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    Saul Alinsky et l’organisation communautaire

    Lien publiée le 29 mars 2019

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    http://www.zones-subversives.com/2019/02/saul-alinsky-et-l-organisation-communautaire.html

    Saul Alinsky et l’organisation communautaire

    La méthode Alinsky semble devenir le bréviaire de tous les politiciens de gauche. De l'action directe au clientélisme, cette méthode semble difficile à décrire. Saul Alinsky revient sur son parcours et sa démarche sociale qui valorise l'auto-organisation. 

    Des nouvelles pratiques de lutte proviennent des Etats-Unis. Le community organizing permet de mobiliser la population pour régler les problèmes du quotidien.Ce modèle de lutte se diffuse. Barack Obama est passé par ce parcours d'animateur de quartier avant de faire sa carrière politicienne. En France, les arrivistes de la France insoumise ont récupéré le community organizing dans un objectif marketing et électoraliste.

    Néanmoins, le fondateur de cette pratique de lutte, Saul Alinsky, semble moins lisse que l’image donné par les politiciens de quartier. En 1972, Saul Alinsky évoque son parcours dans un entretien pour le magazine Playboy, republié dans le livre Organisation communautaire et radicalité.

    Militant radical

    Yves Citton présente Saul Alinsky dans sa préface. L’organisateur social distingue les « libéraux » des « radicaux ». Les liberals américains sont de gauche et progressistes, mais ils refusent de côtoyer les classes populaires. Au contraire, le radical aime les gens « avec la tête et avec le cœur ». Il s’oppose à la froide objectivité et combat l’injustice avec passion. « Bref, les radicaux agissent, là où les libéraux se contentent de penser et de parler », résume Yves Citton. Les libéraux privilégient l’indignation, les institutions et la respectabilité. Les radicaux se tournent vers la lutte sociale et l’action directe.

    Le radical postule l’égalité des intelligences et s’appuie sur les capacités d’agir. « Et pourtant, il sait aussi que, malgré notre intelligence, nous sommes souvent englués dans des situations, des rivalités et des résignations qui nous séparent de notre puissance d’agir en nous séparant les uns des autres », décrit Yves Citton. Le radical constate l’isolement et la séparation entre les individus. Il déplore le manque d’organisation et entend jouer un rôle central. Saul Alinsky insiste sur l’importance de « l’intervention d’un organisateur extérieur ». Le radical intervient alors dans le quartier, un espace social qui partage le même vécu et sentiment d’injustice.

    Néanmoins, l’organisateur n’est pas un embrigadeur. Il ne se conforme pas au modèle du tribun révolutionnaire. Il adopte un recul sur la situation pour trouver une ruse qui permette de renverser le rapport de force. « La radicalité est "improvisatrice", en permanente réinvention de soi – comme l’improvisation est radicalisante, dès lors qu’elle ne tombe pas sous la coupe d’un automatisme dogmatique », précise Yves Citton.

    Saul Alinsky valorise les actions ludiques qui, sans être illégales, perturbent le bon fonctionnement d’une entreprise. Les forces de l’ordre sont alors déroutées et ne savent pas comment réprimer l’action. Par exemple, pour lutter contre un magasin, les clients inhabituels bombardent les vendeurs de questions et d’achats avortés. L’entreprise est alors saturée. 

                      

    Réveiller la population

    Saul Alinsky décrit les habitants des quartiers populaires. Ils ne s’épanouissent pas dans leur travail ni dans leur vie personnelle. Mais cette population peut sortir de l’apathie et de la routine du quotidien. Le pouvoir au peuple peut devenir un mot d’ordre fédérateur. « On va non seulement leur donner une cause, mais on va rendre leur vie foutrement excitante. Ils vont commencer à vivre au lieu de simplement exister », préviens Saul Alinsky. L’organisateur propose de diffuser des pratiques pour lutter contre les problèmes du quotidien.

    Saul Alinsky étudie la mafia d’Al Capone pour sa thèse en criminologie. Il fréquente notamment Frank Nitti qui lui montre les activités de la mafia, avec ses bistrots et ses salles de paris et ses entreprises légales. Il travaille ensuite à la prison de Joliet. Mais il s’aperçoit des limites de l’Etat et de l’administration pour agir contre la criminalité. « Tous les experts en criminologie et tous les manuels s’accordaient à dire que la criminalité était principalement due aux conditions sociales – le mal-logement, la discrimination raciale, l’insécurité économique, le chômage – mais si vous suggériez quoi que ce soit pour résoudre ces facteurs plutôt que d’en incarcérer le résultat, on vous prenait pour un fou », souligne Saul Alinsky.

