[RSS] Twitter Youtube Page Facebook de la TC Articles traduits en castillan Articles traduits en anglais Articles traduits en allemand Articles traduits en portugais

Newsletter

Ailleurs sur le Web [RSS]

Lire plus...

Twitter

La haute bourgeoisie d’Etat

Lien publiée le 21 mars 2019

Tweeter Facebook

Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.zones-subversives.com/2019/03/la-haute-bourgeoisie-d-etat-5.html

La haute bourgeoisie d'Etat

L'arrogance du pouvoir exprime la domination de toute une classe sociale. La haute bourgeoisie navigue entre le public et le privée pour servir ses intérêts et diriger l'ordre capitaliste. 

Le président Macron incarne la bourgeoisie d’Etat. Cette haute fonction publique dirige Bercy, le ministère de l’économie et des finances. La direction du Trésor ou l’Inspection des finances publiques apparaissent comme des administrations très puissantes. Les frontières entre l’Etat, les banques et le capitalisme sont devenues poreuses. Cette caste contrôle une administration puissante, dirige la finance française et les groupes du CAC 40.

Cette bourgeoisie d’Etat passe du secteur public à la direction de grandes entreprises. Elle reste également influente dans le domaine politique. Le gaullisme mais aussi le Parti socialiste s’alignent sur le néolibéralisme. Moins d’Etat, moins d’impôts, moins de déficits, plus de privatisations fondent ce dogme. Laurent Mauduit, journaliste à Mediapart, décrit cette classe sociale dans son livre La caste.

                                                La caste - Laurent MAUDUIT

Conflits d’intérêts

Cette bourgeoisie d’Etat s’est considérablement enrichie. Les privatisations lui ont permis de passer du public au privé. A partir de 1986 s’amorce la vague des privatisations. Les fleurons de l’économie française sont livrés aux marchés. France télécom, Gaz de France et les autoroutes sont privatisées. Les entreprises recherchent désormais la rentabilité. « Au diable le service public, et ce qui va avec : l’égalité d’accès garanti à tous les citoyens pour des besoins fondamentaux, la péréquation des tarifs… », s’indigne Laurent Mauduit.

Les privatisations modifient également le capitalisme français. La précarité, l’intérim et les licenciements doivent permettre d’augmenter les profits. Le ministère des Finances, loin de défendre un supposé intérêt général, sert surtout de tremplin professionnel. Des hauts fonctionnaires passent dans les cabinets ministériels, de gauche et de droite, avant de rejoindre la banque.

Le passage du public au privé, puis inversement, pose des problèmes de conflits d’intérêt. Un fonctionnaire peut difficilement réformer le secteur bancaire lorsqu’il s’agit de son futur employeur. Inversement, des anciens dirigeants de banques peuvent difficilement retourner à Bercy pour proposer une régulation de la finance. La neutralité et l’impartialité de l’Etat peuvent être remises en cause par de telles pratiques. « Stupéfiant capitalisme de la barbichette où un homme peut s’occuper des mêmes dossiers tout en changeant de métier, alternativement pour le compte de l’Etat et pour le compte d’une banque », déplore Laurent Mauduit.

La logique du privé s’impose dans le secteur public. La rentabilité immédiate et l’efficacité priment sur les besoins sur le long terme. « Le privé, l’argent, le profit : voici le seul, l’unique modèle », s’offusque Laurent Mauduit. Macron ne cesse de valoriser son expérience dans le secteur privé et la banque. Il incarne la privatisation de la fonction publique.

Ces liens entre bourgeoisie d’Etat et capitalisme financier s’inscrivent dans une tradition bien française. Le régime bonapartiste ou le présidentialisme d’aujourd’hui favorisent ce conflit d’intérêt. Karl Marx, dans son livre sur Le 18 brumaire, observe une classe d’arriviste qui profite de l’avènement du Second Empire pour s’enrichir. Les haut-fonctionnaires préfèrent se servir plutôt que de servir.

