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Algérie Révolution

Algérie

Lien publiée le 9 mars 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://aplutsoc.org/2019/03/09/algerie-revolution/

Des millions et des millions de manifestantes et de manifestants, dans toute l’Algérie, la jeunesse, les anciens, les femmes en première ligne, partout, occupant les balcons des immeubles, et un seul cri : « Bouteflika dégage » ; « le régime dégage ». De manière répétée.

Ceci s’appelle la révolution.

C’est à la fois la continuité des combats de la nation algérienne depuis la révolution qui l’a constituée comme telle, contre le colonialisme français, et le renouveau à l’aune des grands rassemblements populaires au grand jour, défiant l’ombre et la hogra des officines policières, tels que ceux des « révolutions arabes » des années 2011-2013.

 Le rythme algérien de la lutte des classes.

Constituée comme nation par la guerre d’indépendance mieux appelée la première révolution algérienne, l’Algérie, culturellement berbère, arabe et francophone, a sa temporalité propre.

Lorsque la Tunisie sa petite voisine se soulève dans l’unité contre Ben Ali début 2011, la jeunesse entre en mouvement dans l’Est algérien, mais les choses semblent en rester là, répression aidant bien entendu. C’est que l’Algérie a déjà derrière elle la dure expérience du soulèvement généralisé de la jeunesse à la fin des années 1980, et de son dévoiement par l’islamisme d’abord, par la sale guerre des généraux et de la Sécurité militaire ensuite.

L’Algérie sait que liberté et démocratie, indispensables à son existence comme nation, exigent que soit détruit le régime de la mafia militaire et rentière et que soient écartés ses « ennemis » complémentaires les islamistes.

Mais du fait de ce rythme propre par rapport au Machrek et même encore par rapport à la Tunisie, l’Algérie sonne aujourd’hui le retour de la jeunesse, des femmes et du prolétariat – souvent, ce sont les mêmes ! – au premier plan de la scène de l’histoire pour l’ensemble des pays arabophones, à l’encontre de la restauration sanguinaire et contre-révolutionnaire des Bachar el Assad et des Al Sissi.

En particulier, l’ouverture de la révolution en Algérie résonne avec son ouverture au Soudan, où des dizaines de milliers de manifestants défient le régime d’el Béchir et ses miliciens équipés par Poutine.

 « Bouteflika dégage » et ce que ça implique.

La cause de ce qui est salué comme un « réveil », mais qui était à l’évidence latent dans l’humiliation et l’impatience de tout un peuple, et qui est désormais plus qu’un réveil, car c’est la remise en marche de l’histoire, est, comme on le sait, l’incroyable prétention de la mafia militaro-rentière d’organiser des « élections présidentielles » pour assurer un cinquième mandat à un président zombie, dont on ne sait trop depuis combien d’années il n’a pas parlé lui-même en public.

Cette effarante et scandaleuse parodie est le symbole, pas seulement algérien mais mondial, des régimes corrompus et vermoulus que leurs propres contradictions internes paralysent au sens propre comme au sens figuré. En clair, ils se déchirent sur qui doit sauter pour que les autres ne sautent pas et gèlent la situation en attendant :

« D’un côté, l’entourage d’un président à bout de souffle et invisible, soutenu par le président du patronat Ali Haddad et d’autres affairistes et appuyés par les généraux Gaid Salah et Bachir Tartag dit « La chignole », respectivement chef d’état-major et chef de la police secrète. De l’autre, une nébuleuse autour d’un des trous noirs du régime, l’ex-indéboulonnable général « Toufik » Médiene, chef de la police politique – et donc avec ses collègues janviéristes des escadrons de la mort – et des businessmen écartés de la mangeoire rentière. Entre ces deux factions, la coupole militaire réunie en conclave aurait – le conditionnel est de mise – choisi de maintenir un président fantôme tandis que certains généraux balancent entre les deux, espérant rallier le vainqueur du bras de fer en cours. » (article de M. Andaloussi pour Algeria-watch, 6 mars).

Une telle paralysie devait, tôt ou tard, appeler l’intervention directe des masses, de la démocratie, de la rue.

Nous y sommes, et ce ne sont pas les menaces sanguinaires d’une répression à la syrienne, ainsi que les rumeurs récurrentes des prétendus « anti-impérialistes » d’une intervention US, rumeurs visant à justifier la répression, qui vont y changer quelque chose.

Le premier objectif du soulèvement national qu’est, initialement, cette révolution, est donc le retrait définitif du zombie Bouteflika, actuellement « président » de l’Algérie.