    Alinsky né en 1909. C’est un enfant des quartiers pauvres de Chicago. Il devient criminologue pour l’Etat de l’Illinois. En 1930, il devient organisateur pour le CIO, un syndicat ouvrier. En 1939, il se lance également dans le community organizing dans les bidonvilles de Chicago. Il crée une fondation pour diffuser cette méthode.

    En 1972, au moment de l’entretien avec Playboy, après avoir agit avec les habitants des quartiers pauvres, Saul Alinsky se tourne vers les classes moyennes. Il semble important d’agir auprès de cette catégorie sociale qui se pense comme majoritaire dans la population. Parmi les classes populaires, les ouvriers qualifiés se considèrent comme appartenant à la classe moyenne et en adoptent le mode de vie. Cette population subit la fiscalité et la vie chère. « Ils ont travaillé toute leur vie pour s’acheter un petit pavillon de banlieue, une télé en couleurs et deux voitures, mais la vie dont ils rêvaient a pris un goût amer »,

      

    Luttes de quartier

    Le militant abandonne rapidement la criminologie et ses perspectives de carrière. Il veut créer une forme de syndicalisme de quartier dans les années 1930. « Je voulais essayer d’appliquer les techniques d’organisation apprises avec le CIO aux bidonvilles et aux ghettos les plus défavorisés, pour que les habitants les plus opprimés et les plus exploités du pays puissent prendre en main leur propre communauté et leur propre destin », présente Saul Alinsky. Il s’appuie sur la légitimité des curés pour se faire accepter par les habitants du bidonville de Back of the Yards. Mais il se heurte surtout à l’apathie et au désespoir de la population.

    La solidarité des habitants doit permettre d’exercer une pression économique et politique. Grèves des loyers contre les propriétaires, débrayage des ouvriers de la viande, manifestations devant les entreprises et occupation de la mairie permettent d’améliorer les conditions de vie du quartier. Mais Saul Alinsky s’appuie également sur le maire de Chicago pour faire plier le patronat de la viande.

    Saul Alinsky se perçoit comme un agitateur extérieur. La communauté doit désigner ses propres meneurs et fixer ses objectifs. L’organisateur doit écouter plutôt que parler. Il doit s’appuyer sur les problèmes et aspirations de la population. Saul Alinsky assume son réformisme et sa collaboration avec les élus et les institutions. Il s’oppose aux Black Panthers qui inscrivent la solidarité de quartier dans une perspective de rupture avec le capitalisme. L’amélioration du quotidien doit permettre d’éviter les émeutes de quartier.

    Saul Alinsky mène une lutte à Woodlaw en 1958. Il diffuse les mêmes pratiques. Une organisation de quartier doit permettre d’imposer un rapport de force face aux autorités pour améliorer les conditions de vie. Saul Alinsky assume la nécessité de la conflictualité pour faire avancer la société. Il ne croit pas dans le consensus qui fait confiance au pouvoir et à sa supposé vertu morale. Saul Alinsky privilégie les actions non violentes, originales et humoristiques. Il propose, par exemple, de paralyser les toilettes d’un aéroport. Souvent, il n’a pas besoin de mettre l’action à exécution. La menace suffit pour faire plier le maire.

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    Limites de l’organisation communautaire

    Cet entretien avec Saul Alinsky permet de présenter la démarche de l’organisation communautaire. Les réponses sincères du militant permettent d’entrevoir l’originalité, mais aussi les limites, de cette pratique de lutte. Saul Alinsky insiste sur l’action directe plutôt que sur les bavardages idéologiques. Les militants radicaux se contentent de grand discours, mais restent déconnectés des préoccupations concrètes des classes populaires.

    Saul Alinsky développe un véritable syndicalisme de quartier. Il s’appuie sur les problèmes et les aspirations de la population. Il crée une communauté de lutte et se fixe des objectifs précis qui peuvent être atteints pour permettre une amélioration immédiate des conditions de vie. Saul Alinsky valorise également la conflictualité sociale. Le consensus et la négociation n’aboutissent à rien. Il reste indispensable de construire un rapport de force pour atteindre ses objectifs. Des actions originales et ludiques peuvent faire plier les institutions.

    Néanmoins, la méthode Alinsky comporte quelques limites qui ont suffit à séduire la vieille gauche mélenchoniste. Le militant radical insiste sur le rôle central de « l’organisateur extérieur », qui n’est autre que lui-même. Cette démarche respire des relents d’avant-gardisme et d’encadrement autoritaire. Certes, Saul Alinsky insiste sur l’auto-organisation de la population. Mais, selon lui, les classes populaires sont trop abattues pour pouvoir redresser la tête. L’intervention de l’extérieur devient alors indispensable. Cette idéologie conforte la position sociale dela petite bourgeoisie intellectuelle, notamment les animateurs socio-culturels qui colonisent les groupuscules de la gauche. Pire, Saul Alinsky n’apprécie pas les révoltes spontanées. Il cherche à éviter les émeutes des ghettos noirs, qu’il semble réduire à une simple colère nihiliste.

