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La "disparition" de Verdun, nouvelle étape d’une "offensive identitaire"

Lien publiée le 24 mars 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.huffingtonpost.fr/2019/03/24/la-disparition-de-verdun-nouvelle-etape-dune-offensive-identitaire_a_23699350/?ncid=tweetlnkfrhpmg00000001

L'historien Nicolas Offenstadt pointe l'instrumentalisation visant à exploiter l'histoire comme "un roman national et non comme une discipline critique".

La bataille de Verdun "exclue" du programme d'histoire en Première? Tout le week-end, la polémique aura ulcéré les élus de droite et d'extrême droite jusqu'à ce que le ministre de l'Éducation nationale Jean-Michel Blanquer siffle la fin de la récré. Non, Verdun n'a pas disparu des programmes d'histoire, la bataille n'y figurait déjà pas dans les directives de 2010. Oui, l'histoire de cette bataille emblématique de la Première guerre mondialecontinuera d'être enseignée aux élèves de troisième comme de première.

Si certains voudront juger sur pièces, notamment dans la Meuse où cette mémoire s'inscrit encore jusque dans les paysages, cette nouvelle polémique autour de Verdun, et la rapidité avec laquelle elle s'est embrasée, témoignent de l'inquiétude identitaire qui parcourt la France et ses répliques dans le débat politique contemporain. "En supprimant la bataille de Verdun des manuels scolaires, le gouvernement dépossède les Français de leur histoire glorieuse", a dénoncé la présidente du RN Marine Le Pen, comme si ne pas citer Verdun, c'était effacer la France.

"Ceux qui lancent ces polémiques ne conçoivent l'histoire que comme un roman national", met en garde Nicolas Offenstadt, historien spécialiste des mémoires de la Grande guerre, en démontant les approximations historiques qui accompagnent cette "offensive identitaire" au long cours.

Est-ce une faute de ne pas faire apparaître clairement Verdun dans les programmes d'histoire?

Nicolas Offenstadt: On a cette polémique à chaque nouveau programme et elle est ici doublement stupide. Tout d'abord, c'est considérer l'histoire d'une manière désuète et ringarde comme un simple emboîtement d'événements. Comme si l'histoire n'était qu'une somme de petits ou de grands événements ou de personnages qui "devraient être là". Un coup, il manque Napoléon, un autre c'est Louis XIV, un coup ce sont les généraux ou les maréchaux. C'est intellectuellement stérile puisque l'intérêt, c'est de discuter d'un programme dans son ensemble, de sa conception.

Le second élément, c'est que quand on lit le programme, on voit bien que Verdun peut être enseigné à n'importe quel moment. Il est dit très clairement dans ce programme, que je ne cherche pas particulièrement à défendre, que seront abordées "les grandes étapes de la guerre". Donc tous les professeurs d'histoire aborderont la bataille de Verdun.

Dans les précédents programmes, aucune bataille n'était citée et cela n'a pas empêché l'enseignement de la bataille de Verdun...

J'ai rédigé un article spécifique sur cette question pour un colloque sur l'enseignement des batailles. À la suite des programmes de 2011, dont la définition ne citait aucune d'entre elles, la bataille de Verdun, mais aussi celle de la Somme et le Chemin des Dames étaient toutes présentes dans les manuels avec des dossiers spéciaux. Même si les professeurs doivent faire des choix faute de temps, Verdun est et restera au cœur des grandes étapes de la guerre. Tout cela démontre que les gens qui lancent ces polémiques ne conçoivent l'histoire que comme un roman national et non comme une discipline formatrice et critique.

Comment expliquez-vous que la mémoire de Verdun suscite aussi régulièrement des polémiques, comme s'il existait une crispation identitaire autour de la bataille?

On a encore vu récemment une double polémique autour de la commémoration de Verdun pour le centenaire de la Première guerre mondiale, entre la scénographie du cinéaste Volker Schlöndorff sur le champ de bataille jusqu'au concert de Black M. Pourquoi? Verdun, dans le grand récit national, c'est la bataille où la France se défend. C'est une bataille où elle apparaît toute seule, sans ses alliés et à laquelle une bonne partie des troupes françaises a participé puisqu'il y a eu une très forte rotation à l'époque. Surtout, c'est une bataille défensive, ce qui est plus facile à valoriser dans le cadre d'une mythification que les batailles offensives plus meurtrières et qui ont bien souvent échoué. Ces éléments vont faire que, dès 1916, Verdun va être mythifiée. Quand les anciens combattants de 14-18 vieillissent, ils vont eux-même mettre en avant Verdun dans les années soixante pour sauver la mémoire de la guerre.

À travers le Conseil supérieur des programmes, certains élus accusent le gouvernement de privilégier l'histoire des "défaites" contre celle des "victoires"...

Ce terme de "victoire" est lui-même discutable. À la fin de Verdun, les lignes n'ont pas bougé. Les Allemands ont certes été arrêtés, mais de là à parler de victoire. C'est une construction d'un récit mythique qui existe dès l'entre-deux guerres. On parle déjà du "soldat de Verdun" comme s'il était différent de celui qui s'est battu au Chemin des Dames ou en Champagne. En terme de pertes numériques, d'autres batailles ont occasionné au moins autant de souffrances.

À l'extrême droite, certains transposent l'opposition entre l'enseignement de la bataille de la Somme (qui impliquait plusieurs pays belligérants) et celui de Verdun au clivage "mondialiste contre nationaux". Est-ce concevable?

Du point de vue historique, cette opposition n'a d'ailleurs pas lieu d'être. Le déclenchement de la bataille de la Somme en 1916 est lié au fait que la bataille de Verdun est toujours en train de se dérouler, l'idée de l'offensive alliée étant alors d'alléger le front de Verdun. Tout professeur d'histoire qui raconte l'histoire de la bataille de la Somme sera évidemment obligé de raconter pourquoi elle a été déclenchée et donc comment elle est en lien direct avec la bataille de Verdun. Là encore, on est dans une pure construction visant à séparer les deux récits.

Mais ce qui est vrai et nouveau, c'est cette offensive identitaire très forte, qui s'est cristallisée sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, qui reviendrait à dire que face à une histoire mondialisée, il faudrait revenir à un récit national extrêmement glorificateur. C'est une étape de ce feuilleton, même si en l'occurrence la polémique fonctionne particulièrement mal.

Au-delà de cette énième polémique, certains professeurs s'inquiètent de la place de l'histoire dans le secondaire...

Voilà la véritable question: la réduction des horaires et la place de la Grande guerre. Mais c'est un débat de professionnels. On a l'impression que l'histoire concerne tout le monde, et c'est normal, mais le véritable enjeu c'est de savoir comment on enseigne l'histoire en très peu d'heures. Je ne crois pas que tous ces grands élus s'intéressent d'aussi près aux programmes de mathématiques ou de SVT.

Je le répète: même si c'est très difficile et malgré ces polémiques stériles, les enseignants savent comment articuler le cadre général des programmes, les manuels et la pratique en classe. Même si un événement ne figure pas explicitement dans les programmes ou les manuels, on peut très bien dans son enseignement lui accorder l'espace qu'il mérite. N'oublions pas non plus les très nombreux projets pédagogiques (visites des champs de bataille, des monuments aux morts) organisés par les collègues en dehors du déroulé narratif. D'où le non-sens de cette pseudo "disparition" de Verdun.