            Bercy, miroir des rivalités

Libéralisme économique

La gauche au pouvoir amorce un tournant de la rigueur en 1982. Un tournant libéral s’amorce dans les cénacles intellectuels au milieu des années 1980. Les économistes et le ministère des Finances s’alignent sur le dogme libéral. Des économies doivent se faire sur l’assurance maladie et les retraites. Des réformes structurelles doivent imposer une politique de rigueur.

La Fondation Saint-Simon incarne également cette technocratie de gauche au service du libéralisme le plus dur. Alain Minc et le Commissariat au Plan se rangent derrière Balladur pour s’opposer à l’augmentation du SMIC. Depuis Sarkozy, les gouvernements successifs refusent d’augmenter le salaire minimum. La dette devient ensuite le grand combat des libéraux, sans préciser que ce sont les baisses d’impôts pour les plus riches qui creusent les déficits.

Les bureaucrates sont puissants face à des hommes politiques qui refusent de leur tenir tête. L’ascension d’Emmanuel Macron vers le pouvoir révèle la lente résignation des politiques. La gauche et la droite s’alignent sur l’idéologie libérale. Le gouvernement Jospin est celui qui privatise le plus. La politique fiscale vise à aider les plus riches. En 2000, la gauche dynamite l’impôt sur le revenu. Hollande augmente la TVA et plafonne l’ISF. Même la fameuse loi sur les trente-cinq heures débouche sur la flexibilité et l’austérité salariale.

Le libéralisme économique de la haute fonction publique ne s’accompagne pas d’un libéralisme politique. Emmanuel Macron incarne un pouvoir technocratique autoritaire et méprisant. Il n’est que la caricature de la monarchie républicaine et du bonapartisme. Le président concentre les pouvoirs et décide à coups d’ordonnances. Les bureaucrates veulent mettre en place leurs réformes de manière rapide, sans s’embarrasser de la lenteur du dialogue social. Ce pouvoir autoritaire se traduit surtout par la chasse aux migrants et la répression des mouvements sociaux.

L’ENA devient la seule école de formation des élites. Le recrutement se veut méritocratique mais relève du népotisme. Cette grande école permet une reproduction des élites. Tous les élèves restent issus de la grande bourgeoisie. Ensuite, l’ENA ne favorise pas la réflexion personnelle et le pluralisme. C’est au contraire l’absence de hauteur de vue et le conformisme qui s’imposent.

     Crédits : SciencesPo

Liquider les élites

Laurent Mauduit propose une critique pertinente de la classe sociale à laquelle appartient le président Macron. La morgue, l’arrogance et le mépris de classe sont bien incarnés par le pitre au pouvoir. Laurent Mauduit reste particulièrement convainquant dans la dimension factuelle de son livre. Le journaliste nourrit son argumentation d’exemples particulièrement savoureux. Laurent Mauduit enquête depuis longtemps sur tous les conflits d’intérêts qui traversent la haute bourgeoisie française. Il décrit bien ce « capitalisme de la barbichette », consanguin, dont les dirigeants ne cessent de naviguer entre public et privé. Il décrit également la logique du secteur financier qui prime sur le service de l’Etat.

Malgré ce constat pertinent, l’analyse de Laurent Mauduit reste limitée. Le journaliste semble englué dans une vision social-démocrate assez peu lucide et manque de recul historique. Il semble décrire un libéralisme français qui émerge dans les années 1980. Certes, le tournant de la rigueur a permis une conversion de la gauche à l’idéologie libérale. La Fondation Saint-Simon et Alain Minc incarnent le mélange des genres entre patrons et politiciens, de droite comme de gauche.

Néanmoins, cette dérive libérale des élites françaises remonte à loin. François Denord retrace les origines du néolibéralisme français depuis les années 1930. Les élites passent déjà du planisme à une gestion libérale de l’économie. La modernisation des années 1950 et 1960 ne se réduit pas au keynésianisme. Une figure comme Jacques Rueff, proche du gaullisme, insiste sur le rôle de l’Etat pour gérer les déficits et imposer des politiques d’austérité.

