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Européennes : ultimes analyses pré-électorales

Lien publiée le 24 mai 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.regards.fr/politique/article/europeennes-ultimes-analyses-pre-electorales

Nous voilà à quelques jours du scrutin européen, la première élection nationale depuis la séquence décisive de 2017. Comment lire les résultats le 26 au soir ? Où en est-on dans les mobilisations en cours ? Revue de détail avant le suspense final. Surtout à gauche, comme de bien entendu…

1. L’ampleur de la participation est la première inconnue du scrutin. Depuis 1989, l’abstention peut dépasser la moitié du corps électoral. En 2014, on a enregistré la deuxième plus faible participation, à peine plus forte qu’en 2009. Pour l’instant, les sondages suggèrent un intérêt modeste des électeurs pour le débat européen et le niveau des abstentions devrait approcher celui de l’élection précédente (près de 58%). Comme d’ordinaire, elle devrait être plus forte que la moyenne chez les moins de 35 ans, chez les employés, les ouvriers et les professions intermédiaires.

2. On dit que le clivage droite-gauche ne fonctionne plus. En fait, même si une majorité d’enquêtés répondent qu’il n’a plus de sens, il fonctionne dans la distribution des votes. Seulement, il fonctionne davantage en faveur de la droite qu’en faveur de la gauche. Les catégories populaires, qui étaient le carburant principal du vote de gauche, n’y croient plus, s’abstiennent massivement ou votent à droite et même – très fortement pour ceux qui votent – se portent vers l’extrême droite. En 2014, le Front national arrive à son score le plus élevé depuis l’élection du Parlement au suffrage universel (24,9% et 24 élus).

En 2014, la gauche a enregistré son plus faible score depuis les désastreuses élections de 1984, après le choc provoqué par les premiers pas de la « rigueur » socialiste. Aucune composante de la gauche n’a été épargné, ni les socialistes au pouvoir, ni les partis situés à sa gauche. Au total, la gauche a obtenu la moitié des sièges européens réservés à la France en 1979, 1999 et 2004 ; elle en a eu moins d’un tiers en 2014. À la gauche du PS, le PCF avait obtenu 19 sièges sur 81 en 1979 ; en 2014, le PC et le Parti de gauche en obtiennent 4 sur 74.

Le prisme de 2017

3. Pour apprécier les résultats du 26 mai 2019, il faudra bien sûr les comparer à ceux de la précédente consultation européenne. Mais chacun aura aussi l’œil fixé sur ceux de 2017. Entre 2014 et 2017, la gauche dans son ensemble a perdu des plumes. À la présidentielle d’avril, elle n’atteint pas les 28%, pour l’essentiel (à 70%) concentrés sur le nom de Jean-Luc Mélenchon. Ce jour-là, le vote « utile » à gauche, au bénéfice du Parti socialiste depuis 1981, s’est porté sur le candidat incarnant avec le plus de force une rupture avec le « social-libéralisme » dominant à gauche.

Aux législatives qui suivent, une partie de ces électeurs de gauche revient naturellement vers des votes antérieurs. Mais 11% des suffrages exprimés se portent tout de même sur la France insoumise de J.-L. Mélenchon et le total des anciens partenaires du Front de gauche frôle les 14%. C’est donc ce dernier chiffre qui peut servir de point de repère pour les résultats à venir.

On notera au passage que, si la gauche de gauche n’a pas retrouvé en juin 2017 son résultat d’avril, ce n’est pas le cas de la droite classique qui retrouve le sien, malgré le sévère recul de l’ancien parti majoritaire des années 2007-2012, Les Républicains. Quant au Rassemblement national (ex-Front national), il est en retrait sur ses résultats exceptionnels de 2014 (européennes) et de 2015 (régionales et départementales).

Dans les sondages, la gauche sous les 30%

4. Où en est-on à quelques encablures du vote européen ? Les données de sondage sont-elles fiables ? En 2014, les ultimes vagues de sondage s’étaient globalement approché du résultat final, comme le montre le tableau ci-après. Elles avaient toutefois surestimé globalement la gauche et surtout le Parti socialiste, surestimé le vote en faveur de la droite gouvernementale et sous-estimé les votes les plus à droite, et notamment celui du Rassemblement national.

Un sondage n’est pas une prédiction de vote, mais une estimation des intentions de vote à un moment donné. Un sondage en lui-même a une valeur toute relative, variable selon les méthodes retenues. En revanche, des séries de sondage ont une valeur un peu plus solide. Le tableau ci-après repose sur une étude de la plus grande part des sondages réalisés après les législatives de juin 2017. Il présente des moyennes d’estimation calculées sur des périodes de temps données, mensuelles à partir de janvier 2019. Chaque fois, on a regroupé les données : total FI et PCF (l’ancien Front de gauche), total Génération-S et PS, total gauche, total gauche sans EE-LV, total des listes d’extrême droite Bardella, Philippot, Asselineau, Dupont-Aignan). Ont été ajoutés deux calculs : la part relative de la FI et de la somme FI + PC à l’intérieur de la gauche.

