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Algérie : intoxication rentière et lutte des classes

Algérie

Lien publiée le 13 mars 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://dndf.org/?p=17703

Quelques pages du chapitre sur la recomposition des classes dominantes dans la zone Mena (middle east north africa) relatives à l’Algérie, extraites du livre inachevé de Théo Cosme sur les soulèvements arabes (Du Kochari et du jasmin). L’analyse a été faite en 2013, mais cela ne manque peut-être pas d’actualité sur l’intoxication rentière et la relation entre la lutte de classe et les fractures à l’intérieur de la classe dominante.

Algérie : intoxication rentière et lutte des classes

Economies de rentes (principalement celle des hydrocarbures autour de laquelle s’est organisée l’économie régionale même pour les pays non producteurs), les pays du Maghreb et du Machrek  ont globalement raté la phase de développement économique des années 1970-1980 qui a vu « l’émergence » de l’Asie et dans une moindre mesure de l’Amérique latine.

Avec ses immenses excédents financiers l’histoire économique récente de l’Algérie est un exemple paradigmatique de ce ratage. En 1992, après le coup d’état militaire de 1991 et à la suite du contre-choc pétrolier, l’Algérie est en cessation de paiement et doit recourir aux institutions financières internationales. Le programme d’ajustement structurel impose certaines mesures de libéralisation de l’économie : compression des dépenses publiques, suppressions des monopoles publics gouffres à subventions, privatisations. La flambée du cours des hydrocarbures durant les années 1990 ainsi qu’une politique de mise en valeur maximale des ressources suite à une ouverture du secteur aux IDE autorise l’Algérie à rembourser de façon anticipée une grande partie de sa dette en 2006. Ce remboursement anticipé non seulement soulage le budget mais surtout contrecarre un excès de liquidités provoqué par l’accumulation de réserves de change porteur de risques d’inflation. Après dix années d’austérité consacrées au remboursement de la dette (et de guerre civile), les besoins et les revendications (souvent violentes) explosent : emploi, logement, salaire, crédits, consommation, éducation, santé, etc. A partir du début des années 2000, les programmes d’investissements publics reprennent et s’accélèrent entre 2005 et 2009. Il s’agit de développer des infrastructures modernes afin de créer les conditions d’une relance de la croissance par le secteur privé et les IDE. L’Etat ne cherche plus à s’engager directement dans un projet industrialisant.

C’est maintenant que nous touchons à notre sujet : ces investissements créent des tensions sur certains biens locaux mais surtout sur les biens importés (intrants pour le BTP et ingénierie, transport). Les investissements dans les infrastructures et la demande induite de biens et services, ainsi que la hausse des revenus des catégories sociales inscrites dans ce mouvement, ne peut être satisfaits par l’offre domestique. Dans un contexte persistant de hausse des cours du pétrole, la croissance du revenu provoque une augmentation de la demande pour le secteur non exportateur (BTP et services), cette augmentation, par un effet prix, se fait au détriment du secteur exportateur devenu peu compétitif[1]. La monnaie émise par la banque centrale a sa contrepartie dans les ressources en devises et non dans des crédits correspondants à une production locale de richesse – il n’y a aucun point commun entre l’excédent allemand et l’excédent algérien[2]. La nécessité, toujours renouvelée, de donner la priorité à la résorption de l’excès de liquidités amène à brider par le crédit l’expansion monétaire. On assiste malgré tout à un gonflement des créances douteuses liées à la concentration des risques de crédit sur certains groupes privés ainsi qu’aux créances non performantes détenues par les entreprises publiques[3]. Privatisations, IDE, libéralisation des échanges ne font que renforcer les réseaux d’importation qui annule les investissements productifs locaux. L’économie (hors hydrocarbures, BTP et importations) est dévorée par cela même qui était censé la relancer.

