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Marine Le Pen maintient son intox sur les retraités et les migrants dans un droit de réponse… truffé d’erreurs
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Elle refuse de reconnaître, contre l’évidence, que les migrants ne bénéficient pas de droits supérieurs aux retraités modestes.
La présidente du Rassemblement national avait affirmé le 24 février qu’un « migrant fraîchement débarqué peut toucher plus qu’un retraité ayant travaillé toute sa vie ». Une phrase pointée comme fausse par plusieurs médias, dont Les Décodeurs du Monde : les migrants ne peuvent prétendre à des minima sociaux supérieurs à ceux garantis aux retraités les plus modestes.
Pourtant, la dirigeante du parti d’extrême droite persiste, signe et réplique, dans un « droit de réponse » publié sur son site et titré « Oui, un migrant peut toucher davantage qu’un retraité » – premier glissement : on ne compare plus un migrant « fraîchement arrivé » à un retraité « ayant travaillé toute sa vie ». Cette réponse est une nouvelle fois truffée de contre-vérités et d’approximations.
1. Les aides accordées aux migrants sont conditionnées
Ce que dit Marine Le Pen :
« Les migrants arrivant sur le sol français font, dans leur quasi-totalité, une demande immédiate d’asile à l’Ofpra. »
FAUX
On comptait en 2018, année record, 122 743 dossiers de demande d’asile déposés à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), dont 113 322 étaient des premières demandes. On est en réalité loin de la « quasi-totalité » de l’immigration, puisqu’on comptait la même année 255 550 délivrances de titres de séjour, selon le ministère de l’intérieur.
Cette précision a son importance puisque, comme le dit elle-même Marine Le Pen par la suite, les demandeurs d’asile peuvent bénéficier de l’allocation de demandeur d’asile (ADA) dans l’attente de l’examen de leur dossier. Alors que les autres catégories de migrants n’y ont pas droit. De fait, la majorité des migrants ne sont donc pas éligibles à l’ADA.
Cette aide est de 6,80 euros par jour pour une personne seule, auxquels peuvent s’ajouter 7,40 euros si aucune place d’hébergement ne lui a été proposée. Soit 440 euros maximum par mois. En 2016, on dénombrait 76 100 bénéficiaires de cette aide, pour un coût total de 307,9 millions d’euros pour les finances publiques. A titre de comparaison, les huit principaux minima sociaux français représentaient environ 25 milliards d’euros la même année.
Par ailleurs, il faut garder à l’esprit, avant toute comparaison, que l’ADA est une aide sociale temporaire. Elle n’est versée que jusqu’à la fin du mois qui suit celui de la décision de l’Ofpra sur la demande d’asile. Les personnes qui bénéficient ensuite de la protection temporaire continuent d’en bénéficier pendant la durée de ladite protection et celles qui sont reconnues victimes du proxénétisme ou de la traite des êtres humains y ont droit pendant douze mois, renouvelables pendant la durée de validité de leur titre de séjour. L’ADA peut par ailleurs être suspendue ou retirée en cas de fraude ou de manquement à la loi de la part du bénéficiaire.
2. L’exemple du « fraudeur » ne valide pas le raisonnement général
Ce qu’elle a dit :
« Il est vrai que l’ADA vise à compenser le fait que les demandeurs d’asile n’ont pas le droit de travailler. Dans les faits, pourtant, une partie non négligeable d’entre eux travaillent au noir dans des secteurs en tension comme la restauration ou le bâtiment et les rapports de l’inspection générale du travail le confirment régulièrement. Dans ce cas, ces travailleurs clandestins cumulent l’ADA avec leur “salaire”. »
POURQUOI C’EST TROMPEUR
Faute de pouvoir démontrer qu’un migrant récemment arrivé en France pourrait percevoir des prestations sociales plus importantes qu’un retraité modeste, Marine Le Pen en arrive donc à invoquer le cas des travailleurs non déclarés.
Le problème est que son raisonnement occulte plusieurs faits. D’abord que les sanctions pénales prévues pour l’emploi irrégulier de personnes étrangères sont bien supérieures à celles prévues pour le travail dissimulé (cinq ans au lieu de trois ans de prison pour les employeurs).
D’autre part, Marine Le Pen évoque une « partie non négligeable » de demandeurs d’asile dans ce cas, mais se garde bien d’avancer un chiffre. Et pour cause : il n’existe pas de telles estimations. Pas plus qu’il n’en existe pour les retraités, qui eux aussi recourent parfois au travail au noir.
