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Héritages révolutionnaires de Rimbaud
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http://www.zones-subversives.com/2019/04/heritages-revolutionnaires-d-arthur-rimbaud-4.html
Le poète Arthur Rimbaud entend changer la vie. Il incarne le refus du travail et la révolte romantique. Sa démarche poétique inspire la critique de l'aliénation mais aussi la contestation des surréalistes.
La poésie d’Arthur Rimbaud est devenue un classique de la littérature française. Mais elle propose surtout une critique romantique de la modernité marchande. Rimbaud appelle à changer la vie et désire ré-enchanter le monde. Il participe à la Commune de Paris, une importante insurrection ouvrière. Il incarne cette bohème artistique qui veut relier la créativité et la contestation sociale. Cette trajectoire influence le romantisme révolutionnaire. Frédéric Thomas explore cette dimension contestataire du poète dans son livre Rimbaud Révolution.
Marx et la Commune
La Commune de Paris occupe une place centrale pour Karl Marx comme pour Rimbaud. La révolte et l’auto-organisation ouvrière doivent permettre de changer le monde. Marx estime que la Commune dessine « la forme politique enfin trouvée ». Rimbaud s’enthousiasme également pour ce soulèvement. La Commune devient « le point de levier pour renverser le vieux monde, faire émerger les germes d’une société nouvelle, régénérer les êtres et le monde, pour tous les deux », observe Frédéric Thomas.
Rimbaud fréquente les amis communards de Verlaine. Il participe à la bohème révolutionnaire, où se rencontrent les artistes romantiques et les travailleurs révoltés. La poésie de Rimbaud ne s’inscrit pas dans une banale propagande politique. Mais elle évoque une solidarité avec les ouvriers en lutte, et même unecritique du travail. « Je serai un travailleur : c’est l’idée qui me retient quand les colères folles me poussent vers la bataille de Paris où tant de travailleurs meurent pourtant encore tandis que je vous écris ! Travailler maintenant, jamais, jamais ; je suis en grève », écrit Rimbaud. Le poète valorise le mode de vie des communards et des marginaux. Les beuveries, les allures de voyou, l’homosexualité affichée, les provocations et l'humour s’opposent au conformisme bourgeois.
Rimbaud et Marx critiquent l’idéologie marchande, avec ses mensonges et ses spectacles. Le capitalisme repose sur la falsification. Le temps imposé est également évoqué. « Le temps capitaliste est sans qualité, vide et uniforme, sans détour ni mémoire, abstrait et homogène. Il se calcule, s’échange et se paye », décrit Frédéric Thomas. La logique marchande colonise également le temps, dans le travail, les loisirs et l’ennui. Le capitalisme impose un « temps forcé » volé à la « vraie vie ». Le capitalisme discipline et subordonne le temps pour le diviser et le convertir en valeur marchande. Le Capital évoque les batailles autour de la prolongation de la journée de travail, sur le machinisme et la division du travail.
Cette colonisation marchande s’oppose au rêve, à l’amour et à la poésie. Les individus deviennent un simple rouage de la machinerie capitaliste. Rimbaud et Marx se rejoignent dans une critique romantique de la modernité marchande. Le capitalisme détruit l’ensemble des relations sociales. Face à cette barbarie mécanique, l’utopie romantique doit dessiner des perspectives nouvelles. « Les rares fois où Marx est amené à donner des indices de la société libérée future, il emprunte au registre utopique et romantique du temps libre et de l’art », souligne Frédéric Thomas.
Surréalistes révolutionnaires
Les surréalistes se réfèrent également à Rimbaud. Ces artistes et poètes portent également un discours politique. En 1925, ils s’opposent à l’intervention militaire de la France au Maroc. Aux côtés du Parti communiste et de la revue Clarté, les surréalistes soutiennent les luttes anticoloniales et ne cessent de dénoncer le nationalisme. Ils donnent à cet engagement politique la saveur de la provocation. Les surréalistes déclarent « se désolidariser publiquement de tout ce qui est français » et ils souhaitent que « les guerres et les insurrections coloniales viennent anéantir cette civilisation occidentale ».
Le manifeste La révolution d’abord et toujours est signé par les surréalistes, par la revue Clarté et par la revue belge Correspondance. Les auteurs se positionnent comme des « Barbares » qui veulent détruire la civilisation. Ils veulent associer « la révolte de l’esprit » et la révolution sociale. L’engagement des surréalistes est justifié par la figure de Rimbaud qui relie poésie et révolte. Le marxisme permet de théoriser la révolution sociale. Mais cette doctrine doit s’adosser à une dimension spirituelle inspirée par Rimbaud. André Breton se réfère à un « Rimbaud bolchevik ». Pierre Naville favorise un tournant politique du surréalisme. Le poète belge Paul Nougé valorise également un rapprochement entre Marx et Rimbaud.
Les surréalistes se tournent vers le PCF et le marxisme-léninisme qui leur apparaît comme un gage d’efficacité. Ils s’appuient sur la révolution russe qui semble triompher. En revanche, le courant anarchiste est rejeté car il semble trop bavard et « artistique ». Ensuite, les surréalistes idéalisent le mouvement communiste qui leur semble libertaire, anticolonialiste, romantique et « lyrique ». Mais les surréalistes belges mettent en garde leurs amis parisiens. Le PCF favorise un art soumis à la ligne du Parti. Inversement, la « poésie pure » incarne la vacuité politique.