« On comptait sur les entreprises privées (nationales et étrangères) considérées comme plus “efficientes” pour relancer la production – notamment industrielle – afin à la fois de satisfaire la demande interne, créer des emplois et amorcer la diversification de la production et des exportations. Ceci dans le but de desserrer la contrainte que fait peser la mono exportation sur l’économie et préparer l’après-pétrole. En fait, il s’agissait de laisser le secteur privé prendre tous les risques, dans un contexte de transition où ceux-ci sont particulièrement élevés. Cependant, hormis quelques grands groupes ayant hérité du démantèlement des monopoles d’Etat, les entreprises privées sont surtout des PME, dont une grande partie de l’activité est informelle. Elles ont peu accès au crédit et se réfugient dans les créneaux présentant le moins de risques (importation, commerce), délaissant l’industrie. Dans un contexte d’expansion des dépenses d’investissement de l’Etat, elles sont dépendantes des marchés publics. Plutôt qu’à une diversification, on assiste alors à la “primarisation” et la tertiarisation de l’économie. La croissance hors hydrocarbure, qui se poursuit à un rythme moyen de 5,5 % en 2001-2006, concerne surtout le secteur primaire (matières premières) et les services, et non l’industrie qui continue de décliner. (…) Pris dans un engrenage comparable à celui qui l’avait conduit à l’impasse de la fin des années 1980, l’Etat reprend une à une les rênes de l’économie. Les acquis de l’ouverture de 1988-1991 sont grignotés, il y a de moins en moins de place pour l’initiative privée et une part croissante de l’activité se réfugie dans l’informel » (Fatiha Talahite, Ahmed Hammadache, L’économie algérienne d’une crise à l’autre, in Maghreb- Machrek « Le monde arabe dans la crise », n° 206, pp.105-106).

En 2009, pour tenter de contrebalancer le ralentissement des exportations d’hydrocarbures (conjuguée à la baisse du dollar dans lequel ces exportations sont facturées), l’Etat algérien prend des mesures pour limiter les importations. Vu les nécessités des programmes d’infrastructures engagés, la limitation porte sur les biens de consommation qui ont connu une flambée des prix en 2008. Il s’agit « d’assainir » les pratiques du commerce extérieur en améliorant la « traçabilité » des transactions (obligation de domiciliation bancaire, crédit documentaire obligatoire)… En 2010, cette limitation conjuguée aux tendances inflationnistes inhérentes à l’économie provoque une nouvelle flambée des prix des produits alimentaires. En janvier 2011, des émeutes éclatent dans toutes les villes algériennes, les mesures précédentes sont réduites ou abolies et les produits sensibles sont exonérés de droits de douane. Dans une économie rentière, la forte dépendance vis-à-vis des ressources extérieures implique la faible diversification de l’appareil productif industriel ; l’élargissement du marché intérieur et encore plus sa « reconquête » sont quasiment hors d’atteinte.

Comme en Tunisie, c’est un modèle de développement totalement extraverti qui, en Algérie a fait faillite. L’économie s’est spécialisée dans la mono-production et la mono-exportation des hydrocarbures sans que cela assure les bases d’un développement agricole ou industriel car une telle chose est impossible sur cette base. Bien au contraire, ce qui s’est développé c’est le cercle vicieux de la dépendance : en 2010, le pays importe jusqu’à 70 % de son alimentation et la part de l’industrie nationale dans le PIB est descendue à 5 %. Dans la bourgeoisie bureaucratique au pouvoir, malgré quelques vestiges des tenants d’un développement national autocentré, la fraction dominante, étroitement liée à la bourgeoisie privée qui dépend de ses liens avec le pouvoir, est spécialisée dans l’importation des produits finis et n’a aucun intérêt à voir une industrie nationale se substitue à l’importation des biens et des services (si tant est que dans ce type d’économie une telle chose soit possible). En 2009, la valeur des importations algériennes a atteint 40 milliards de dollars : 8 milliards de dollars pour les seules importations alimentaires. Derrière chaque fraction de la bourgeoisie spécialisée dans tel ou tel créneau d’importation, il y a une multinationale, un Etat capitaliste central et un grand bureaucrate et / ou un général algérien. Mais le despotisme est collégial et non concentré entre les mains d’une personne offrant une cible facile. La hiérarchie militaire demeure peu visible directement sur la scène politique et se montre capable d’intégrer les acteurs politiques qui acceptent la cooptation

Dans un tel système, la reproduction des rapports sociaux capitalistes se joue dans une interaction continuelle entre l’émeute et la répression, la corruption et le clientélisme subventionné. L’émeute est la forme quotidienne de la revendication et, avec la répression, elle constitue la forme ordinaire du « dialogue social ». Pour la seule année 2010, les services de la gendarmerie nationale ont dénombré onze mille cinq cents émeutes, manifestations publiques ou rassemblement à travers tout le pays (Liberté, Alger 27 décembre 2010, cité dans Le Monde diplomatique, février 2011). Dans un tel type de reproduction des rapports sociaux, la violence et la coercition inhérentes à l’autoprésupposition du mode de production capitaliste ne s’enracinent pas dans les deux premiers moments de l’exploitation que sont l’achat-vente de la force de travail et sa subsomption sous le capital dans le procès de production mais deviennent des nécessités et des conditions préalables à la poursuite des « affaires ».

