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Grande distribution. Une "boucherie sociale" à bas bruit
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
L’Humanité, 19 avril 2019
Estimant à 30 000 le nombre d’emplois supprimés dans les hypermarchés ces cinq dernières années, la CGT conteste les justifications économiques données à ces décisions et appelle les salariés du secteur à la grève, vendredi et samedi.
Trop grands, trop peu rentables, trop concurrencés : les hypermarchés seraient en crise, martèle-t-on du côté des directions des géants de la grande distribution qui, depuis des années, réorientent leurs stratégies vers l’internationalisation de leurs activités, la multiplication d’enseignes de proximité, la réduction du non-alimentaire, le développement du bio ou du e-commerce. Plan Bompard chez Carrefour, Vision 2025 chez Auchan, cessions de magasins chez Casino… les leaders des grandes surfaces restructurent à tout-va, arguant de chiffres d’affaires en berne. Des décisions stratégiques au coût humain élevé. « Ces trois grands groupes ont détruit plus de 10 000 emplois pour la seule année 2018 », alerte la CGT commerce, qui appelle les salariés de la grande distribution à participer à des mouvements de grève ce vendredi et ce samedi.
Des coûts de restructuration qui pèsent lourdement dans la balance
Pour justifier ces suppressions d’emplois, ces groupes présentent des résultats en baisse. Mais pour les experts de Progexa, cabinet d’expertise économique qui assiste les représentants du personnel, ces données sont contestables. Du côté de Carrefour, qui a annoncé vouloir se délester de plus d’un millier de ses salariés dans les mois à venir, le chiffre d’affaires a certes baissé de 3,0 % en 2018, soit 2,3 milliards d’euros. Mais cette tendance est en grande partie due à un effet de change défavorable, lié à la dévaluation du réal brésilien et du peso argentin. À taux de change constant, le chiffre d’affaires progressait de 3,4 %. Au final, le groupe affichait des pertes de 344 millions d’euros sur 2018. Mais, là aussi, cette mauvaise performance apparente ne reflète pas une baisse d’activité, car ce qui a lourdement pesé dans la balance en 2018, ce sont les coûts de… restructuration ! Ainsi, les 2 400 suppressions de postes en France, le millier en Argentine et la réorganisation en Belgique concernant 1 000 salariés ont grevé le budget de l’enseigne de 727 millions d’euros en 2018. Autre preuve que ces résultats sont à nuancer : face à ses investisseurs, Carrefour sait présenter ses comptes de manière plus optimiste. Mettant en avant un résultat net ajusté en progression à 802 millions d’euros dans sa communication financière, Alexandre Bompard, PDG du groupe, qualifiait d’« encourageants » les chiffres enregistrés par l’enseigne en 2018, de nature à « rehausser un certain nombre d’objectifs (…) définis à l’horizon 2022 ».
Chez Auchan, ce sont aussi les effets de change qui ont impacté les résultats du groupe, en recul de 3,2 %. Hors taux de change, le produit des activités ordinaires engrangé par l’enseigne au rouge-gorge restait stable. Le taux de marge commerciale s’est même amélioré de 0,5 %. Mais la décision prise par le groupe de déprécier des actifs à hauteur de 1,1 milliard d’euros a pesé lourd dans l’exercice comptable. Ce qui permettait à Auchan de présenter, en 2018, des pertes à hauteur de 946 millions d’euros.
Du côté de Casino, les cessions de magasins à des enseignes concurrentes comme Lidl ou Intermarché vont bon train, menaçant les garanties collectives des employés. Pourtant, là aussi, la situation économique n’est vraiment pas catastrophique. Le groupe de Jean-Charles Naouri se targuait même d’avoir réalisé en 2018 sa « meilleure croissance organique depuis cinq ans » avec une hausse de 2,8 % du volume d’affaires, une croissance du résultat opérationnel courant de distribution de 15 % et une amélioration de la rentabilité de 0,2 point « dans la continuité des années précédentes ».
D’autres indicateurs montrent que ces enseignes sont loin de l’agonie. La CGT chiffre par exemple à « plus de 1 milliard d’euros » le montant des dividendes reversés par les trois poids lourds du commerce à leurs actionnaires. Malgré les pertes affichées, les actionnaires de Carrefour ont, par exemple, bénéficié de 352 millions d’euros de dividendes au titre de l’exercice 2018.
Un marché hexagonal qui ne se porte pas si mal
Car, si les hypermarchés ont moins la cote, les grands groupes dont ils dépendent parviennent globalement à absorber les variations des habitudes de consommation puisqu’ils détiennent par ailleurs des filiales de crédit ou d’immobilier, des réseaux de commerces de proximité, ainsi que d’importants sites de e-commerce comme Cdiscount pour Casino ou Rue du Commerce pour Carrefour. Le tout dans un marché hexagonal qui ne se porte pas si mal. « Le chiffre d’affaires du commerce de détail en magasin non spécialisé à prédominance alimentaire a progressé de 4,4 % en valeur en 2018, son rythme de croissance le plus élevé depuis 2011. En termes de volume (hors effet prix), la croissance s’est établie à 3,5 %, également la croissance la plus élevée sur la période observée », reconnaissait d’ailleurs la FCD, fédération patronale de la grande distribution, estimant toutefois ces chiffres de l’Insee « surestimés », sans pour autant y apporter de contre-argumentaire précis.
Bien que la valeur de ces chiffres soit donc toute relative, les stratégies bâties par les entreprises sur ces bases ont, elles, des effets bien concrets : « Depuis 2014, plus de 30 000 emplois ont été détruits dans la grande distribution », dénonce la CGT. C’est que dans ce secteur intensif en main-d’œuvre – 660 000 salariés –, la masse salariale reste la variable d’ajustement numéro un.
Loan Nguyen
Transformé en baisse de cotisations sociales patronales depuis le 1er janvier 2019, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (Cice) aura fortement profité aux mastodontes de la grande distribution, dont la plupart des salaires sont inférieurs au plafond de 2,5 Smic déterminant l’éligibilité au dispositif qui permettait de déduire 6 % de sa masse salariale brute. « Ces grands groupes continuent de percevoir des aides publiques par le biais du Cice et d’exonérations de cotisations sociales, pour un montant de 522 millions d’euros rien qu’en 2018, et ce sans contrepartie ni contrôle de l’argent utilisé », dénonce la CGT.