[RSS] Twitter Youtube Page Facebook de la TC Articles traduits en castillan Articles traduits en anglais Articles traduits en allemand Articles traduits en portugais

Newsletter

Ailleurs sur le Web [RSS]

Lire plus...

Twitter

Campagne Bernie 2020 – Le débat au sein des DSA

USA

Lien publiée le 11 mars 2019

Tweeter Facebook

Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://aplutsoc.org/2019/03/10/campagne-bernie-2020-le-debat-au-sein-des-dsa/

Présentation par la rédaction d’APLS

Les deux textes que nous reproduisons ci-dessous en PDF (voir en fin de texte), répondent de manières opposées à la question : les Democratic Socialists of America (DSA) doivent-ils soutenir la candidature Sanders – c’est-à-dire, plus précisément, la candidature Sanders à son investiture par le Parti démocrate des États-Unis ?

Rappelons que les DSA sont issus du vieux Parti socialiste américain, et que, après bien des années dans une certaine marginalité, ils sont « sortis du bois » en soutenant la précédente candidature du « seul sénateur socialiste américain », Bernie Sanders, sénateur du Vermont, à l’investiture démocrate en 2016, et en fournissant les premières équipes militantes de cette bataille. Le succès imprévu de sa candidature, puis la volonté de combat contre la présidence ultra-réactionnaire de Donald Trump, ont en l’espace de deux ans et demi fait passer le nombre de membres des DSA de 5000 à 50 000, faisant de cette organisation la principale (mais pas la seule) des forces politiques nouvelles, à gauche, dans l’échiquier étatsunien.

Les adhésions nouvelles sont venues de syndicalistes, et, beaucoup plus massivement, de jeunes et très jeunes, dont une proportion majoritaire de femmes, et beaucoup de noirs et de latinos. Cela a produit une poussée à gauche qui s’est traduite par la décision des DSA, dont l’emblème ressemble au « poing et la rose » des PS français et portugais des années 1970, à quitter l’Internationale dite socialiste et à condamner les politiques des PS au pouvoir en Europe. Les deux sénatrices « phares » de la nouvelle gauche du Parti démocrate, Alexandra Ocasio-Cortez et Rachida Taib, sont issues des DSA mais, justement, leurs liens avec eux se sont distendus depuis leurs élections lors du renouvellement du Congrès US l’automne dernier.

Lors de ce scrutin ainsi que dans de nombreux scrutins locaux, les DSA ont soutenu dans certains endroits des candidats, et surtout des candidates, à l’investiture démocrate, et dans d’autres localités ont présenté leurs candidats directement, de manière indépendante. Les militants des DSA sont en première ligne dans les grèves de masse des institutrices et instituteurs qui balayent les States depuis un an et demi, remportent des victoires partielles (salaires, défense de l’école publique, embauche d’infirmières), et mobilisent largement la population des quartiers les plus pauvres, de Charleston à Los Angeles. DSA était aussi présente, comme telle, dans les affrontements physiques avec l’extrême-droite trumpiste à Charlotteville à l’été 2017, aux côtés de Black Lives Matter, des IWW et de Socialist Alternative.

L’annonce officielle de sa candidature à la présidence des États-Unis, via l’investiture par les primaires démocrates, faite par Bernie Sanders le 19 février dernier, suivie d’un meeting massif à Brooklyn, a suscité l’entrée des DSA dans un grand débat véritable et démocratique, motivé par un grand espoir. Les 50 000 adhérents sont invités à trancher si oui ou non, au terme de ce débat, les DSA doivent soutenir cette fois-ci cette candidature, qui n’est pas l’émanation indirecte de leur propre parti, alors bien plus petit, comme en 2016, mais qui apparaît d’emblée comme un phénomène de masse susceptible de gagner, au niveau du Parti démocrate et au niveau du pays. Avant de se prononcer plus avant, il nous faut saluer le caractère fraternel et démocratique qui semble être celui de ce débat tel que l’on peut en juger d’après les sites et pages Facebook des DSA, et espérer qu’il se poursuive jusqu’au bout sans pressions affirmant que l’on n’aurait pas le choix.

