[RSS] Twitter Youtube Page Facebook de la TC Articles traduits en castillan Articles traduits en anglais Articles traduits en allemand Articles traduits en portugais

Newsletter

Ailleurs sur le Web [RSS]

Lire plus...

Twitter

Le climatologue: Jean Jouzel - Les armes de la transition

écologie

Lien publiée le 18 mars 2019

Tweeter Facebook

Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://lvsl.fr/5-le-climatologue-jean-jouzel-les-armes-de-la-transition

Jean Jouzel est glaciologue-climatologue, pionnier dans l’étude du changement climatique. Il a été vice-président du groupe scientifique du GIEC (Groupe d’Expert Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat) lorsque ce dernier a reçu le Prix Nobel de la Paix en 2007. La liste de ses responsabilité est impressionnante. Il a plus récemment rejoint le Haut Conseil pour le Climat. Jean Jouzel nous éclaire sur le rôle précis d’un climatologue dans le cadre de la transition écologique.


Dans cette série de grands entretiens, nous avons choisi de poser les mêmes questions à des personnalités du monde de l’écologie ayant chacune une approche, un métier, différent. Un tel projet est inédit, et son but est de donner à voir comment chacun se complète pour esquisser les grandes lignes de l’urgente transition écologique. Chacun détient une partie de la solution, une partie des « armes » de la transition. La transdisciplinarité doit devenir une norme de travail, pas une exception.

La série Les Armes de la Transition existe aussi en format vidéo :

LVSL : À quoi sert un climatologue pour la transition écologique, et pourquoi avez-vous choisi cette voie-là plutôt qu’une autre pour apporter votre pierre à cette transition ?

Jean Jouzel : Si je commence par « pourquoi j’ai choisi cette voie-là ? », il y a beaucoup de hasards. Je termine une école d’ingénieur, Chimie-Lyon, et j’avais envie de faire une thèse. Je suis breton, et un des critères de choix pour la thèse, c’était de se rapprocher de la Bretagne. Il y avait des sujets proposés au CEA-Saclay, et j’ai rencontré la personne qui proposait ce sujet. Il y avait une certaine compétition, mais j’ai quand même été pris à Saclay – c’était en octobre 1968, il y a quand même 51 ans – et au départ il n’avait pas vraiment de sujet de thèse vraiment défini, et il m’a proposé un sujet sur la formation de la grêle. J’ai été d’abord extrêmement surpris, mais j’ai accepté tout de suite !

Alors pour vous, pour beaucoup de gens, la grêle, la glace, c’est de l’eau… Mais dans cette eau il y a des isotopes (même atome, mais avec un nombre de protons différent). C’est-à-dire que l’hydrogène a un grand frère, l’hydrogène lourd, de même pour l’oxygène, qui a l’oxygène 18… Dans la nature, les rapports de ces molécules lourdes et molécules légères, la quantité d’eau, disons qu’on appelle couramment deutérium et oxygène 18, varient en fonction de l’histoire de ces masses d’air qui ont apporté ces précipitations, cette vapeur d’eau… Il y avait déjà eu des travaux, et je m’y suis beaucoup intéressé. En gros, plus il fait froid, plus il y a d’isotopes lourds dans les précipitations, et les grêlons se forment dans cette ascendance verticale, et à mesure qu’on monte dans ces cellules convectives, la température est de plus en plus froide, et donc la composition isotopique des différentes couches de grêlons permet de reconstituer des trajectoires.

Ça, c’était ma thèse, et pendant cette thèse, Claude Lorius, qui était déjà glaciologue, qui avait d’ailleurs fait sa thèse sur les isotopes dans les neiges polaires, n’avait pas de laboratoire. Il venait faire faire ses analyses dans notre laboratoire, et dès le début 1969 il ramène des échantillons de Terre Adélie. On est rapidement devenus très amis, puisqu’on jouait tous les deux au foot, et à la fin de ma thèse sur la formation de la grêle, je me suis intéressé aux carottes glaciaires. C’est la même philosophie, plus il fait froid, moins il y a d’isotopes lourds dans la neige, et ça permet de reconstituer les températures de l’atmosphère en Antarctique, au Groenland, au moment où la neige s’est formée, et donc, de remonter dans le temps. On a là des archives climatiques qui ont ensuite été au cœur de ma carrière scientifique.

Donc, c’est vrai que le choix de carrière que j’ai fait tient au départ à mon envie très claire de faire de la recherche, de faire une thèse, mais le sujet s’est proposé à moi plutôt que je ne me le suis proposé moi-même. Je me suis toujours intéressé à la glace depuis les grêlons puis les neiges et les glaces polaires, et ma carrière s’est un peu organisée autour de ces enregistrements climatiques : on est actuellement remonté jusqu’à 800 000 ans en Antarctique, 100 000 ans au Groenland, ce qui est intéressant si l’on veut reconstruire les climats passés. L’intérêt, dans cette reconstruction, c’est d’apporter des informations qui sont pertinentes vis-à-vis de l’évolution future du climat.

