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"Les trotskistes ratent souvent le train de l’Histoire"

Lien publiée le 20 mai 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.marianne.net/debattons/entretiens/les-trotskistes-ratent-souvent-le-train-de-l-histoire

Interview menée par Kévin Boucaud-Victoire

Le journaliste Laurent-David Samama se penche sur le trotskisme, qui, du NPA à LO, n'a jamais été aussi proche de disparaître du paysage politique français.

Le trotskisme français vit-il ses dernières heures ? Alors que le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) a décidé de jeter l'éponge, Lutte ouvrière (LO), le seul parti trotskiste présent aux élections européennes est crédité de moins de 1% dans les sondages. Pourtant, le trotskisme a été pendant des décennies un des courants d'extrême gauche les plus prolifiques en France, en témoigne le nombre important d'hommes politiques qui en sont issus (Lionel Jospin ou Jean-Luc Mélenchon, pour ne citer qu'eux).

Journaliste indépendant, Laurent-David Samama s'est penché sur l'histoire du trotskisme français, ses nombreux courants (lambertisme, pablisme, etc.), ses scissions et ses nombreux groupuscules, jusqu'à son effondrement politique et idéologique récent, dans Les petits matins rouges (éditions L'Observatoire). Rencontre.

Besancenot et Laguiller

Olivier Besancenot et Arlette Laguiller, en 2007

Marianne : En quoi le trotskisme se distingue-t-il des autres formes de marxisme ?

Laurent-David Samama : Le trotskisme est historiquement une dissidence née de divergences profondes avec le stalinisme. Par essence, les trotskistes s’opposent à la bureaucratie, à la nomenklatura, aux administrations qui étouffent les théories de Marx. Et puis ils réclament de la liberté et du débat dans un PCUS (Parti communiste de l'Union soviétique - ndlr) noyauté, rigide… Dans les années 1960 et 1970, l’anti-stalinisme constituait une porte d’entrer vers le trotskisme. C’est notamment pour cela qu’en Mai 68, la jeunesse idéaliste a préféré se tourner vers la Ligue communiste (ancêtre de la Ligue communiste révolutionnaire, devenu le NPA en 2008 – ndlr) plutôt que vers le PCF qui, en digne héritier de cette tradition bureaucrate, refrénait les élans révolutionnaires originels.

D’une certaine manière, les trots’ lisaient Marx comme leurs parents lisaient le Talmud !

Dans ce cas, quelle différence avec le maoïsme ?

Ce sont des guerres de chapelle assez intéressantes. Quand on interroge les anciens militants trotskistes ou maoïstes, ils disent parfois : "Il y avait une offre assez large, j’ai été de ce côté-là parce que j’ai été alpagué." Dans les lycées,des cellules de recrutement proposaient des offres politiques concurrentes. Le trotskisme et le maoïsme se distinguent par leurs méthodes. J’ajouterai que le premier est très juif dans le fond. Il y a un messianisme très fort. Comme le dit Henri Weber, les trotskistes reconvertissaient la ferveur religieuse de leurs parents dans la politique.

D’une certaine manière, les trots’ lisaient Marx comme leurs parents lisaient le Talmud ! Dans la forme du trotskisme, on retrouve un lien filial, un souci de transmission qui se transmet de père en fils, de formateur en élève. C’est là, de mon point de vue, un élément essentiel : à la LCR comme chez les pablistes et les lambertistes, la formation était plus importante que chez les maos. Enfin, dans le trotskisme on se bat, coûte que coûte… et on tient ! Plus le monde est rude et plus on est déterminé ! C’est pour cela que ces militants tiennent encore le coup. "Ils ne lâchent rien", comme ils aiment à le chanter, alors qu’a priori notre époque est très fortement contre eux : nous n’avons jamais été aussi individualistes et capitalistes, le marketing politique est partout... Le trotskisme, à l’inverse, est une pensée qui ne se résume pas en un tweet de 140 signes… Il n’est pas soluble chez Hanouna…

Poutou en est un beau symbole. Il n’a rien pour passer à la télévision. Son message est inaudible. Pourtant, il s’en sort face à Fillon, il contribue même à le déboulonner !

Le maoïsme n’est-il pas mort du bouleversement idéologiquement de la Chine ? Or, L’URSS s’est certes effondrée, mais Trotski ayant très tôt dénoncé le régime mis en place par Staline – un "État ouvrier dégénéré" –, il n’en a pas été redevable…

C’est une manière intéressante de voir les choses. Chez les maoïstes, il y a également un problème d’égo. Résultat : certains ont été un temps révolutionnaires, mais ont voulu ensuite prendre des postes et jouer un rôle dans la société française. Ce n’est pas le cas de tous les militants, bien évidemment, mais on retrouve cette évolution chez beaucoup de cadres.

