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Alger-Khartoum-Bamako, nouvelle phase révolutionnaire
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://aplutsoc.org/2019/04/20/alger-khartoum-bamako-nouvelle-phase-revolutionnaire/
Si journalistes et grands de ce monde ont annoncé « l’entrée dans le XXI° siècle », correspondant au 1914 du siècle précédent, dès les crimes de masse du 11 septembre 2001, l’on peut dire que l’entrée dans le XXI° siècle des exploités et des opprimés, le XXI° siècle de l’immense majorité luttant pour un avenir humain qui passe par son émancipation, s’est vraiment effectuée avec l’ouverture des « révolutions arabes », soulèvements démocratiques et nationaux de masse portés par les masses paupérisées et par la jeunesse, qui balayèrent la Tunisie, l’Égypte, la Libye, le Yémen, le Bahreïn et la Syrie début 2011, avec des répercussions mondiales.
La répression sanguinaire en Syrie appuyée ou cautionnée par toutes les puissances impérialistes et soutenue directement par une intervention militaire russe massive, l’intervention militaire saoudienne au Yémen (avec des armes françaises qui ne tuent personne selon Mme Florence Parly !!!), et la confiscation de la mobilisation massive de toute la population égyptienne de l’été 2013 par un coup d’État militaire qui, en faisant rentrer les gens chez eux au motif de combats anti-islamiques, a instauré le régime d’al-Sissi, semblaient avoir fait refluer cette gigantesque vague.
Elle vient de relever la tête et une fois de plus se vérifie la vieille maxime : « Bien creusé, vieille taupe ».
Alger.
Ce qui se passe en Algérie est qualifié de « seconde révolution algérienne« . En Algérie, on appelle première révolution la guerre d’indépendance et sa victoire de 1962 contre l’impérialisme français. La première révolution a été confisquée par la caste militaire et kleptomane de l’armée-Etat-parti FLN. Les Algériens avaient une expérience rude et profonde qui a pu expliquer que l’ouverture de la révolution en Tunisie fin 2010-début 2011 n’y ait pas directement provoqué une explosion généralisée (bien qu’elle ait été suivie de mouvements nombreux dans tout le pays et dans les zones limitrophes) : l’utilisation par la caste au pouvoir de la percée électorale des islamistes dans des élections libres octroyées en catastrophe est une terrible expérience que l’Algérie avait déjà faite, et qui s’est reproduite en mode accéléré, sous diverses formes, notamment en Tunisie et en Égypte depuis 2011.
Ceci donne d’autant plus de puissance et de portée internationale au soulèvement général de toute l’Algérie qui se produit aujourd’hui, lequel assume une pleine conscience de la nécessité de chasser et de détruire toute la caste au pouvoir, de tenir les islamistes à distance, tout en reprenant les modalités d’action au point où le peuple égyptien avait dû les laisser en juillet 2013, à savoir, ni plus ni moins : les plus grandes manifestations de toute l’histoire si l’on rapporte le nombre de manifestants à la population !
Qu’on en juge. L’Algérie a 42 millions d’habitants aujourd’hui. La vague de manifestation actuelle débute à Kherrata le 16 février. Le vendredi 22 février, 800 000 manifestants dans le pays. Le 1° mars, 3 millions. Le 8 mars, 5 millions. Le 15 mars, 14 millions. Depuis, cette levée en masse se développe en manifestations locales sur fond de grève générale étudiante, avec de nombreuses grèves dans les entreprises et un mouvement de reconquête du syndicat étatisé qu’est l’UGTA, pour le rendre aux travailleurs.
Les hautes sphères militaires ont d’abord fait renoncer la momie Bouteflika à sa candidature puis l’ont fait démissionner. Clairement, il y a maintenant face à face l’immense majorité et la caste militaro-kleptomane.
Le vrai chef provisoire de l’exécutif, le chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah, a testé la répression le 12 avril : gazages, charges, arrestations, humiliations de militantes féministes, le tout ayant accentué la mobilisation générale. La répression ne marche pas, ou alors il faudrait tirer et faire de l’Algérie une nouvelle Syrie. La caste a peur et cherche sans doute à assurer une « transition » qui lui permette de se préserver, à la façon de l’armée brésilienne après 1985 (et l’on voit aujourd’hui que celle-ci n’avait jamais retiré complètement ses positions et tire les ficelles de Bolsonaro que ses propres partisans perçoivent comme une marionnette).
La caste a raison d’avoir peur car le peuple algérien veut la chasser tout entière. La jeunesse sait ce que veut dire le message de la vétérante de la guerre d’indépendance Djamila Bouhired : « Ne les laissez pas voler votre victoire !«
Khartoum.
