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Un paradis naturel bulgare menacé par une autoroute européenne

écologie

Lien publiée le 19 mai 2019

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https://reporterre.net/Un-paradis-naturel-bulgare-menace-par-une-autoroute-europeenne

Un paradis naturel bulgare menacé par une autoroute européenne

Dans le sud-ouest de la Bulgarie, les gorges de Kresna hébergent une biodiversité remarquable. Or, un projet autoroutier financé par l’Union européenne menace ce paradis des oiseaux. Les habitants appellent à l’aide.

  • Gorges de Kresna (Bulgarie), reportage

« Et vous n’avez rien vu ! La circulation qu’il y a maintenant est tout à fait négligeable. Il faut voir en été, quand des milliers de Russes, de Roumains ou d’Ukrainiens utilisent cette route pour aller en vacances en Grèce ! » Quand on entend Stoyan Beshkov affirmer que l’endroit où il se trouve est un paradis des papillons et la plus importante réserve de biosphère de Bulgarie, on peine à le croire. Derrière ce biologiste du Musée national d’histoire naturelle de Sofia, la route E79 gronde sans arrêt du vacarme des bus et des poids lourds qui foncent vers la frontière grecque. Mais, si l’on s’aventure sur les chemins de terre qui s’échappent dans la végétation, la nature reprend ses droits. Nous sommes bien dans les gorges de Kresna, dans le sud-ouest de la Bulgarie.

Vue des sommets des gorges de Kresna.

C’est le mois de mai, et autour des petites vignes de cépages autochtones, un ballet d’insectes s’agite au-dessus des fleurs sauvages. En levant la tête vers les sommets, on peut même apercevoir des vautours fauves qui planent au-dessus des gorges : ils sont en cours de réintroduction, plus de 60 ans après leur extinction ici. Les trésors naturels de Kresna, Stoyan Beshkov les a découverts en accompagnant son père herpétologue et depuis son adolescence, il y étudie les lépidoptères. « Je me rappelle la première fois que je suis venu quand j’étais enfant, je n’avais jamais vu autant de tortues, de serpents, de papillons, de platanes d’Orient… L’eau de la Struma était claire et belle. »

« Différents climats se rencontrent ici, le continental et le méditerranéen » 

Au pied des imposantes montagnes du Pirin, classées au patrimoine de l’Unesco depuis 1983, le fleuve Struma a façonné les gorges de Kresna. Sur à peine 18 kilomètres de défilé, cette zone Natura 2000 abrite une biodiversité remarquable. Plus de 3.500 espèces sont présentes dont pas moins de 92 espèces protégées. « Il y a plus d’espèces de papillons par kilomètre carré que dans toute la Grande-Bretagne, s’exclame Stoyan Beshkov. Les gorges ne sont pas seulement importantes pour la Bulgarie, elles ont une importance européenne. Ici, nous sommes à la limite nord de distribution de nombreuses espèces et même d’ordres. Alors que, pour d’autres espèces, c’est la limite sud. Différents climats se rencontrent ici, le continental et le méditerranéen. » Le goudron sur lequel foncent les milliers de véhicules ne sert pas seulement aux hommes : les gorges sont un important couloir de migration pour les oiseaux et les mammifères. Si de nombreuses espèces y laissent déjà leur vie lors de leur traversée de la route, la situation pourrait bientôt s’aggraver.

Le biologiste Stoyan Beshkov s’oppose au projet d’autoroute dans les gorges de Kresna.

Car voilà près de vingt ans qu’un projet d’autoroute financé par l’Union européenne agite la région. C’est en effet ici qu’il manque quelques kilomètres d’asphalte pour que le corridor transeuropéen numéro 4, tel que défini par la Commission européenne, soit complet. Celui-ci doit relier Hambourg à Thessalonique. Un investissement que le contribuable européen devrait financer à hauteur de 620 millions d’euros, sur un total de 755. La somme représente des retombées considérables pour l’économie bulgare, la plus pauvre de l’Union européenne. Malgré les recommandations de la Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, dite Convention de Berne [Convention de Berne [Convention de Berne [Convention de Berne [Ayant constaté le début des travaux, la coalition d’ONG qui s’oppose à la construction de l’autoroute au sein des gorges a relancé la campagne Save Kresna. L’ONG Bankwatch Network dénonce un cas « emblématique d’un projet financé par l’UE qui a bouleversé la biodiversité européenne et les souhaits des communautés locales ». La pétition adressée à la Commission européenne a recueilli plus de 200.000 signatures. Mais il y a urgence. Afin d’accélérer le chantier et de mettre un terme à la bataille judiciaire entourant le projet, le gouvernement bulgare l’a déclaré « d’importance stratégique nationale ». Une mesure qui « restreint les droits civils démocratiques » selon Bankwatch Network.

