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De Paris à Alger, les peuples en mouvement…

Lien publiée le 18 mars 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://la-sociale.viabloga.com/news/de-paris-a-alger-les-peuples-en-mouvement

…Contre Bouteflika et Macron, pour la souveraineté, la justice sociale, la République tout simplement.

Par Jacques Cotta

Depuis le 16 février ont éclaté en Algérie des manifestations d’une ampleur inédite depuis des décennies contre un cinquième mandat brigué par le candidat-Président Bouteflika. 

Dans le Figaro du 1er mars 2019, l'écrivain algérien Boualem Sansal affirme : « De telles manifs dans toutes les villes du pays et jusque dans la capitale, pas loin d’El Mouradia (le quartier du palais présidentiel), des Tagarins (le quartier du ministère de la Défense), d’Alger-centre (le quartier du palais du gouvernement), est une insupportable humiliation pour le président, ses frères, son armée, sa police, ses députés, ses sénateurs, ses oligarques, ses fonctionnaires, ses milices d'appoint, bref la « famille révolutionnaire » (c'est le nom qu'ils se donnent), à qui jamais personne n'a manqué de respect sans le payer de sa vie. Leur silence a un air de veillée d'armes qui n'augure rien de bon. »

Il serait bien sûr hasardeux de tirer un trait d’égalité entre la situation algérienne et la situation qui dans l’hexagone voit depuis plus de trois mois des centaines de milliers de Gilets jaunes descendre dans la rue au cri de « Macron démission ». Pourtant, il suffirait de remplacer dans le passage ci dessus quelques lieux géographiques par d’autres -El Mouradia par Bd Saint-Honoré, quartier présidentiel par quartier de l’Elysée, ou encore Alger-centre par place de la Concorde- pour changer de capitale sans grand risque de se tromper. 

Evidemment, Macron n’est pas Bouteflika « tout juste sorti du formol » pour l’occasion présidentielle. Leurs âges ne sont pas comparables, ni leur expérience, ni leur histoire. Le peuple algérien est dominé par une jeunesse dynamique et massive, très largement engagée dans les mobilisations, ce qui n’est pas le cas dans l’hexagone. 

Et pourtant, l’Algérie et la France sont-elles sur le fond de ce qu’expriment leur peuple respectif si éloignées l’une de l’autre? Les motivations des algériens et des français sont-elles si différentes les unes des autres? Et s’il s’agissait tout simplement des deux côtés de la Méditerranée pour des peuples à l’histoire mêlée de réaffirmer l’attachement à leur république et aux valeurs que leur gouvernement respectif bafoue, détruit.

République et démocratie

La république n’a de sens que dans le respect de la démocratie, de l’information libre et pluraliste. La démocratie, c’est d’abord le droit de s’exprimer, d’émettre des opinions contraires et de débattre. Si en Algérie ce droit a été très sévèrement réprimé, la tendance actuelle -ce qui ne signifie pas que les choses sont positivement réglées- est à une libération inhabituelle de la parole. On assiste par contre en France à un mouvement contraire. Des gardes à vue de 24h sont décrétées pour simple réflexion faite sur un rond point à un policier en faction. Il s’agit d’intimider et de restreindre la parole, point de départ de toute résistance et opposition.

Le fonctionnement des médias est aussi un révélateur de l’état dans lequel se trouve la démocratie dans un pays. Jusqu’au 1er mars 2019, la télévision et la radio publique algériennes ont fait totalement abstraction des manifestations, tandis que les « chaines » privées liées au pouvoir ont fourni un service minimum. En France le traitement réservé aux Gilets jaunes a été contradictoire, mais pour l’ensemble les médias ont relayé sans recul les manipulations les plus grossières, violences organisées, casseurs sur commande ou antisémitisme téléguidé pour discréditer un mouvement approuvé et soutenu par plus de 70% de la population. 
 

