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Costa Rica: l’assassinat d’un leader autochtone questionne la politique du gouvernement
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Un leader autochtone de l'ethnie Bribri a été assassiné le 18 mars. Malgré son image de pays engagé pour la protection de l'environnement, le gouvernement est montré du doigt pour son inaction dans cette affaire.
C’est le dernier d’une longue liste. Alors qu’il était dans sa maison, Sergio Rojas, le leader autochtone costaricain de 59 ans a été assassiné dans la nuit du 18 mars dernier. Si l’on ne connaît à ce stade de l’enquête ni les motifs, ni les tueurs, les associations pour la justice environnementale et pour la protection des droits humains dénoncent un acte commis contre son engagement pour la protection des territoires autochtones. La Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) et trois rapporteurs spéciaux des Nations unies ont également condamné l’acte.
Un manifestant tient une pancarte "Justice pour Sergio", lors d'un rassemblement pour protester contre la mort de l'activiste défenseur du peuple Bribri, Sergio Rojas à San Jose, Costa Rica, le 20 mars.
Territoire
Membre de l’ethnie Bribi, Sergio Rojas a été tué à Salitre, un territoire autochtone forestier de 12 000 hectares dans le sud du pays. L’un des quatre territoires des quelque 18 000 membres que compte cette ethnie. Il y luttait pour la rétrocession de terres indiennes exploitées par de grands propriétaires agricoles et pour la protection de l’environnement.
«Sergio Rojas était une figure importante du peuple Bribri, explique le doctorant Diego Lobo Montoya, de l’université Paris-Diderot et spécialiste du sujet. Depuis plus de quinze ans, il a entraîné un mouvement des populations locales – les ethnies Bribri, Cabécar, Ngäbe Buglé Bruncajc et Brörán de Térraba – pour la récupération des terres qui ont été usurpées, notamment par des grands propriétaires fonciers qui se dédient à l’élevage ou à la culture intensive d’ananas.» Le chercheur costaricain, qui a régulièrement rencontré Sergio Rojas depuis 2001 explique que ce dernier avait aussi fait partie du mouvement d’opposition indienne au projet de méga-barrage d’El Diquís (qui devait être le plus grand d’Amérique centrale) finalement abandonné par l’Etat costaricain en novembre dernier pour des raisons économiques.
On estime qu’entre 2 et 3% des 5 millions d’habitants que compte le Costa Rica sont autochtones. Depuis 1977, leurs territoires sont protégés par la loi et ne peuvent être cédés ou occupés par des tiers. En s’appuyant sur cette base juridique, Sergio Rojas cherchait à récupérer ces terres par des actions dans les tribunaux et sur le terrain.
Tensions accrues
Le militant – membre du Front national des peuples autochtones (Frenapi) – avait déjà fait l’objet de nombreuses menaces et de plusieurs tentatives d’assassinats. Dès avril 2015, la Commission inter-américaine des droit de l’homme (CIDH) – organisme de protection des droits humains à l’échelle du continent – avait d’ailleurs réclamé au gouvernement costaricain des «mesures de précaution» pour protéger les autochtones de la province dans un climat de tensions accrues autour des terres. Dans la décision d’alors, des tentatives d’assassinats et d’intimidation à destination de Sergio Rojas étaient déjà mentionnées.
Pour les associations, son assassinat prouve que ces mesures n’ont pas été prises. D’autant que quelques heures avant, il était en train de déposer plainte pour dénoncer les violences de propriétaires terriens cherchant à chasser des Indiens d’un territoire qu’ils avaient récupéré. Dans un communiqué de presse, la CIDH a appelé le gouvernement à prendre effectivement ces mesures de protection nécessaires.
Le gouvernement a critiqué cet assassinat et annoncé davantage de mesures de sécurité. «Nous condamnons et rejetons avec force cet acte de violence contre la vie de ce chef amérindien. C’est un jour tragique pour le peuple Bribri, pour les peuples amérindiens et pour le Costa Rica», a déclaré le président du pays, Carlos Alvarado. En mars 2018, le gouvernement a institué un «mécanisme général de consultation des peuples autochtones» pour établir avec eux les modalités de leur consultation pour les décisions les concernant, en accord avec la déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones adoptée de 2007. Et le Président a plutôt l’habitude des compliments pour sa politique environnementale puisque le pays vient d’adopter un plan climat très ambitieux, avec pour objectif de rendre le pays neutre en carbone d’ici 2050.
«Justifier les spoliations»
Selon Diego Lobo Montoya, qui reconnaît l’action du gouvernement pour l’environnement, cet événement prouve néanmoins que «le gouvernement n’a pas pris la question des droits autochtones au sérieux» et que ceux-ci restent très marginalisés. Cela remonte à loin puisque «si les territoires indigènes sont colonisés, c’est en raison de migrations gérées par l’Etat qui considérait que les terres autochtones n’étaient ni productives, ni civilisées. L’idée qu’il n’y avait que des terres sauvages, qu’il fallait exploiter, a permis de justifier les spoliations».
Au contraire, «les peuples autochtones du Costa Rica ont un lien étroit avec la nature. Les croyances du peuple Bribri considèrent que tous les êtres vivants sont inextricablement liés et ne peuvent être séparés», décrit-il. Ces croyances et les pratiques autochtones de conservation de la biodiversité qui les accompagnent forgent des alliances avec les mouvements de conservation de l’environnement. C’est aussi ce qu’affirme Irène Bellier, directrice de recherche en anthropologie au CNRS, qui alerte : «En ce moment, tous les leaders engagés pour les luttes autochtones, qu’elles soient pour les droits fonciers, contre l’extraction minière ou pour la défense de la nature, sont assassinés. C’est parce que les autochtones deviennent des empêcheurs de creuser en rond qu’ils deviennent problématiques.»