Mais il y a plus, beaucoup plus. C’est dans toute l’Afrique que l’on regarde vers l’Algérie. La caste algérienne est en effet, après la caste égyptienne (qui l’a historiquement parrainée), la plus vieille et la pire des castes de rentiers-militaires-népotistes-kleptomanes qui saignent leur pays, à l’échelle du continent. C’est un modèle. Or, la guerre d’indépendance algérienne a stimulé et permis toutes les indépendances africaines des années 1958-1962. La seconde révolution algérienne sonne dans toute l’Afrique comme le signal des secondes luttes d’indépendance contre les pouvoirs en place.
Elle est d’emblée en connexion avec sa révolution-soeur, celle du Soudan.
A Khartoum les manifestations, initialement déclenchées par la hausse des prix, durent depuis décembre 2018. Mais la répression avait déjà fait des dizaines de morts et avait vu arriver des renforts spéciaux, sous la forme de mercenaires du groupe Wagner, lié à Poutine et aux firmes minières russes, intervenant déjà en République centrafricaine. C’est l’élan de la révolution algérienne qui semble bien avoir directement galvanisé le peuple soudanais et suscité une reprise, plus massive que jamais, des manifestations à Khartoum.
Début avril, des milliers de manifestants ont commencé à camper devant le siège de l’état-major. Les méthodes soudanaises ont combiné les manifestations ultra-massive à la manière égyptienne de 2013 et algérienne d’aujourd’hui, avec l’installation d’un bastion symbolique défiant directement le cœur du pouvoir, à la manière de la place Tarhir et du Maïdan.
Le Nord-Darfour, région tristement victime de ce régime depuis des années, connaissait des soulèvements et, dans l’Est du pays – et non loin de l’Érythrée où la situation politique est en pleine évolution en relation avec la poussée révolutionnaires qu’a connue l’Éthiopie depuis deux ans -, à Kassala et à Port-Soudan, les manifestants ont pris d’assaut les locaux de la police politique (NISS, « bureau de renseignement et de sécurité ») et ouvert les prisons. Les chefs du NISS pris de panique, ont annoncé la libération de tous les prisonniers politiques à l’échelle nationale. C’est alors (11 avril) que l’état-major a démissionné le dictateur Omar el-Béchir, depuis emprisonné (et ainsi protégé de la colère populaire), puis annoncé une « transition de deux ans » sous son égide.
Les manifestations de masse continuent donc : le mot d’ordre de « pouvoir civil » signifie clairement que les spécialistes de la « transition » que sont ces messieurs les militaires-kleptomanes doivent partir et que c’est la démocratie sans frein, avec des élections constituantes libres, comme en Algérie, qui s’impose et que veut le peuple.
Un trait fort de la révolution soudanaise est la place souvent dirigeante dans les manifestations prise par les femmes, avec la figure symbolique de Alla Salah, dont l’image s’inscrit dans les mythes nationaux du pays (elle évoque en effet une « reine » nubienne de l’Antiquité). Ce fait politique est de la plus haute importance et fait écho à la place croissante des luttes des femmes pour leur émancipation à l’échelle mondiale.
La chute du dictateur soudanais interfère immédiatement avec les « négociations de paix » qu’au grand dam de l’impérialisme français la Russie avait commencé à parrainer, concernant la République centrafricaine, à Khartoum, et qui ne peuvent guère continuer ouvertement. En outre, Al-Bachir passait, au moins jusqu’à ce que le pape les reçoive opportunément début avril, pour celui qui pouvait faire « s’entendre » les deux chefs de guerre du Sud-Soudan financés par les entreprises minières et pétrolières concurrentes, Salva Kiir, président en exercice, et son adversaire Riek Machar. Sa chute a immédiatement provoqué un appel de Riek Machar à un report de la formation d’un gouvernement de coalition qui était prévu, sous tutelle de l’ONU, pour le 12 mai. Des ONG et des organisations de défense des femmes victimes des viols et crimes de guerre au Sud-Soudan, préconisent, pour leurs propres raisons, un tel report, n’ayant aucune confiance dans ceux qui formeraient un tel gouvernement, et appelant à l’intervention populaire directe dans le « processus de paix ».
Bamako.
Alger-Khartoum : cet axe révolutionnaire amorce la transformation de l’espace saharien, maghrébin et sahélien, actuellement espace des trafics, de la traite des migrants, des pillages islamistes et des manœuvres militaires françaises, en un espace de lutte commune des populations contre tous leurs oppresseurs.
