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Le cinéma gauchiste de Godard

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Lien publiée le 27 février 2019

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Le cinéma gauchiste de Godard

Le célèbre cinéaste Jean-Luc Godard embrasse la révolte de Mai 1968. Il participe à un cinéma collectif et militant. L'esthétique à l'écran est mise au service des luttes sociales. 

Le cinéaste Jean-Luc Godard reste une figure incontournable de la culture française. Néanmoins, sa période communiste demeure méconnue. Après la révolte de Mai 68, Jean-Luc Godard réfléchit sur le contenu politique de ses films. Il s’attache à montrer les luttes sociales qui secouent différentes régions du monde. Le cinéaste dialogue avec Jean-Pierre Gorin et semble à l’écoute des diverses critiques. Jean-Luc Godard propose de relier le cinéma et la politique, l’art et l’émancipation. David Faroult présente cette démarche dans son livre Godard. Interventions d’un cinéma politique.

                    

Nouvelle Vague et politique

Jean-Luc Godard devient un cinéaste reconnu dans les années 1960. Il est alors lié à la revue des Cahiers du cinéma, qui propose une vacuité apolitique. A bout de souffle n’évoque pas la politique. Néanmoins, Jean-Luc Godard affirme sa liberté de création. Le film subit la censure avec une interdiction aux moins de 18 ans. Les scènes érotiques sont jugées choquantes. Surtout, ce film effleure des sujets politiques. Ce qui est déjà beaucoup dans une période conformiste. On peut apercevoir une manifestation et le président de la République apparaît à l’écran, ce qui reste tabou.

Sans être ouvertement politique, A bout de souffle transgresse le conformisme de l’époque. Ce film provoque un débat dans la revue Socialisme ou barbarie. Chatel valorise un film réaliste qui montre la vie quotidienne. Il reste attaché à la prise de conscience. Au contraire, Guy Debord dénonce le cinéma comme un spectacle qui favorise la passivité. Le réalisateur assène sa vision à des gens doivent subir son discours. « La révolution n’est pas "montrer" leur vie aux gens, mais les faire vivre », souligne Guy Debord.

Le Petit Soldat évoque un sujet très politique : la guerre d’Algérie. Le film est censuré jusqu’à la décolonisation. Il montre la torture, mais sous un aspect inversé. Ce sont des militants algériens du FLN qui torturent un nationaliste français de l’OAS. Malgré ce contexte politique, le film n’évoque aucun véritable point de vue. Même le personnage du fasciste semble vide et sans véritables convictions.

L’apolitisme des Cahiers du cinéma sombre progressivement vers l’extrême-droite. Mais la reprise en main de la revue par Jacques Rivette impulse un tournant. De nouveaux journalistes arrivent pour proposer des analyses plus percutantes : Serge Daney, Jean Narboni et Jean-Louis Comolli. Mais l’influence de la revue ne suffit pas à expliquer la politisation de Godard.

Avec la censure, le cinéaste se heurte à l’ordre politique et au puritanisme. Il est confronté à la censure pour ses propres films. Il aide également Jacques Rivette à contourner l’interdiction de La religieuse à travers une adaptation théâtrale. La confrontation avec la censure permet une politisation par la pratique. Le contexte des années 1960 influence également un cinéaste qui s’intéresse à l’actualité. Le Parti communiste reste la principale force d’opposition. Il dispose également d’une influence culturelle à travers une vie associative et des ciné-clubs. Les sujets des films de Godard ne sont pas politiques. Néanmoins, l’actualité reste évoquée à travers des événements comme l’enlèvement de Ben Barka.

Période gauchiste

En 1967, Godard aborde un premier tournant politique. La Chinoise évoque un groupe de jeunes maoïstes qui vivent dans un grand appartement bourgeois. Les débats sur le stalinisme et la Chine de Mao renvoient à l’idéologie gauchiste de la jeunesse étudiante. Godard participe au film collectif Loin du Vietnam. Il évoque son cinéma mais aussi sa « prison culturelle » qui le coupe des luttes ouvrières. Le film Week-end évoque le colonialisme et le pillage des richesses en Afrique.

