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Gilets jaunes: un mouvement social a-t-il déjà été aussi long?

Gilets-jaunes

Lien publiée le 11 mai 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.huffingtonpost.fr/entry/acte-xxi-des-gilets-jaunes-un-mouvement-social-a-t-il-deja-ete-aussi-long_fr_5cd58252e4b0705e47dabbe4?ncid=other_email_o63gt2jcad4&utm_campaign=share_email

Inédit par son caractère spontané, sa diversité et bien d'autres spécificités, le mouvement des gilets jaunes va surtout s'inscrire dans les livres d'histoire pour sa longévité.

Six mois. Cela fait maintenant six mois que le mouvement des gilets jaunes a fait irruption dans l’actualité et chamboulé la vie politique française. Ce samedi 11 mai, pour leur vingt-sixième samedi de suite, ces Français en lutte pour la justice sociale et fiscale appellent à battre le pavé en province. Et si le mouvement cherche un nouveau souffle une semaine après la plus faible mobilisation enregistrée depuis le 17 novembre, le noyau dur des contestataires est loin d’avoir dit son dernier mot. 

Car la présence physique a beau s’effriter de semaines en semaines dans les manifestations, le mouvement peut continuer à jouir d’un certain appui auprès de la population. “Pour qu’au bout de six mois, il y ait encore 20.000 personnes qui manifestent chaque semaine, c’est qu’il y a quelque chose de profond”, avance la spécialiste des mouvements sociaux Danielle Tartakowsky au HuffPost, estimant qu’il n’existe pour l’heure aucune raison pour que la fronde cesse. 

Alors vingt-six semaines de contestation, est-ce une longévité inédite pour un mouvement social? “Il n’y a aucune comparaison possible”, répond l’historienne qui évoque mai 68 comme la fronde la plus longue durant “moins de deux mois”, avant de rapprocher la contestation des gilets jaunes à la grève “en pointillés” des cheminots. Au printemps 2018, cette nouvelle doctrine avait permis aux salariés de la SNCF de faire entendre leur colère pendant trois mois.

Également interrogé par Le HuffPost, Michel Pigenet se montre plus direct. “Il y a eu des mouvements sociaux plus longs mais plus ponctuels et localisés. Pour  un mouvement national par son étendu et ses lieux de manifestations, c’est une première”, estime le professeur d’histoire contemporaine à l’université Panthéon-Sorbonne.

Un mouvement loin de se résumer aux manifestations

Une longévité historique donc, qui s’explique par plusieurs facteurs, le premier étant financier. La fronde des gilets jaunes, qui se concentre désormais sur des manifestations le samedi, peut difficilement être comparée aux mouvements de grèves. Si le premier engendre des frais pour certains, obligés notamment de se rendre dans les grandes villes pour battre le pavé, la seconde occasionne des pertes nettes de salaire. Autre raison invoquée, ce dialogue de sourd qui s’observe entre gilets jaunes et Emmanuel Macron. 

“La particularité de ce mouvement est qu’il ne s’inscrit pas dans le champ politique ni dans celui de la négociation, face à un gouvernement qui ne cherche pas non plus à avoir des interlocuteurs”, explique Danielle Tartakowsky.

Par ailleurs, cette “histoire” et son importance ne peuvent être résumées aux 20.000 manifestants qui défilent encore dans les rues ni aux éléments radicaux qui perturbent les cortèges, contrairement à ce qu’insinuent certains membres de la majorité. “Le mouvement des gilets jaunes, pour ceux qui restent encore mobilisés, est devenu le fait d’agitateurs qui veulent l’insurrection” résumait par exemple Benjamin Griveaux lorsqu’il était encore porte-parole du gouvernement début janvier. 

“Ce qui est important dans ce mouvement, et je pense que c’est aussi ce sur quoi l’exécutif à l’oeil, c’est l’avis de la population à l’égard de cette mobilisation qui reste majoritairement positif”, estime Michel Pigenet avant de trancher: “si ce mouvement s’épuisait, s’effaçait, il n’est pas sûr que la démocratie en sorte renforcée.”

L’importance de la “communauté gilet jaune”

Même constat pour Danielle Tartakowsky, pour qui cette fronde vient “des tréfonds de la société.” “C’est quelque chose de très profond sinon ça n’aurait pas tenu (...) les questions existentielles qu’elle pose sont toujours là”, regrette-t-elle. 

Mais avec cette révolte, c’est un processus de re-connexion des citoyens entre eux qui s’est mis en place. Des gens qui ne se parlaient plus, avec des histoires, des parcours et des sensibilités politiques différentes se sont retrouvés sur les ronds-points. “Il y a un phénomène de sociabilisation du quotidien avec ce mouvement”, estime la spécialiste. Michel Pigenet abonde: “l’un des acquis, c’est que des gens qui n’étaient ‘rien’, qui étaient complètement perdus se sont rencontrés.”

Et c’est aujourd’hui ce qui semble faire le sel et la longévité du mouvement. “Des gens se retrouvent tous les samedis, c’est quelque chose de nouveau. Ils se comptent et, en se comptant, ils comptent. Ils ont donc une existence, ce n’est pas rien”, estime le professeur d’histoire contemporaine

En devenant cette sorte de communauté, ces Français qui se sentaient mis à la marge de la société s’imposent désormais dans les médias et la vie politique du pays. “Ce qui a du sens pour ces personnes dont la protestation venait du fait qu’ils étaient invisibles et méprisés”, éclaire Michel Pigenet, qui ajoute: ”être méprisé quand on fait peur, ce n’est pas la même chose qu’être méprisé parce qu’on est au ban de la société”. 

Le tournant des réseaux sociaux

Mobilisée dans les plus grandes villes de France, cette communauté des gilets jaunes compte également sur les réseaux sociaux. Alors que Facebook sert de véritable agora du mouvement, le sociologue Daniel Mouchard estime que “l’effet long terme” des réseaux sociaux “est plus déterminant” que la mobilisation physique. Car si la fronde s’inscrit dans la durée, c’est aussi lié au fait que les sphères numériques estampillées “gilets jaunes” entretiennent la flamme entre chaque samedi. 

S’il y avait déjà eu des mobilisations virtuelles à forte densité, comme pour les marches en faveur du climat ou encore l’occupation de la place de la République par “Nuit Debout”, l’utilisation des réseaux sociaux à cette échelle est historique pour un mouvement social. 

“On sait très bien que ça a été majeur pour le démarrage des mobilisations et majeur pour la trace et l’empreinte que le mouvement laisse dans l’opinion”, détaille le spécialiste des mouvements sociaux au HuffPost, avant d’ajouter: “on peut penser que ça n’aurait pas été aussi long sans eux.”

L’assemblage de ces trois éléments -la mobilisation physique chaque samedi, l’activité des sphères virtuelles et le sentiment nouveau d’appartenance à un groupe social défini- laisse penser que la fin de la mobilisation n’est pas pour demain. 

“Il n’y a aucune raison que ça ne dure par jusqu’aux grandes vacances”, estime Danielle Tartakowsky. Et après? “Dans la mesure où on a à faire à des interlocuteurs qui s’ignorent délibérément, la fin de l’histoire est difficile à conclure.”