Le parc national du Pirin domine les gorges de Kresna.

Dangereux pour cause d’activité sismique ou de radioactivité, coût trop élevé, le gouvernement bulgare a avancé plusieurs arguments pour expliquer l’abandon du tunnel. « La vraie raison pour laquelle ils ne veulent pas du tunnel autoroutier, c’est qu’aucune compagnie bulgare n’est capable d’une telle construction, explique Stoyan Beshkov. Ce type de projet requiert un appel d’offres ouvert aux entreprises étrangères et elles remporteraient le projet à coup sûr, avec l’argent qui va avec. Mais le gouvernement et les entreprises qui lui sont proches ne veulent pas laisser échapper cet argent. » La Commission européenne avait fixé l’échéance pour la réalisation des travaux à 2023. Passé cette date, le projet devra être financé par les contribuables bulgares seuls.

Le long des gorges et près de la ville de Kresna, les derniers rebondissements entourant le projet d’autoroute laissent les habitants découragés. « C’est la fin des petits entrepreneurs locaux, bientôt il n’y aura que les grandes boîtes, comme McDo ou Shell », se désole cette hôtelière qui ne veut pas donner son nom. Plusieurs centaines de personnes dépendent du trafic routier actuel et beaucoup redoutent les conséquences que pourrait avoir une autoroute à sens unique dans les gorges. Ils espèrent aussi qu’une solution sera rapidement trouvée : l’actuelle voie rapide est l’une des plus dangereuses du pays et les accidents mortels y sont fréquents.

De nombreux rapaces sont présents dans les gorges dont le vautour fauve en cours de réintroduction.

Sous un immense platane, Boris remonte de la Struma couvert de gilets de sauvetage. Ce jeune homme, originaire de la vieille ville de Kresna, est guide de rafting sur la Struma. « Les gens qui se rendent à Kresna viennent pour le rafting. C’est une activité qui devient très populaire, pas seulement chez les Bulgares, de plus en plus d’étrangers viennent ici. » Les combinaisons qui sèchent au bord de la route, Stoyan Beshkov les perçoit comme une petite victoire pour les gorges. « Il y a quinze ans, personne ici n’avait entendu le mot “rafting”, dit-il. Aujourd’hui, l’activité est connue et soutenue par la plupart des habitants, elle en fait vivre beaucoup. »

« La moitié de mes amis ont déjà émigré vers les États-Unis ou l’Europe de l’Ouest. Pourtant, ils veulent rester ici »

Des produits locaux naturels, des paysages spectaculaires, une biodiversité exceptionnelle et des gens accueillants, le potentiel « écotouristique » du sud-ouest bulgare est bien réel. La famille de Boris l’a compris en aménageant un petit hôtel au sommet des gorges. Elle emploie quelques habitants du village à moitié en ruine. Comme beaucoup, Boris rêve d’une route touristique dans les gorges afin de revitaliser la région. « Ici, à Kresna, presque tout le monde veut partir, raconte-t-il. La moitié de mes amis ont déjà émigré vers les États-Unis ou l’Europe de l’Ouest. Pourtant, ils veulent rester ici. Mais, pour les jeunes il y a tellement de problèmes, ça prendrait la journée d’en parler. »

Certains habitants pourraient perdre leur vignes à cause des travaux de l’autoroute.

Membre de l’Union européenne depuis 2007, la Bulgarie illustre certains échecs de l’intégration européenne. Dernier pays européen au classement 2019 de Reporters sans frontières, le pays est aussi le plus inégalitaire de l’Union, selon Eurostat. L’ancienne élite communiste, régulièrement secouée par des scandales de corruption, tient les rênes d’une économie de plus en plus oligarchique qui fait peu de cas de la protection de l’environnement. Face à ce tableau très sombre, les Bulgares quittent leur pays en masse, avec de dramatiques conséquences démographiques : la population bulgare décroît comme nulle part ailleurs sur le globe. Pour les habitants comme pour les tortues ou les ours de Kresna, le devenir de la route des gorges représente bien plus qu’un projet d’infrastructure.