Les trotskistes, quant à eux, voient le monde avec leurs lunettes d’idéologues : de la chute du mur et de l’URSS, certains déduisent la preuve de la justesse de leur combat: s’ils se sont effondrés, c’est parce qu’ils ont trahi Marx et Lénine ! Ce qui contredit quand même cette lecture, c’est que dans les années 1990, à force de se prendre des claques, le désenchantement et le spleen militant gagnent du terrain. Malgré tout, le bloc soviétique était indéniablement plus proche idéologiquement de leur ligne que le camp capitaliste.

Le NPA a annoncé qu’il ne se présenterait pas aux élections européennes et appelle à voter LO. Est-ce la fin du parti ou un pas vers l’unité trotskiste ?

Cela accrédite la thèse du livre : l’époque les contredit tellement qu’ils n’ont ni les fonds ni le courage de mener le combat des urnes. Du coup, c’est LO qui va porter cet étendard-là. Stratégiquement, cela peut paraître une bonne solution pour la mouvance. Mais les deux partis, le NPA et LO, s’opposent sur de nombreux sujets, d’ailleurs des militants l’écrivent et le tweetent à longueur de journée. Pour l’observateur éloigné, ces divergences peuvent paraître totalement anecdotiques. Mais sur le terrain, force est de constater que les troupes de Poutou et celles d’Arthaud ne s’entendent pas !

Il y a une dizaine d’années, le NPA avait pourtant le vent en poupe et l'alliance avec LO était possible…

Aux Européennes de 2009, l’alliance NPA-LO fait 4,90%. Quelques années plus tard, en 2002, Besancenot obtient 4,25% à la présidentielle. A l’époque, on trouvait ces scores relativement faible : aujourd’hui, ils sembleraient impensables. En une décennie, il y a eu une perte de terrain énorme, douloureuse. En dépit des contre-performances et des scores microscopiques, le militants du NPA tiennent coûte que coûte et sont, en cela, assez touchants. Poutou en est un beau symbole. Il n’a rien pour passer à la télévision. Son message est inaudible.

Pourtant, il s’en sort face à Fillon, il contribue même à le déboulonner ! Chez Ruquier, on se moque ouvertement de lui, pendant près d’une heure. Et pourtant, il tient bon. Il s’accroche. Il témoigne de sa condition d’ouvrier et de ses rêves de renversement révolutionnaire. Cela finit par le rendre attendrissant.

Il y a aussi cette punchline formidable face à Marine Le Pen, lors du grand débat "Nous quand on est convoqué par la police, on n'a pas d'immunité ouvrière, désolé, on y va."

Sur ce point, Poutou affirme que rien n’avait été préparé et précise qu’il avait refusé tout media training. C’est peut-être, paradoxalement, ce qui constitue son atout majeur à une époque où il faut être à tout prix efficace. Il ne l’est tellement pas qu’il finit par le devenir.. !

Durant le débat, Philippe Poutou se tourne constamment vers Julien Salingue et les membres du NPA qui l’accompagnent. On a presque l’impression qu’il est là pour se marrer avec ses potes…

On ne sait pas trop ce que Philippe Poutou fabrique à ce moment précis, ni même si on lui souffle quelques conseils... On sait simplement qu’il profite de la confusion qu’il a crée ! Ce petit manège habile va déstabiliser, irriterles autres candidats. Et puis il y a la fameuse tirade contre Fillon, où ce dernier dit hors micro : "Je vais te foutre un procès si tu continues." Il y va très fort ! Dans les urnes, Poutou fera un score très faible mais, ce soir là, il a fait descendre Fillon de son piédestal et a très certainement contribué à sa défaite. 

La certitude est, en effet que les textes de Marx ou de Trotski ne sont plus vraiment étudiés…

A la lecture de votre livre, on se dit que Poutou a finalement aidé la gauche et surtout Jean-Luc Mélenchon, lors de ce débat, en déstabilisant la droite…

Il y avait beaucoup de petits candidats mais c’est bien seul que Poutou a enflammé le débat. C’est à noter : les cadres du NPA ne refusent jamais le débat, on l’a vu chez Ruquier. Mais je parle aussi dans le livre du passage d’Olivier Besancenot à Vivement dimanche !, émission au public de seniors où il faut surtout apparaître comme le gendre idéal. Besancenot, lors de cette émission, fait intervenir JoeyStarr et parle de rap ! Et lorsqu’il parle politique, il évoque un contenu de pensée très, très à gauche. Et pourtant l’opération a été un vrai succès dans l’opinion. Drucker, lui-même, s’était dit content de l’avoir invité !