Le tableau est éloquent sur un premier constat : la gauche dans son ensemble est dans ses très basses eaux, au-dessous des 30 % et concurrencée directement par le total des voix portées sur l’extrême droite. Sur cet ensemble, le total FI-PCF n’atteint pas dans les sondages le niveau atteint en juin 2017 et, a fortiori, celui d’avril 2017. La marge d’erreur des sondages laisse entrevoir la possibilité de parvenir ou de dépasser ce niveau ; ce n’est pas encore le cas.

Le tableau ci-dessus condense les résultats du panel étudié par Ipsos sur la base d’un échantillon de près de 10.000 personnes dont on suit l’évolution sur la durée. Il est cohérent avec les précédents, avec toutefois une sous-estimation des intentions de vote en faveur de la FI.

La France insoumise, 8,9% de moyenne

5. Si l’on en juge d’après les sondages, la FI revient de loin. Partie assez haut dans les estimations d’après juin 2017, elle a connu un tassement sensible à la fin de 2018, après l’épisode spectaculaire des perquisitions. La baisse s’est poursuivie en moyenne jusqu’en février 2019. Un regain sensible s’observe en avril, confirmé légèrement en mai. Depuis la mi-mai, les estimations oscillent entre 7,5% (Ipsos) et 10 % (Harris), avec une moyenne de 8,9%.

Pour l’instant, tout laisse entendre que la FI pourrait confirmer sa place de première formation à gauche. De ce point de vue, il n’y aurait pas de retournement de tendance depuis l’été 2017. Encore faut-il que la nouvelle organisation parvienne au score des précédentes législatives (11%), ce qui n’a rien d’impossible sur le papier. Une question restera toutefois posée. Si la FI poursuit sa course en tête, elle sera la première d’une gauche laminée. Or la stratégie dite « populiste » suivie par Jean-Luc Mélenchon repose sur un double pari : s’appuyer sur le résultat présidentiel (près de 20%) pour conquérir une majorité – un pari qui se rapproche de celui de Mitterrand en 1971 ; réduire la dynamique de l’extrême droite française, notamment dans les catégories populaires. Au vu des sondages, ce double objectif est plutôt loin d’être atteint.

Incontestablement, le FI a rogné les arêtes de son discours européen des deux « plans », ne conservant que la formule ambiguë de la « sortie des traités », qui permet en théorie de concilier les tenants de la sortie et ceux de l’entretien d’une tension durable au sein de l’Union européenne. Mais, tout compte fait, ce discours sur l’Europe – au demeurant plus compatible avec celui des alliés espagnols et portugais – n’a pas été au cœur de la campagne des Insoumis. Portés par la dynamique perturbatrice des mobilisations des gilets jaunes, la FI a mis de plus en plus l’accent sur la thématique du « référendum contre Macron ».

L’organisation pensait profiter ainsi de la dynamique post-2017 qui la faisait apparaître, dans l’enceinte parlementaire, comme l’opposition la plus dynamique. Or, la main a été peu à peu reprise par le Rassemblement national. Le face-à-face mis en scène de la République en Marche et du Rassemblement national peut dès lors fonctionner comme un piège redoutable : si l’ennemi principal est Macron et si l’enjeu des européennes consiste à chasser du premier rang le parti du Président, le « vote utile » du ressentiment n’est-il pas le vote en faveur du poulain de Marine Le Pen ? La gauche – souvent vilipendée par le leader de la FI – n’a pas été convaincue qu’elle pouvait rééditer le vote Mélenchon d’avril 2017. La dynamique « gilets jaunes » est trop complexe pour nourrir directement un vote à gauche soutenu. Les « fâchés pas fachos » ne sont pas si faciles à convaincre que le vote en faveur de l’extrême droite est un redoutable miroir aux alouettes. Dans l’immédiat, le pari « populiste » n’est pas convaincant, c’est le moins qu’on puisse dire.

Dans la toute dernière période, la FI fait feu de tout bois pour gagner des voix à gauche (la proposition de « fédération populaire »), de mordre sur les écologistes et même les « animalistes » et, dans un scrutin à forte abstention, de grappiller le plus grand nombre de voix du côté de l’actif des gilets jaunes. Possible ? Trop tard ? Les électeurs trancheront.

Le PCF, avec ou sans élus ?