Le maintien de la « paix sociale » a aussi son versant « soft » : les subventions. Le soutien de l’Etat aux prix des produits de large consommation (farine, lait, huile) permet de les revendre sur le marché intérieur à des prix inférieurs à ceux du marché mondial. Le soutien aux prix des produits de première nécessité, de même que la tolérance du marché noir, est indispensable au maintien d’une certaine « paix sociale », il n’en demeure pas moins que cette politique fait aussi directement le jeu de la bourgeoisie d’Etat qui contrôle les circuits de l’importation et de la distribution des biens alimentaires depuis le démantèlement des monopoles publics à la suite de la privatisation imposée au pays par les institutions financières internationales depuis la crise de la fin des années 1980. La flambée des prix du pétrole depuis 2006 a fait exploser les autorisations d’importations en quantité et en valeur mais elle provoque également un contrecoup inquiétant pour la classe dominante telle qu’elle est constituée. Elle renforce une bourgeoisie faite d’entrepreneurs privés dans le BTP et l’industrie qui rechigne de plus en plus à alimenter les circuits de la corruption au profit de la bourgeoisie bureaucratique qui détient les autorisations administratives des projets d’investissement. Conjointement, elle renforce la position de jeunes officiers ayant joué un rôle déterminant durant la guerre civile des années 1990 pour la modernisation et la professionnalisation de l’armée et qui sont maintenant en concurrence avec leurs supérieurs dont ils hésitent de moins en moins à dénoncer la corruption et leur alliance, pour eux contre-nature, avec les parrains de l’économie informelle tout en défendant avec cette manne le projet d’un développement économique national.

Les émeutes de l’hiver 2010 – 2011 en Algérie se sont trouvées embarquées si ce n’est provoquées par ces conflits à l’intérieur de la classe dominante et finalement ont servi la fraction au pouvoir. La réaction aux mesures destinées à réduire le poids de l’économie informelle a été immédiate, les émeutes se sont répandues à une vitesse fulgurante. « Les réseaux commerciaux illicites représente une puissance financière redoutable. Ils sont apparus au milieu des années 1980 – après l’effondrement des cours du pétrole, alors que le pays connaissait d’importantes pénuries – donnant vie à un trafic de produits européens revendus au marché noir communément appelé trabendo. Aujourd’hui, celui-ci mobilise des milliers de jeunes qui forment cette immense toile d’araignée informelle. Ce sont eux qui firent le coup de poing contre les forces de l’ordre, jusqu’à obtenir le retrait des décrets. L’augmentation de la TVA ainsi que des droits de douane et l’impôt sur les bénéfices des sociétés sont suspendus jusqu’au mois d’août prochain. » (Kader A. Abderrahim, Jacqueries et réseaux de résistance en Algérie, Le Monde diplomatique février 2011)

L’exemple algérien permet de saisir de façon très terre à terre ce que signifie l’absence de société civile. Non pas l’absence de réseaux ou d’associations multiples, mais leur complète indifférence, indépendance si ce n’est hostilité vis-à-vis de l’Etat non pas une hostilité comme reconnaissance conflictuelle mais comme une volonté de vie parallèle vis-à-vis d’un Etat qui n’est qu’une association d’intérêts particulière parmi d’autres. « Depuis des années, le phénomène va crescendo : chaque Algérien a intégré l’idée que pour atteindre un objectif personnel, il faut emprunter des voies détournées, génératrices de dysfonctionnements. Cela a fini par provoquer un divorce entre l’organisation officielle de la société et la dynamique sociale. Ainsi s’organisent des réseaux individuels qui ont pour fonction d’établir des relations correspondant à des intérêts immédiats. Ces liens existent dans tous les secteurs de la société – enseignants, commerçants, militaires ou fonctionnaires – et reposent sur le principe du donnant-donnant. Ils permettent aussi bien d’obtenir un service que de garantir une impunité. » (ibid). Les luttes ouvrières et plus généralement du prolétariat s’expriment elles aussi dans cette configuration sociale et ce rapport à l’Etat qui ne met plus en forme une identité ouvrière reconnue et confirmée dans la reproduction du capital. C’est dans la crise de la fin des années 1980 qui voit l’effondrement du projet national industrialiste et de la quasi garantie de l’emploi dans les entreprises du secteur public, l’islamisation des émeutes populaires de 1988 et 1991 et finalement dans la guerre civile des années 1990 que cette identité ouvrière s’effondre.

