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Privatisation d’ADP : à qui profitera le crime ?

Lien publiée le 11 mars 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.liberation.fr/debats/2019/03/04/privatisation-d-adp-a-qui-profitera-le-crime_1712979

Par Bruno Amable

La privatisation d’Aéroports de Paris n’est ni une bonne affaire financière ni une démarche stratégique inspirée. Alors pourquoi ?

La privatisation d’Aéroports de Paris (ADP) rencontre plus d’opposition que le gouvernement ne l’avait probablement prévu : le rejet par le Sénat et même le lancement d’une pétition (1). Elle s’inscrit, avec la loi Pacte, dans un mouvement qui devrait voir l’Etat se séparer de sa participation dans la Française des jeux et Engie (ex-GDF). Sa justification serait de pouvoir consacrer une partie des recettes à la création d’un fonds pour «l’innovation de rupture» et les investissements dans les «nouvelles technologies dont nous aurons besoin demain» dixit le ministre Le Maire. Les 10 milliards d’euros récoltés rapporteraient de l’ordre de 250 millions par an. Cette justification financière fait face à au moins deux objections. La première est qu’il est curieux que l’Etat ait besoin de vendre des actifs pour se procurer des fonds. Dans les conditions actuelles, il n’aurait aucune difficulté à emprunter 250 millions à un coût très faible. Ça crée de la dette, s’écrierait François Fillon. Oui, mais très peu (0,01 % du PIB), et les conditions d’emprunt sont excellentes. De plus, si «l’innovation de rupture» est une si bonne affaire que cela, il n’y a rien à craindre d’une hypothétique remontée des taux d’intérêt. Si ce n’est pas le cas, autant ne rien faire.

La deuxième objection est qu’ADP rapporte déjà une bonne partie de la somme recherchée en dividendes à l’Etat (170 millions en 2017, un peu plus encore en 2018). Privatiser implique de renoncer à ce flux de revenu. Pourquoi donc l’Etat insiste-t-il pour se séparer d’une telle vache à lait (même question pour la Française des jeux) ?

D’autant plus que la privatisation va contraindre l’Etat à indemniser les actionnaires privés d’ADP. La loi Pacte prévoit une concession de soixante-dix ans. Les actuels actionnaires privés minoritaires d’ADP vont donc perdre une partie de leurs droits actuels (sans limite dans le temps), ce qui ouvre donc droit à une indemnisation estimée à un milliard d’euros.

Pour justifier l’opération de désengagement de l’Etat, Le Maire a utilisé tous les mauvais arguments possibles. L’Etat serait mauvais gestionnaire, il n’aurait «pas vocation» à vendre des articles en duty free, etc. Mais si l’Etat gère mal, c’est la faute de ceux qui sont en charge de ses affaires ; peut-être faut-il changer de ministre de l’Economie pour prendre quelqu’un de compétent.

Par ailleurs, ADP ne vend pas directement des articles de luxe mais loue des emplacements aux boutiques. La plupart des aéroports dans le monde fonctionnent selon ce modèle et ceux qui figurent en tête des classements internationaux ressemblent encore plus à des centres commerciaux qu’Orly ou CDG.

Toujours selon le ministre, ce serait par la régulation que l’Etat devrait intervenir dans le secteur, en laissant la gestion au privé. Une question clé est celle des redevances que les aéroports font payer aux compagnies aériennes. Pour que la privatisation «rapporte», il faut que les acheteurs paient un prix élevé justifié par des anticipations de pouvoir imposer des redevances à la hauteur. Mais ceci ne peut se faire qu’au détriment des usagers et des compagnies aériennes, notamment Air France-KLM dont l’un des actionnaires n’est autre que l’Etat.

A l’heure actuelle, c’est l’Autorité de supervision indépendante (ASI) qui contrôle les redevances. Elle a récemment refusé les propositions de tarifs de plusieurs aéroports, dont Paris. ADP a dû revoir ses prétentions à la baisse. Le projet du gouvernement prévoit, après privatisation, un contrat de régulation économique pluriannuel qui fixera les évolutions tarifaires et qui privera l’autorité de régulation, l’ASI, de la supervision des redevances.

L’argument selon lequel un «Etat stratège n’a pas vocation à diriger une entreprise concurrentielle» n’est pas plus convaincant. Outre le fait que parler de «vocation» n’est que du boniment, la concurrence dont il est question est au mieux très imparfaite. ADP a un monopole sur l’Ile-de-France. Ce n’est qu’un monopole régional affirme alors le Conseil d’Etat ; sauf que c’est par les aéroports parisiens que transitent 80 % des visiteurs étrangers en France.

Bref, la privatisation d’ADP n’est ni une bonne affaire financière ni un mouvement stratégique inspiré. Alors pourquoi ? Plutôt que d’y voir une obstination «idéologique», il vaut mieux se poser la question essentielle dans ce genre d’affaires : «A qui le crime va-t-il profiter ?».

Cette chronique est assurée en alternance par Anne-Laure Delatte, Ioana Marinescu, Bruno Amable et Pierre-Yves Geoffard. 

(1) Lancée par Coralie Delaume et David Cayla.

https://www.change.org/p/monsieur-le-ministre-l-%C3%A9conomie-et-des-finances-non-%C3%A0-la-privatisation-d-a%C3%A9roports-de-paris