6. Le PCF, par l’entremise de son jeune candidat, Ian Brossat, aura réussi à marquer la campagne de son empreinte. Les législatives l’avaient laminé en voix et en pourcentages. Le pari d’une candidature autonome était des plus risqué, pour ne pas dire suicidaire. Mais le PC avait pour lui l’atout d’une force militante affaiblie mais restée conséquente et d’une conception de l’Europe qui, depuis au moins le début du siècle, est capable de marier la radicalité de la critique et le refus des facilités trompeuses d’un « Frexit » ou de son équivalent.

Le dynamisme et le mordant de sa tête de liste ont de ce fait tranché dans une campagne globalement laborieuse. Les intentions de vote ont fini par frémir dans le bon sens, au point de laisser espérer ce qui paraissait impossible : maintenir des communistes français dans l’enceinte parlementaire européenne. Il reste à la liste communiste, dans la toute dernière ligne droite, à sortir le PC du piège précédemment énoncé et, au-delà de la sympathie retrouvée, de convaincre de « l’utilité » du vote en faveur d’une liste classée au départ parmi les lointains outsiders.

Et les autres ?

7. Le total des intentions en faveur de Génération-S et de l’alliance Parti socialiste/ Place publique est pour l’instant loin des résultats passés du PS, à peine autour des modestes 8% des législatives 2017. Dans une gauche parcellisée, les héritiers officiellement critiques du socialisme « social-libéralisé » ont du mal à faire entre leur voix, quel que soit l’allant de leurs porte-parole. Benoît Hamon n’a pas réussi pour l’instant à dégager une dynamique qui l’identifie positivement aux yeux de l’électorat et le tandem Glucksmann-Faure, malgré le soutien mitigé de quelques « éléphants », n’est pas sûr de confirmer qu’il va passer la barre fatidique des 5%. Dans le grand match de la recomposition de la gauche, cette frange de la « famille » a peu de chance de jouer la partition principale.

8. La liste dirigée par Yannick Jadot est dans une situation délicate, les estimations en sa faveur oscillant de 6,5% (Ifop) à 10% (Elabe), avec une moyenne de 7,8% en mai, au-dessous de celle de la FI. Les Verts ont choisi, non pas de jouer la carte de la gauche la plus dynamique et la plus novatrice, mais de reproduire en France la méthode des Grünen allemands en contournant le clivage gauche-droite. De ce fait, ils s’exposent à la concurrence directe de la liste écologiste concurrente (Bourg, Batho) et même de la liste des « animalistes ». Sans compter que Manon Aubry peut légitimement valoriser un parti pris écologiste conséquent de la FI et que le thème de l’urgence climatique n’est plus la chasse gardée exclusive du parti écologiste estampillé. La fin de parcours est ainsi bien difficile, pour ceux qui pensaient bénéficier de l’enjeu climatique et de la bonne tenue globale des Verts à l’échelle de l’Union.

9. À l’arrivée, il est vraisemblable que la crise politique va s’épaissir. Quel que soit la liste qui arrivera en tête, LREM ou RN, les européennes vont reproduire en l’aggravant le paysage éclaté de la présidentielle. Les amis du Président seront bien loin des 32% de juin 2017 et la France du pouvoir s’appuiera sur un socle réduit à moins d’un quart des suffrages exprimés et donc appuyé sur une infime partie du corps électoral. Même si le RN n’atteint pas son score de 2014, le total des listes d’extrême droite approchera ou dépassera le tiers des exprimés. Les Républicains ne parviendront certainement pas à retrouver le niveau qui fut celui de l’UMP, mais ils restent un pôle qui compte, dans une droite qui se radicalise vers son extrême et non vers son centre.

Quant à la gauche, elle n’est pas au bout de ses peines. Qu’elle soit parcellisée n’arrange rien à son sort. Mais cet éclatement n’est pas le seul résultat de la mauvaise volonté de ses acteurs. Pour l’instant, force est de constater qu’elle n’est pas sortie de l’impasse : d’un côté, un parti pris populiste qui n’a rien de majoritaire et qui n’enraie aucunement la poussée de l’extrême droite ; de l’autre une invocation récurrente d’une union de la gauche dont on ne voit pas très bien ce qui la préserve des errements du passé. Le résultat est que, dans une France elle-même éclatée, où l’insatisfaction et la colère sont immenses, mais où le projet émancipateur et la stratégie politique qu’il exige sont bien flous, le désir passionné que cela change ne s’appuie sur aucune perspective politique de gauche majoritairement partagée.

Historiquement, ce hiatus du refus et de l’espérance a toujours été la source de bien des régressions possibles. D’une certaine façon, les européennes vont sans doute nous confirmer que nous sommes au bord du gouffre. Il faudra bien que l’on s’attelle à l’éviter.

Roger Martelli

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