J’ai eu la chance de participer à deux découvertes qui sont dans cet esprit : en 1987, on publie les premiers résultats sur un forage avec les Soviétiques, qui montrent que dans le passé il y a eu un lien entre gaz à effet de serre et climat. En période glaciaire, il y a moins d’effet de serre qu’en période chaude. Ça a joué un rôle dans la prise de conscience du rôle des gaz à effet de serre. Avant ces résultats, quand on parlait de l’effet de serre, on parlait soit d’une approche théorique de l’effet de serre, ou bien on nous parlait à juste titre de Vénus ou de Mars qui ont des températures différentes de celles de la Terre, parce que l’effet de serre y est différent. Mais c’était quelque chose d’extrêmement visuel que de montrer cette relation, sur notre planète, entre effet de serre et climat dans le passé. Donc c’est un premier point qui montre que – bien sûr, on était déjà au début de l’augmentation de  l’effet de serre – l’intérêt des climats passés.

J’ai aussi travaillé au Groenland, ou nous avons découvert l’existence de variations climatiques extrêmement rapides. C’est-à-dire qu’au Groenland, en une ou quelques décennies, il peut y avoir des réchauffements de l’ordre de 10-15°C. Donc, variation rapide du climat… Quand j’ai commencé en 70, on ne pensait pas qu’il pourrait y avoir de variation rapide du climat, et effectivement, ça amène la communauté à s’interroger sur la possibilité de variation climatique rapide, la stabilité du climat dans un contexte de réchauffement climatique.

Il n’y a pas que les glaces polaires, je me suis intéressé aussi aux autres archives climatiques, à leurs connexions, à la modélisation des climats passés… C’est cela qui m’a conduit à m’intéresser au climat du futur. Après les années 80, je me suis impliqué dans le GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat), et j’ai contribué au 2ème et 3ème rapport. À partir de 1994, j’étais chargé de rédiger la partie dédiée au climat du passé, et à partir du 4ème rapport, de 2002 à 2015, je me suis impliqué au niveau de l’organisation elle-même du GIEC, de son bureau, comme vice-président du groupe scientifique.

Il faut bien voir que, d’un côté on peut reconstituer les climats passés, de l’autre, on n’a quand même pas dans les climats du passé un analogue de ce vers quoi nous allons. Il y a eu des climats plus chauds qu’aujourd’hui, bien évidemment, pour des raisons tout à fait naturelles, mais ce n’étaient jamais vraiment pour les mêmes raisons.

Donc, si on veut regarder vers le futur, la seule façon de le faire c’est d’utiliser des modèles climatiques. Bien sûr, on peut les valider, sur des conditions différentes comme celles du passé, mais l’approche quasi obligatoire c’est la modélisation, donc je m’y suis intéressé.

En France, il y a deux modèles, l’Institut Pierre Simon Laplace et Météo France, qui ont développé ce type de modèles. Il y en a une vingtaine, une trentaine peut-être dans le monde maintenant.

J’ai été aussi pendant 8 ans directeur de l’Institut Pierre Simon Laplace et je me suis beaucoup impliqué dans cette modélisation future du climat, à tous ces résultats dont on parle, ce risque de réchauffement de 4 à 5°C si rien n’est fait pour l’endiguer…

Donc c’est un peu ça ma carrière, pour résumer : une expertise construite autour des climats passés, mais un intérêt qui va sur l’évolution du climat dans son ensemble, parce qu’il y a une continuité.

Jean Jouzel – Les Armes de la Transition – Le Vent se Lève © Clément Tissot

LVSL : En quoi consiste votre activité de climatologue ? Comment pourrait-on décrire une de vos journées types ?

Jean Jouzel : Je vais toujours travailler un peu, c’est davantage de l’écriture, mais je vais toujours dans mon laboratoire, je suis Directeur de Recherche émérite au C.E.A.

Une journée type ? C’est ça l’intérêt, je dirais qu’il n’y a pas de journée type ! C’est quoi, être climatologue ? Dans mon cas, la première chose à faire, c’est que des gens aillent chercher des échantillons.

Notre terrain de jeu, c’est l’Antarctique, le Groenland, c’est là où on a vraiment des archives glaciaires qui remontent loin dans le temps, et ce sont de gros projets assez coûteux. Il y a d’abord une équipe de foreurs qui développe des outils pour faire ces forages (par exemple, il y a une telle équipe à Grenoble), ensuite il y a des campagnes d’été (décembre-janvier en Antarctique et plutôt juin-juillet au Groenland), et beaucoup d’activité sur le terrain.

Moi, je n’étais pas directement foreur, mais les chercheurs vont sur le terrain, préparent les échantillons, les découpent, les identifient… Il y a un travail sur terrain, j’y ai pris beaucoup de plaisir. J’ai dû aller quatre fois au Groenland, une seule fois en Antarctique. J’ai été longtemps Directeur de l’Institut Polaire, et c’était surtout pour visiter la base elle-même. Donc il y a un travail sur le terrain.

Ensuite, on ramène ces échantillons, et il y a beaucoup d’analyses en laboratoire. On a eu la spectrométrie de masse, maintenant il y a aussi des lasers qui permettent de mesurer ces compositions isotopiques. Il y a beaucoup de travail au laboratoire, il y a des milliers d’échantillons à analyser. On ne le fait pas tout seul, évidemment, c’est un travail d’équipe, mais je me suis beaucoup intéressé pendant 20 ou 30 ans à l’analyse elle-même.

