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Notre-Dame : le scandale de la niche fiscale "mécénat" résumé en deux graphiques
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
L'incendie de Notre-Dame aura eu un mérite : permettre à chacun de comprendre les dessous du mécénat à la française.
François Pinault, l’entreprise JC Decaux, tour à tour, ont annoncé renoncer à la défiscalisation de leur don pour la restauration de la cathédrale. Quant à Bernard Arnault, il a fini par déclarer ne pas y avoir droit… puisqu’il a atteint le plafond autorisé en 2018, soit près de 210 millions de dons de la part du groupe LVMH !
Les braises étaient encore chaudes mardi matin, lendemain du drame, que des centaines de millions d’euros pleuvaient sur Notre-Dame. Et chacun commençait à saisir le scandale du mécénat version française : c’est l’entreprise qui offre, mais c’est l’Etat - et le contribuable donc - qui, en grande partie, paye en retour.
Il faut dire que la formule est simple et magique : tout don entraîne plus de 60 % de déductions fiscales sur l'impôt sur les sociétés. Si simple et magique qu’on ne compte plus une firme du CAC 40 sans sa fondation d’entreprise maison. Le mécénat est devenu la vitrine par excellence des multinationales soucieuses de se faire passer pour les Médicis du XXIe siècle. Restaurer le Louvre ? C’est pour Vinci. Rénover le Musée Picasso ? Pour Eiffage. Construire de toute pièce un musée ? Pour la fondation Louis Vuitton.
Résultat : en 2017, la déduction fiscale réalisée au titre du mécénat par 60.000 entreprises frôle le milliard d’euros, contre à peine 235 millions dix ans auparavant. Cela correspond a des dons atteignant le montant total d’1,6 milliard d’euros.
Cette somme assure à ses heureux donateurs un nouveau et immense pouvoir au sein du petit monde de la culture. Petit monde mis au pain sec par l’Etat. Désormais, il n’existe pas un Etablissement administratif public (EAP), le statut des musées, sans son service orienté vers le mécénat. Du Louvre à Rodin, en passant par Versailles, la chasse aux généreux donateurs est une priorité pour ces EPA. Et les cibles sont connues car les dons sont très concentrés.
Marianne a pu obtenir les chiffres ci-dessus de la Direction générale des finances publiques. A elles seules, les 10 premières entreprises donatrices bénéficient du tiers de l’enveloppe fiscale. Autrement dit, en moyenne, elles donnent chacune pour près de 40 millions d’euros. Et les 100 plus gros se partagent la moitié de cette dépense fiscale.
La concentration vers le haut est telle que 99 % des entreprises disposent en réalité en moyenne d’un crédit d'impôt rikiki d’un peu moins de 4.000 euros. Sur le haut de la marche se trouve la Fondation d’entreprise LVMH avec 61,6 millions d’euros.
A elle seule, pour la construction de son musée au bois de Boulogne, la fondation de Bernard Arnault a pu pomper 8% de la totalité des crédits depuis 2007, soit un demi milliard d’euros. Un montant gigantesque que les magistrats de la Cour des comptes ont eu du mal à avaler lors de l’audit qu’il lui ont consacré en 2018. Leur rapport insiste sur un point : jamais il n’ont vu un tel dérapage dans la construction d’un bâtiment. Jamais. Dessiné par Frank Gehry, il était prévu pour un budget initial de 100 millions et finira à 800 millions d’euros.
Autre genre de mécénat, le mécénat dit « de compétences ». Car on peut très bien donner du temps de salariés pour peu qu’on facture la prestation au prix de revient. Une aubaine pour gérer un « surplus de personnel ». A ce petit jeu, certains se laissent aller. C’est le cas par exemple d’Eiffage. Pour la réfection des bâtiments administratifs du musée Picasso, l’entreprise de BTP est passée par cette voie-là. Avec à la clé, la petite gâterie supplémentaire que confère le système. Outre la défiscalisation, une entreprise peut bénéficier de contreparties en nature de la part de l’établissement bénéficiaire du don, à condition que le montant de celles-ci ne dépasse pas 25% du total de la somme offerte. Ce qui, au final, donne ce petit calcul: 100 euros donnés, 60 euros récupérés en avoir fiscal, et 25 euros consommés en prestations. Bref, 85 euros récupérés. Pour Eiffage, il s’agissait de visites privées au musée. Sauf que comme l’a souligné le rapport de la Cour des compte, l’entreprise a été encore plus gourmande. Sa prestation, il ne l’a pas offerte au prix de revient mais au prix catalogue, avec donc sa marge, sans doute proche de 20%. Dans le cas présent, donner, rapporte donc. A ce jour, cette irrégularité marquée noire sur blanc dans un rapport officiel de la Cour des comptes n’a donné lieu ni à une enquête du parquet, ni à un redressement fiscal.
Trois enseignes de la grande distribution apparaissent en bonne place parmi les plus gros donateurs : Auchan, Carrefour et Casino*. La raison est simple. Les dons alimentaires bénéficient également de cette disposition fiscale pour peu, là aussi, qu’ils soient faits au prix de revient. Et que les denrées n’aient pas dépassé la Date limite d'utilisation (DLU). Selon plusieurs témoignages recueillis par Marianne, ce n’est pas toujours le cas : d’une part, la DLU est parfois trop proche ; d’autre part, il arrive que les produits soient donnés au prix de vente en rayons…
Ces dérives n’ont pas plu du tout à certains députés qui ont tenté de mettre la pédale douce sur le dispositif, lors de l’examen du budget 2019. C’est le cas de Gilles Carrez, député LR du Val-de-Marne, mais aussi de Joël Giraud, élu LREM des Hautes-Alpes et rapporteur général du budget. Mais les lobby ont tonné, et il leur a fallu reculer…
* Et non pas Leclerc comme nous l’avions indiqué dans notre édition du 23 novembre 2018.