fr/yves-faucoup/blog/180219/tout-ce-quil-me-reste-de-la-revolution

Ce premier film de Judith Davis est une vraie réussite : profond, léger, drôle, sérieux, magnifiquement interprété. Tous les acteurs sont bons, crédibles, sincères, l'histoire est bien construite et les dialogues sont désopilants. Plusieurs scènes pourraient devenir des anthologies.

On sort de la salle, alors même que le sujet est grave, réconforté qu'il y ait tant d'intelligence, de créativité, comme une sorte de bonheur d'avoir passer du temps avec des gens vraiment sympas, des amis virtuels, des frères et sœurs. Et d'avoir beaucoup rit, grâce à un humour de situations inversées, ou de réparties judicieusement amenées.

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Angèle (Judith Davis elle-même) est urbaniste. Fille d'un couple soixante-huitards, ex-maos, établis en usine : le père Simon (Simon Bakhouche), devenu communiste, est encore fidèle à ses idées ; retraité, il améliore un peu sa pension en vendant des makrout qu'il prépare dans sa cuisine. La mère Diane (Mireille Perrier) a tout abandonné et est partie à la campagne en 1997 quand elle a compris que "Lionel Jospin devenait le plus gros privatisateur de la Vème République". Notre héroïne a hérité de ses parents : "mon rêve est d'inventer des idées pour changer le monde". Dans la rue, elle interpelle les affiches : "tu sais ce qu'elle te dit la génération Prozac", elle insulte un distributeur de billets ou écrit "Prison" sur un panneau annonçant une crèche collective. Elle dessine sur les murs des doigts d'honneur que les gamins des écoles, tous affublés de gilets jaunes, prennent pour un zizi inversé.

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Elle travaille dans un cabinet d'urbanisme tenu par des gens de gauche qui préfèrent un stagiaire (pardon, un MSP, "mise en situation professionnelle") plutôt qu'une salariée, tout en déversant tous les arguments pour cacher leur mauvaise conscience. La scène de colère jouée par Judith Davis, devant ses employeurs désolés, est un régal : elle les engueule, hurle, leur rappelle leurs idéaux de jadis, les traite d'"obscènes", prononçant cette phrase énigmatique à ses interlocuteurs interloqués : "la figure centrale c'est le pédophile". On la retrouve dans la rue chapka sur la tête, rallonge électrique autour du cou sur fond de musique soviétique ! Mais elle parvient à décrocher une mission : créer une rue entre Paris et Montreuil, par-dessus le périphérique ! Tout un programme.

Sa sœur Noutka (Mélanie Bestel) porte un prénom "lubie de babas cool", au point qu'elle se fait appelé Béa au bureau. Elle n'est pas idéaliste, ne se pose aucune question. Apparemment néo-libérale, puisqu'elle s'affirme "pragmatique", précisant que "le travail c'est le principe de réalité", ce qui provoque des disputes avec Angèle, au regard buté, qui se demande bien pourquoi "on peut plus la poser la question du pourquoi".

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Autre scène d'anthologie : Angèle et son amie Léonor (Claire Dumas) manifestent devant une agence de Pôle emploi par une scène théâtrale truculente, où l'ironie sur l'informatisation des dossiers est débitée à la manière d'un sketch à la Nicole Ferroni, plus rapide encore. Dans un banque, autre séquence d'action directe, avec lecture d'un texte de Walt Whitman qui crie "gloire aux vaincus". La réaction du jeune employé, qui parle avec un fort accent des banlieues, "moi, vaincu ?", est trop drôle, lui qui se dit "killer et leader". Mais quand Angèle déclame que les banques tiennent leurs clients, donc les citoyens, car tout le monde est à découvert, lui, tout penaud, interroge : "mais comment vous savez que je suis à découvert ?".

