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La transition agricole viendra des néo-paysans

Lien publiée le 24 février 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

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Ce samedi 23 février s’ouvre à Paris le Salon international de l’agriculture, la vitrine du modèle industriel. Pourtant, il existe d’autres façons de cultiver la terre et d’élever des animaux, explique Virginie Raynal, paysanne dans l’Aubrac. Ces formes alternatives ne demandent qu’à croître et à inventer un nouveau rapport à la société et à l’alimentation.

SPÉCIAL SALON DE L’AGRICULTURE — À l’occasion du Salon international de l’agriculture, la vitrine des « puissants » du secteur, Reporterre a choisi de mettre en avant les « petits », ceux qui bousculent les codes du milieu. Avant de mettre les pieds dans les champs la semaine prochaine, nous faisons le point, ce samedi, sur le développement des agricultures alternatives, avec une agricultrice observatrice et participante de ce mouvement.


Virginie Raynal est une maraîchère en phase finale d’installation dans l’Aubrac. Elle est administratrice au bureau de la Fadear, la Fédération des associations pour le développement de l’emploi agricole et rural.

Reporterre — Que pensez-vous du Salon de l’agriculture ?

Virginie Raynal — Ce salon reste celui de l’agriculture industrielle. Nous, paysans porteurs d’une alternative pour la société, on s’y sent minoritaires. Mais, on a à cœur d’utiliser quand même cet espace pour sensibiliser le grand public et échanger avec les acteurs du monde agricole. Donc, la semaine prochaine, on sera présent pour parler de la politique agricole commune de l’Union européenne et du fait que ce doit aussi être une politique alimentaire. On va évoquer l’accueil des nouveaux paysans dans le monde agricole, discuter des questions de transmission des fermes.



L’agriculture paysanne, les agricultures alternatives au système industriel se développent-elles vraiment, ou est-ce juste qu’on en parle plus qu’avant ?

L’indicateur principal est la demande. On n’arrive pas à y faire face. Le nombre de personnes que l’on accompagne dans leur projet agricole est en croissance constante. Dans les départements où nous sommes présents, les équipes sont sollicitées par de plus en plus d’acteurs différents. Ce sont à la fois des porteurs de projet qui veulent s’installer comme agriculteurs ; des paysans qui veulent changer leurs pratiques et s’associer à des dynamiques innovantes — comme les semences paysannes ou les démarches d’installation collective ; des collectivités et territoires qui nous sollicitent, par exemple quand ils veulent approvisionner la restauration collective avec des aliments produits localement. On devient des acteurs au même titre que les chambres d’agriculture ou les groupements d’agriculture biologique, on nous invite à la table, nous, organisations de développement d’une autre agriculture, parce qu’on apporte de l’innovation.



Depuis la création de la Fadear, mesurez-vous une évolution ?

On existe depuis 1984. À l’époque, c’était l’unique organisation à rassembler des paysans de la France entière qui se questionnaient sur le système agricole et l’industrialisation de l’agriculture. Il n’y avait alors qu’un seul syndicat et qu’une seule voix pour l’agriculture [c’est-à-dire, le syndicat agricole majoritaire, tenant d’une agriculture productiviste, la FNSEA]. Il y avait un besoin de réflexion et de recherche sur comment réinventer une agriculture avec pour valeurs des fermes à taille humaine, l’autonomie, la répartition des terres plutôt que l’accaparement, etc. Une ferme n’est pas seulement un moyen de produire et gagner de l’argent ; elle a une place dans son village et dans la société et elle a pour fonction de nourrir. On est désormais présents dans plus de 65 départements, avec encore des demandes de création dans d’autres, qui émergent localement de la part des paysans.

En une trentaine d’années, ce qui a évolué, c’est la problématique du renouvellement des générations. Il y a actuellement environ 500.000 exploitants agricoles, mais ça diminue de manière drastique. Beaucoup de paysans n’ont pas de successeurs. Ou alors, leurs enfants partent faire des études avant d’envisager de reprendre la ferme et puis finalement ne la reprennent pas. De ce bouleversement est apparue la question de l’installation de personnes non issues du milieu agricole. Or, parmi ce nouveau public, il y a beaucoup de personnes qui arrivent avec une aspiration environnementale ou sociétale. Ils veulent s’inscrire dans un tissu rural riche, participer à la vie du territoire et sur lequel ils s’installent, faire de la pédagogie… En installant ces gens qui ont une autre vision de l’agriculture, on facilite la transition agricole. C’est d’ailleurs humainement plus simple pour eux de remettre en question le modèle agricole parce qu’ils n’ont pas le poids de l’histoire de leur famille sur la ferme.



Quelles innovations apporte cette agriculture alternative, paysanne ?

On travaille beaucoup sur les innovations sociales. Les formes d’installation collective sont plus fréquentes qu’avant. Les gens recherchent une ferme avec un lieu de vie où plusieurs foyers peuvent vivre ensemble, avoir une complémentarité des productions, et avoir une qualité de vie car à plusieurs sur une ferme, on peut se relayer. Certains, aussi, s’installent en agriculture mais pas sous le statut agricole, notamment parce qu’ils veulent rester dans un collectif associatif ou une coopérative d’activité. Il y a beaucoup de réflexions sur la forme juridique que peut prendre une ferme. On explore aussi la possibilité de faire une installation pour dix ans, et d’ensuite transmettre l’activité à quelqu’un d’autre. Donc, la ferme perdure, mais celui qui y travaille va peut-être faire autre chose après ou a peut-être fait autre chose avant. Et puis, ils innovent en créant des passerelles entre l’agriculture et la culture ou le social, notamment en pratiquant l’accueil à la ferme.

