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Caramels, bonbons et chocolats, le masque de Macron est tombé en Corse

Lien publiée le 11 avril 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.huffingtonpost.fr/entry/caramels-bonbons-et-chocolats-le-masque-de-macron-est-tombe-en-corse_fr_5cae1205e4b03ab9f24f400f

Joseph Agostini

Psychologue clinicien, psychanalyste

En 1973, Dalida chantait Paroles, paroles avec Alain Delon.

Caramels, bonbons et chocolats

Merci, pas pour moi

Mais tu peux bien les offrir à une autre

Il n’est pas besoin de chercher désespérément dans les œuvres de Bourdieu ou Durkheim une explication à la désillusion collective. Dalida l’avait résumée avec le cynisme qui était le sien et qui continue à outrageusement nous dire la vérité sur la valeur des mots en politique.

La visite d’Emmanuel Macron en Corse a symbolisé plus qu’aucune autre, le navrant malentendu auquel doivent se résoudre nos élites: pour se faire entendre, il ne suffit pas de parler. Pourquoi en Corse plutôt qu’ailleurs? Parce que les revendications identitaires sont peut-être contestables, mais elles ne sont pas vaines. Elles recèlent précisément une douleur archaïque, authentique, qui dépasse de loin la Corse. Elles sont celles d’un pays hypercentralisé, dont la capitale, une ville-musée, a le plus grand mal à être vue autrement que comme le bastion de l’égocentrisme et du verbiage.

Il ne suffit pas de recueillir les doléances des uns et des autres en faisant mine de s’y intéresser. Freud a le premier parlé du pouvoir ensorcelant, hypnotique, oraculaire de la parole. Les mots, on peut leur faire dire ce que nous voulons. Ils truquent, ils masquent, ils miment. Ils n’en finissent pas de se contredire! On ne peut en vouloir à personne, chacun sait que la parole est “caramels, bonbons et chocolats”, aussi fuyante qu’un poème de Jacques Prévert, aussi délirante qu’une pièce d’Antonin Artaud, aussi menteuse qu’une déclaration fiscale de Carlos Ghosn.

Les revendications identitaires sont peut-être contestables, mais elles recèlent une douleur archaïque, qui dépasse de loin la Corse. Elles sont celles d’un pays hypercentralisé, dont la capitale, une ville-musée, a le plus grand mal à être vue autrement que comme le bastion de l’égocentrisme et du verbiage.

La parole publique n’est pas faite pour asséner des vérités, elle est hystérique par excellence, flamboyante, folle, et il faut être naïf (ou feindre de l’être) pour lui accorder quelque crédit. La psychanalyse nous l’a depuis longtemps appris: pour dire quelque chose, pour ne pas parler mais pour “dire”, ce qui n’est pas du tout la même chose, il faut se poser, se regarder dans les yeux, raboter ses mots sous la lampe le soir, dans une imperfection sans cesse remise en jeu. Il ne suffit pas d’y aller de son hémorragie logorrhéique. Il faut s’acharner, en missionnaire de la pensée, pour qu’émerge quelque chose de valable. Il ne faut certainement pas se laisser aller à sa propre prose en se déchaînant contre tout et n’importe quoi, dans une paranoïa calfeutrant mal ses angoisses et ses haines. Sinon, nous sommes dans l’inquisition et l’affliction, pas dans l’intelligence et l’échange.

Le Grand débat national ne fut rien d’autre qu’une proposition paradoxale faite aux Français: s’adonner à une joute verbale “pour rien”, pour simplement exorciser un tourment, diaboliser un maître, regretter un temps révolu, crier sa rancœur. Ce n’est pas l’énonciateur qui en est responsable, c’est le cadre proposé! Il ne peut générer que frustration, insatisfaction chronique. Car la parole… Elle est toujours languissante, inachevée, fatiguée parce que jamais limitée d’elle-même! La parole a besoin d’un cadre pour se révéler, d’une rigueur pour apparaître et se laisser amadouer.

Emmanuel Macron est trop brillant pour ne pas le savoir.

Mais alors, pourquoi lui et ses conseillers en communication ont-ils proposé aux citoyens français de déballer leur marchandise verbale en feignant de croire qu’on pourrait y trouver autre chose que ces “caramels, bonbons et chocolats” savoureux mais très vite indigestes? J’emploie le mot marchandise car il y a une dimension publicitaire à cette parole trop facile, qui se montre, qui se provoque. Malheureusement, quand on creuse en soi, on ne trouve pas tout de suite de l’or. Ce serait présomptueux de le croire! Où est la dimension de travail, de recherche dans cette collecte d’informations, dans ce fourre-tout langagier, dans cette foire d’empoigne?

La Corse a révélé Emmanuel Macron dans sa nudité, lui qui persiste à vouloir entendre l’autre sans vouloir l’écouter pour de bon, qui s’entête à "faire de la politique" plutôt qu’à tenir sa fonction symbolique.

En Corse, Emmanuel Macron s’est confronté à sa propre cécité, ou pour le dire plus exactement, son propre refus de voir. Et sur cette île qui ne se laisse pas conter de belles histoires, de ces “paroles, paroles” semées au vent vertement dénoncées par Dalida, le masque de la macronie est tombé plus rapidement que dans d’autres contrées. Pourquoi? La dimension insulaire sans doute. L’importance donnée à une culture de la dissidence, qui a certainement des travers bien fâcheux, mais qui a un mérite: celui de couper court à une certaine forme de démagogie. Pour ainsi dire, la Corse a révélé Emmanuel Macron dans sa nudité, lui qui persiste à vouloir entendre l’autre sans vouloir l’écouter pour de bon, qui s’entête à “faire de la politique” plutôt qu’à tenir sa fonction symbolique. En d’autres termes, la Corse a demandé à Macron de dire plutôt que de parler. Et la brillance du jeune premier doit maintenant relever ce défi dont il dit être capable!