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    Marseille insalubre contre Marseille des riches

    Lien publiée le 25 mars 2019

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    http://www.emancipation.fr/spip.php?article2020

    Quand on lit Histoire universelle de Marseille, de l’an mil à l’an deux mille d’Alessi Dell Umbria (2006), on réalise que la bourgeoisie marseillaise a toujours eu comme projet d’expulser les pauvres.

    Chasser les pauvres

    Ce projet s’est en partie réalisé pendant l’occupation avec la grande rafle de janvier 1943 (6 000 arrestations, 1642 déporté·e·s dont la grande majorité n’est pas revenue) et la destruction du quartier nord du Vieux Port que le collabo Louis Gillet décrivait ainsi : “Suburre obscène, un des cloaques les plus impurs, où s’amasse l’écume de la Méditerranée […] C’est l’empire du péché et de la mort. Ces quartiers patriciens abandonnés à la canaille, la misère et la honte, quel moyen de les vider de leur pus et les régénérer ?”.

    Après la guerre, les pauvres se sont rassemblés dans les quartiers industriels Nord et Est de la ville. Les grands lycées du centre (Thiers, Saint-Charles, Michelet, Longchamp, Montgrand) étaient alors ceux de la bourgeoisie bien-pensante.

    Et puis, la désindustrialisation a commencé. Dans les années 1980 à 2000, 80 000 emplois industriels ont disparu : la réparation navale, le ferroviaire, l’industrie alimentaire… Les quartiers Nord sont devenus des territoires abandonnés et ghettoïsés sans tissu social et sans transports en commun décents. Le “quartier arabe” de Belsunce s’est agrandi et les pauvres se sont installés dans le centre de Marseille, en particulier entre la grande place de “la Plaine” et la Canebière. Les anciens lycées prestigieux sont aujourd’hui classés “ambition réussite”. Les riches sont partis dans le Sud de la ville ou dans les quartiers désindustrialisés de l’Est.

    Clientélisme et marchands de sommeil

    Le système Defferre (maire socialiste de 1953 à sa mort en 1986) a survécu à son initiateur. La ville est quadrillée par toutes sortes d’institutions à la botte de la mairie ou du Conseil départemental. Si on habite le bon quartier ou si on est dans la bonne association, on est subventionné. Vigouroux et Gaudin ont maintenu ce système d’allégeance obligatoire, facilité par le syndicat FO des territoriaux de la ville qui a toujours été le syndicat-maison.

    Gaudin, dans sa jeunesse, était déjà conseiller municipal de Defferre, ce dernier préférant s’allier à la droite non gaulliste plutôt qu’avec les communistes. Il dirige la ville depuis 1995 et a fait le vide autour de lui, écartant tout remplaçant éventuel. Avec la faillite de la social-démocratie, la droite s’est emparée du Conseil régional et du Conseil départemental. Elle a aujourd’hui tous les leviers du pouvoir.

    L’écroulement de deux immeubles de la rue d’Aubagne le 5 novembre (8 mort·e·s) a fait connaître au grand jour la responsabilité majeure de ce système clientéliste et la généralisation de l’habitat insalubre dans le centre-ville et dans d’autres quartiers populaires. Les victimes sont représentatives de tout ce que Marseille compte de précaires et de pauvres d’origines diverses.

    Près de 2 000 personnes ont été évacuées en urgence, leur immeuble insalubre menaçant de s’écrouler. Des expulsions qui se sont faites avec une grande délicatesse : certain·e·s, en rentrant du travail, ont trouvé les serrures changées et leur appartement inaccessible sans possibilité de récupérer leurs affaires personnelles.

    Parmi les propriétaires de ces taudis, il y a des gens connus. Le vice-président de la région Xavier Cachard, propriétaire d’un appartement dans l’immeuble écroulé, a démissionné “préventivement”.

    En quelques jours, un des vice-présidents de la métropole, Bernard Jacquier, et l’adjointe au maire en charge du logement, Arlette Fructus, ont dû démissionner. Suspendue de ses fonctions au Conseil régional par le Président, Renaud Muselier, celle-ci a riposté en rappelant que celui-ci avait été ministre de la ville et que “que le président de Région qui a été le premier à supprimer toutes les aides régionales en matière d’habitat que ses prédécesseurs avaient mises en œuvre […], cherche en [elle] un fusible !” Arlette Fructus présidait Marseille Habitat, propriétaire d’un des immeubles effondrés. Et des “experts” avaient examiné les immeubles effondrés peu de temps avant l’écroulement.

