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Le Larzac se lève contre un projet géant de centrale solaire

écologie

Lien publiée le 14 mars 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://reporterre.net/Le-Larzac-se-leve-contre-un-projet-geant-de-centrale-solaire

Sur le causse du Larzac à l’histoire bouillonnante, la société Arkolia projette la construction de la plus grande centrale photovoltaïque de France. Élus, naturalistes, paysans, éleveurs affûtent leurs arguments contre Solarzac, cette installation industrielle jugée « démesurée ».

  • Le Caylar et Le Cros (Hérault), reportage

À perte de vue, des prairies parsemées de buis, entrecoupées çà et là de bosquets de chênes blancs. Quelques monticules calcaires reflètent un soleil hivernal brûlant. Au loin, les monts cévenols, à peine tachetés de neige, fixent un horizon. Le long de la route qui mène au cirque de Navacelles, une brise légère secoue doucement les arbustes. En contrebas, des craves à bec rouge picorent paisiblement dans un pré. « Sur le Larzac, les conditions sont idéales pour produire de l’énergie photovoltaïque : un fort ensoleillement et un vent qui vient rafraîchir les installations pour un rendement optimal », note Guy Degreef en désignant un hangar agricole couvert de panneaux noirs.

Des craves à bec rouge.

Et c’est précisément sur ce causse à l’histoire militante bouillonnante que pourrait s’implanter la plus grande centrale photovoltaïque de France. « Solarzac », c’est le nom marketing donné par la société Arkolia à son projet, encore en phase de concertation. Pour le moment, rien n’est donc sorti des terres caillouteuses du sud du Larzac. Mais sur la plaquette de présentation aux couleurs vives, les dimensions de l’installation font tourner la tête. 29.990 tables photovoltaïques implantées sur 400 hectares, pour une puissance de 320 MW supposée capable d’approvisionner en électricité l’équivalent d’une ville de 210.000 habitants. Mais ce n’est pas tout : le projet comprend également une unité « power to gas » capable de transformer de l’eau et du CO2 atmosphérique en méthane [voir encadré] « En phase d’exploitation, le projet permettrait des émissions négatives [captation de CO2à hauteur des émissions de 10.000 voitures »conclut la plaquette.

« Si on recouvre les prairies de panneaux, les aigles ne pourront plus se nourrir ! » 

Pas de quoi convaincre Guy Degreef. Habitant des Cévennes gardoises toutes proches, cet entrepreneur en énergies renouvelables a fait de la lutte contre Solarzac son cheval de bataille. « C’est un projet démesuré, à la rentabilité incertaine, qui ne correspond pas aux besoins du territoire, et qui cherche pourtant à passer en force », résume-t-il. À ses côtés, Bernard Ricau observe aux jumelles une grande bâtisse accrochée à une colline, perdue au milieu de la végétation caussenarde. « Voici le domaine de Calmels, montre-t-il. C’est là qu’ils veulent construire la centrale. »

Bernard Ricau.

C’est là aussi que Bernard Ricau est venu pendant de longues semaines l’été dernier observer un couple d’aigles royaux. « Nous avons mis plusieurs mois avant de parvenir à capturer le mâle afin de l’équiper d’une balise, raconte l’ornithologue et agent retraité du Parc national des Cévennes. Une fois l’oiseau bagué, nous avons pu suivre très précisément tous ses déplacements. » Ainsi, lorsqu’il a appris, fin septembre 2018, qu’une installation photovoltaïque pourrait s’implanter sur le domaine de Calmels, son sang n’a fait qu’un tour. « C’est leur territoire de chasse, explique-t-il en étalant une carte de la région sur un muret en pierre. S’ils recouvrent les prairies de panneaux, les aigles ne pourront plus se nourrir ! » Sur la carte, un méli-mélo de traits rouges, représentant les trajets des rapaces, forme une vaste zone de 150 km². Autour, d’autres taches colorées similaires représentent les territoires d’autres aigles royaux. Des voisins pas très partageurs, précise le naturaliste : « Le couple de Navacelles ne pourra pas aller trouver ses proies ailleurs. »

