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L’expérience de la Cantine des Pyrénées
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://www.zones-subversives.com/2019/02/l-experience-de-la-cantine-des-pyrenees.html
La Cantine des Pyrénées propose un espace de rencontre pour sortir de l'isolement et recréer de la solidarité. Des repas permettent des rencontres pour soutenir les grèves et les diverses luttes sociales.
Dans une période de pacification sociale et de crise du capitalisme, il devient difficile d’exprimer sa révolte. Celles et ceux qui veulent changer la société ont peu de prise sur le réel en l’absence d’un important mouvement social. Néanmoins, des luttes peuvent permettre d’expérimenter d’autres formes d’organisation.
A Paris, un bâtiment est occupé avec la Cantine des Pyrénées. A partir de 2010, cet espace permet une solidarité concrète autour d’un repas pas cher. Cette cantine favorise également les rencontres et les liaisons entre les luttes et les personnes révoltées. Un livre collectif retrace cette aventure politique de La Cantine des Pyrénées en lutte.
Origines du projet
« L’histoire de la Cantine des Pyrénées s’inscrit dans ces nombreuses tentatives qui s’efforcent, en renouant avec des formes de solidarité en résistance au capitalisme, de mettre en place autre chose dans les pratiques et les relations sociales », introduit le livre. La cantine s’ouvre en 2010, après la lutte contre la réforme des retraites. Les assemblées interprofessionnelles qui rassemblent étudiants, chômeurs et salariés s’essoufflent.
« Que faire de l’idée révolutionnaire quand la situation ne l’est pas ? », interroge un texte collectif. La précarité favorise l’atomisation du monde du travail. Le modèle de grève portée par les ouvriers des grandes usines ne correspond plus à la réalité. Les pratiques de lutte doivent donc s’adapter aux évolutions du salariat. Il devient alors important de créer un espace qui permet de développer des activités et des solidarités de classe, mais aussi de s’organiser face à l’atomisation et à l’isolement.L’urbanisme favorise également la séparation entre les individus. Il semble important de recréer des relations humaines à l’échelle du quartier. Le texte collectif invite également à sortir de l’entre-soi d’un petit milieu militant coupé du reste de la population. Le nouveau lieu doit donc être ouvert et accessible à tous.
Une assemblée est lancée pour concrétiser le projet de l’ouverture de ce nouvel espace. Cette assemblée regroupe des libertaires qui se sont croisés dans les luttes sociales. Certains ont participé à des squats ou à des luttes pour le logement. Des expériences servent déjà de repères. En 2009, La Clinique est ouverte à Montreuil. Ce squat développe une solidarité concrète autour de la question du logement ou des sans-papiers. Des liens sont tissés avec le voisinage. Mais le squat est rapidement expulsé, ce qui montre les limites de ce type de lieu. En 2012, le 260 s’inscrit dans une lutte de mal-logés. Mais des divergences existent entre des militants qui veulent porter une contestation et des personnes qui veulent simplement une habitation. D’autres militants n’ont participé à aucune de ces expériences.
« Nous avions des trajectoires de vie et des expériences militantes diverses, nous ne nous connaissions pas tous personnellement, mais nous nous rejoignons sur des bases politiques, notamment anticapitalistes, et sur la volonté de renouveler nos pratiques militantes », précise le texte. Ce projet vise à sortir de deux écueils, que ce soit l’impasse du caritatif ou du local réservé au petit milieu militant. Un ancien restaurant est occupé pour concrétiser ce projet. En janvier 2013, La Cantine ouvre ses portes au 331 rue des Pyrénées.
Démarche et activités sociales
La Cantine n’affiche aucun folklore gauchiste et tient à la sobriété sans marqueur idéologique. Mais une affiche précise que le lieu n’est pas un restaurant commercial et explique le faible prix du repas (pas de loyer, pas de salariés, pas de bénéfices). Une autre affiche détaille le projet de créer de la solidarité pour affronter les galères et les difficultés face aux patrons et aux institutions. Ce lieu se démarque de l’illusion de former une bulle alternative dans un monde capitaliste. Mais il affirme la nécessité de créer de la solidarité entre tous les exploités. « Par ce bref positionnement politique, nous souhaitions présenter La Cantine, moins comme une utopie concrète, que comme un moyen de lutter contre les injustices et les inégalités d’un monde capitaliste de plus en plus violent », précise le livre.
Le repas de midi rassemble autour de 60 couverts. Ce sont des personnes qui habitent ou qui travaillent dans le quartier qui viennent dans ce lieu. Différents ateliers se mettent en place, organisés par divers collectifs. La Cantine abrite des cours de français, un soutien juridique pour les sans-papiers, une distribution de légumes ou encore un cinéma de quartier. Le collectif s’ouvre à de nombreuses personnes qui n’appartiennent pas au milieu militant. Ensuite des repas permettent de soutenir de nombreuses luttes, comme la grève des postiers, des ouvriers de PSA-Aulnay ou de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. La Cantine refuse la hiérarchisation et la spécialisation des tâches pour permettre une entraide qui dépasse le paternalisme humanitaire. Le public peut aussi directement participer à l’animation du lieu.
La Cantine apparaît comme un espace ouvert qui regroupe une importante diversité sociale. Néanmoins, les décisions sont prises dans des assemblées générales qui regroupent surtout des militants. Ces assemblées sont ouvertes et s’opposent au modèle de la démocratie représentative. Mais cette forme d’organisation repose également sur des normes et des codes que seuls les militants maîtrisent bien.