    Il n’y a pas que les immeubles d’habitation qui sont insalubres, faute d’entretien ou qui s’écroulent. Il y a les écoles. Certaines sont inondées dès qu’il pleut. D’autres n’ont plus de cour de récréation. Il suffirait que la municipalité finance les travaux nécessaires, ce qui est en théorie une obligation. Vous n’y pensez pas ! Gaudin a trouvé la solution miracle : PPP (Partenariat Public Privé). Traduction instantanée : tout est externalisé en confiant cette tâche à des entreprises privées. Ca va coûter beaucoup plus cher au contribuable, ça va engraisser les petits copains entrepreneurs et on finira à terme par enlever le mot “publique” à l’expression “école publique” puisque beaucoup d’écoles du centre-ville seront désormais dépendantes de Vinci.

    La boboïsation à marche forcée

    Depuis des années, l’argent public va aux riches. Marseille est devenue la ville des croisiéristes (1 750 000 escales cette année). Pour eux, le quartier de la Joliette et celui du Panier sont transformés : magasins de luxe, centres commerciaux, grands restaurants. Mais derrière les façades, la misère demeure. Le stade vélodrome a été agrandi, provoquant une énorme augmentation des impôts locaux dans une ville proche de la faillite. L’esplanade du MUCEM, le nouveau musée, est très fréquentée, mais ce regain de tourisme ne profite qu’à une petite minorité.

    La municipalité vient de voter une subvention (vite annulée face à l’émotion qu’elle a provoquée) de 1 800 000 euros pour le “Cercle des Nageurs”. Cette piscine forme des champion·ne·s, mais ses tarifs astronomiques font qu’elle n’est pas ouverte aux classes populaires.

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    Le 14 octobre, la municipalité a brutalement “attaqué” la Plaine, la plus grande place de Marseille. Des dizaines d’arbres ont été abattus. Face aux protestations, un gigantesque mur de 2,50 m. de haut (immédiatement tagué) a été construit. Coût 400 000 euros. Quel symbole ! Officiellement, on rénove la place pour le bien de la population et il faut un mur (à peine moins haut que celui qui balafre la Palestine) pour “protéger” les travaux. Cette “rénovation” vise à moderniser la place qui abrite un des plus grands marchés populaires et sert de parking sauvage la nuit. Il n’y a quasiment plus de bus à Marseille après 21 h, c’est une des villes les plus sinistrées en matières de transports publics.

    Marseille la colère, Marseille la répression

    Les proches des mort·e·s, les milliers de personnes relogé·e·s dans les hôtels souvent loin de leur travail (quand ils/elles en ont) ou de l’école des enfants, les habitant·e·s de la Plaine, les gilets jaunes sont régulièrement descendu·e·s dans la rue. La réponse étatique a été essentiellement la répression : manifestations nassées et gazées. Le 2 décembre, Zineb Redouane, une dame de 80 ans qui fermait ses volets pour échapper à des gaz lacrymogènes particulièrement toxiques a été mortellement blessée par une grenade reçue en pleine tête. Elle était au quatrième étage, ce qui est une indication de “professionnalisme” des forces de répression.

    Ce “professionnalisme” est pourtant allégué au sommet de l’État. L’ancien préfet de police de Marseille, Laurent Nunez, est devenu secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Il a trouvé une idée géniale contre les gilets jaunes : arrêter tout le monde préventivement.

    L’ancienne conseillère de Cazeneuve (alter ego de Valls auquel il a succédé), Marie-Emmanuelle Assidon est devenue “préfète déléguée pour l’égalité des chances dans les Bouches-du-Rhône” (le titre ne s’invente pas). Celle qui l’avait précédée dans cette noble tâche avait expliqué triomphalement en 2014 lors de la destruction du bidonville de la Parette (qui avait provoqué l’expulsion d’environ 400 Rrom·e·s) que ses services allaient reloger 19 personnes. Dans la même veine, Madame Assidon, recevant les associations qui lui signalaient qu’il y avait de nombreux sans-papiers parmi les expulsé·e·s des immeubles insalubres, a refusé la moindre idée de “trêve” dans la chasse à ces clandestin·e·s.

    Cette histoire n’a pas de fin. Elle s’inscrit dans un antagonisme séculaire entre une ville mélangée, populaire, cosmopolite et le rêve meurtrier de rétablir “ordre”.

    Pierre Stambul

    Cet article est d’abord paru dans Le Chahut n°177, le journal de nos camarades de l’Oise.

    Abonnement pour 12 numéros : 20 € auprès d’Edwige Reynaert, 5 allée des Primevères, 60112 Milly-sur-Thérain.

    Dernière minute

    Le Tribunal Administratif a annulé la délibération du Conseil municipal d’octobre 2017 sur les PPP pour les écoles de Marseille .