Depuis trente ans, le Groupe d’études des rapaces du sud du Massif central travaille avec persévérance afin de sauver ces oiseaux emblématiques : la population est ainsi passée de 10 à 45 couples. D’où la colère de Bernard Ricau envers le projet Solarzac : « Ils vont détruire des années d’efforts, sans compter les autres animaux qui pourraient être touchés ». Vautours fauves ou moines, gypaètes, percnoptères, bruants ortolans ou grands corbeaux ont aussi été observés dans la région. Le domaine de Calmels comprend d’ailleurs quatre sites Natura 2000, et se trouve à proximité immédiate d’une zone naturelle d’intérêt écologique (Znieff) et d’une zone d’intérêt pour la conservation des oiseaux (Zico).

Carte de l’espace vital des aigles royaux de la vallée de la Vis-Navacelles et situation du projet Arkolia.

« Nous ne sommes pas contre les énergies renouvelables, mais nous n’en voulons pas quand elles condamnent des pans entiers de notre biodiversité, souligne Pierre Maigre, président de la Ligue de protection des oiseaux (LPO) dans l’Hérault. Les panneaux photovoltaïques ne doivent pas être implantés au sol dans des zones naturelles ou agricoles. » Ce vendredi 22 février, la voix grave de l’ornithologue emplit la salle des fêtes du Caylar. Organisée par un collectif citoyen local alerté par Guy Degreef et Bernard Ricau, la première réunion d’information sur Solarzac est un franc succès. Plus de 200 personnes sont venues de l’Aveyron, du Gard et du pays lodévois voisin. Chacun égrène ses doutes.

« Ce projet est trop consommateur d’eau, porte atteinte à la biodiversité et entre en contradiction avec le classement au patrimoine mondial de l’Unesco »

Au centre des inquiétudes, la ressource en eau. Les premiers documents rédigés par Arkolia avançaient le chiffre alarmant de 80.000 m³ de prélèvement annuel, soit plus de la moitié de la consommation en eau potable des habitants du Larzac méridional. L’entreprise a ensuite rétropédalé, indiquant dans sa nouvelle maquette que l’approvisionnement proviendrait du « ruissellement des panneaux photovoltaïques et des capteurs solaires » ainsi que de la récupération d’eau [1].

« L’eau est une ressource rare, et qui va se raréfier avec le changement climatique, dit Jean-Noël Malan, maire d’un village voisin et vice-président à l’agriculture de la communauté de communes du Lodévois Larzac. Ce projet est trop consommateur d’eau, en plus de constituer une atteinte à la biodiversité et d’être en contradiction avec le classement de cette région au patrimoine mondial de l’Unesco. » Le 21 février, avec d’autres élus communautaires, Jean-Noël Malan a poussé avec succès pour l’adoption d’une motion contre Solarzac.

Même son de cloche du côté de la région Occitanie. Jointe par Reporterre, la vice-présidente chargée de la transition énergétique, Agnès Langevine, se montre plus que sceptique : « À titre personnel, et dans l’état actuel de ma connaissance du dossier, tous les voyants sont au rouge, dit-elle. Sous un vernis écolo et d’innovation, il s’agit d’un projet industriel, fondé sur une technologie du power to gas qui n’est pas éprouvée, et qui pose de sérieuses questions en matière de préservation de la biodiversité et des terres agricoles. »

Le domaine des Calmels.

Les terres agricoles, voilà une nouvelle pièce maîtresse de ce puzzle larzacois. Car Solarzac, c’est aussi, et peut-être avant tout, 400 ha de terres artificialisées, et 600 ha de terres pour un « retour à la nature en gestion concertée », dixit l’entreprise promotrice, autrement dit, réservées à la compensation écologique du projet. « Il s’agit d’une appropriation de la campagne pour d’autres choses que l’agriculture, estime Dominique Voillaume, éleveuse de brebis à Saint-Maurice-Navacelles. Les terres agricoles doivent servir à nous nourrir. »

L’entreprise Arkolia et Alain Viala, le maire du Cros, la commune où se situe le domaine de Calmels, font valoir que les parcelles ne sont pas classées en zone agricole, puisque les 1.000 ha constituent actuellement une « propriété privée consacrée en totalité à une chasse privée »Dans une interview accordée à France Bleu Hérault, le maire Alain Viala a ainsi expliqué que « le territoire est prédestiné à ce genre d’opération. Pour le moment, c’est un lieu hostile à toute écologie. C’est un secteur de chasse où au moins trois fois par semaine, on tire 2.000 cartouches par jour ! »