La Cantine est également prise dans la spirale de l’urgence avec la menace de l’expulsion. Finalement la mairie décide de mettre fin l’occupation du bâtiment. Le projet est alors repensé. Les ateliers doivent être accessibles au plus grand nombre de personnes. Ils doivent également être réappropriés, à travers des discussions et une démarche réflexive. Ensuite, les ateliers doivent apparaître subversifs et bousculer l’ordre établi à travers l’entraide ou la critique sociale.
Solidarité de classe
Ce livre collectif présente bien les origines et la démarche de la Cantine des Pyrénées. Les photos et les témoignages permettent de reconstituer l’ambiance de ce lieu singulier. Ce livre permet également de dresser un bilan critique d’une expérience originale dans un contexte d’absence de mouvement d’ampleur.
La force de la Cantine consiste à partir d’une pratique sociale plutôt que d’une idéologie précise. Le désir de créer de la solidarité de classe entre les personnes exploitées et isolées prime sur l’affirmation d’une identité folklorique. Le repas permet de créer du lien dans une ambiance conviviale. Beaucoup de témoignages insistent sur la diversité sociale de ce lieu. Ce n’est ni une soupe populaire, ni un bar branché pour bobos.
En plus du repas, les différents ateliers favorisent l’entraide et la solidarité. La démarche de la Cantine insiste sur le refus de la logique humanitaire. Il n’y a pas une volonté de créer une séparation ou une hiérarchie entre ceux qui aident et ceux qui sont aidés. Tout le monde peut participer ou animer un atelier. C’est la démarche de solidarité et de gratuité qui prédomine. Cette approche permet d’inclure davantage de monde dans la dynamique du lieu.
La Cantine refuse de s’enferme dans une logique alternativiste. Ce lieu ne revendique pas l’autogestion du capital. L’affiche de présentation insiste bien sur cette dérive de s’enfermer dans l’illusion d’un îlot de liberté au milieu de la barbarie marchande. Plutôt que les chimères alternativistes, la Cantine valorise la solidarité concrète sans se présenter comme un modèle de société. Le livre collectif souligne bien les limites de l’auto-organisation. Les assemblées restent adaptées à des personnes déjà politisées, ou qui sont en train de se politiser dans une lutte. Mais, lorsqu’il s’agit de faire vivre un lieu, les inégalités dans la prise de parole deviennent criantes. La Cantine est bien consciente de ses limites et valorise le retour critique pour améliorer l’auto-organisation et l’autonomie de ce lieu.
La Cantine devient également un espace de rencontre pour les diverses luttes. Les repas de soutien aux grévistes apparaissent comme une manière originale de créer des liaisons entre les différentes luttes. Ce qui permet de sortir la grève de l’entreprise et de l’enfermement corporatiste. Une grève locale devient un enjeu pour tous les exploités. Une victoire sociale redonne de la combativité à tous les prolétaires. Il semble également important de relier les diverses luttes entre elles pour affirmer une perspective de dépassement de la société capitaliste.
Néanmoins, la Cantine se positionne comme un espace de soutien aux luttes. Le repas devient la seule action commune. Les personnes de la Cantine se positionnent comme simple soutiens aux grèves, mais pas comme exploités qui luttent avec les grévistes. Il ne se crée pas d’assemblée de lutte qui regroupent différents secteurs pour organiser des actions communes. Néanmoins, les repas ont peut-être favorisé des rencontres et des initiatives communes. C’est un premier pas indispensable pour créer un lien entre les luttes et les grèves.
Dans un contexte d’absence de lutte d’ampleur, la Cantine, malgré ses limites, propose des perspectives d’action en prise avec le réel. Les pratiques de repas et de solidarité concrète peuvent devenir décisives dans le cadre d’un mouvement social d’ampleur. Les espaces de rencontres et de liaisons entre les luttes restent indispensables.
Source : Collectif, La Cantine des Pyrénées en lutte, Repas, 2018
Articles liés :
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L'expérience des squats parisiens
Lutte des classes et urbanisme à Paris
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Les alternatives concrètes et leurs limites
Pour aller plus loin :
Radio : L'actualité des luttes à la Cantine, émission diffusée sur Radio FPP le 22 juin 2017
Radio : Vive les cantines politiques, émission diffusée sur France Inter le 2 décembre 2017
Radio : La Matinale – Le « Boubour », bourgeois bourrin et la Cantine des Pyrénées, émission diffusée sur Radio Camus Paris le 25 avril 2016
Page de la Cantine des Pyrénées
Articles sur la Cantine des Pyrénées publiés sur le site Paris-luttes.info
Articles sur la Cantine des Pyrénées publiés sur le site Squat.net
Anne-Leïla Ollivier, La cantine des Pyrénées, paru dans le journal CQFD n°111 en Mai 2013
Sophie Caillat, Au squat-cantine des Pyrénées, menu à 5 euros et police au dessert, publié sur le site de L'Obs le 21 mars 2013
Kab Niang, À la cantine des Pyrénées à Paris, un repas pour ne pas oublier Yacine, publié sur le site du Bondy Blog le 8 novembre 2017
Juliette, Expulsion de La Cantine des Pyrénées : fin d’un lieu de vie alternatif, publié sur le site de L'Obs le 12 août 2014
Rubrique Squat, logement publiée sur le site Infokiosques