    Ensuite, Saul Alinsky assume son réformisme. Certes, c’est un réformiste conséquent qui se donne les moyens de ses ambitions. Mais ses perspectives politiques restent limitées. Il n’envisage aucune transformation globale de la société. Il cherche à obtenir des améliorations immédiates dans un quartier bien précis. Mais cette action concrète ne s’inscrit pas dans une perspective de rupture avec le capitalisme, contrairement à la tradition du syndicalisme révolutionnaire. La lutte sociale doit se contenter de faire pression sur les institutions. Mais le renversement de l’ordre capitaliste n’est jamais évoqué. Ce qui laisse le champ libre à toutes les magouilles électoralistes et clientélistes. Au contraire, l’autonomie des luttes doit permettre une auto-organisation à la base pour réorganiser l’ensemble de la société.

    Source : Entretien avec Saul Alinsky, Organisation communautaire et radicalité, traduit par Lise Dufour, Editions du commun, 2018

    Entretien avec Saul Alinsky, mis en ligne sur le site Organisez-vous !

    Articles liés :

    Les luttes de quartiers à Los Angeles

    Le modèle du community organizing en France

    Young Lords, les Black Panthers latinos

    Les émeutes de Chicago en 1919

    Pour aller plus loin :

    Vidéo : Activism / Mobilizing / Organizing, publié sur le site Pour une éducation populaire d'auto-organisation le 13 septembre 2018 

    Vidéo : Action directe non-violente : déstabiliser pour gagner, mise en ligne sur le site de la France soumise le 31 août 2018

    Vidéo : Rencontre internationale de l’auto-organisation, mise en ligne sur le site de la France soumise le 31 août 2018

    Vidéo : Réinventer l’action citoyenne avec Saul Alinsky, conférence mise en ligne sur le site Utopia le 15 novembre 2014 

    Vidéo : La méthode Alinsky présentée lors de la convention de la France Insoumise, mise en ligne le 26 novembre 2017

    Vidéo : Alexandre Maniez, L’auto-organisation à Montpellier, entretien avec Rhany Slimane de La France insoumise, publiée sur le site lemouvement.info le 10 décembre 2017

    Radio : Un entretien de Jonathan Duong avec Clément Petitjean, C’est quoi, la « méthode » Alinsky ?, mis en ligne sur le site La-bas si j'y suis le 15 mars 2018

    Xavier de La Porte , Le pet est-il une arme politique ?, publié sur le site BibliObs le 15 octobre 2018

    Cyrille Cléran, Note de lecture publiée sur le site de la revue L'imprimerie nocturne le 19 décembre 2018

    Saul Alinsky — organiser le pouvoir populaire, publié sur le site de la revue Ballast le 12 décembre 2014 

    Clément Petitjean, Saul Alinsky, mythes et réalités, publié sur le site de la revue Contretemps le 31 janvier 2018 

    Randy Nemoz, Méthode Alinsky et stratégie populiste face à l’oligarchie, publié sur le site Le Vent Se Lève le 28 janvier 2018 

    François Ruffin, Saul Alinsky : Le B.A-BA de l’organisateur, publié sur le site du journal Fakir le 7 mars 2014 

    Clément Petitjean, Politiser les colères du quotidien, publié dans le journal Le Monde diplomatique de mars 2018 

    Michael C. Behrent, Saul Alinsky, la campagne présidentielle et l’histoire de la gauche américaine, publié dans la revue en ligne La Vie des idées le 10 juin 2008 

    Nic Görtz et Daniel Zamora, Saul Alinsky - Etre radical. Réflexions made in USA pour radicaux pragmatiques, publié dans La Revue des Livres n°5 de mai-juin 2012

    La méthode Alinsky publiée sur le site les renseignements généreux

    Thierry Quinqueton, Saul Alinsky, le conflit et la communauté à la source de l'intégration démocratique, publié dans la revue Vie sociale n°2 en 2012

    L’importation des notions d’empowerment et de community organizing en France. Entretien avec Marie-Hélène Bacqué, publié dans la revue Mouvements n°85 en 2016 

    Saul Alinsky : pourquoi il faut le connaître, puis l'oublier, publié sur le site Organisez-vous !