Ces deux textes sont ceux du lancement initial de ce débat, à la fois interne et public. En « pour », Ella Mahony, en « contre », Dan La Botz. Ella Mahony est une jeune militante new-yorkaise ayant rejoint les DSA en 2016 et travaillant avec la revue Jacobin. Dan La Botz n’est pas un inconnu pour les lecteurs fidèles de notre site. Militant lui aussi new-yorkais, il œuvre depuis des années, avec une efficacité certaine, à la formation et à l’information des militants syndicalistes américains, il est l’un des animateurs de la revue New Politics.

En lisant la contribution d’Ella Mahony, nous ne pouvons nous empêcher d’être frappés par le contraste entre le tableau sombre qu’elle trace de la situation, mondiale et nord-américaine, et l’immense espoir mis dans la possible élection de Bernie Sanders à la Maison Blanche. De sorte que l’on a un peu une impression de « quitte ou double ». Nul doute que ceci ne traduise sincèrement les sentiments de très larges couches de la jeunesse nord-américaine. Cependant, à voir répéter que la tendance dominante est à droite, voire à l’extrême-droite, on se demande d’où est venu ce miracle soudain que fut la candidature Sanders de 2016, suivie, dans l’échelle de valeur des événements dessinée ici, des grandes grèves des écoles publiques parcourant le pays d’Est en Ouest. Cela semble avoir été, pour Ella Mahony, une sorte de sursaut salutaire qui, maintenant, peut gagner. Mais s’il ne gagne pas ? (s’il gagne et déçoit ? – une éventualité qu’elle ne veut manifestement pas aborder). Alors un second mandat de Trump serait une défaite profonde et durable, écrit-elle.

La contribution de Dan La Botz semble donc, aux militants révolutionnaires que nous sommes, beaucoup plus réaliste, même si elle aussi aboutit à assez peu de perspectives, et même moins, puisque la victoire de Sanders est, chez lui, beaucoup moins nettement envisagée – il aborde plutôt le fait qu’il pourrait se voir à nouveau barré au plan des primaires démocrates, un aspect que ne traite absolument pas Ella Mahony. En conclusion, Dan préconise de continuer une large construction des DSA à la base, dans les luttes de classes, les luttes féministes et les luttes pour les droits (il dépeint comment les luttes de classes avec le New Deal, les luttes pour les droits civiques dans les années soixante, les luttes féministes des années 70, ont été successivement absorbées et gelées, justement, par le Parti démocrate, instrument clef de la domination de classe du capital). Mais du coup, la question du pouvoir aux États-Unis demeure un horizon lointain, dans le meilleur des cas « pour la prochaine fois ». Une jeune révoltée peut-elle s’en contenter ? Poser la question souffle la réponse … (et d’ailleurs Dan la connaît puisqu’il admet par avance que l’on puisse faire campagne pour Sanders le démocrate progressiste, mais veut avant tout préserver l’indépendance politique des DSA).

Il nous semble qu’il faut pousser le débat plus à fond en intégrant la situation d’ores et déjà inédite que connaissent les États-Unis au plan politique et institutionnel.

Sanders d’une part, Trump d’autre part, ont été le résultat de l’usure profonde du système politique et constitutionnel pendant les années de crise financière, et du fait du coût élevé, contre-productif pour l’impérialisme nord-américain, de la domination mondiale réaffirmée suite aux crimes de masse du 11 septembre 2001 sous Bush. L’élection de Trump n’était pas prévue, à commencer pour Trump et sa bande eux-mêmes.