Et une fois que vous avez un résultat, il faut essayer de les comprendre, essayer de les expliquer, de les présenter de façon attractive au sein d’articles. Un de mes principaux apports, c’est l’écriture (je n’étais pas très bon au labo, je passais beaucoup de temps à écrire…). Ensuite il faut les présenter. On a aussi, je crois, le devoir de dire ce qu’on fait, aussi bien dans les décisions politiques. Cette partie-là m’a aussi beaucoup intéressé ; collectivement nous sommes rapidement sortis de notre tour d’ivoire. Les médias se sont intéressés à nos travaux, pratiquement à partir de ce forage de Vostok en 1987, et ensuite il y a énormément d’intérêt pour les variations climatiques rapides et l’évolution future du climat.

Mais les contacts avec les sphères politiques ont aussi tenu une grande place dans ma carrière. C’est surtout à partir du début des années 2000 avec Jacques Chirac. Depuis, j’ai rencontré sur ces sujets tous nos présidents, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, donc j’étais partie prenante dans le Grenelle de l’Environnement. J’ai été co-président, avec Nicolas Stern, du volet « Climat – Énergie », ensuite j’ai été beaucoup impliqué dans la réflexion qui a précédé la mise sur pied de la loi sur la transition énergétique, la loi pour la croissance verte ; et encore depuis, avec François Hollande et depuis avec Emmanuel Macron, il y a aussi des réunions. Il y a bien sûr un volet de communication. Actuellement une plus grande partie de mon temps qui est consacrée à la communication, mais j’aime toujours aller au laboratoire, un peu moins souvent. Et puis, ce qui me prend du temps : je suis membre du Conseil Economique Social et Environnemental, et c’est aussi une organisation sur laquelle le témoignage de ces aspects gouvernementaux (je suis dans la section Environnement) est aussi important.

On a fait récemment, par exemple, un avis sur la justice climatique, ce problème qui est au cœur des conséquences du réchauffement climatique, c’est-à-dire le risque d’accroissement des inégalités. On est au cœur de ce problème y compris dans les pays développés.

LVSL : Quel est votre but ?

Jean Jouzel : Je ne suis pas écologiste de naissance. J’ai vécu toute ma jeunesse jusqu’à une vingtaine d’années dans la ferme de mes parents, donc je peux dire que je connais bien la nature et le monde agricole. Ça n’avait fait pas de moi un écologiste, mais c’est vrai que je m’y suis ouvert.

Dans les années 70, on ne parlait pas beaucoup du réchauffement climatique. Ce n’est que progressivement que l’étude des climats passés est devenue importante pour la compréhension du climat et pour essayer de mieux cerner son évolution future, dans les années 1980.

En 70, c’était plutôt le contraire, puisqu’en gros, chaque période chaude au cours de la deuxième partie du quaternaire, donc depuis 800 000 ans à peu près, en tout cas sur les 400 000 dernières années, il y a une alternance de périodes chaudes et froides. On a tous appris ça à l’école, les périodes glaciaires, les périodes chaudes, les périodes interglaciaires et puis ce constat que les périodes froides durent à peu près 100 000 ans ou un peu moins, et les périodes chaudes ne durent que 10 000 ans. En gros, comme la nôtre dure depuis 10 000 ans, la question posée dans les années 70 c’est « est-ce qu’on ne va pas aller rapidement vers une nouvelle période glaciaire ? ».

On a compris maintenant pourquoi ce n’est pas le cas… La Terre tourne autour du soleil sur une orbite un peu elliptique qui se modifie, et qui à certaines périodes est pratiquement circulaire.

Quand cette orbite est circulaire, il y a peu de variations d’insolation, en fonction de la latitude, du lieu où vous êtes, et en gros, ce n’est pas propice à une entrée en glaciation. Si on veut regarder ce qui se passe actuellement avec une orbite circulaire, il faut aller voir ce qui s’est passé il y a 400 000 ans et là, c’est clair : la période chaude a duré 20 à 30 000 ans. On a de la chance, d’ailleurs, que notre civilisation se soit développée dans une période chaude qui, de façon interglaciaire, de façon naturelle, durera ou durerait (le réchauffement climatique risque encore d’empêcher le passage à la prochaine ère glaciaire, si on le faisait intelligemment). En tout cas, on est dans une période qui, naturellement, serait une période chaude pendant 15 000 années supplémentaires.

Et donc, cette idée qui prévalait dans les années 70 d’un prochain passage à l’ère glaciaire était fausse. Le véritable problème c’est notre activité sur le climat. L’effet de serre lui-même a été découvert au 19ème, et l’augmentation de l’effet de serre a été envisagée dès le début du 20ème siècle par Arrhenius en particulier, qui prévoyait d’ailleurs un réchauffement de quelques degrés à la fin du 20ème siècle, mais il faut bien dire que ce problème n’est revenu sur le devant de la scène que grâce au développement de modèles climatiques, les modélisateurs ayant montré de façon très claire dans les années 70-80, à une époque où j’étais déjà chercheur, que les quantités de gaz carbonique dans l’atmosphère pourraient être doublées d’ici 2050. Malheureusement, nous sommes toujours sur ces trajectoires, avec des réchauffements dont on pensait qu’ils seraient de 2 à 5°C à l’époque de la stabilisation.