Dans tous les cas, il est trompeur de présenter le travail dissimulé comme un enjeu exclusivement lié à l’immigration. Surtout pour tenter de démontrer que les migrants s’en sortiraient mieux que les personnes retraitées.
3. Les personnes âgées les plus démunies ont aussi accès aux soins ou aux aides au logement
Ce qu’elle a dit :
« De leur côté, aucun de nos retraités modestes ne peut se prévaloir de tels avantages, ce qui est déjà une honte en soi. S’ajoute à cela la gratuité totale des soins à travers l’AME, la quasi-gratuité (et même parfois la gratuité totale) des transports publics dans les grandes agglomérations. »
POURQUOI C’EST FAUX
Le problème, c’est que l’exemple est en réalité très mal choisi. D’abord, il faut savoir qu’un retraité modeste, ou même tout Français, se voit garantir l’accès aux soins gratuits. La protection universelle maladie (PUMA), qui remplace depuis 2016 l’ancienne CMU de base, garantit une protection de santé à toute personne qui réside ou travaille en France de manière stable et régulière. Les plus modestes ont également droit à la CMU complémentaire (CMU-C).
Les étrangers en situation irrégulière sont, quant à eux, exclus de ce dispositif. Ils peuvent en revanche prétendre à l’aide médicale d’Etat (AME), sous conditions de ressources et de résidence stable en France – seules les mineurs en bénéficient sans condition. Des deux dispositifs, c’est bien celui accordé aux Français les plus modestes, la CMU-C, qui offre la meilleure couverture. L’AME, elle, ne donne droit qu’à un panier de soins limité.
Marine Le Pen tente d’anticiper cette objection, en écrivant qu’une « partie des retraités modestes ne l’est pas assez pour toucher la CMU ». Précisons tout de même que le plafond de ressources pour bénéficier de la CMU-C est de 8 810 euros par an pour une personne seule et de 13 215 euros pour un couple, bien au-delà des aides accordées aux demandeurs d’asile. D’autant que ceux dont les ressources sont légèrement supérieures à ces seuils peuvent également bénéficier d’une aide au paiement de leur complémentaire santé.
Au-delà de la santé, le même raisonnement s’applique aux aides au logement, auxquelles les Français défavorisés sont les premiers éligibles. Quant aux transports, ils font l’objet de politiques publiques différentes selon les collectivités. Mais il faut tout de même noter que nombre d’entre elles accordent des tarifs préférentiels aux personnes âgées démunies, voire la gratuité aux plus de 65 ans, comme à Paris.
4. Une accusation sans fondement contre les associations
Ce qu’elle a dit :
« S’ajoutent à ces aides publiques considérables, les nombreuses aides non monétaires (alimentaire, vêtement, etc.) fournies par les associations, beaucoup plus mobilisées sur les migrants que sur les retraités pauvres. »
INVÉRIFIABLE
Rien ne permet d’affirmer que les associations sont « plus mobilisées sur les migrants » que sur d’autres catégories. On peut citer des cas comme Les Restos du cœur ou le Secours populaire français, qui aident d’ailleurs indifféremment étrangers et Français, au nom d’une philosophie universaliste du refus de la misère.
5. Le minimum de 868 euros par mois garanti à un retraité qui vit seul
Ce qu’elle a dit :
« Il existe des retraites extrêmement basses (souvent chez les femmes) pour celles et ceux qui ont très peu cotisé durant leur vie et le chiffre de 433 euros est loin d’être hypothétique. Il est toutefois vrai que l’ensemble de ces retraités pauvres peuvent demander l’allocation de solidarité pour les personnes âgées (ASPA), qui constitue un complément de retraite leur permettant d’atteindre un revenu minimum de 868 euros par mois. »
CONTRADICTOIRE
Ici, Marine Le Pen reconnaît donc que son premier chiffre d’une retraite à 433 euros est trompeur, puisqu’une personne seule peut prétendre à un complément de revenu pour atteindre 868 euros par mois grâce à l’ASPA. C’est le principal argument évoqué contre sa phrase initiale, puisque, rappelons-le, le minimum garanti à un demandeur d’asile dans la même situation est bien inférieur à cette somme.
