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Des associations demandent l’annulation d’un décret sur le fichage de jeunes étrangers

Lien publiée le 1 mars 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.liberation.fr/amphtml/france/2019/02/28/des-associations-demandent-l-annulation-d-un-decret-sur-le-fichage-de-jeunes-etrangers_1712192

Emmenées par l'Unicef, dix-neuf organisations contestent devant le Conseil d'Etat un décret organisant la création un fichier biométrique des personnes qui sollicitent, en tant que mineur étranger isolé, la protection de l'Aide sociale à l'enfance.

Officiellement, il s’agit d’améliorer la protection des étrangers mineurs arrivant seuls sur le territoire français. Mais dans le milieu associatif, on voit le décret sur l’évaluation de l’âge et le fichage de ces jeunes, pris fin janvier, d’un tout autre œil. «C’est un décret qui est manifestement contraire à la Convention internationale des droits de l’enfant et qui porte atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant et à son droit à la protection», estime Corentin Bailleul, chargé de plaidoyer à l’Unicef France. Et l’affaire est suffisamment sérieuse pour que l’organisation s’engage pour la toute première fois en France dans une bataille juridique avec l’Etat. Avec dix-huit autres associations, l’Unicef a en effet déposé ce jeudi un référé demandant la suspension, et à terme l’annulation, de ce décret, devant le Conseil d’Etat, et une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) contre l’article 51 de la loi dite «asile et immigration», à l’origine de cette disposition – déjà dénoncée par le Conseil consultatif des droits de l’homme et par le Défenseur des droits.

Alors que de nombreux départements, compétents en matière d’Aide sociale à l’enfance (ASE), se disent dépassés par ce qu’ils présentent comme un afflux important de jeunes étrangers sollicitant une prise en charge au titre de la protection de l’enfance, la loi «asile et immigration», adoptée définitivement au Parlement en août et promulguée le 10 septembre, a introduit la possibilité pour les départements de demander la collaboration des préfectures, par exemple pour authentifier des documents d’état civil, lors de la procédure d’évaluation de l’âge d’un jeune se déclarant mineur. Lorsqu’un mineur étranger arrive seul et sans autorisation sur le territoire français, il voit son âge évalué : s’il est reconnu mineur, il n’est pas considéré comme un étranger en situation irrégulière mais comme un enfant et, à ce titre, il bénéficie d’une protection et n’est pas expulsable avant ses 18 ans.

«Dévoiement»

«En fiabilisant et en facilitant l’évaluation de la minorité, le dispositif d’appui à l’évaluation des mineurs permettra de mieux garantir la protection de l’enfance, en diminuant la charge et l’engorgement de l’ASE, pour recentrer celle-ci sur les personnes qui y sont effectivement éligibles, en évitant son utilisation détournée par des individus majeurs incités par des filières à se déclarer mineurs, et en luttant contre la fraude à l’identité et la fraude documentaire», explique, dans un communiqué envoyé ce jeudi aux rédactions, le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner.

En contrepartie de la possibilité pour les départements de solliciter l’aide des services de l’Etat, le décret prévoit que les préfectures se voient communiquer la liste des gens dont la minorité n’a pas été reconnue, et aient donc loisir d’émettre à leur encontre des obligations de quitter le territoire (OQTF). Alors qu’elle doit être testée dans trois départements (l’Essonne, le Bas-Rhin et l’Isère), avant d’être étendue à toute la France en avril, deux départements (Paris et la Seine-Saint-Denis) ont d’ores et déjà fait savoir qu’ils refusaient cette méthode. «L’idée, avec ce recours au Conseil d’Etat, c’est d’arriver à éteindre le feu avant qu’il ne prenne. Ce décret transcende la procédure d’évaluation dans le sens où il fait intervenir la préfecture alors même que la protection de l’enfance est une mission des conseils départementaux, juge Violaine Husson, responsable de l’association de défense des étrangers la Cimade. On les considère comme des étrangers avant de les considérer comme des enfants.»

«C’est un dévoiement de la protection de l’enfance à des fins de contrôle migratoire, estime aussi Corentin Bailleul. Cela facilite l’éloignement d’un jeune déclaré majeur par le conseil départemental, alors que cette décision n’est pas définitive !» C’est bien ce qui inquiète les associations : théoriquement, la saisine du juge n’étant pas suspensive, on pourrait voir des personnes expulsées avant d’être audiencées par la justice, alors qu’elles auraient pu être reconnues mineures. Or il est illégal d’expulser un enfant seul. «En moyenne, dans les tribunaux pour enfants, le délai pour avoir une audience est d’un à deux mois, et il faut ensuite attendre quatre mois pour avoir la décision. Aujourd’hui, un jeune peut déjà être expulsé pendant cette période, mais là, la préfecture disposera de toutes les données pour organiser une mesure d’éloignement, dès que le département aura rendu sa décision. Jusqu’à présent, même s’il y avait des poursuites pénales contre certains jeunes, ils ressortaient de leur entretien d’évaluation libres…» s’inquiète Jean-François Martini, du Groupe d’information et de soutien des immigré·e·s (Gisti).