L’année 1968 est particulièrement agitée. Des cinéastes prennent la défense d’Henri Langlois, le directeur de la Cinémathèque. Le festival de Cannes est emporté par le tourbillon de Mai 68. Godard décide de réaliser des ciné-tracts, qui sont des films courts d’intervention politique. L’idéologie de Godard mêle Che Guevara, la référence des trotskistes de la JCR, mais également Mao. Le cinéaste est également influencé par les idées situationnistes et par leurs pratiques artistiques comme le détournement.

Un film comme les autres montre une discussion entre des étudiants de Nanterre et des ouvriers de Renault Flins. Les visages ne sont pas montrés, contre la dimension spectaculaire du cinéma. Ce film valorise la prise de parole, mais aussi les débats entre réformistes et révolutionnaires. 

One+One évoque la musique des Rolling Stones, mais aussi les luttes afro-américaines. LeRoi Jones dénonce la récupération de la musique noire par la pop. Une voix lit un extrait d’un livre d’Eldrige Cleaver. Godard affirme sa réflexion et se tourne clairement vers le maoïsme. Pour lui, il est impossible de refaire du cinéma après l’ébranlement de Mai 68. Le film Pravda évoque la révolte en Tchécoslovaquie. Godard critique l’URSS « révisionniste » pour mieux valoriser la Chine maoïste.

Le film collectif Vent d’est est réalisé par Godard et ses amis maoïstes. Mais des militants du mouvement du 22 mars et des communistes italiens qui participeront aux Brigades rouges rejoignent également à ce projet. Néanmoins, Godard et Jean-Pierre Gorin réalisent le montage final pour donner une tonalité maoïste. Vent d’est montre une grève, avec ses assemblées et la répression. Des militants du 22 mars critiquent la notion d’autogestion, à partir de la faillite du régime de Tito. Une séquence évoque la lutte armée et présente la fabrication du cocktail Molotov.

Le groupe Dziga Vertov est composé de Godard et Jean-Pierre Gorin. Le cinéaste abandonne son statut d’auteur pour se fondre dans un collectif. Il se démarque du maoïsme orthodoxe pour se rapprocher du courant spontanéiste incarné par la Gauche Prolétarienne et par le groupe Vive la Révolution (VLR). Il semble également proche du groupe Lotta continua et de l’autonomie italienne. Ces mouvements s’attachent au projet radical d’une révolution dans la vie quotidienne.

Le film Vladimir et Rosa évoque la répression des militants, notamment après les émeutes de Chicago contre la convention du parti démocrate. Dans le film Tout va bien figurent des stars comme Yves Montand ou Jane Fonda. Cette « histoire d’amour réaliste » s’ouvre sur une grève sauvage avec séquestration du patron. Les luttes ouvrières spontanées sont valorisées par les maoïstes. Mais le film évoque surtout les effets de la grève sur les intellectuels.

 

Cinéma politique

Le livre de David Faroult permet d’éclairer la période rouge de Godard. Son étude, et les entretiens avec le cinéaste, permettent de retracer la démarche de Godard. Cette période gauchiste est souvent moquée. Dans le film Le Redoutable, le cinéaste peut apparaître comme un artiste mégalo qui se fond dans le gauchisme comme on suit une nouvelle mode. Les situationnistes ont également contribué à moquer Godard pour le réduire à l’insignifiance. Les journalistes se contentent de nier cette période gauchiste pour mieux valoriser la Nouvelle Vague et le cinéma d’auteur.

David Faroult permet de rendre hommage à la démarche artistique et politique de Godard. Il montre la sincérité de l’auteur reconnu qui remet en cause sa manière de travailler et s’ouvre à de nouvelles réflexions. Surtout, Godard accepte d’en finir avec le culte bien français du « cinéma d’auteur ». Le réalisateur reste toujours au centre de ce cinéma français poussiéreux. L’esthétique prime même sur le contenu et l’histoire du film. La manière de filmer semble plus importante que ce qui est montré par la caméra. Godard ne renonce évidemment pas à l’approche esthétique, mais il décide de lui apporter un contenu politique. Il ne se contente plus de filmer la vie routinière de la petite bourgeoisie intellectuelle. Il préfère se tourner vers les luttes sociales et l’agitation des années 1968.