Les surréalistes français semblent reproduire la division du travail et la séparation entre la politique et la poésie. Benjamin Péret est celui qui mène le plus loin cette double action. Mais sa vie militante et sa démarche poétique ne se croisent presque jamais. Poésie et politique restent deux domaines cloisonnés. Mais les surréalistes se distinguent des communistes. Les poètes posent un regard pessimiste qui tranche avec l’idéalisme de gauche. Ensuite, les surréalistes restent attachés à une révolte romantique. L’argent, le travail et l’ordre moral sont attaqués. Les surréalistes refusent la discipline et la rationalisation imposées par le modèle bolchevique. Ils valorisent une révolution totale contre le caractère limité puis faussé de la révolution russe.
Walter Benjamin valorise un surréalisme qui se démarque de l’humanisme creux de la classe intellectuelle. Les surréalistes ne se contentent de proclamer une défense de la culture, terme vague et élitiste qui vise à éradiquer les conflits sociaux et politiques. Walter Benjamin estime que le surréalisme comporte des éléments décisifs. « La défiance envers la culture, l’organisation du pessimisme, le contrôle autocritique exercé sur leur position, ainsi que la prise au sérieux des désirs libertaires et érotiques », souligne Frédéric Thomas. Les surréalistes refusent de se cantonner dans le domaine littéraire. Ils intègrent dans leurs pratiques la nécessité d’une transformation profonde de la société.
Romantisme révolutionnaire
Frédéric Thomas présente une synthèse stimulante sur l’héritage révolutionnaire d’Arthur Rimbaud. Il revient brièvement sur la vie du poète et sur son lien avec l’insurrection ouvrière de la Commune. Mais le livre de Frédéric Thomas s’appuie surtout sur Rimbaud pour dessiner une filiation du romantisme révolutionnaire.
Il décrit d’abord un Marx hétérodoxe, loin du réductionnisme économique et de l’orthodoxie léniniste. Marx propose une critique précise de l’exploitation et des rapports de production capitaliste. Mais Marx ne cesse d’affirmer une critique de l’aliénation et de la logique marchande qui s’étend sur tous les aspects de la vie. La dépossession de l’existence dépasse le cadre de l’usine, mais se retrouve aussi dans la vie quotidienne. La dimension quantitative et comptable prime sur le qualitatif et le plaisir. Rimbaud et Marx puisent dans cette utopie romantique qui vise à réinventer tous les aspects de la vie.
Frédéric Thomas revient également sur la filiation surréaliste. Ce mouvement artistique relie clairement Rimbaud et Marx, la poésie et la révolution. Frédéric Thomas revient sur la force et sur les impensés du surréalisme. Ces poètes valorisent une révolte spirituelle, mais ils délèguent l’activité militante au Parti communiste. Ils maintiennent ainsi une forme de séparation entre la politique et la poésie. Ce qui explique les errances de leurs engagements, du stalinisme à l’anarchisme. Benjamin Péret reste le seul surréaliste qui participe à une activité politique. Mais il sépare son engagement révolutionnaire, qu’il considère comme sérieux, de sa poésie érotique et ludique.
En revanche, Frédéric Thomas ne présente pas les courants qui ont tenté de dépasser cette séparation entre poésie et révolution. Il évoque les surréalistes belges, trop méconnus, qui ont proposé quelques pistes. La revue Les lèvres nues tente de relier agitation révolutionnaire et souffle poétique. Mais Frédéric Thomas n’évoque pas le mouvement situationniste. Ce courant puise de la poésie une critique radicale de la vie quotidienne.
Ensuite, les situationnistes s’impliquent également dans les mouvements sociaux, notamment en Mai 68. La poésie doit réinventer la révolution, et la révolution doit se mettre au service de la poésie. Cette démarche décide de rompre avec le marxisme de caserne pour s’inscrire dans la filiation du communisme de conseils. Les situationnistes valorisent l’autonomie des luttes. Mais ils ne sombrent pas dans le sérieux militant. Leur action révolutionnaire s’inspire de pratiques artistiques. Le jeu et la créativité doivent inspirer les luttes et poser les bases d’une société nouvelle.
Source : Frédéric Thomas, Rimbaud Révolution, L’échappée, 2019
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Pour aller plus loin :
Radio : émissions sur Arthur Rimbaud diffusées sur France Culture
Paul Tanguy, Rimbaud et les communards avec Frédéric Thomas, publié sur le site Révolution Permanente le 31 mars 2019
« Travailler maintenant, jamais, jamais ; je suis en grève », paru dans lundimatin#177, le 4 février 2019
Jean-Claude Leroy, Rimbaud rémanent, levier pour une Révolution, avec Frédéric Thomas, mis en ligne sur le blog Outre l'écran sur le site de Mediapart le 10 mars 2019
Didier Epsztajn, Au bord du saut à faire pour recroiser l’action, le rêve et la liberté, mis en ligne sur le site Entre les lignes entre les mots le 9 février 2019
Cartouches (41), publié sur le site de la revue Ballast le 30 mars 2019
Chloé Leprince, Quand Rimbaud écrivait aux Communards : cette facette ignorée du poète, publié sur le site de France Culture le 10 janvier 2019
Rimbaud, poète des barricades : « L’Orgie parisienne », publié sur le site de la revue Le Comptoir le 17 mars 2016