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Longue interview de Poutou dans Marianne
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Au lendemain du refus par le constructeur automobile américain Ford de l'offre de reprise proposée par Punch Powerglide, les syndicats fustigent la faiblesse du gouvernement. Philippe Poutou, délégué syndical CGT, va plus loin et appelle à réquisitionner l'usine pour "sauver les emplois".
Le couperet est tombé ce lundi 25 février : Ford refuse la dernière offre de reprise de l'usine de Blanquefort (Gironde), spécialisée dans la fabrication de boîtes de vitesses, par le franco-belge Punch Powerglide, pour préférer un plan social. Fermeture justifiée, du côté du constructeur américain, par la volonté de "redresser ses activités en Europe", qu'elle juge trop peu rentables, par une réorganisation de sa "présence industrielle" sur le vieux continent. Dans ce but, leurs investissements en Russie et en Grande-Bretagne pourraient également être revus.
Pour les 849 salariés français, c'est donc un licenciement qui se profile. Qu'importe si les syndicats s'époumonent pour défendre la rentabilité du site menacé. Une attitude "indigne", a dénoncé le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, déplorant une "porte restée fermée" lors des négociations. Dans l'objectif de "préparer l'avenir" et de dessiner des pistes pour la "réindustrialisation du site", un groupe constitué d'élus locaux, de représentants de l’État et des différents syndicats du site a été constitué. Cette démarche n'empêche pas les syndicats de ressasser les raisons de cet échec.
Loin d'avoir réussi à "faire pression" sur Ford, le gouvernement est clairement désigné comme l'un des responsables de cette déroute. Délégué syndical CGT de l'usine de Blanquefort, l'ex-candidat du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) à l'élection présidentielle, Philippe Poutou, dénonce la "faiblesse" de l'exécutif et demande des "actes forts" de l’État, d'abord pour réparer cette situation "critique" pour les salariés et toute l'activité de la région, mais aussi pour éviter une désindustrialisation massive.
Marianne : Ces derniers mois, vous faisiez part de vos doutes quant à une éventuelle issue favorable des négociations entre Ford et Punch Powerglide… Ce refus ne vous a donc pas surpris ?
Philippe Poutou : J'aurais préféré être surpris. On voit bien que l'on avance vers une situation de plus en plus critique pour les salariés. Ford va obtenir ce qu'il voulait obtenir : la fermeture de l'usine. Malgré tout, on maintient notre bataille. Celle de bousculer l'État et les collectivités territoriales pour qu'un plan industriel soit élaboré et qu'une activité soit maintenue dans l'usine. Nous refusons qu'elle disparaisse complètement, tout comme ses emplois et son savoir-faire.
A qui imputer l'échec des négociations ?
La faute est partagée entre plusieurs acteurs. Tout d'abord, il faut pointer la comédie de la multinationale Ford qui, tout en faisant mine d'étudier certains dossiers, a tout fait pour empêcher une reprise. Dès le départ, ils ont refusé de discuter. Eux, ce qu'ils ont toujours voulu, c'est liquider l'usine. Quand un plan de reprise s'est présenté, poussé par le gouvernement, Ford a tout fait pour discréditer ce projet là. Pas assez solide, pas assez de garanties concernant l'emploi… Tous les arguments ont été épuisés.
Ensuite, le candidat à la reprise, Punch Powerglide, n'est pas exempt de tout reproche. Il n'a pas tout tenté pour réussir à convaincre Ford, à faire la démonstration que son plan de production allait durer de nombreuses années. Et ces dernières semaines, Punch a perdu de nombreux clients et des doutes se sont installés sur son carnet de commandes. Allait-il suffire pour faire tourner l'usine ? Nous n'en savions rien. Un flou qu'il n'a pas tenté d'éclaircir. D'ailleurs, après le refus de Ford, Punch n'a manifesté aucun sentiment de révolte. Nous n'avons aucune nouvelle d'eux.
Enfin, l’État a une grosse part de responsabilité de par son impuissance, sa faiblesse. D'abord, parce que le projet de reprise de Punch était piloté par l’État. Et surtout, il n'a usé d'aucun moyen pour contraindre Ford à respecter les différents acteurs du dossier, à trouver des solutions de sortie de crise...
Le gouvernement peut-il encore agir pour tenter de sauver l'activité de l'usine de Blanquefort ?