On en est malheureusement toujours là, et d’ailleurs, dans le premier rapport du GIEC, tout est dit en 1990 : un réchauffement de 3°C est envisagé pour le milieu du 21ème siècle et des élévations du niveau de la mer à la fin du 21ème siècle de 60 cm à 1 mètre. Et effectivement, ça a été bien compris à l’époque, puisque la Convention Climat s’est mise en place rapidement, mais depuis ça s’est un peu dégradé en ce sens que, ni le Protocole de Kyoto ni la Conférence de Copenhague n’ont rempli complètement leur office, et malheureusement il y a un risque non négligeable actuellement que ce soit également le cas pour l’Accord de Paris.

Je ne me suis pas fixé pour objectif – ça me semblait tellement naturel – de communiquer, et je ne suis pas le seul, Claude Lorius, c’était pareil… On avait vraiment le sentiment que ça fait partie de notre travail de communiquer nos résultats non pas simplement dans les revues scientifiques, mais aussi dans les médias, vers le grand public, vers les décideurs politiques… C’est il y a une trentaine d’années que les médias nous ont effectivement contactés… Un de mes souvenirs, c’est à la sortie du papier « Vostok » en 1987, le New York Times m’appelle et Walter Sullivan, qui était à l’époque et qui est resté un très grand journaliste américain, me contacte en disant « je veux vous voir ! », donc pour un jeune chercheur c’était quand même assez surprenant ! C’est vrai que cette nécessité de dire les choses a, peut-être pas pris le pas sur la recherche elle-même, mais a pris progressivement une part de plus en plus importante dans mes activités.

On a même dépassé ce stade, puisqu’actuellement une de mes activités c’est de m’impliquer dans la mise sur pied du Pacte Finance/Climat avec Pierre Larrouturou. Donc c’est aussi un peu aller au-delà de la communication, essayer de faire des propositions pour avancer dans la lutte contre le réchauffement climatique, donc j’ai essayé de couvrir toute cette palette depuis le travail de recherche de laboratoire, de terrain, jusqu’à la communication et, si possible, des propositions concrètes.

LVSL : Pourriez-vous nous livrer trois certitudes que vous avez construites au fil de vos travaux ?

Jean Jouzel : Des certitudes que notre communauté scientifique a construites, et auxquelles j’adhère, sont très claires.

Premièrement, par nos activités, nous avons modifié la composition de l’atmosphère en gaz à effet de serre : les quantités de gaz carbonique ont augmenté de plus de 40 %, plus que doublé pour le méthane, + 20 % pour le protoxyde d’azote ; avec une conséquence très claire : cette augmentation d’effet de serre augmente la quantité d’énergie disponible pour chauffer l’atmosphère, les glaces, l’océan, et les surfaces continentales. Et d’ailleurs de cette chaleur additionnelle, va dans l’océan. C’est une première certitude, ce sont nos activités qui ont modifié la composition de l’atmosphère.

La deuxième certitude, c’est que le réchauffement est sans équivoque. C’est une certitude qui s’est construite à travers les rapports du GIEC, et pas simplement sur le fait que les températures dans l’atmosphère augmentent. De fait, les quatre dernières années ont été les plus chaudes qu’on ait connues en France depuis 150 ans. C’est 2018 qui a été l’année la plus chaude.

Mais cette certitude se construit aussi sur d’autres indications. Par exemple, l’élévation du niveau de la mer est l’élément le plus clair du réchauffement climatique, puisqu’une fois qu’on a dit que l’essentiel de la chaleur supplémentaire liée à l’augmentation de l’effet de serre va dans l’océan à 93 %, il faut regarder ce qui s’y passe, et c’est très clair. L’élévation du niveau de la mer, à peu près 3 mm chaque année, est un tiers lié au réchauffement de l’océan qui entraine sa dilatation, le reste pour l’essentiel à la fonte des glaces ; les glaciers tempérés, mais depuis une vingtaine d’années le Groenland et l’Antarctique sont un indicateur très clair. On peut aussi, si on n’aime pas trop les chiffres, regarder autour de soi… À l’échelle d’une génération, les dates de vendanges se sont avancées de 3 semaines, les glaciers qui reculent dans les alpes…

La troisième certitude, c’est que le réchauffement climatique va se poursuivre, parce que l’effet de serre dans l’atmosphère n’a pas joué tout son rôle, et même si on arrêtait complètement les émissions ou quasi complètement, on aurait du mal à éviter un réchauffement de l’ordre de 1,5°C.