Cette poussée révolutionnaire globale arrive vraiment au bon moment pour le Mali. Le Mali est traumatisé par le massacre du samedi 23 mars dernier, où des individus habillés en « chasseurs dogons » ont tué un village entier et des centaines de peuls. Il ne s’agit pas là de « rivalités traditionnelles », pas plus que les massacres de Tutsis (et des Hutus refusant de participer à la curée) n’étaient, en 1994 au Ruanda, le dénouement de « rivalités ancestrales ». Au Mali tout le mode perçoit que de tels évènements, au nom de la lutte contre l’islamisme attribué (faussement) aux peuls, relèvent d’une décomposition profonde et d’une transformation de pans entiers de l’appareil d’État en mafias. Et tout le monde estime que la France, qui s’était posée en sauveuse du pays quand des bandes islamistes (largement composées de flics de Kadhafi promptement reconvertis) étaient venues attaquer le delta intérieur du Niger en 2012, porte la responsabilité de ne vouloir en aucun cas que se constitue une vraie démocratie dans quelque pays africain et sahélien que ce soit. En réaction au massacre et pour interdire que l’enchaînement des massacres ne se poursuive, des dizaines de milliers de manifestants ont déferlé à Bamako.
Ils font écho, consciemment, à Alger et à Khartoum, et là est pour eux l’issue.
Ni l’armée française, ni les mercenaires russes, ni les bandes islamistes, ne sont porteurs de quelque protection que ce soit pour tous les peuples du Sahara, du Maghreb et du Sahel.
L’impérialisme français protège le régime algérien et couine, par la voie du ministre Le Drian, contre les infiltrations de mercenaires russes. Mais de fait, il est conduit à une coopération contre-révolutionnaire et anti-démocratique avec eux. Il y a d’ailleurs, sur ce plan, un grand précurseur, dénommé Alexandre Benalla ! N’oublions pas en effet qu’au Nord du Tchad, dans le Tibesti,l’armée française aide le dictateur Idriss Déby à faire le ménage contre les populations toubous afin de faire de la place pour l’exécution des contrats miniers qu’il a négocié. Si l’on dessine une figure Alger-Khartoum-Bamako, sans oublier la volonté du peuple burkinabé, qui a réalisé une révolution démocratique en 2014, d’être maître de son destin, alors on peut constater que le Tchad, plaque tournant de la présence militaire française, est le maillon qui doit tomber …
Un verrou nommé al-Sissi.
On peut s’accorder avec Gilbert Achcar qui, dans une récente interview (Libération, 11 avril), pointe en direction de l’Égypte :
« La situation économique est insupportable en Égypte. Les gens ne descendent pas dans la rue parce qu’ils sont échaudés par les résultats obtenus depuis 2011. Ils sont revenus à la case départ, voire pire. Mais quand ils voient ce qui se passe à côté, au Soudan et en Algérie, cela leur redonne courage. Tôt ou tard, le mouvement repartira. Le ras-le-bol est général.«
Le régime d’al-Sissi est le cœur de la contre-révolution « arabe ». Un peu plus tôt, un peu plus tard, c’est là que la crise va reprendre. Le soutien à al-Sissi voit communier les Macron et les Poutine. Or, c’est son protégé qui tente actuellement de réunifier la Libye sous une botte militaire, le « maréchal » Afthar, ancien bonze de l’appareil d’État de Kadhafi, se présentant comme le vainqueur de Daesh dans le golfe de Syrtes (titre que revendiquent aussi ses adversaires des milices de Misrata), mais que soutiennent les salafistes et, derrière eux, les régimes saoudien et émirati. Vendredi 19 avril, Trump a annoncé qu’il lui avait téléphoné pour lui dire son soutien.
En Tunisie comme en Algérie et comme au Soudan, le retour au pouvoir d’un général, pardon d’un « maréchal », en Libye, est clairement perçu comme dirigé contre la démocratie et allant, pour ainsi dire, à l’encontre du vrai sens de l’histoire. L’ordre des milices esclavagistes en Libye ne prendrait d’ailleurs pas fin avec Afthar, il serait juste réorganisé et centralisé.
Mais ce qui se joue là dépasse la Libye : c’est bien à l’échelle de toute l’Afrique et de tout le « Proche et Moyen Orient » (comme disent les européens !) que la reprise des révolutions tend à affronter la contre-attaque des militaires.
A Alger, à Khartoum, ils doivent tomber. La poussée révolutionnaire va renforcer la lutte des exploités au Maroc, dans le Rif, reprendre son extension en Afrique, aggraver la crise de l’impérialisme français, et pousser vers ce verrou posé contre toute démocratie depuis 2013, qui s’appelle al-Sissi.
Nos responsabilités en France.
En France, ces développements nous donnent la responsabilité, dans la lutte sociale visant Macron, de mettre l’accent sur sa politique africaine d’Alger et de Bamako à Bangui en passant par N’djamena, et les connexions de celle-ci avec l’affaire Benalla. L’exécutif français en pleine dérive ne doit être épargné à propos d’aucun de ses méfaits, et ses méfaits africains sont les pires.
20-04-2019.