Surtout, Laurent Mauduit reste dans une idéologie proche de la vieille gauche. Le gentil Etat est censé s’opposer à la méchante finance. C’est pour cette raison que les conflits d’intérêts choquent le journaliste. Mais la bourgeoisie d’Etat n’a jamais été au service du bon peuple ou d’un improbable intérêt général. Laurent Mauduit semble nostalgique des élites mendésistes et d’une gauche au pouvoir qui n’a pourtant jamais réellement amélioré les conditions de vie des exploités.

Bien qu’il s’en défende, Laurent Mauduit adopte une grille de lecture populiste. Il oppose le peuple et la caste. Cette approche s’oppose à l’analyse de classe. La bourgeoisie comprend plusieurs fractions, dans le monde de l’entreprise ou de l’administration. Ces diverses fractions de la bourgeoisie peuvent être rivales et ne partagent pas toujours les mêmes intérêts immédiats. L’Etat doit alors arbitrer ces divers conflits pour défendre l’intérêt général de la bourgeoisie.

Laurent Mauduit semble au contraire penser que l’Etat défend l’intérêt général de la population, dans un élan de naïveté républicaine. Le journaliste idéalise le passé et l’interprète à sa manière. Les élites de la République défendent avant tout leurs intérêts de classe. Il n’a jamais existé des élites éclairées qui œuvrent pour le bien public. L’Etat défend avant tout l’ordre capitaliste. Il n’y a rien à attendre de la bourgeoisie et de ses différents partis politiques. Seules les luttes sociales automomes permettent d’améliorer les conditions de vie des exploités. C'est l'ensemble des hiérarchies et l'existence même d'une classe dirigeante qui doit être remise en cause. 

Source : Laurent Mauduit, La caste. Enquête sur cette haute fonction publique qui a pris le pouvoir, La Découverte, 2018

Articles liés :

Les échecs de la gauche au pouvoir

Populismes de gauche et démocratie

La gauche au pouvoir au service du capital

Congédier la gauche (de gauche)

Une contestation de la modernisation industrielle

Pour aller plus loin :

Vidéo : L'entretien libre #18, mis en ligne sur le site Le Média le 24 septembre 2018

Vidéo : Laurent Mauduit : "Le parcours d'Emmanuel Macron montre bien l'évolution de la haute fonction publique", mis en ligne sur le site de France Inter le 8 septembre 2018 

Vidéo : Le Grand Oral de Laurent Mauduit, cofondateur de Mediapart, mis en ligne sur le site de RMC-BFM le 5 septembre 2018

Vidéo : Laurent Mauduit, Monique Pinçon-Charlot et Denis Robert, La caste : comment s'en débarrasser ?, mis en ligne le 14 novembre 2018 

Vidéo : La caste, cette haute fonction publique qui a pris le pouvoir, avec Laurent Mauduit, conférence mise en ligne sur le site de la Société Louise-Michel le 25 octobre 2018 

Vidéo : Laurent Mauduit : La Caste, cette haute fonction publique qui a pris le pouvoir, mis en ligne sur le site de La Tribune des pirates le 19 septembre 2018

Vidéo : Conférence-débat de Laurent Mauduit à La Carmagnole, mise en ligne sur le site Ensemble ! 34 le 28 décembre 2018 

Radio : Laurent Mauduit (Mediapart): "On est dans un crétinisme présidentiel dans lequel il n'y a pas de contre-pouvoir ", diffusé sur France Bleu Hérault le 12 décembre 2018 

Radio : émissions avec Laurent Mauduit diffusées sur France Culture 

Radio : émissions avec Laurent Mauduit diffusées sur France Inter

Pascal Boniface, « La caste » – 4 questions à Laurent Mauduit, publié sur le site de l'IRIS le 22 octobre 2018 

Benjamin Caraco, La République des inspecteurs, publié sur le site Non fiction le 7 janvier 2019 

Vincent Jauvert, "La Caste", le livre qui dénonce Macron et son "hold-up sur l'Etat", publié sur le site BibliObs le 5 septembre 2018

Laurent Mauduit, Emmanuel Macron, le candidat de l’oligarchie, mis en ligne sur le site Démocratie Réelle Maintenant des Indignés de Nîmes le 11 juillet 2016 

Blogs de Laurent Mauduit publiés sur Mediapart

Articles de Laurent Mauduit publiés sur le site du journal Marianne