Là où il y a une question, tout à fait légitime, qui nous a beaucoup occupés, et pour laquelle, semble-t-il, on a des réponses maintenant, c’est une fois qu’on a dit « l’effet de serre augmente, le climat se réchauffe », ce n’est pas du tout simple d’établir une relation de cause à effet. Et effectivement, cette question a été au cœur des différents rapports du GIEC Elle nous est posée de façon récurrente, on se la pose d’ailleurs, parce que le GIEC se pose les questions qu’il veut bien se poser… « Est-ce que les activités humaines sont à l’origine du réchauffement climatique, une fois qu’on a admis la réalité du réchauffement climatique ? »

En fait, la réponse s’est modifiée, a évolué. Dans le premier rapport du GIEC, on ne sait pas… Dans le deuxième rapport du GIEC En 95,  la réponse c’est « peut-être »… Et ça a joué un rôle très important, en fait, dans le Protocole de Kyoto. C’est très prudent, mais c’est suffisant. Des gens comme Al Gore utilisent ce résultat et je crois que sans ce rapport du GIEC, sans ce lien qui commence à s’établir entre activité humaine et réchauffement, le Protocole de Kyoto n’aurait pas été mis en place. Ensuite, de « peut-être », on passe à « probablement, plus de 2 chances sur 3 » dans le troisième rapport, « très probablement, plus de 9 chances sur 10 » dans le quatrième, et le cinquième rapport nous dit de façon très claire que le réchauffement climatique des 50 dernières années (depuis les années 50, en gros) est lié déjà aux activités humaines. En fait, que les causes naturelles du réchauffement climatique, que l’ensemble de l’activité solaire, l’activité volcanique, ne peuvent expliquer au mieux qu’un dixième de degré d’un réchauffement qu’on estime à peu près à 8 dixièmes de degrés depuis les années 50.

LVSL : Quelle traduction concrète pourriez-vous faire de ces conclusions ? En termes de politique publique, par exemple ?

Jean Jouzel : On nous l’a des fois reproché, mais la mission du GIEC n’est pas de faire des recommandations aux décideurs politiques. Notre mission, en tant que communauté, c’est de faire un diagnostic de l’ensemble de ce qui est lié à l’évolution de notre climat, que ce soient les causes, les conséquences, les solutions à mettre en œuvre pour lutter contre le réchauffement climatique, l’adaptation. On fait simplement un diagnostic, et un diagnostic critique, en ce sens qu’il ne s’agit pas simplement de faire une synthèse, comme des scientifiques se positionnent par rapport à différentes hypothèses.

Mais l’idée n’est pas de dire aux décideurs politiques, qui se retrouvent lors des Conférences des Parties, ce qu’ils doivent faire, mais vraiment de leur donner des éléments pour qu’ils puissent prendre leurs décisions. On en a beaucoup discuté au sein du GIEC, certains nous disent « vous devriez aller plus loin, faire des recommandations ». Non !

Et ça a bien fonctionné, puisque les décideurs politiques sont quand même assez intelligents pour comprendre les messages. Quand on dit que si on ne fait rien pour lutter contre le réchauffement climatique, on va vers 4-5°C à la fin du siècle, avec des conséquences extrêmement importantes, quelle que soit la direction dans laquelle on regarde, les gens comprennent. Et d’ailleurs, c’est traduit dans cette Convention Climat, qui, à partir de Copenhague, a mentionné la nécessité de limiter le réchauffement climatique à 2°C, voire 1,5°C, et c’est inscrit de façon plus formelle encore dans l’Accord de Paris.

Quand on regarde l’Accord de Paris, il s’appuie complètement sur le cinquième rapport du GIEC, donc on a rempli notre mission. Je pense qu’on a donné aux décideurs politiques les éléments pour qu’ils puissent prendre leurs décisions. Là où le bât blesse, c’est qu’une fois la décision prise, elle ne se concrétise pas dans les mesures et dans la réalité de la politique. Mais c’est clair qu’à partir de cela, nous avons contribué collectivement, et je l’ai fait peut-être plus au niveau français, évidemment, à la mise en place de politiques publiques en France. J’ai participé au premier Débat sur l’Energie, en 2005, dans lequel est inscrit l’objectif de division par 4 de nos émissions, ensuite j’ai participé à la préparation de la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte, au Grenelle de l’Environnement dans lequel ça a été réaffirmé. Effectivement, parmi les scientifiques, j’ai été un de ceux qui ont apporté leur témoignage, et les politiques publiques en France se sont largement appuyées sur les travaux de la communauté scientifique.

Dans mon cas, je suis allé un peu plus loin. Je suis au Conseil Economique Social et Environnemental (CESE), j’ai été co-rapporteur d’un premier avis, avec Catherine Tissot-Colle sur la loi de transition énergétique, et j’ai aussi été dans la loi T.C.E.V. J’ai été co-rapporteur, là aussi, de l’avis sur la loi sur la transition énergétique, et donc travaillé sur les concepts d’injustice climatique, sur le risque d’accroissement des inégalités… donc je suis allé un peu plus loin grâce au C.E.S.E. qu’un simple témoignage de scientifique. Je suis au CESE, car j’ai été désigné comme personnalité qualifiée suite à mon implication dans le Grenelle de l’Environnement. Il y a une certaine continuité. Au niveau du C.E.S.E, je me suis impliqué dans 5 avis qui ont tous une dimension climatique. Ça a été aussi un endroit où j’ai pu témoigner, au-delà de mes travaux de recherche. C’est un peu entre l’expertise et la décision politique.