Les modalités actuelle des luttes sont le résultat d’une défaite, mais les prolétaires n’ont pas le choix de se révolter ou non quand leurs conditions de survie dépassent les limites du supportable, mais, en Algérie comme en Tunisie ou en Egypte, il serait inconséquent de considérer les révoltes prolétariennes comme une simple et pure opposition de deux classes. La lutte du prolétariat est toujours un moment de la reproduction contradictoire du mode de production capitaliste dans ses spécificités historiques et sa localisation, elle peut même s’inscrire dans les luttes internes de la classe bourgeoise dominante. Ce n’est qu’à partir de telles déterminations que la lutte du prolétariat peut se retourner, dans sa contradiction avec le capital, contre sa propre situation de classe, ce sont même ces déterminations qui peuvent produire et rendre nécessaire ce retournement.

« Les émeutes sociales qui ont éclaté ces derniers jours en Algérie (janvier 2011, nda) s’inscrivent dans ce contexte particulièrement complexe. Les tentatives maladroites du gouvernement d’assainir les circuits commerciaux de distribution, si elles ne pouvaient que satisfaire les secteurs de la bourgeoisie nationale, n’allaient pas laisser les barons de la bourgeoisie compradore les bras croisés. Seuls les imbéciles qui gouvernent actuellement l’Algérie pouvaient croire que cette réforme allait passer naturellement.

« A moins que la grossière maladresse du gouvernement n’ait finalement été qu’une manœuvre souterraine pour donner le signal d’alarme aux alliés économiques et matrimoniaux qui contrôlent le commerce de gros[4]. De quoi s’agit-il exactement ? le gouvernement a pris une mesure draconienne en vue d’assainir le commerce de gros : plus d’opérations commerciales sans documents officiels (registre de commerce) et plus d’opérations commerciales supérieures à 500 000 DA (5000 Euros) en cash. Pour ce genre d’opérations seuls les chèques seront désormais autorisés à partir de mars 2011. Comment ont réagi les barons du commerce de gros ? Avant même l’entrée en vigueur de la mesure gouvernementale, ils ont inclus la TVA et une autre taxe locale (au total 20 %) sur leurs prix de vente aux commerçants. Si on ajoute à cela les manœuvres de rétention des biens de première nécessité comme la farine, on comprend aisément la flambée des prix et les émeutes qui ont suivi.

« Soucieux de sauvegarder la paix sociale à tout prix (même au prix de la compromission de l’avenir de la société à moyen terme) le gouvernement algérien  a reculé et a décidé de suspendre les mesures en question. Ferme et intraitable quand il s’agit de réprimer les manifestations pacifiques des travailleurs de l’industrie, de la santé et de  l’éducation, le gouvernement n’a pas trouver mieux que de capituler devant une bourgeoisie parasitaire formée pour partie de délinquants économiques qui refusent d’opérer avec des factures, de payer la TVA et les impôts. Comment assurer les services à la collectivité sans impôts ? C’est une question qui ne traverse même pas l’esprit de cette bourgeoisie vorace et archaïque.

« Mais le plus grave est que cette bourgeoisie continue d’avoir des relais d’influence au sein de l’Etat et de la société. Hier, elle a pu exiger et avoir la tête du principal représentant de la bourgeoisie nationale, l’ancien ministre des finances et de l’économie, le professeur Abdelatif Benachenhou. Ce dernier était partisan d’un programme de régulation des dépenses publiques à des fins de développement industriel et technologique pour barrer la route aux fractions de la bourgeoisie compradore et à leurs alliés au sein de l’Etat décidés à se jeter sur la manne pétrolière comme des affamés. Pire, en l’absence d’un véritable mouvement social organisé et conscient de la complexité des enjeux de la mondialisation et de ses effets dévastateurs sur la société, cette bourgeoisie compradore en vient à profiter des émeutes sociales qu’elle à réussi à instrumentaliser dans une stratégie conservatrice puisque le gouvernement a fini par accepter un sordide deal avec elle : tu sursois à l’augmentation des prix et en contrepartie je sursois aux mesures régulatrices et je ferme les yeux sur ton commerce informel, ainsi tu continues à accroître ta fortune clandestine et je continuerai à avoir la paix sociale…Le blanchiment de l’argent sale (drogue, terrorisme, corruption) a encore de beaux jours devant lui…