Mais cet objectif pose en lui-même tous les problèmes et induit sa dynamique propre. Car si Bouteflika dégage, il ne saurait bien entendu être question de tenir des « élections présidentielles » qui n’avaient d’autre fonction que d’assurer son élection truquée.

De fait, tout s’effondre. Est ouverte la nécessité de détruire, et de juger, la mafia corrompue au pouvoir, toute la mafia. Donc de défaire les institutions du renseignement, de la sécurité et de l’armée.

L’appel d’air de la démocratie soulève la question d’une assemblée constituante, réellement souveraine dont l’élection soit organisée par la population formant ses comités.

Une telle organisation requiert la reconquête des syndicats UGTA et la réquisition des entreprises d’État par leur personnel. La refondation démocratique de la nation se confronte à la rente pétrolière et à l’insertion de la mafia oligarchique dans le capitalisme mondial. Elle englobe la libre expression de toutes les différences culturelles et notamment de la composante kabyle, au cœur d’une véritable nation algérienne démocratique et laïque.

Bref, ce qui est à l’ordre du jour est la destruction non pas seulement d’un « système » et d’un « régime », mais bien d’un État, qui a été construit par le FLN pour interdire le libre développement et l’auto-détermination de la nation algérienne et assurer son insertion dans le monde capitaliste et les circuits néo-coloniaux.

Dans une déclaration du 26 février, le PST (Parti Socialiste des Travailleurs, l’une des deux organisations issues du trotskysme en Algérie, avec le PT dont il sera question plus loin), met l’accent sur la nécessité d’aller vers la grève générale pour assurer les premiers conquêtes démocratiques de fait (droit de manifester *) et éviter une confiscation par l’opposition « libérale ». Mais le plus important pour aller dans ce sens est la perspective, non pas générique, mais proche, d’une assemblée constituante, réelle, en lieu et place des « élections présidentielles » de la mafia.

  * Quand on sait qu’à la dernière manif de vendredi, la police s’est retirée et a laissé la rue aux manifestant(e)s qui les applaudissaient au passage, (on en est pas la en France où la police matraque, mutile et emprisonne…).

Enjeu mondial.

 On comprend que malgré le caractère caricatural de la marionnette Bouteflika, tous les chefs d’État du monde soient bien silencieux sur la simple question de bon sens élémentaire de son retrait une fois pour toutes !

Ouvrant la voie au processus révolutionnaire, constituant, en Algérie, la perspective de son retrait secoue la monarchie marocaine et relance l’espoir des pays du Machrek, tout en retentissant à travers tout le Sahel.

Ce serait une mauvaise nouvelle pour les tenants de l’ordre établi, qui, partout dans le monde, voudraient bien que s’arrête la vague d’aspirations démocratiques du XXI° siècle ouverte en janvier 2011 en Tunisie et qui depuis a balayé l’Égypte, la Libye, la Syrie, le Yémen, l’Ukraine, et atteint récemment … la France, et délégitimé depuis déjà deux ans le représentant d’une mafia rentière qui ne manque pas de présenter quelques ressemblances avec celle qui tire les ficelles de Bouteflika – nous voulons parler de Nicolas Maduro.

Car la perte de toute légitimité de ce dernier précède largement l’opération Guaido par laquelle Trump et Bolsonaro, avec le soutien de Macron, voudraient régler la crise ouverte au Venezuela, et la permet. Là comme en Algérie, tout soutien au régime corrompu en place, fut-ce au nom de l’ « anti-impérialisme », ne peut que faire le jeu de l’impérialisme.

On ne peut aller de l’avant si l’on craint la démocratie, les élections libres, la liberté politique la plus totale !

 Balayer les paravents de l’Etat-voleur : le cas du PT.

Le mouvement de la révolution démocratique, et par là prolétarienne, qui s’ouvre en Algérie, vise à balayer toutes les institutions du régime.

C’est ainsi que Louisa Hanoune a été expulsée des manifestations d’Alger, par la foule, le vendredi 1° mars.