LVSL : Quelle devrait être la place de votre discipline dans l’élaboration de la planification écologique ? À quel niveau votre discipline devrait-elle intervenir par rapport à la décision ? Avez-vous déjà pensé à une structure qui pourrait faciliter ?

Jean Jouzel : Oui… Alors, au niveau de la décision, je pense qu’il faut bien prendre la dimension… Jusqu’ici on a parlé de climat, mais on est dans un contexte très important de changement. Je dirais que c’est la transition écologique au sens large. On va parler de transition énergétique, la Loi sur la Transition Energétique, qui est directement une loi dont la première motivation est la préservation du climat, la diminution des émissions de gaz à effet de serre. Mais on est dans un contexte beaucoup plus large, où il y a beaucoup de problèmes environnementaux aussi importants, comme la perte de biodiversité, comme la pollution, comme l’accès en eau, comme tous les problèmes de santé d’environnement… Et un des points que les gens prennent, c’est que ces problèmes ne sont pas indépendants les uns des autres. Par exemple, un réchauffement climatique rapide, de façon claire, exacerbe les autres problèmes environnementaux, qui n’ont pas besoin de ça.

Je donne souvent l’exemple de la perte de biodiversité, si rien n’était fait pour lutter contre le réchauffement climatique, la vitesse de déplacement des zones climatiques à la fin du siècle qui est de l’ordre de 5 à 10 km par an serait supérieure à la capacité de déplacement de la moitié des espèces, faune ou flore. Ça montre bien ce lien, si on ne stabilise pas le climat, la biodiversité en souffrira. Elle souffre des activités humaines, de beaucoup d’autres façons, et c’est de même pour la pollution. La pollution estivale, les villes polluées, un événement de pollution estivale quand il y a des périodes caniculaires, il est très difficile d’y faire face, avec ce qui se décline sur des problèmes de santé et d’environnement.

De même pour les ressources en eau, ne serait-ce que pour le pourtour méditerranéen… Un des problèmes du réchauffement climatique, au-delà des températures, c’est qu’il a le mauvais goût, dirais-je, d’accroître les précipitations là où il y en a déjà bien assez, par exemple dans le nord de l’Europe, l’hiver, et de les diminuer là où, en gros, on n’en a déjà pas trop, sur le pourtour méditerranéen.

Donc, on voit bien que tout ça est lié. C’est vrai qu’au-delà du climat, je pense qu’il faut s’intéresser à l’ensemble de cette transition écologique, on m’a pris en compte dans les textes, mais c’est un peu ça, ma démarche, actuellement. Et donc, dans tous ces domaines, il y a des décisions à prendre.

Alors ! Est-ce qu’il y a des organismes ? Moi, je me suis impliqué bien sûr aussi, du côté « recherche ». Tout ce dont je vous ai parlé a plutôt à voir avec le Ministère de l’Écologie, donc j’ai côtoyé tous les ministres de l’Écologie depuis, je pense, Michel Barnier… Je me suis aussi beaucoup impliqué dans la recherche. J’ai été, par exemple, 5 ans Président du Haut-Conseil de la Science et de la Technologie, qui ne s’intéressait pas au climat, mais à l’ensemble de la recherche en France. On voit bien que ces organismes consultatifs n’ont pas beaucoup de poids en France, malheureusement, donc en fait, les décisions sont plutôt prises au niveau des cabinets ministériels.

Ceci étant, je crois à la nécessité de telles organisations. Par exemple, je place des espoirs dans le Haut-Conseil pour le Climat, qui a été récemment mis en place, donc mon collègue Pierre Larrouturou en fait partie, des scientifiques comme Valérie Masson-Delmotte, avec qui j’ai travaillé, je connais bien sûr tous les gens qui y sont, et j’espère que ce Haut-Conseil aura réellement un impact, parce que c’est réellement souhaitable que les politiques publiques s’appuient sur de l’expertise, ce qui n’est pas toujours le cas.

LVSL : Si un candidat à la Présidentielle vous donnait carte blanche pour élaborer son programme en matière d’écologie, que pourriez-vous lui suggérer, dans le cadre de votre spécialité ?

Jean Jouzel : Évidemment, je placerais la lutte contre le réchauffement climatique au cœur de l’activité, on a fait un pas supplémentaire dans cette direction, c’est ce qu’on aimerait, avec Pierre Larrouturou. On s’est mobilisés, à travers deux livres, « Pour éviter le chaos climatique et financier », et puis avec Anne Hessel « Finances, Climat, réveillez-vous ! ». Ces deux ouvrages sont, en gros, des ouvrages de lancement de cette idée de pacte finance/climat. En gros, l’idée qu’on y défend, et nous ne sommes pas les seuls, c’est que si l’on veut prendre la mesure du réchauffement climatique, il faut investir de façon massive, et que ces investissements demandent une vraie prise en compte de ces problèmes. On propose de façon claire la création d’une banque européenne pour le climat. L’estimation de la Cour européenne des comptes est qu’il faudrait mille milliards € chaque année ou un peu plus pour lutter contre le réchauffement climatique européen.

