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Ramzi Kebaïli: En finir avec "l’Autre Europe"

euro Europe

Lien publiée le 27 avril 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://lemediapresse.fr/europe/en-finir-avec-lautre-europe/

DANS CETTE TRIBUNE PUBLIÉE PAR LE MÉDIA PRESSE, RAMZI KEBAÏLI, MEMBRE DU COLLECTIF « CITOYENS SOUVERAINS » ET AUTEUR DE L’OUVRAGE « QUITTONS L’EUROPE ! POUR UNE SOUVERAINETÉ POPULAIRE ET INCLUSIVE », POINTE LES FAILLES DE L’IDÉAL EUROPÉEN ET SE FAIT L’AVOCAT D’UNE DÉMARCHE VÉRITABLEMENT INTERNATIONALISTE.

Le refrain est désormais connu à gauche : il faudrait changer l’Europe pour la sauver d’elle-même. Si la critique des traités de l’UE est dorénavant un « diagnostic partagé sinon unanime », il en est hélas de même pour les incantations à une « autre Europe ». Même chez les plus fervents critiques de l’UE, l’objectif reste inchangé : Frédéric Lordon appelle à un « nouveau projet européen » une fois délivrés de l’euro, l’excellent livre La gauche à l’épreuve de l’Union européenne propose un « devenir commun aux Européens », et Olivier Delorme conclut ses 30 bonnes raisons pour sortir de l’Europe par un appel à… « bâtir une autre Europe ». Tout se passe comme si l’Europe constituait un but politique intangible.

Imaginons donc que l’on ait réussi à modifier ou à remplacer l’UE actuelle par des traités écologiques et sociaux, où les lois émaneraient d’un Parlement représentatif. Même dans ce scénario irénique, on ne voit pas au nom de quel principe un peuple qui serait en désaccord avec un choix de ce Parlement fédéral devrait renoncer à son indépendance et se soumettre à un avis majoritaire chez d’autres peuples. Et même s’il s’agit uniquement d’instaurer des coopérations bilatérales ne nécessitant aucun transfert de souveraineté, on ne voit pas non plus pourquoi il faudrait privilégier des projets communs avec les pays considérés comme « européens », plutôt qu’avec les autres. Alors, quels sont les impensés de l’imaginaire européen ?

Du côté des classes dominantes, celles qui tirent des privilèges certains de l’actuelle construction européenne, la réponse est facile à trouver. L’euro garantit une épargne stable (fonds en euro des assurances-vies) et du pouvoir d’achat lors des voyages à l’étranger. Selon Lordon, l’euro constituerait même un « objet transitionnel » pour les classes favorisées. Au-delà même de la question monétaire, il y a un privilège symbolique à se revendiquer Européen, à affirmer une distinction et une supériorité culturelle. Il est ici important de bien comprendre que « l’Europe » n’est pas un système extérieur à la France ou aux pays voisins, mais une dimension par laquelle les classes dirigeantes se mettent au-dessus de tout contrôle populaire. En effet, il n’y a pas de communauté politique ni de cadre permettant de prendre des décisions démocratiques à cette échelle. Ce constat est aveuglant avec les traités actuels : en quoi serait-il différent dans le cadre d’une « autre Europe » ?

Si l’Europe se manifeste de prime abord comme un rapport de domination de classe, sa dimension colonialiste et raciste doit également être soulignée. D’après l’historien Eric Hobsbawm, « c’est face aux peuples indigènes du Nouveau Monde que les Espagnols, les Portugais, les Anglais, les Hollandais, les Français, les Italiens, qui se précipitent aux Amériques, reconnaissent leur européanité. Ils ont la peau blanche, impossible à confondre avec les « Indiens ». Une différenciation raciale se fait jour qui, aux XIXe et XXe siècles, deviendra la certitude que les Blancs détiennent le monopole de la civilisation ». Cette nouvelle identité offre ainsi une double fonction : après avoir été rabaissées et privées de pouvoir décisionnel, les classes populaires se voient offrir une compensation symbolique. En se pensant comme européennes, elles s’imaginent semblables à leurs dirigeants et supérieures aux populations colonisées.

Aujourd’hui, on nous explique que l’Europe servirait à faire contre-poids à la Russie, à la Chine ou à un « monde musulman » à l’unité fantasmée. Le racisme et l’islamophobie se développent partout au nom de l’identité européenne, et le Rassemblement National appelle à « promouvoir nos valeurs de civilisation européenne ». La chercheuse Chloé Ridel a pointé cette évolution des extrême-droites européennes, ainsi que le développement de groupes euro-identitaires comme Defend Europe qui refusent l’immigration extra-européenne, et trouvent encore trop laxistes les politiques migratoires qui tuent chaque année des milliers d’êtres humains en Méditerranée. Évidemment, il ne s’agit pas de prétendre que la classe dominante française aurait attendu la construction européenne pour produire du racisme. Il s’agit de voir que ce racisme s’intègre parfaitement dans un système à même de réconcilier à la fois les euro-identitaires et les euro-libéraux, tous persuadés d’appartenir à une civilisation supérieure. Et que l’échelle nationale, malgré toutes ses déviances qui doivent être combattues, offre au moins un cadre collectif de prise de décisions pour les classes populaires d’un territoire donné.

Dans ces conditions, quel sens cela a-t-il de vouloir encore sauver l’Europe ? Il serait plutôt temps d’envisager un Frexit de gauche, écologique et solidaire, d’imaginer un monde où les peuples coopéreraient d’égal à égal, sans accorder de statut particulier aux peuples considérés comme « européens ».

Ramzi Kebaïli,

membre des Citoyens Souverains,

Auteur de « Quittons l’Europe ! Pour une souveraineté populaire et inclusive ».

POUR ALLER PLUS LOIN : UNE UNION À REFAIRE ? LES TABOUS D’UN DÉBAT À GAUCHE