Surtout, Godard renonce au statut d’auteur. Il ne veut plus faire des films pour le prestige et pour rester la coqueluche de la bourgeoisie progressiste. Il décide de se fondre dans un collectif avec le groupe Dziga Vertov. Il renonce alors à mettre son nom en avant pour accepter l’anonymat. Le nom du groupe est également un symbole. Dziga Vertov est un cinéaste soviétique, mais il reste bien moins connu qu’Esenstein. Ce nom permet de mettre en lumière les films d’un anonyme plutôt que de s’appuyer sur une figure prestigieuse.

Néanmoins, le cinéma politique de Godard comporte également quelques limites. Ces films ne s’inscrivent pas dans un cinéma populaire et accessible à tous. Malgré l’admiration pour le comique de Jerry Lewis, Godard reste enfermé dans un cinéma élitiste et sophistiqué. Ses films conservent un style intimidant. La critique situationniste reste alors pertinente. Le public reste figé dans le rôle de spectateur passif qui doit se contenter d’admirer la recherche esthétique du cinéaste. Les films restent peu accessibles à force de vouloir se démarquer des codes du cinéma hollywoodien. Mais Godard assume faire des films avant tout pour son propre plaisir. Il ne veut plus se conformer aux contraintes imposées par l’industrie du cinéma. Même si ses films touchent un public plus réduit.

Ensuite, Godard conserve une conception gauchiste du cinéma. Le groupe Dziga Vertov se considère comme une avant-garde qui doit éclairer le spectateur. Il renoue avec la tradition du cinéma de propagande prisée par l’URSS et son « réalisme socialiste ». Certes, Godard reste attaché à une dimension esthétique. Mais il conserve la posture gauchiste qui consiste à infantiliser le spectateur pour mieux lui montrer la voie à suivre. Godard se conforme à l’idéologie maoïste qui, même dans ses tendances spontanéistes, insiste sur le rôle des militants pour guider le peuple. Godard ne s’inscrit pas dans une démarche libertaire, ni dans un cinéma critique qui laisse cheminer la propre réflexion du public. Néanmoins, Godard incarne bien cette période d’agitation gauchiste qui suit Mai 68. Le bouillonnement des luttes sociales s’accompagnent d’une créativité avec une rupture des rôles et de la vie quotidienne.

Source : David Faroult, Godard. Interventions d’un cinéma politique, Les Prairies ordinaires, 2018

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Pour aller plus loin :

Vidéo : Blow up - Jean-Luc Godard en 9 minutes, diffusé sur Arte en 2017

Radio : émission Le Réveil culturel diffusée sur France Culture le 13 septembre 2017

Radio : émissions sur Jean-Luc Godard diffusées sur France Culture 

Jean-Luc Godard, « Depuis l’invention de la photographie, l’impérialisme a fait des films pour empêcher ceux qu’il opprimait d’en faire », publié sur la revue en ligne Période le 28 mai 2018 

David Faroult, Mai 68 et le bouleversement de toutes les pratiques : l’exemple du cinéma, publié sur le site le Cercle Gramsci le 9 mai 2018

David Faroult, Mettre le spectateur au travail ? La programmation d'un travail du spectateur par l'avant-garde cinématographique militante issue de Mai-68, publié sur dans la revue Travailler n°27 en 2012

David Faroult, « Cinéma : connaissances, croyances et idéologies », publié dans la revue Entrelacs 5 en 2005

Articles de David Faroult publiés sur le site de la revue Contretemps 

Articles de David Faroult publiés sur le site de la revue en ligne Débordements 

Articles de David Faroult publiés sur le site du portail Persée

Raphaël Jaudon, « Godard et Gorin, marxistes "tendance Groucho" », publié dans la revue Mise au point 9 en 2017 

Christine Aya, Mes années Dziga, publié sur le site Le Cinématographe 

Jean-Luc Douin, Le renouveau du cinéma militant, publié sur dans le journal Le Monde le 7 avril 2007