Nous sommes profondément européens, et donc pour répondre à votre question, ce que nous aimerions, c’est que certains candidats – et d’ailleurs on a déjà le soutien de 210 députés, je crois – sans forcément reprendre notre Pacte, reprennent cette idée de mettre au cœur d’un projet européen la lutte contre le réchauffement climatique, et d’ailleurs, une Europe de l’énergie et du climat. Ce Pacte européen pour le Climat est de notre avis synonyme de dynamisme économique, de création d’emploi (on parle de 6 millions d’emplois au niveau de l’Europe). La seule façon, pour qu’ils puissent être pris au sérieux, c’est que des candidats aux élections européennes et ensuite des candidats aux élections de différents pays, des décideurs politiques, le reprennent à leur compte. Alors peut-être sous une forme différente, mais, ce dont je suis persuadé, c’est que, pour lutter de façon efficace contre le réchauffement climatique, on va parler de mobilité, de domestique (ce qu’on fait chez soi en termes de chauffage, d’utilisation d’appareils électro-ménagers et électroniques, ou de systèmes énergétiques, d’agriculture, d’alimentation) que tout cela soit vraiment repris dans des programmes, cette nécessité de lutter contre le réchauffement climatique et, plus généralement, je le redis, de préserver notre environnement avec ses autres dimensions.

Notre espoir, donc, c’est vraiment que ça soit repris, pas forcément sous la forme du Pacte, mais au moins que tout le monde soit conscient que, si on continue sur le rythme sur lequel nous sommes au niveau européen, les objectifs de l’Europe – ceux de la France sont à peu près similaires – de neutralité carbone à l’horizon 2050, en divisant par 4 ou 5 leurs émissions ne peuvent pas être atteintes sans un changement complet de politique.

Et finalement, il y a eu beaucoup de création de monnaie. La planche à billets a tourné pour sauver l’économie, on a créé plus de mille milliards € chaque année depuis 2008, et encore plus récemment, pour relancer l’économie… On pense qu’il serait temps que cette création monétaire soit vraiment destinée à des choses précises comme la lutte contre le réchauffement climatique, qui doit, et c’est un de nos soucis, être juste… Je suis intimement convaincu, au niveau français, de la nécessité d’une fiscalité écologique, mais on voit bien que cette fiscalité écologique est difficile à mettre en place, alors qu’on en sait les deux conditions nécessaires :

  • Qu’il y ait un regard vers les couches les plus pauvres de la population, les moins aisées, de façon à ce qu’elles n’en souffrent pas, en tout cas pas exagérément ; que ça leur permette de prendre conscience aussi de la réalité du problème ;
  • Que cette fiscalité écologique, on en connaisse la destination.

Les pays qui ont réussi à mettre en place une fiscalité écologique sont les pays dont ces deux conditions ont été au cœur de la politique fiscale, ce qui n’est pas le cas en France, malheureusement, ça a été l’échec !

C’est très clair, et ces aspects-là m’intéressent aussi beaucoup. Il faut absolument une fiscalité écologique, mais qui soit juste, et qui soit vraiment efficace. Et l’efficacité passe aussi par une clarification des objectifs de l’utilisation de cette fiscalité.

LVSL : Êtes-vous en lien avec des spécialistes d’autres disciplines ? Et si oui, comment travaillez-vous ensemble, concrètement ?

Jean Jouzel : Oui ! Et je vais citer un exemple. Un de nos derniers articles, c’est un article avec Eloi Laurent, qui est sociologue et qui s’intéresse aux inégalités. Cet article porte sur la nécessité de mettre en avant de nouveaux indicateurs. C’est un travail que j’ai fait avec un économiste, un sociologue plutôt qu’un économiste, c’est un travail récent. Autre exemple, au niveau du C.E.S.E., il y a toutes les sensibilités, donc quand on rédige un des avis du C.E.S.E., il faut aussi savoir tenir compte d’un aspect consensuel, de gens qui viennent de différents horizons.

Dans l’évolution du climat, il n’y a aucune discipline qui puisse vraiment se dire que ce n’est pas son problème. Donc, je côtoie aussi bien des philosophes comme Dominique Bourg, qui s’intéresse au réchauffement climatique, des sociologues, mais aussi des historiens du climat, des spécialistes de l’agriculture, des gens qui sont plus orientés vers la technologie, ou même des juristes… J’ai parrainé l’organisation de Marie Toussaint, Présidente de « Notre affaire à tous », qui est une des quatre organisations signataires de l’appel « l’Affaire du siècle ». J’ai travaillé sur la justice climatique avec une juriste, Agnès Michelot, demain je vais au dixième anniversaire d’OXFAM, j’irai donc témoigner avec des gens d’horizons complètement différents. C’est souvent aussi dans les entreprises, il y a beaucoup d’intérêt des entreprises, dans le secteur financier…

Je fais aussi, de plus en plus, de conférences et d’interactions avec le secteur agricole, parce que j’aime beaucoup. C’est anecdotique, mais il y a deux mois, à sa demande, j’ai rencontré Christiane Lambert, Présidente de la FNSEA. Il y a une vraie prise de conscience dans le monde agricole de la nécessité de prendre en compte ce problème climatique… Ce sont des leaders syndicalistes…

J’ai aussi beaucoup de contacts avec les politiques, bien sûr, je suis assez proche de Nicolas Hulot, mais quand François de Rugy a pris le Ministère, il m’a aussi invité à le rencontrer. De même, j’ai rencontré ensuite Emmanuelle Wargon à son invitation, Brune Poirson également, on a discuté de projets sur le forum Météo/Climat.