« Les brebis ne vont pas pâturer sous les panneaux, elles restent donc en plein soleil »

Il suffit de se rendre à l’entrée du domaine de Calmels, entièrement clôturé de grilles de 1,80 mètre de haut, pour comprendre ce que souligne l’édile. Les collines buissonnantes sont constellées de miradors. Dans les clairières, on aperçoit ça et là des troupeaux de daims et de mouflons. Au total, 700 ongulés — chevreuils, cervidés — ainsi que quantité de volatiles et de sangliers sont littéralement élevés dans ce parc, pour le plus grand plaisir des amateurs de fusils prêts à débourser de quelques centaines à plusieurs milliers d’euros la journée de chasse. Un business établi depuis plus de quinze ans, mais qui ne serait plus si juteux, puisque son propriétaire, Éric Saint-Cierge, a décidé de cesser l’activité, laissant la place aux panneaux photovoltaïques. D’après les opposants, le site aurait même été mis en vente sur le Bon Coin pour 11 millions d’euros, avant que le projet Solarzac surgisse des cartons d’Arkolia. Interrogé par Reporterre, le propriétaire nous a indiqué « n’avoir rien à dire pour le moment » sur le sujet.

Le domaine des Calmels.

Dommage, car nous aurions aimé lui demander s’il confirmait le caractère non agricole de ses terres. Car, si elles ne sont pas actuellement cultivées, elles sont bien classées en landes, terres et pâtures sur le relevé cadastral. Dominique Voillaume a par ailleurs retracé l’histoire agraire de Calmels, et sa conclusion est simple : « Le domaine a été jusqu’au début des années 2000 une ferme florissante. » Dans les années 1970, un troupeau de 500 brebis produisait du lait pour Roquefort ; vingt ans plus tard, elles étaient plus de 800 à pâturer ce coin du causse propice au pastoralisme. « Sur Calmels, on pourrait facilement imaginer une ou même plusieurs installations de paysans, avec de l’élevage et une fabrication de fromages », dit l’éleveuse, rappelant que de nombreux porteurs de projet ne trouvent pas de terres pour s’installer dans l’Hérault. Pour Arkolia en revanche, photovoltaïque et pastoralisme peuvent aller de pair. La zone « entièrement clôturée et protégée des loups », avec des panneaux « abris naturels du soleil et des grands rapaces », pourrait selon la firme accueillir jusqu’à 400 moutons. « De la maltraitance animale, réplique Daniel Laborde, paysan et compagnon de Dominique. Les brebis ne vont pas pâturer sous les panneaux, elles restent donc en plein soleil, dit-il. On ne parle pas d’un abri équipé de panneaux sur son toit, mais de près de 30.000 tables installées sur le sol ».

Excepté les six conseillers municipaux du Cros, il ne semble pas y avoir grand monde pour défendre Solarzac sur le causse. Arkolia n’a pourtant pas lésiné sur les moyens pour convaincre les élus, faisant miroiter une trentaine d’emplois et des retombées fiscales non négligeables : 10.000 euros annuels pour la commune, 1,6 million d’euros pour la communauté de communes, 1,2 million d’euros pour le département, et 150.000 euros pour la région. Le coût total du projet avoisinerait les 600 millions d’euros, dont près de 300 millions pour la seule unité power to gas de 138 MW, à la rentabilité incertaine. Un montant qui ne comprend en outre ni le coût du raccordement électrique au futur transformateur de Saint-Victor, en Aveyron, estimé à 7 millions d’euros, ni celui du raccordement au réseau de gaz, lui aussi évalué à 7 millions d’euros. Tout ça porté par une entreprise de 53 salariés, dont le chiffre d’affaires en 2017 atteignait 38 millions d’euros.