Ce qui est terrible, c'est que l’État se cache derrière le fait qu'il n'a aucun moyen d'action. Pourtant, je vois tout de même quelques possibilités de faire bouger les choses par des actes forts. On pourrait par exemple bloquer l'homologation du plan de sauvegarde de l'emploi (PSE), que la multinationale attend impatiemment pour quitter les lieux. Retarder ce PSE pourrait forcer Ford à négocier voire à accepter une offre de reprise.
Au-delà de cette possibilité, l’État peut aussi reprendre l'usine en main. Mettez là-dessus les mots que vous voudrez : réquisition, nationalisation temporaire… Il doit prendre l'outil de production en main pour ensuite réfléchir à une stratégie industrielle qui doit déboucher sur une reprise d'activité pour le site.
A ce propos, Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement, a indiqué ce mardi sur Franceinfo, ne pas croire que la nationalisation "soit la réponse à ce type de situation"...
[Il coupe] Quand on regarde les sommes versées par l’État à Ford, on peut en conclure que l'usine doit appartenir à la collectivité. Ces six dernières années, on est pas loin des 50 millions d'euros accordés à Ford pour qu'ils puissent maintenir une activité. Ça comprend le CICE, les aides au chômage partiel, l'accord de maintien de l'emploi de mai 2013. Ils n'ont pas tout reçu parce que l'annonce de désengagement a freiné le dernier versement... Mais ils ont tout de même perçu plus de 40 millions d'euros.
Cette déclaration de Benjamin Griveaux, c'est surtout un aveu d'impuissance. Mais si on refuse cette solution là, que fait-on pour changer cette situation ? Si le gouvernement ne fait rien, ça devient de la complicité. Pourquoi les lois ne changent pas ? Pourquoi un texte anti-casseur d'emplois n'est pas proposé ? L’État doit se doter d'outils pour éviter une désindustrialisation massive du pays.
Ne faudrait-il pas commencer par renforcer la loi Florange de 2014 (texte qui impose aux grandes entreprises qui souhaitent fermer un site, et procéder à un licenciement collectif, de chercher un repreneur et d'en informer les salariés) ?
Très clairement, l'échec du cas Blanquefort doit amener à un durcissement de cette loi. Cette loi, elle doit devenir contraignante. Aujourd'hui, elle n'est qu'une formalité. Notre cas est malheureusement révélateur. Ford a engagé un cabinet pour faire mine de rechercher un repreneur et il a envoyé des mails dans le vent aux syndicats… Ça n'a évidemment débouché sur rien. Mais aux yeux de la loi, c'était suffisant.
Il nous faut aussi entamer une réflexion sur l'argent public versé aux entreprises. Comment cela se fait-il que l’État ne puisse récupérer son argent si les garanties d'emplois, mentionnées au moment de son versement, ne sont finalement pas respectées ?
Un groupe de travail a été mis en place par le gouvernement pour "réfléchir à l'avenir du site". Qu'en espérez-vous ?
Quand Ford a annoncé son désengagement, au mois de février 2018, nous aurions dû nous poser cette question : comment se battre lorsque l'on nous promet une défaite ? Nous aurions peut-être pu anticiper cet échec des négociations et amorcer le renouveau du site. Aujourd'hui, ce refus affiché, nous espérons simplement qu'il y ait un véritable travail qui débouche sur un projet pour sauver l'emploi des salariés et éviter de trop grandes pertes pour le territoire. On attend surtout que la Région et l'agglomération bordelaise jouent un rôle dans la relance prochaine du site. Elles ne peuvent être spectatrice comme elles l'ont été jusqu'ici. Un projet industriel doit être mis en place en mettant les entreprises du secteur en connexion pour prendre possession des 12 hectares du site de Blanquefort.
Après cette décision de Ford, comment les 800 salariés du site vont-ils aborder les prochaines semaines ?
Il y a deux cas de figures. Un gros tiers du personnel s'apprête à partir en préretraite. C'est la situation la moins dramatique même s'ils vont perdre une grosse part de la rémunération qu'ils auraient dû percevoir. Pour le reste, le gouvernement promet des possibilités d'embauche, de reclassement dans telle ou telle entreprise. En sortant d'une grosse boîte, et en prenant en compte notre exposition, il est effectivement possible que nous recevions des propositions. Mais il n'y a pour l'instant rien de concret sur la table. De plus, nous sommes la seule usine automobile de la région. Va-t-on nous recaser à des centaines ou des milliers de kilomètres ? Nous sommes totalement lucides sur notre situation : avec notre savoir-faire propre au fonctionnement de notre usine et, plus largement, à l'industrie automobile, ce que nous allons trouver ici ce sont des plus petits boulots, plus usant et moins rémunérateurs. Si ce n'est pas le chômage…