République et sécurité

L’ordre et la sécurité sont des exigences républicaines pour tout citoyen qui aspire à vivre tranquillement, sans violence. Ainsi, la condamnation des « casseurs » qui ne servent qu’à dénaturer le mouvement social en France est unanime. Mais que dire dans ce cadre de l’action policière et des ordres donnés par la hiérarchie jusqu’au plus haut niveau, ministère de l’intérieur et présidence? Monsieur Castaner, ministre de l’intérieur, chiffrait à 300 le nombre de casseurs. Il y a eu plus de 10 000 arrestations de Gilets jaunes, plusieurs centaines de blessés graves, énucléés ou amputés. Les protestations et mises en garde du « défenseur des droits » Jacques Toubon provoquent dans l’exécutif des réactions d’une rare virulence.  La justice est de son côté instrumentalisée avec des consignes très claires données aux procureurs pour les encourager à des mesures d’exception contre les manifestants revêtus du gilet. La loi anti casseurs est une loi anti manifestation, anti rassemblement, anti revendications. 

En Algérie, les manifestations actuelles sont exceptionnelles non seulement pour leur ampleur, mais pour leur simple existence. Il y a quelques mois seulement des médecins algériens ont été violemment réprimés dans plusieurs villes du pays. Et si on remonte plus loin, en 2001 par exemple, on se rappelle le carnage réalisé par la gendarmerie en Kabylie avec plus de cent morts. Des deux côtés de la méditerranée, c’est un mouvement anti  républicain de même nature, à des rythmes et des degrés différents, qui est amorcé. 
 

République et Oligarchie

L’Algérie est célèbre entre autre pour le régime de faveur fait aux proches du pouvoir dont la fonction principale est l’entretien des réseaux qui permettent à la clique « Bouteflika » de gouverner. C’est dans l’histoire de l’Algérie et du FLN qu’il faut en chercher les ressorts. C’est pourquoi les lois ne sont pas les mêmes pour tous, condition pourtant indispensable à la définition du cadre républicain dans lequel normalement nul n’est au dessus de la loi, qu’on soit puissant ou misérable. L’Algérie se distingue donc dans ce domaine aussi. Et la France? Il suffit d’évoquer le sort réservé aux GJ et de le comparer aux amis du pouvoir, députés, ministres ou le chouchou du Président, Alexandre Benalla, pour n’avoir pas besoin d’épiloguer.

Le régime algérien, comme le vénézuélien, a vécu grassement en enrichissant ses affidés grâce aux revenus pétroliers ou gaziers, au détriment du développement d’une industrie ou d’une agriculture qui auraient bénéficié à l’ensemble de la société algérienne. Comme au Vénézuela, c’est l’armée autour du chef suprême qui a occupé la proximité du pouvoir et qui en a tiré les avantages. L’oligarchie y porte l’uniforme. En France, elle est en civile. Le « Président des riches » soigne les puissances financières qui l’ont porté au pouvoir. La privatisation des aéroports de Paris vient illustrer le propos. Nul n’est capable, y compris dans les hautes sphères, d’apporter une explication cohérente à une telle entreprise. Officiellement, le produit de la vente devrait être placé sur les marchés financiers pour rapporter, selon Bercy, 200 millions par an. Mais ADP dans les mains de l’état rapporte plus. Pourquoi donc s’en défaire? Pour rendre service? et à qui?

République et justice sociale

La liquidation du bien commun au compte d’intérêts particuliers est contradictoire avec les principes qui fondent la République. La République est en effet le cadre dans lequel doit prévaloir l’intérêt général, le bien de la collectivité. Elle est contradictoire avec la politique qui brade au privé pour quelques intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général. Voilà pourquoi en Algérie comme en France la dénonciation de la corruption est une des préoccupations des manifestants.

Des deux côtés de la méditerranée, la question sociale constitue le moteur des mobilisations. En France, aveugle est celui qui ne voit que les Gilets jaunes, parfois de façon inconsciente, s’inscrivent dans la résistance et le refus larvé des politiques de destruction des droits sociaux engagées hier par Hollande et Sarkozy et poussées à leur paroxysme par Macron qui décide de chambouler et de réduire le droit au travail, la protection sociale, les retraites, les services publics, et autres sujets qui s’inscrivent dans les fondements mêmes de la république tels qu’ils avaient été posés en 1946 et dans la constitution de 1956. En Algérie, les questions sont de même nature. Selon la « Carnegie Endowment for international peace », présidée par l’ancien agent américain du Service extérieur William Burns, ce que le gouvernement algérien craint le plus  en 2019, c’est « la montée des contestations sociales qui étaient apparues en 2018, en réaction à l’incapacité du gouvernement  à assurer des services de base tels que l’eau potable, l’assainissement et les soins dans les établissements publics, sachant que l’Algérie est obligée d’importer  ses besoins  de l’étranger  pour une valeur de 60 milliards de dollars par an alors que ses revenus  ne cessent de diminuer  depuis 2104 pour atteindre actuellement quelque 33 milliards de dollars ». Les causes réelles de la contestation cristallisée sur la volonté de redonner un 5ème mandat à la « momie Bouteflika » sont à chercher dans les données économiques d’un pays livré à un libéralisme au bilan catastrophique, d’un pays dont les ressources ont beaucoup baissé, d’un pays qui connait prévarication, pillage, anéantissement des principes républicains auxquels aspire le peuple algérien.