« On expliquera les choses correctement, de manière pédagogique, afin d’être compris par tous » 

Pour Guy Degreef, Arkolia compte sur des subventions publiques de recherche et développement — justifiée par l’unité power to gas — afin d’assurer son modèle économique. Mais l’entreprise reste pour le moment discrète quant à son business plan, comme sur bien d’autres sujets d’ailleurs : pourquoi avoir apposé dans la première plaquette le logo de la LPO et d’Enercoop sans leur accord ? Pourquoi indiquer dans un premier temps que « la transformation power to gas demande une quantité d’eau importante », avant d’affirmer que « la consommation en eau de l’installation de biométhanation est réduite » ? Pourquoi indiquer que le terrain n’a « jamais été cultivé » ? Que signifie « le développement d’une zone dédiée à la protection des grands rapaces et à leur soin » ?

Malheureusement, la société n’a pas souhaité répondre aux questions de Reporterre. Au téléphone, le responsable de la communication nous a expliqué « ne pas vouloir se précipiter parce qu’il y a des opposants » : « Il y a une concertation en cours de préparation, et on communiquera à ce moment-là. On expliquera alors les choses correctement, de manière pédagogique, afin d’être compris par tous. Il y a énormément de fausses informations qui circulent. » Contactée également, la Commission nationale du débat public a indiqué que la concertation préalable devrait se dérouler au printemps. À son issue, le garant nommé par la Commission rendra ses conclusions et recommandations. Si l’entreprise souhaite poursuivre son projet, viendra ensuite l’enquête publique. Le permis de construire, qui sera instruit par une communauté de communes plutôt hostile, ne devrait donc pas être déposé avant 2020. Ce sera alors au préfet de décider.

Des hangars équipés de panneaux solaires sur le causse du Larzac.

Au Caylar, les participants s’inquiètent de ce que ce projet pourrait ouvrir les vannes du photovoltaïque industriel sur le Larzac. « Si un projet aussi gros passe, tous les autres passeront », entend-on à plusieurs reprises. « Allons-nous voir le causse finalement couvert de parcs clôturés avec des éoliennes et des panneaux partout ? » L’Aveyron et ses batailles anti-éoliennes n’est pas loin, la lutte contre le camp militaire non plus. « Nous voulons la transition énergétique, mais pas n’importe comment et à n’importe quel prix, dit Jean-Noël Malan, élu local. Le photovoltaïque doit être développé prioritairement en toiture ou en ombrière, et le moins possible au sol. » Un avis partagé par Agnès Langevine : « La région s’est fixé comme ambition de couvrir la totalité de ses consommations par les énergies renouvelables. Il va donc nous falloir multiplier par 12 le photovoltaïque, mais en donnant la priorité à des projets citoyens, locaux, et à des installations sur des lieux déjà artificialisés, comme de friches industrielles ou d’anciennes carrières. » Et surtout, ajoute-t-elle, réduire de près de moitié notre consommation d’énergie.


« POWER TO GAS », QU’EST-CE ?

Comme son nom anglais l’indique, la technologie « power to gas » permet de transformer de l’électricité en gaz : soit en hydrogène, soit en méthane. L’électrolyse consiste à « casser » à l’aide du courant électrique la molécule d’eau (H2O) en hydrogène et en oxygène. L’hydrogène peut être utilisé comme source d’énergie, « mais les usages sont pour le moment restreint, car il n’est pas injectable en grande quantité dans le réseau et les piles ne sont pas au point », précise Marc Jedliczka, porte-parole de négaWatt. Une seconde étape est ainsi nécessaire : il s’agit de coupler l’hydrogène avec des atomes de carbone issus du CO2, afin de former du méthane (CH4). C’est ce qu’on appelle la méthanation, à ne pas confondre avec la méthanisation. Le méthane obtenu peut être stocké ou injecté dans le réseau de gaz. « Le biométhane pourrait à terme remplacer le pétrole dans les voitures et les camions », s’enthousiasme Marc Jedliczka. Problème pour le moment, « les conditions de rentabilité ne sont pas réunies » pour développer le power to gas, selon le porte-parole. Les unités existantes sont des démonstrateurs, de puissance modeste (1 MW). Et même si « on aura besoin de cette technologie pour faire la transition énergétique », car elle permet de stocker les énergies solaires et éoliennes, par nature intermittentes, M. Jedliczka table sur un développement commercial à horizon 2035. Revenir à la lecture de l’article.