Le démarrage en fanfare de la campagne Sanders, qui, bien qu’il s’agisse en fait en l’état actuel d’une candidature à l’investiture démocrate, est menée « comme si » c’était une campagne gagnante directe pour la présidence, prend en compte une donnée de la situation politique curieusement absente tant de la contribution de Ella Mahony que de celle de Dan La Botz. Mais au fond, ce n’est pas si curieux. Nos camarades n’ont pas l’habitude de raisonner en fonction de batailles proches ayant pour enjeu le pouvoir. On peut les comprendre. On est aux États-Unis …

Il n’empêche que c’est bien la crise du sommet de l’État qui motive probablement le choix et le démarrage en fanfare de Sanders, car le spectre de la démission ou du blocage institutionnel total hante Washington.

Robert Mueller serait prêt à déposer ses conclusions. Et ses conclusions nous les connaissons, même s’il ne dépose pas tout, s’il attend, s’il fait pression, s’il ruse : Trump est lié aux services russes (pour des raisons nullement politiques et entièrement affairistes et mafieuses) depuis belle lurette. Il y a là de quoi le renverser, mais ils n’osent pas par peur pour l’État. Or une démission à l’amiable est peu probable, comme l’ont signifié les propos de Michael Cohen, ex-avocat de Trump devant la commission du Congrès : « Le fait est qu’informé par mon expérience d’avoir travaillé pour M. Trump, je crains que s’il perdait les élections en 2020, il ne pourrait y avoir de transition pacifique du pouvoir, et c’est pourquoi j’ai accepté de comparaître devant vous aujourd’hui. ». En fait ces propos ne concernent pas que l’hypothèse 2020, ils valent pour maintenant. Ils signifient que Trump joue au poker menteur avec son État et peut gagner et ainsi tenir et même imposer sa candidature. Le Washington Post du 3 mars a titré sur un important article, ceci : En Amérique, on parle d’une chose dont on n’avait pas parlé depuis 150 ans : la guerre civile. Soit dans très peu de temps si la pression pour faire démissionner Trump arrive sous son nez et qu’il joue le maître chanteur, soit en 2020 s’il est candidat de ce qui reste du Grand Old Party et qu’il perd et ne reconnaît pas sa défaite, comme l’annonce explicitement son ancien très proche avocat.

Dans cette situation de crise à la fois latente et extrême, la candidature Sanders peut, en effet, gagner, et c’est la raison pour laquelle Sanders et ses équipes l’ont cette fois-ci conçue non comme une opération de progressistes socialisants investissant les primaires démocrates, mais comme un positionnement en tant que seule force apte à sauver le capitalisme nord-américain par un toilettage radical et un programme de réforme conséquent, mais demeurant, en principe, dans le cadre du système. Ce n’est donc pas une candidature de même nature qu’en 2016 : elle n’est pas l’expression de l’explosion du système à travers l’explosion du cœur politique de ce système qu’ont été les précédentes primaires, elle est l’expression du fait que cette explosion a eu lieu, et sur cette base elle consiste en un deal, un new deal, proposé au capital, pour se redonner un bail.

Ce qui ne met d’ailleurs pas en cause la sincérité réformiste de Bernie Sanders (précisons au passage que, vu son âge, les conditions sont réunies pour qu’Alexandra Ocasio-Cortez, qui semble avoir été un élément moteur de ces derniers développements, le supplée victorieusement si besoin).

On le voit, cette analyse froide penche plutôt pour la conception de Dan La Botz, mais elle en diffère parce qu’elle ne reprend pas simplement ce que l’on sait déjà – que le Parti démocrate est une institution du capital – mais prend en compte la crise de l’État, de l’exécutif, de la constitution, et du système de domination impérialiste. Mais, surtout cette analyse conduit à des perspectives d’action, et pas seulement au seul patient travail d’organisation à la base pendant que les jeunes vont faire leur tour chez Sanders le démocrate (en espérant qu’ils en reviennent).