République et puissance populaire

En France comme en Algérie, tout le monde a été en réalité pris au dépourvu par l’ampleur des mobilisations, l’intelligence d’un mouvement qui a déjoué jusque là toutes les manoeuvres destinées à le dénaturer, à le casser. Bachir Dahak, Juriste et militant associatif, administrateur de l’association « Coup de Soleil », rappelle: 

« certains anciens militants qui avaient perdu espoir d’une telle mobilisation, ont parlé de miracle et ils ne sont pas loin de la vérité. La qualité des slogans, la grande diversité sociale des manifestants et leur courage face aux forces de l’ordre tout ça a fait penser certains observateurs à d’autres manifestations historiques, celles de l’indépendance évidemment mais aussi celles du 11 Décembre 1960 à Alger et aussi celles de 1990 et 1992. Elles rappellent également la manifestation pacifique des ouvriers algériens à Paris le 17 octobre 1961 ». 

L’Algérie n’est décidément pas très éloignée de la France… Il poursuit: 

« Il ne faut pas oublier que depuis deux ou trois ans les mots de la révolte étaient scandés dans beaucoup de stades de football et ce sont les paroles très politisées des stades qui ont été beaucoup reprises dans les marches de ces derniers jours. Le rôle des jeunes issus des quartiers populaires a été déterminant. Un journaliste sportif qui connait très bien le monde du football m’avait dit fin 2016 que le jour où les chansons des stades seront reprises par la rue, ce sera le début d’une révolution ».

République et souveraineté

Les grandes puissances observent les mouvements sociaux qui se déroulent en Algérie et en France. Tous expriment des préoccupations qui se rejoignent dans le souci d’un « retour à l’ordre ». L’union européenne, mais également les Etats-Unis, y vont de leurs « conseils éclairés ». La souveraineté populaire n’est assurée ni d’un côté ni de l’autre, puisque les ingérences sont légion et que les parlements sont réduits à des parlements croupions qui votent d’une seule main systématiquement ce que le gouvernement a décidé de faire voter. Au palais Bourbon, les députés ont pour tâche principale  la transposition des lois européennes prises à l’insu du peuple français. Il en va de la liberté du peuple. Comment en effet un peuple peut-il être libre hors d’une république libre qui ne reconnait pas la volonté du peuple comme seul pouvoir souverain. La « souveraineté européenne » mise en avant par Macron en lieu et place de la souveraineté nationale est un programme de liquidation de la Nation, de ses principes, de la République libre et souveraine.

La souveraineté nationale, tel est l’enjeu. Le peuple algérien n’est pas dupe. Sur une pancarte en plein coeur d’Alger, on peut lire: 

« Macron, si tu soutiens ce régime, nous soutenons les gilets jaunes par solidarité internationale »

Message reçu 5 sur 5. 

« Je salue la dignité avec laquelle la population, en particulier la jeunesse algérienne, a su exprimer ses espoirs, sa volonté de changement, ainsi que le professionnalisme des forces de sécurité » a déclaré Macron avant de poursuivre, « je salue la décision du président Bouteflika qui signe une nouvelle page» dans l’histoire de l’Algérie, juste après l’annonce du président algérien de renoncer à briguer un 5ème mandat. 

Outre que les ruses sont toujours en cours en Algérie comme en France -A Alger avec l’ajournement d’un processus électoral, à Paris avec le soit disant « Grand débat » pour noyer le poisson- le président français ne craint ni le porte-à-faux, ni le ridicule. Car il pourrait s’adresser les félicitations qu’il destine à l’autre bord de la Méditerranée en mettant en pratique ce qu’il reconnait chez son alter ego algérien, la reconnaissance de la volonté populaire exprimée par la décision de se retirer…

Jacques Cotta

le 16 mars 2019