La solution : former un groupe de parole. Avec tous les travers bien connus (on dirait du Frank Lepage) : et si on faisait des sous-groupes (ils sont six ou sept en tout). Lieu d'expression où l'un vient protester contre le fait que le batteur des Sex Pistols, l'anti-système, fasse de la pub aujourd’hui pour de la margarine ! Saïd (excellent Malik Zidi), directeur d'école, qui les héberge, et l'employé de banque se joignent à eux. Il est aussi question de survie de la planète ("le monde est invivable, on va crever, on arrête de lire Biba", à quoi il est répondu : "hé oh, c'est pas le Politburo ici").  Gilets jaunes avant l’heure : "on a mis de côté toutes les règles partisanes", "notre seule règle : on n'a pas de leader", "on s'écoute dans le respect sans se couper". Pas de bannière, non mais, on n'est pas un parti ("oui, mais on n'est pas là pour boire le thé", non plus). "La démocratie je l'emmerde, la démocratie c'est la télé". Par contre, il faudrait envisager "l'organisation de ce nous". Comme chacun décline son métier, l'un dit : "c'est pas un peu réducteur de se présenter par son boulot…. je dis pas ça parce que je n'en ai pas".

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Angèle apprend que son père a menti, que la mère ne les a pas abandonnés, qu'elle voulait prendre les enfants avec elle mais il a refusé (pourquoi donc avoir affirmé le contraire, honteux il répond : "elle m'a bien abandonné, moi"). Alors elle accepte d'aller la voir à la campagne, en famille avec sa sœur Noutka et le beau-frère Stéphane. Ce dernier interpelle Léonor sur son travail de sculptrice (pour "immortaliser l'instant", elle moule des pieds, réels, de bébés). Considérant que c'est un "super concept" avec un "super potentiel", il lui propose de mouler des mains de jeunes mariés. Puis il part dans une tirade totalement hystérique dans laquelle il déverse tout le mépris, la violence assumée du capitaliste libéral financier : la mise en concurrence des salariés, la nécessité de la contrainte (loi de la nature), les maillons faibles qu'il faut écarter absolument et le tout "sans état d'âme", "sinon ça te bouffe de l'intérieur".  "Les planches pourries, on s'en sépare", hurle le jeune cadre dynamique. Véritable performance d'acteur de Nadir Legrand qui joue admirablement cette folie crescendo, mais exprime aussi avec talent toute la culpabilité sous-jacente. La rédemption est sans doute possible…

Le film se termine avec la chanson Les Tuileries, sur un poème de Victor Hugo, interprétée ici par Bertrand Belin et Camélia Jordana. Après cette tension extrême, on a le cœur qui bat... de bonheur :  on a reconnu Colette Magny ! Nostalgie : plusieurs fois entendue en concert, à Saint-Etienne et à Besançon (pour les Lip), où elle chantait bien sûr Mélocoton, mais aussi Vietnam 67Les gens de la moyenne ou Choisis ton opium. Elle interprétait Les Tuileries  avec sa chaude voix de basse, magnifique, envoûtante, sur une musique qu'elle avait elle-même composée : "Nous sommes deux drôles, Aux larges épaules, De joyeux bandits, Sachant rire et battre (…) Nous avons l'ivresse, L'amour, la jeunesse, L'éclair dans les yeux, Des poings effroyables ; Nous sommes des diables, Nous sommes des dieux !".

. Bande-annonce :

TOUT CE QU'IL ME RESTE DE LA RÉVOLUTION - bande annonce © Ufo Distribution

 . ce film est sorti en salle le 6 février. Il a été présenté en avant-première au Festival Indépendance(s) & Création de Ciné 32 à Auch (Gers) début octobre. Judith Davis était présente.

Dans cette vidéo tournée spécialement pour le Festival (Ciné32/ParlemTv), Judith Davis explique l'origine de ce film, avec le collectif "L'Avantage du doute", compagnie de théâtre qui a joué une première version de Tout ce qu'il nous reste de la révolution, c'est Simon joué au théâtre de la Bastille. Et aussi des difficultés pour produire un tel film.

"Indépendance(s) et Création" 2018 : Tout ce qu'il me reste de la révolution © Indépendance(s) et Création

Billet n° 449

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