Louisa Hanoune a certes été une militante féministe réprimée par le régime dans les années 1980. Mais l’organisation qui avait été construite avec l’aide du courant dit ‘lambertiste » en France, dont l’héritage politique initial aurait dû la porter à combattre pour la destruction de l’Etat-FLN et de la Sécurité Militaire, est devenue un soutien du régime, à travers son rôle actif dans le « processus de Sant’Egidio », en 1995, visant à réconcilier militaires et FIS (et donc à taire le noyautage des GIA par l’armée), puis sa participation aux élections législatives de 2002 faisant suite à la répression du soulèvement kabyle, seule formation notable de l’opposition à ne pas boycotter, se voyant alors littéralement, au vu et au su de toutes et de tous, octroyer un groupe parlementaire par la Sécurité Militaire, groupe appelant à « préserver l’État » contre l’hydre du « régionalisme » (c’est-à-dire du berbérisme, kabyle ou targui notamment). En 2004 Bouteflika, qui donne de la « chère sœur » à L. Hanoune, l’adoube comme, littéralement, une institution du régime, autorisée à tenir un discours « oppositionnel » qui se tient sous le sceau de la « préservation de l’État« .

La « préservation de l’État » c’est la contre-révolution. Cet État n’est pas né de la révolution algérienne, il a été construit par en haut, à compter du 1° novembre 1954, contre elle et pour se substituer à la nation algérienne (se rallier ouvertement à cet État a été d’ailleurs le fait de beaucoup de députés du PT au FLN sur la durée, et la source de plusieurs scissions et « affaires » internes produisant des déballages sur des liaisons policières et affairistes). C’est la fiction « anti-impérialiste » de la « défense des États » (et non des peuples, et non des nations) contre « l’impérialisme », État syrien, État égyptien …, qui fournit le ciment idéologique de ce soutien. « Le pays est menacé d’une explosion révolutionnaire », avertissait à juste titre L. Hanoune … en appelant à tout faire, par le renforcement du « front intérieur », c’est-à-dire de l’État, pour l’éviter ! Le 26 février encore la candidate aux présidentielles L. Hanoune expliquait que les manifestations ne visaient pas … Bouteflika ! Le bouchon a sauté et les masses l’ont expulsée : elle a alors annoncé qu’elle « boycottait » la présidentielle. Trop tard …

Ceci n’est pas anecdotique : cette organisation avait des racines dans le mouvement ouvrier international et dans l’histoire du nationalisme algérien, et son « gel » a aidé le régime. La vengeance de l’histoire finit toujours par arriver. Et ceci impacte, même s’ils n’en disent rien, les deux courants de la « IV° Internationale » reproclamée par P. Lambert en 1993, à savoir en France les animateurs du POI, associés à L. Hanoune, et ceux du POID, qui ne lui sont plus liés mais qui ont respecté la loi du silence sur ce qu’ils savent des compromissions du PT, car celles-ci mettent en cause le mythe de Pierre Lambert …

 Lutte des classes en Algérie, lutte des classes en France.

Les précédents paragraphes ont pu sembler s’appesantir sur ce qui peut paraître un détail dans le cours des évènements actuels. Mais, outre ce qu’il indique en profondeur sur l’impossibilité de défendre à la fois la vraie démocratie et l’appareil d’État, ce « détail » a aussi l’intérêt de nous rappeler que, même sur un sujet « pointu » comme celui-ci, lutte de classes en Algérie et lutte de classes en France sont fortement interconnectées.

Les manifestations de masse de l’Algérie se déroulent aussi en France, à Paris ou à Lyon.

La solidarité est donc essentielle. Mais on ne peut s’en tenir à une solidarité consistant à dire « nous sommes solidaires ». La solidarité nécessaire et efficace est celle qui s’assigne le soutien aux objectifs politiques de la lutte. Et l’objectif simple, immédiat, c’est « Bouteflika démission, Bouteflika dehors, Bouteflika dégage ». Et sa simple formulation devrait faire surgir une évidence : c’est ce que l’on entend en France dans la rue, dans les grèves, sur les ronds-points, à propos de Macron, depuis des mois !

Du coup, cette évidence appelle une observation : au niveau des forces politiques organisées, le même refus de formuler explicitement ce que dit le prolétariat, « Macron démission », se retrouve envers … Bouteflika. Oh certes, il est bien difficile de défendre ouvertement la candidature d’un zombie. Mais on ne s’y prend pas ainsi, on fait des litotes, des périphrases, on tourne autour du pot en s’interrogeant sur la façon dont les présidentielles pourraient déboucher sur un mandat raccourci, une « conférence nationale », etc., bref on entre dans les manœuvres de survie du régime algérien.

La lutte des classes en France et la lutte des classes en Algérie l’ont pourtant dessiné ces derniers mois : la revendication prolétarienne et démocratique, c’est « Macron démission » et c’est « Bouteflika dégage ». La liaison des deux, l’explosive liaison des deux, répondant à la liaison de l’ancienne colonie et de l’impérialisme français, porte en elle l’avenir.

09-03-2019.