C’est presque de l’anti-Debord. Là où le situationniste vomissait la "Société du spectacle"(1), les trotskistes au contraire veulent l’utiliser à leur profit…

Ils théorisent très bien cela. Même s’ils pensent que le vote est une "farce", ils se présentent aux élections avec un grand respect des institutions. Tandis que d’autres à gauche, comme Mélenchon, sont assez rudes avec les journalistes, les trots’ soignent presque les médias. Depuis la campagne présidentielle de Krivine en 1969, leur objectif est de faire passer un message. Cela se retourne d’ailleurs souvent contre eux, quand ils vont dans des médias qui ne sont pas de leur bord. Certains auraient parfois dû refuser des interventions… Mais la démarche est malgré tout empreinte d’une certaine noblesse. Les trotskistes pensent pouvoir convaincre par le discours. Ils ont foi dans le spectateur.

Pour revenir aux divergences entre le NPA et LO, ces derniers sont restés sur une position très marxiste et sur : "La religion, c’est l’opium du peuple." Pendant la campagne, le parti publie dans son mensuel un texte sur "le piège de la lutte contre l’islamophobie". A l’inverse, le NPA a été jusqu’à présenter une candidate voilée… D’où vient cette divergence ? Les deux formations sont-elles réconciliables ?

Je pense que c’est impossible. LO a gardé un côté "pur et dur", proche de l’orthodoxie marxiste. Leur souci ce n’est pas les musulmans, mais Dieu. Pour eux, c’est un choc de voir une femme porter le voile, mais c’est pareil avec une croix ou une kippa. Au sein du NPA, des lignes concurrentes s’opposent. C’est plus clivé. Beaucoup sont de vieux "bouffeurs de curés", des laïcards. Certains sont partis dégoutés en voyant cette affiche avec une candidate voilée. Ils ont estimé que c’était la preuve que le mouvement ne ressemblait plus à ce qu’ils avaient connu. C’est peut-être aussi le signe que les nouveaux n’ont pas été bien formés, du moins conformément aux grands textes de la tradition de cette famille politique. La certitude est, en effet que les textes de Marx ou de Trotski ne sont plus vraiment étudiés…

Ils sont aujourd’hui dépourvus de têtes pensantes ou de plumes. Certaines figures, à l’instar de Daniel Bensaïd, sont mortes, d’autres sont partis vers d’autres cieux politiques…

C’est peut-être parce qu’à son lancement, le NPA a souhaité tourner le dos au trotskisme de la LCR, pour adopter un mélange de trotskisme, de luxemburgisme, de guevarisme et d’anti-impérialisme…

A l’orée de la décennie 2010, Besancenot comprend qu’il y a une place à prendre. A l’époque, à gauche, on écoute encore assez peu les antiracistes non issus de SOS-Racisme, les banlieues ou encore les féministes radicales. Le NPA perçoit en eux un nouveau réservoir de voix, de nouveaux "damnés de la Terre", ce qui n’est pas complètement faux. En 2009, la LCR fait sa petite révolution interne. Elle devient le NPA et se débarrasse de ses attributs les plus "vieillots", les plus théoriques… Elle abandonne ainsi des mots connotés comme "ligue", "communiste" ou "révolution", qui formaient à eux seuls un programme grandiose.

Le Nouveau parti anticapitaliste est, quant à lui, beaucoup plus en phase avec le temps, avec l’époque des "alter" de tout poils. Et de fait, beaucoup de monde débarque. On "entre" à tout va, mais à force d’ouvrir, on en oublie les fondamentaux… C’était peut-être aussi le but de la manœuvre besancenoïste : emmener les anciens militants vers de nouvelles luttes. Mais cela fonctionne mal. Très vite, on constate que les deux composantes, vieux et nouveaux militants, tous plein de bonne volonté, ne s’entendent ni sur les méthodes, ni sur le fond. Les débats se tendent. On ne s’écoute plus et parfois les insultes fusent...

On entend souvent que le NPA aurait troqué les ouvriers pour les jeunes de banlieue. Ne défend-t-il pas simplement ceux qu’il estime le plus opprimés dans la société ?