Une situation d’autant plus problématique que les taux de reconnaissance de minorité sont très variables d’un département à l’autre : «Cela fait longtemps qu’on est critique sur les procédures d’évaluation. Dans certains départements, le taux de refus c’est 90%, avec des grossières erreurs, et beaucoup de mineurs finissent par être reconnus comme tels», explique encore Jean-François Martini. Selon lui, la menace d’une expulsion complique en outre la sérénité nécessaire au montage d’un dossier de recours : «Nous, normalement, on conseille aux jeunes de prendre leur temps, notamment pour faire venir des documents d’Etat civil de leur pays.»

L’article 51 du texte voté cet été prévoyait de créer un fichier biométrique, avec photo et empreintes digitales, de ces personnes, afin de pouvoir d’une part croiser ces informations avec d’autres fichiers – comme Visabio, qui recense les demandes de visa, et Agedref, qui recense les ressortissants étrangers présents sur le territoire français – et, d’autre part, d’éviter qu’une personne dont la demande de reconnaissance de minorité a été rejetée ne se présente dans un autre département pour tenter sa chance – pratique réelle mais difficilement quantifiable et, du reste, pas illégale. «Le seul fait de croiser avec Visabio ne permet pas d’évaluer la minorité. Quand un nom sort sur Visabio, l’évaluation est faite à charge», s’alarme Violaine Husson.

«La consultation d’Agedref et Visabio va encore constituer une source d’erreurs. Des gamins qui ont tenté de récupérer un visa sous couvert d’une identité de majeur, j’en ai vu des dizaines. J’ai vu par exemple le cas d’un jeune Ivoirien qui avait utilisé le passeport de son père pour avoir un visa, avant de finir par venir en France sans. Qu’il ait eu 16 ou 19 ans, il n’en avait en tout cas pas 40, or c’est sur cette base-là qu’il a été condamné pour usage de faux, en première instance, par le tribunal de Caen qui l’a ensuite relaxé», raconte Jean-François Martini.

Données privées

Les personnes reconnues mineures doivent disparaître du fichier, mais pas les personnes évaluées majeures, dont la liste doit être communiquée par le président du département à la préfecture, même si elles saisissent le juge des enfants pour faire reconnaître leur minorité. «Tant qu’il n’y a pas de décision définitive, on ne peut pas dire que quelqu’un est majeur. Il n’y a pas de garantie suffisante que les données soient bien supprimées, et qu’elles le soient à temps, s’inquiète Corentin Bailleul. En pratique, les présidents de conseils départementaux sont rarement informés quand un jeune saisit le juge des enfants et il n’est pas obligé de transmettre l’information à l’administration». «Les données recueillies sont larges : adresse mail, numéro de portable, photo, filiation… et ces données privées vont être diffusées à un certain nombre d’acteurs», explique aussi Violaine Husson, qui met en avant le respect des données personnelles et privées. Du côté de Beauvau, on met en avant le rôle de la Commission nationale informatique et libertés (Cnil), qui a émis des recommandations sur la création de ce fichier et qui devra le contrôler.

Pour la responsable de la Cimade, la mise en œuvre de cette collaboration entre départements et préfectures pose aussi la question du consentement, puisque les personnes doivent accepter de donner leurs empreintes : «On ne sait pas si les enfants comprendront forcément, on craint aussi que des adultes fassent pression sur eux pour qu’ils autorisent la prise de leurs empreintes.»

Toutes les associations s’inquiètent aussi que la prise d’empreintes et l’atmosphère des commissariats ne dissuadent les jeunes de solliciter une protection. Crainte que Christophe Castaner juge, dans son communiqué, «sans fondement» : «Les services de l’Etat seront vigilants à ce qu’un accueil adapté, rassurant et bienveillant soit prévu». Il n’empêche, pour Violaine Husson, «que la préfecture ou le commissariat soit la porte d’entrée vers la protection de l’enfance, pour de nombreux enfants étrangers qui auraient subi des violences policières lors de leur trajet, c’est un problème. Ils risquent de ne pas se présenter et donc d’être invisibilisés, à la rue, à la merci de personnes peu recommandables».