« A travers ce deal qui ne dit pas son nom, la perpétuation de l’alliance de la bourgeoisie bureaucratique et de la bourgeoisie compradore au détriment du développement du pays et de la société risque malheureusement de durer encore quelques années, tant que le prix du baril de pétrole continue à assurer au gouvernement les recettes indispensables pour porter à bout de bras le corps d’un système économique et politique en putréfaction avancée…(…) Trop d’intérêts s’opposent aujourd’hui à la mise en œuvre d’un programme de réformes visant, non pas une utopique déconnexion par rapport au système mondial, mais seulement la redéfinition d’une nouvelle insertion dans la division internationale du travail, plus à la hauteur de l’histoire du pays et de ses potentialités naturelles et humaines et plus respectueuse de son environnement et de ses habitants.

« L’empire américain veille au grain. S’il ne saurait tolérer des changements radicaux dans une région aussi sensible, il n’a pas non plus intérêt à y voir s’installer le chaos, du moins pas pour le moment. La manne pétrolière peut servir à assurer à court terme un semblant d’équilibre et de stabilité. Les luttes de fractions continueront parce qu’elles se nourrissent des tendances profondes qui structurent l’économie et la société algériennes. La classe moyenne qui vit de son effort et de son travail, et qui commence à peine à relever la tête après deux décennies de dérégulation, de précarisation et de violences, a tout intérêt à s’organiser pour prendre part à ces luttes si elle veut faire pencher la balance au profit du travail et de l’intelligence car c’est seulement à cette condition que le système basé sur l’économie rentière, la paresse et la corruption pourra être dépassé et avec lui toutes les menaces qui pèsent aujourd’hui sur la cohésion de la société et l’indépendance du pays. » (Mohamed Tahar Bensaada, Mondialisation et résistance sociale au Maghreb, sur le site Oumma.com, 14 janvier 2011).

Beaucoup d’idéologie bien sûr dans ces quelques lignes, mais aucun mouvement social ne se comprend lui-même et ne caractérise ses ennemis, aucune lutte ne se mène, en dehors d’un discours idéologique. En Algérie, la classe bourgeoise dominante rentière et « hors-sol » si elle parvient encore à se maintenir est tout autant fragile et menacée qu’en Egypte et en Tunisie. La recomposition de la classe dominante est là aussi à l’ordre du jour et non seulement le prolétariat n’en est pas spectateur, mais encore c’est souvent en développant ses propres intérêts qu’il en est partie prenante.

[1] Ce mécanisme de l’intoxication rentière a été théorisé sous l’appellation de Dutch Disease ou Maladie hollandaise (W. Max Corden, J. Peter Neary, « Booming Sector and De-Industrialization in a Small Open Economy », The Economic Journal, n° 92, décembre 1982).

[2] La variation des avoirs extérieurs nets de la Banque d’Algérie est la principale variable explicative de l’excès de liquidités sur le marché monétaire. Cette création monétaire primaire représente la contrepartie en dinars des devises étrangères rapatriées par les entreprises d’hydrocarbures puis rétrocédées à la Banque d’Algérie, déposées dans les comptes de ces entreprises auprès des banques. Par leur masse, ces dépôts déterminent le profil des dépôts des banques. Ils sont à l’origine d’un important excès de l’offre de fonds prêtables sur le marché monétaire interbancaire, que la Banque d’Algérie absorbe par le biais de reprises de liquidités.

[3] « Les déficits des entreprises publiques, auparavant à la charge des banques publiques, régulièrement renflouées par le Trésor, sont budgétisés à partir de 2005 dans le cadre de programmes massifs d’apurement de créances » (Fatiha Talahite, Ahmed Hammadache, op. cit.).

[4] On verra plus loin également les menaces sur ce contrôle en Egypte, nda.