Les onze néo-paysans de la ferme de la Tournerie.

Cela correspond à une évolution du profil des paysans. On a la chance d’observer dans nos réseaux une vraie transformation sociale, sans doute parce qu’il y a la liberté de l’exprimer. Alors que dans le circuit classique de l’installation, on accompagne moins les gens à aboutir selon leur imagination.



Certains deviennent un peu des paysans-chercheurs, mènent des expérimentations. Vous observez cela ?

Oui, en tout cas, le fait de créer des groupes de travail sur un territoire, pour réaliser des essais sur un sujet agronomique, c’est plus fréquent, plus assumé et plus communiqué qu’avant. Par exemple dans le maraîchage, il y a beaucoup d’essais autour du travail — ou pas — du sol.

Chez moi, un groupe de paysans et de chercheurs travaille sur la flore des prairies. On est dans un secteur où les prairies sont encore naturelles. Ils se demandent comment la composition d’une prairie influe sur l’organisme de l’animal pour ensuite avoir un produit à manger qui soit sain, riche en certains nutriments. Ils mesurent la différence entre une prairie homogène avec peu de variétés de fleurs et une plus diversifiée.



Quelles évolutions voyez-vous entre les « vieux » et les « jeunes » paysans ?

La différence majeure est que la majorité de notre public est constitué de gens qui ne sont pas issus du milieu agricole, alors que les fondateurs de la Fadear étaient issus de familles de paysans. Pour nous, il est très important d’accompagner les personnes venant de la société civile qui veulent entrer dans le monde agricole. Parce que ce n’est pas facile d’y accéder, et pour assurer le renouvellement nécessaire.

L’autre différence est dans les projets agricoles. On voit plus d’installations collectives, mais aussi de plus petites fermes. La nouvelle génération arrive aussi souvent avec l’envie d’avoir une diversité d’ateliers sur la ferme. C’était une idée des fondateurs du réseau mais qui a été ébranlée par l’élan général de la société à aller vers une spécialisation de chaque région dans un type d’agriculture.

Enfin, les nouveaux profils sont des personnes un peu plus âgées, qui viennent alors qu’elles ont déjà une expérience de vie dans un autre domaine, qui arrivent en ayant déjà réfléchi au type d’agriculture qu’elles souhaitent pratiquer. Cela apporte un vrai renouveau des pratiques culturales.



Aujourd’hui, le nombre de paysans continue de diminuer et la taille moyenne des fermes continue d’augmenter. La montée des alternatives n’enraye pas le mouvement général. Quels sont les freins ?

Effectivement, on déplore que les politiques publiques ne soient pas plus révolutionnaires !

L’un des problèmes principaux est le dispositif national d’aide à l’installation agricole, qui cadre très strictement les aides financières à l’installation. Il a un peu évolué mais n’est toujours pas adapté, et une grande proportion des installations se font en dehors de ce cadre. L’un des critères limitants est l’âge : après 40 ans, on ne peut plus demander d’aide à l’installation. Or, l’évolution de la société fait que beaucoup de gens qui s’installent en agriculture ont déjà un certain nombre d’années d’études et de vie professionnelle, donc, le temps qu’ils s’installent, ils ont bien souvent dépassé l’âge. Notamment, beaucoup de femmes abandonnent ou s’installent en dehors du cadre. Quand on souhaite s’installer, c’est à ce moment-là qu’on a éventuellement des enfants, mais on ne peut pas prolonger les délais d’installation en cas de grossesse.

Après une autre difficulté est l’accès au foncier. Il y a un fort enjeu économique sur les terres agricoles qui sont en concurrence avec plein d’autres activités industrielles ou commerciales. Et dans le monde agricole, il y a une forte compétition entre les systèmes productivistes, qui ont besoin d’une grande surface, et le fait d’accepter de céder une petite part des terres à des nouveaux. Sur le principe, les organismes de gestion des terres agricoles doivent donner la priorité à l’installation. Mais, en pratique, il y a beaucoup de pressions et ce n’est pas évident pour des candidats non issus du milieu agricole, qui arrivent avec des projets innovants, d’être crédibles.

Enfin, la formation est ce qu’il y a de moins problématique. Mais, récemment, un fonds de formation qui permettait à beaucoup de personnes de financer une formation pour entrer dans le monde agricole a changé de politique et a restreint nettement la possibilité de se former pour les non-issus du milieu agricole. Il va y avoir un creux le temps que l’on mette en place des alternatives de financement des formations. Cela traduit le manque de volonté politique que l’on observe de manière générale.



Dans ce contexte de forces contraires, comment voyez-vous l’avenir ?

Pour moi, il n’y a pas le choix. On ne peut pas continuer avec un système ambivalent, dual, où l’on a une agriculture dévastatrice des autres. Ce n’est pas envisageable de continuer à espérer que les initiatives locales suffiront à compenser les dégâts causés par une agriculture productiviste et mondialisée. ll faut rapidement inverser la tendance. Je vois l’avenir de manière assez sombre, s’il n’y a pas un mouvement de la société civile pour se réapproprier les politiques nationales et européennes sur l’agriculture et l’alimentation.

  • Propos recueillis par Marie Astier