Je suis aussi très investi dans l’associatif, là aussi on côtoie des gens d’horizons différents. Je suis président de Météo et Climat, qui est la société savante dans nos disciplines. Je suis aussi très impliqué et très intéressé par un mouvement qui s’appelle « Mouvement Universel de la Responsabilité Scientifique » : l’idée c’est qu’on discute beaucoup de responsabilité scientifique, d’éthique scientifique, et ces aspects m’intéressent également, et donc on aura ici un Directoire, lundi prochain on sera une quinzaine de personnes à se réunir ici, avec à la fois des médecins, des philosophes, mais aussi des spécialistes de l’informatique, de l’intelligence artificielle… Tout ça pour discuter de l’éthique scientifique.

J’aime bien le contact avec les gens, j’ai beaucoup aimé m’investir dans le Haut-Conseil de la Science et de la Technologie, là aussi j’ai côtoyé des gens de toutes les disciplines. Je pense que ça fait partie de notre travail. Ça laisse un peu moins de temps pour écrire des articles, mais une de mes fiertés, c’est que beaucoup de jeunes ont pris le relais, il y a Vincent Delmotte, et d’autres aussi qui sont dans nos équipes, comme dans son cas, extrêmement visibles. Ces jeunes sont extrêmement brillants, impliqués, et c’est vrai que j’ai participé au développement de l’Institut Pierre Simon-Laplace, c’est quand même un grand institut, et ça fait aussi partie de mes fiertés.

Ma carrière de chercheur est un peu derrière moi, même si je continue de travailler un peu, mais je suis très fier que beaucoup de jeunes s’intéressent à ces disciplines, parce qu’on en a bien besoin…

LVSL : Êtes-vous plutôt optimiste quant à la faculté de l’humanité à relever le défi climatique ?

Jean Jouzel : J’ai été optimiste, plus que je ne le suis aujourd’hui, après la Conférence de Paris. Si on peut parler d’un succès, ce n’est pas dans ses objectifs eux-mêmes, car ils sont bien en deçà de ce qu’il faudrait faire pour limiter le réchauffement climatique à 2°C. En l’état, on va plutôt vers 3°C : il faudrait multiplier par 3 les engagements, par 5 pour rester sous 1,5°C. Ce n’est pas tellement par ses objectifs, mais par son universalité. Tous les pays ont signé l’Accord de Paris, pratiquement tous les pays l’ont ratifié – le seul grand pays qui ne l’a pas ratifié, pour le moment, c’est la Russie – mais malheureusement, le retrait annoncé des États-Unis, le retrait envisagé du Brésil, et du coup, d’autres pays qui traînent les pieds comme l’Australie (et on ne voit pas la Russie ratifier l’Accord de Paris si les États-Unis en sortaient…). Je suis beaucoup moins optimiste.

Ceci étant, je reste non pas confiant, mais convaincu qu’il faut faire le maximum pour limiter le réchauffement climatique, c’est d’ailleurs dans cet esprit que nous avons lancé cette idée d’un Pacte Finance-Climat pour l’Europe. Mais il faut bien reconnaître la difficulté quasi insurmontable de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. Diviser par deux nos émissions entre 2020 et 2030, alors que beaucoup des investissements d’aujourd’hui (on peut parler de développement de l’aviation, du transport maritime, de construction de nouvelles centrales qui sont, dans certaines régions, à charbon, ou bien en tout cas, à combustible fossile), ne rend pas optimiste…

Pour réussir, il faudrait que chaque investissement, que tous les pays, tous les secteurs d’activité, chaque citoyen regarde dans la même direction, et on voit bien que ce n’est pas le cas, donc je suis beaucoup moins optimiste que je ne l’étais. Nous sommes, malheureusement, dans la situation qui était celle après le Protocole de Kyoto, qui était à peu près bien dimensionné à l’époque, puisque les États-Unis n’ont pas ratifié. Avec la non-ratification par George Bush du Protocole de Kyoto, on a perdu 8 ans. Je ne sais pas si on perdra 4 ou 8 ans dans le cas de Trump, mais c’est clair que la politique a pris le pas sur la nécessaire lutte contre le réchauffement climatique, et ça, ça ne me rend pas complètement optimiste.

Mais je pense qu’il faut toujours agir, il faut faire le maximum, et je pense, je le redis, que l’Europe peut jouer un rôle important, et prendre le leadership dans cette lutte contre le réchauffement climatique. Et je dis souvent que le pays, le bloc de pays, qui prendrait le leadership dans la lutte contre le réchauffement climatique sera aussi le leader au niveau planétaire dans quelques décennies. Pour moi c’est très clair, parce que c’est synonyme de développement économique. Ce n’est pas le contraire.

Retrouvez l’ensemble des épisodes de Les Armes de la Transition dans le dossier suivant (écrit) :

Et sur YouTube (vidéo) :