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Un an après la grève des cheminots : «On n’est plus dans la même boîte»
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Un an jour pour jour après le début de leur longue mobilisation contre la réforme ferroviaire, les cheminots font le bilan pour «Libération».
Il y a un an jour pour jour, le 3 avril 2018, débutait l’une des plus longues grèves de l’histoire de la SNCF à l’appel de tous les syndicats de cheminots. Trois mois de mobilisation contre la réforme ferroviaire avec un format inédit de 2 jours d’arrêt de travail sur 5 initié par la CGT pour permettre au mouvement de durer. D’abord très suivie par les cheminots, la mobilisation s’était lentement étiolée face à l’intransigeance du gouvernement. Et malgré le soutien d’une partie de l’opinion et des partis de gauche, le mouvement n’avait finalement pas permis d’obtenir le retrait de la réforme qui prévoit de transformer la SNCF en société anonyme et surtout de supprimer l’acquis historique que constituait l’embauche au statut au sein de la compagnie de chemins de fer.
A peine la mobilisation terminée, la direction et le gouvernement ont lancé leur projet de «nouvelle SNCF» à grande vitesse dès le mois de septembre. «Il s’agit pour le 1er janvier 2020 d’opérer une transformation complète. Ce sera une nouvelle SNCF constituée en trois sociétés anonymes à capitaux 100% publics. C’est un énorme boulot et beaucoup de changement», explique-t-on du côté de la direction. Un mouvement encore accéléré ces dernières semaines. «Depuis deux mois, toute une série de conseils d’administration adoptent, brique après brique, les éléments de notre feuille de route», explique le patron du groupe public Guillaume Pepy. Et l’Etat, le propriétaire, approuve ces évolutions, assure-t-il. «Au moment où la concurrence s’ouvre, il faut que la SNCF soit compétitive, mais il faut aussi qu’elle ait un supplément d’âme», ajoute Pepy.
«Jambes cassées»
Du côté des anciens grévistes, on ne peut que constater que la défaite a donné «tous les droits à la direction». Selon Anasse Kazib, délégué SUD rail à la gare du Nord et une des figures du mouvement, elle a même «cassé les jambes» des cheminots pour la suite. Si au moment de faire grève, les syndicats avaient du mal à s’accorder sur les modalités de la mobilisation, ils partagent aujourd’hui le même ressenti. «Ce sont eux qui imposent le rythme», regrette Roger Dillenseger, secrétaire général Unsa ferroviaire. «Aujourd’hui, dans la mise en œuvre on s’aperçoit que les déclinaisons sur la mise en place des sociétés anonymes sont loin d’être cadrées. On est dans une réelle incertitude. Et sur le plan social on est quasiment en stand-by sur les discussions de la convention collective alors qu’on avait demandé que le sujet soit traité en premier lieu», poursuit-il.
Monique Dabat, déléguée SUD rail était la cheffe de grève à la gare du Nord, l’un des bastions de la mobilisation que Libération a suivi au quotidien pendant trois mois. Pour elle, le rythme imposé par la direction affecte durablement le travail des cheminots sur le terrain. «Il y a eu un virage incroyable pris l’année dernière par la direction, là on est plus dans la même boîte. Ils n’en ont plus rien à faire de la réglementation, du code du travail, tout ça, c’est devenu secondaire, ils sont passés à l’offensive.» Même ressenti du côté de Farid, commercial sur la ligne B, à Paris. «Ce que je vois un an après, c’est que les conditions de travail se sont dégradées. La direction est décomplexée avec tout ce qu’il se passe, les grèves qu’on ne remporte pas». «Quand vous avez tout donné pour une entreprise, vous avez un sentiment d’abandon. On va être transférés dans une entreprise privée, pour l’intérêt du capital et non pour le service public. Ce n’est pas pour ça qu’on est entrés à la SNCF à la base», analyse Rémy Hours, délégué CGT à Marseille.
Direction décomplexée
Pour les grévistes les plus durs, la mobilisation a aussi laissé des traces sur plan financier. Farid Errouihi avait suivi tous les jours de grève au printemps dernier. Avec certains autres cheminots de la gare du Nord, il avait aussi entamé une mobilisation reconductible tous les jours dès les premières semaines du mouvement dans l’espoir de faire plier le gouvernement dès son premier gros conflit social. Il en paie aujourd’hui le prix. «Je termine le mois à -1700 euros à cause des grèves encore ce mois-ci. L’été dernier, je n’ai pas voulu priver ma famille des vacances, mais cette année, c’est sûr que je n’irai pas. J’ai perdu en tout 2 300 euros de salaire sur les trois mois», concède-t-il.
Pour autant, la plupart des cheminots n’ont pas de regrets de s’être mobilisés contre la réforme ferroviaire imposée par Emmanuel Macron. «Parmi les collègues, personne n’a dit "on n’aurait pas dû le faire" ou "si j’avais su je n’aurais pas fait grève". Quand je suis revenue de congés au mois d’août, on sentait plutôt une fierté de l’avoir fait parce que ça a été un grand mouvement tout de même», explique Monique Dabat. «Est-ce qu’on regrette d’avoir fait grève aussi longtemps ? Non. Est-ce qu’on regrette la méthode ? Non plus. C’était aussi une manière de faire parler des services publics et de la place qu’ils occupent dans la société française», clarifie Rémy Hours de la CGT. Si l’on a du mal à se réjouir du résultat, la mobilisation a tout de même laissé quelques acquis. «Sur mon secteur, ça a un peu changé les choses, parce que les agents savent qu’ils peuvent plus compter les uns sur les autres. S’il y a un ras-le-bol et qu’on veut organiser un rassemblement, on est toujours entre 20 et 25, on l’a fait trois fois en six mois, et on ne le faisait pas avant», poursuit Monique Dabat.
Une étincelle et ça repart ?
Ce n’est finalement pas leur mobilisation mais celle des gilets jaunes qui a poussé le gouvernement à faire des concessions pour la première fois. Une poussée citoyenne longue et dure en dehors des syndicats et corporations que les anciens grévistes observent d’un œil amusé. De là à les pousser à se mobiliser de nouveau ? «Je ne crois pas», regrette Monique Dabat du tac au tac. «Pour l’instant je ne sens pas les choses. Mais quelquefois il suffit d’un rien», poursuit-elle, sceptique. Même si certains rêvent aujourd’hui d’une mobilisation citoyenne forte chez les cheminots. «Il y a un mois, les camarades de Roissy-CDG ont pratiqué leur droit de retrait. Ils ont porté la chose en expliquant que les revendications, plus d’embauches notamment, venaient des agents eux-mêmes et non des syndicats. Un peu comme les gilets jaunes. Ils ont fait ça pendant deux jours et ils ont obtenu des choses», constate Farid Errouihi. «Aujourd’hui, la solution est en dehors des syndicats parce que le gouvernement n’a pas de contrôle sur ces mobilisations et ils en ont peur», analyse le délégué syndical. «Les cheminots sont aujourd’hui des gilets jaunes passifs, la moindre étincelle va rallumer le mécontentement», appuie Roger Dillenseger de l’Unsa.