Ce qu’il y a plus préoccupant à la lecture des deux contributions de nos camarades américains, est que l’une comme l’autre retardent énormément par rapport au Washington Post, par rapport à Michael Cohen, par rapport au rapporteur de la commission du Congrès Cummings, et même par rapport aux fourriers de guerre civile de la droite suprématiste blanche : les cercles du capital parlent de guerre civile après une implosion du système constitutionnel qui s’est produite, ou qui a largement commencé, lors des présidentielles de 2016, et pendant ce temps nos camarades soit parlent d’une victoire réformiste qui ferait à nouveau rêver soit de continuer, somme toute, comme avant. Un petit tour dans le rêve ou la continuation de la vieille patience militante ? Mais ce n’est pas cela le sujet. Le sujet c’est que la première puissance capitaliste mondiale est à bout de souffle et que sa classe dominante ne sait plus comment gérer ses propres contradictions.

En France, nous venons de vivre une expérience importante qui a de la valeur pour nos camarades américains. Depuis juin dernier le pouvoir exécutif français est en proie à des scandales et des phénomènes mafieux qui présentent des ressemblances avec ce que connaissent les États-Unis, y compris par les connexions « russes » de la bande à Benalla, que Macron voulait faire chef de sa garde prétorienne, peut-être chef de la police et des armées si tout n’avait pas explosé. Mais pendant des mois et des mois cette crise au sommet se déroulait en vase clos, largement médiatisée, et nous étions parmi les très rares à dire que « Macron dehors » allait forcément, depuis cette crise au sommet, devenir le thème d’un mouvement de masse à contenu social. C’est arrivé, nous sommes maintenant dans la phase suivante, la lutte continue. Alors, toutes choses égales par ailleurs, est-ce que « Dehors Trump » n’est pas un mot d’ordre répondant à un besoin social et démocratique de masse aux États-Unis, suggéré pour les plus larges masses par le spectacle de la crise au sommet ?

« Dehors Trump », c’est pour tout de suite. Et cela ne veut pas dire « Mike Pence président à sa place ». De fait, comme cela est sous-entendu dans ce qui se dit autour de la déposition de Michael Cohen, comme cela était apparu déjà largement avec les tentatives de coups d’État de Trump sur les troupes en Syrie, sur le «Mur » contre les latino(et indiens)-américains, sur le Shutdown, la crise constitutionnelle est là, ici et maintenant. Il manque la réponse sociale et démocratique, celle d’en bas. En mettant « Dehors Trump » au premier plan, on peut discuter des élections anticipées qui seraient nécessaires, pourquoi pas même d’un congrès constituant, et dans ce cadre, pourquoi pas aussi, intégrer le fait que l’aspiration à avoir un président Sanders sous contrôle démocratique des masses, donc indépendant du Parti démocrate, est une aspiration légitime. Ce faisant, sans s’opposer frontalement à sa candidature, sans non plus s’y opposer de manière résignée comme paraît l’accepter Dan (« laissez-les faire »), on s’oppose en fait au deal qu’il propose au capital.

C’est pourquoi, en dehors de l’alternative de soutenir tout de suite la campagne de Sanders pour les primaires démocrates ou pas, une autre alternative politique semble possible, que nous situons pour notre part sur la base d’une orientation prolétarienne posant la question du pouvoir et appelant à chasser Trump, à savoir une approche positive de sa candidature, mais en posant la question : « Bernie si tu veux vraiment gagner, Bernie si tu veux vraiment que ça monte d’en bas comme tu le dis si bien, et pas que ça descende d’en haut, alors Bernie, soit candidat directement, ne fait pas dépendre ta candidature, et le reste avec, du Parti démocrate, parce que le Parti démocrate, c’est le Big Business ! »

(sous réserve de plus amples informations, cette suggestion semble d’ailleurs assez proche de la position adoptée par Socialist Alternative à l’annonce de la candidature Sanders :https://www.socialistalternative.org/2019/02/20/lets-use-bernies-2020-campaign-to-launch-a-mass-working-class-fightback/)

Le 10-03-2019.

Accéder à notre traduction des textes d’Ella Mahony et de Dan La Botz, format PDF