Oui et non. Le NPA tire les leçons de l’histoire et prend acte des mutations de la France. Il y a de moins en moins d’ouvriers dans les usines, Et dans le même temps, partout dans les quartiers défavorisés, les campagnes et les périphéries, on trouve des exclus du système capitaliste. Le mot de "remplacement" me gêne, puisqu’il renvoie à la théorie du "grand remplacement" de Renaud Camus. C’est à l’opposé de ce que le trotskisme originel veut établir. La noblesse de ce mouvement, c’est qu’il s’efforce de prendre des gens très jeunes, peu formés, afin de les aiguiller intellectuellement.

Le drame du NPA, c’est qu’à partir d’un moment, entre les années 2000 et 2010, ce travail n’a plus été fait. On est alors faire à un une rupture. Un changement radical de public. Beaucoup d’ex-militants m’ont raconté qu’il y a quarante ans, pour intégrer l’AMR (Alliance marxiste révolutionnaire) ou d’autres cercles, il fallait faire ses preuves pendant des mois voire des années. Ils fallait être coopté, avoir assez lu, être jugé assez bon pour faire partie du cercle. Cela nécessitait d’être un militant opérationnel. Aujourd’hui, le NPA prend toutes les bonnes volontés. Il accueille tout le monde mais n’élève plus personne… Même des leaders comme Poutou le constatent. Ils sont aujourd’hui dépourvus de têtes pensantes ou de plumes. Certaines figures, à l’instar de Daniel Bensaïd, sont mortes, d’autres sont partis vers d’autres cieux politiques…

Le charme des trots’ est qu’ils sont très attentifs à toutes les luttes, mais qu’ils sont également de sempiternels "losers magnifiques". Ils ratent des occasions. S’essoufflent ou manœuvrent mal aux moments clés.

Alors qu’il est de toutes les luttes, le trotskisme semble être passé à côté desgilets jaunes. Pourquoi ?

Bonne question ! J’en fais d’ailleurs le préambule des Petits Matins Rouges. Le charme des trots’ est qu’ils sont très attentifs à toutes les luttes, mais qu’ils sont également de sempiternels "losers magnifiques". Ils ratent des occasions. S’essoufflent ou manœuvrent mal aux moments clés. De fait, les trotskistes ratent souvent le train de l’Histoire.

Sont-ils réellement passés à côté ? Krivine ou Bensaïd, par exemple, furent très actifs en 68…

Certes, mais ils n’ont pas réussi à convertir l’effervescence et à faire advenir la révolution. Pour revenir aux gilets jaunes, ils ne l’ont tout simplement pas vu venir. D’abord, ils se demandent très tôt quelle est la nature de ce mouvement. Ils ne savent pas trop comment se positionner. Quand on est trotskiste, on se demande souvent si ce qu’on voit est conforme au marxisme, si ce qu’on entend est bien de gauche. C’est le fameux : « D’où viens-tu camarade ? » L’autre doit se révéler. Or, chez les Gilets Jaunes, dès les premiers temps, des images ont choqué la gauche de la gauche, comme celles des migrants cachés dans un camion et dénoncés, sans parler des actes et des mots d’ordre antisémites et homophobes. Face à cela, même si les revendications sociales sont parfois équivalentes, Krivine et Besancenot se trouvent mal à l’aise. Dans un très long texte, Daniel Gluckstein, du Parti ouvrier indépendant démocratique (POID) traite même les Gilets jaunes de « poujadistes ». Il affirme que ces derniers ne sont que des capitalistes qui veulent plus d’essence pour aller consommer dans les supermarchés, aller à Auchan et au McDonald’s. Pour Gluckstein, la chose est entendue : "Le 17 novembre est une duperie. Sous le gilet jaune, l’ouvrier reste un ouvrier, et le patron un patron. Sans parler de ceux dont la chemise brune dépasse sous le gilet jaune." Les mots sont puissants.

Le NPA, plus politique, se dit néanmoins que les gilets jaunes appartiennent au peuple et qu’il faut accompagner l’élan en le faisant changer de nature. Dans la pure tradition trotskiste, Besancenot et ses camardes essaient ainsi d’aiguiller le mouvement et créent même les "gilets rouges". Le parti propose également et son "expérience des luttes" son aide sur les ronds-points. Ces efforts seront vite ruinés par Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier flaire la bonne affaire, tout le potentiel électoral qui pourrait lui tendre les bras. Le leader des Insoumis multiplie alors les appels du pied en direction des gilets jaunes. Sur le point de canaliser la colère, le NPA est alors dépossédé.

(1) Le situationniste définit le spectacle comme "le capital à un tel degré d’accumulation qu’il devient image". Voir Guy Debord, La Société du spectacle, Buchet-Chastel, 1967 ; Champ libre, 1971 ; Gallimard, 1992