6. Il faut comparer ce qui est comparable
Ce qu’elle a dit :
« Il y a une différence importante entre l’ADA, qui ne correspond à aucune activité fournie par le bénéficiaire – et n’est évidemment pas remboursable – et la “petite retraite” qui, elle, correspond à des cotisations versées. »
CONFUS
Marine Le Pen mélange ici plusieurs choses. L’allocation de demandeur d’asile (ADA) est un minimum social, comme l’est par exemple le revenu de solidarité active (RSA). Etant donné qu’il s’agit d’un minimum garanti à un public spécifique, il n’y a rien d’illogique en soi à ce qu’il n’y ait pas, comme condition préalable, d’avoir versé des cotisations. Un jeune de 25 ans qui n’a jamais travaillé a par exemple tout à fait droit au RSA.
En ce qui concerne les retraites, il faut distinguer :
-
la pension de retraite, qui est basée en France sur un système de retraite par répartition (on ne cotise pas pour soi, mais pour le système tout entier) ;
-
l’ASPA, qui est un minimum social garanti à tous les retraités français de plus de 65 ans, et n’est conditionné à aucune cotisation.
Or, ici, on ne peut comparer que ce qui est du même ordre : l’ADA et l’ASPA, qui sont respectivement les minima sociaux garantis aux demandeurs d’asile et aux retraités. Avec ses déclarations du 24 février, Marine Le Pen affirmait en fait que la première aide était plus avantageuse que la seconde. Mais son « droit de réponse » publié mardi échoue une nouvelle fois à le démontrer, faute de faits pour l’étayer.
7. L’ASPA n’est pas qu’une « avance »
Ce qu’elle dit :
« L’ASPA, elle ne constitue en fait qu’une avance récupérable sur la succession du bénéficiaire avec toutefois des planchers et des plafonds dont les montants sont accessibles au public sur les sites administratifs afférents. »
TROMPEUR
Marine Le Pen a raison sur un point : lorsqu’une personne retraitée demande l’ASPA, elle doit en accepter les conditions. Or celles-ci prévoient que les sommes versées aux allocataires peuvent être récupérées à son décès sur sa succession, lorsque le patrimoine net du défunt est supérieur à 39 000 euros en France métropolitaine. Cela permet par exemple à un retraité modeste qui est propriétaire de sa résidence principale de toucher des revenus minimums sans avoir à vendre son bien pour subsister.
Cette condition vise à limiter les abus, mais il est vrai qu’elle concerne des foyers qui ne sont pas tous parmi les plus aisés. On peut donc bien sûr la critiquer ou déplorer qu’elle dissuade certains retraités de demander l’ASPA. Sauf que l’exercice vire à l’absurde lorsque Marine Le Pen laisse entendre qu’un retraité qui dispose d’un tel patrimoine serait plus démuni encore qu’un demandeur d’asile.
Par ailleurs, présenter l’ASPA comme une simple « avance » aux retraités, c’est occulter le fait que les plus démunis d’entre eux ne sont pas propriétaires, et ne sont donc vraisemblablement pas concernés par la récupération sur la succession. En 2011, seuls 16 % des bénéficiaires du minimum vieillesse (l’ancien nom de l’ASPA) étaient propriétaires de leur résidence principale, selon le ministère des solidarités et de la santé.
8. Une conclusion qui évoque un étranger présent en France « depuis dix ans » et plus du tout un « migrant fraîchement débarqué »
Ce qu’elle dit :
« Sur la simple base d’une présence en France depuis dix ans, les étrangers qui n’ont jamais cotisé en France peuvent bénéficier de l’ASPA dans sa totalité (868 euros) sans avoir à se soucier de l’impact sur leur succession, puisque dans la réalité ils n’ont aucun bien en France. »
TROMPEUR
Ici aussi, on mélange des choux et des carottes, et en l’occurrence des revenus et du patrimoine. Au-delà des retraités français, l’ASPA est également accessible aux personnes étrangères qui détiennent depuis au moins dix ans un titre de séjour autorisant à travailler ou ont un statut de réfugié (non de demandeur d’asile). Une nouvelle fois, Marine Le Pen ne démontre pas son affirmation initiale : loin d’évoquer le cas d’un « migrant fraîchement débarqué », elle met en avant celui d’une personne qui réside de manière régulière en France depuis plus d’une décennie.
Samuel Laurent et Adrien Sénécat