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Hitler, Staline … et Daniel Riolo

Lien publiée le 26 mai 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://aplutsoc.org/2019/05/25/hitler-staline-et-daniel-riolo/

La campagne des élections «européennes» terminée, il est bon de revenir sur un à-côté, à la fois d’actualité et d’histoire, qui a nourri quelque peu la chronique de ces derniers jours, lorsqu’aux «grandes gueules de RMC» mardi 21 mai au matin, le dénommé Daniel Riolo, officiellement journaliste sportif, agressa le tête de liste Ian Brossat en affirmant tout brut que «les communistes», pendant la guerre, c’était «des collabos».

La grossièreté, l’ignorance crasse et le culot sans borne de cet individu ne font pas de doutes. Et légitime est l’indignation contre une affirmation calomnieuse envers «les communistes», entendons par là les milliers de militants ouvriers en France (dont une forte proportion d’ «étrangers» qui furent, sous le nom de MOI, Main d’œuvre Immigrée, les premiers «résistants» entrés massivement en clandestinité), qui veut, dans le droit fil notons-le, des amalgames macroniens jouant par exemple de manière irresponsable avec la notion d’antisémitisme, amalgamer militants communiste, militants ouvriers, avec ce qui fut la pire menace mortelle contre eux : le fascisme et le nazisme.

De tels amalgames non seulement sont infâmes, mais ils construisent le terrain du fascisme lui-même en le rapprochant de la protestation sociale, qu’il n’est pas. Le sieur Riolo, qui n’a rien de rigolo, est à cet égard une figure tristement exemplaire de démagogie, disons-le, fascisante, ou du moins «populiste» comme on dit aujourd’hui.

Mais l’indignation ne suffit pas. La mémoire des militants ouvriers, des militants communistes, ne peut être pleinement assumée et défendue que par la connaissance de l’histoire réelle.

Signature du Pacte Hitler-Staline 23 août 1939 (DR)

Et l’histoire réelle de la seconde guerre mondiale commence par la plus grande des trahisons dont ces militants furent victimes et que les dirigeants des partis communistes leur demandèrent d’approuver et de mettre en pratique: le pacte Hitler-Staline du 23 août 1939, au nom duquel et par lequel la Pologne sera bientôt partagée, les nazis installant leur «gouvernement général» dans un ersatz de Pologne qui sera un enfer et le centre de l’extermination industrielle des Juifs, l’URSS annexant les régions biélorusses et ukrainiennes. Dans le cadre de ce pacte, Staline livra à Hitler des centaines de communistes allemands.

Le pacte était le fruit d’un retournement diplomatique, Staline tirant à sa manière les leçons de Munich, où Daladier et Chamberlain ont livré la Tchécoslovaquie à Hitler. Le pacte rompait avec la politique des «fronts populaires» mais en ayant en commun avec celle-ci, que l’on ne peut dissocier des procès de Moscou, la peur de la révolution. Et il préparait, du point de vue de Hitler, l’invasion de l’URSS alors même que Staline réduisait au silence les rapports de ses propres espions sur sa préparation …

Habillée de phrases gauchistes contre la «guerre impérialiste», cette politique fut appliquée par les dirigeants des PC, et donna lieu en France à la tentative de prise de contact avec les autorités nazies d’occupation, en juin 1940, pour solliciter une reparution légale de l’Humanité. La chose fut menée à bien par des hommes du cœur de l’appareil : le responsable des cadres Maurice Tréand et le député d’Amiens – réticent, mais obéissant -Jean Catelas, fusillé par la suite par les nazis, le tout sous les ordres et la supervision de Jacques Duclos qui en reporta, d’une manière dont le terme approprié qui vient à l’esprit est « dégueulasse », la responsabilité sur ses deux émissaires auprès des nazis dès lors que parvint, le mois suivant, la consigne de Moscou d’arrêter ces démarches.

Mais il n’est même pas sûr qu’un grossier genre Daniel Riolo soit au courant de ces faits. Il n’en a d’ailleurs pas besoin, la bêtise suffit. Toutefois, s’il a pu se permettre sa provocation et même s’il n’en a pas conscience, c’est aussi en raison de cet arrière-plan historique. Qui est responsable du pacte? Staline et la bureaucratie stalinienne. Là, nous avons des hommes sanguinaires et corrompus, étrangers au mouvement ouvrier qu’ils étranglent et assassinent, et aussi des serviteurs aveugles qui font le relais. Mais à la base, le militant communiste angoissé par le pacte, cherchant à le justifier par des arguties tout en se préparant à résister pour de bon à Hitler, n’est pas responsable de cette situation.

Bien entendu, le pacte a suscité de fortes contradictions dans les appareils des partis communistes eux-mêmes. Le principal problème politique posé à l’historien est que dans l’ensemble la «discipline», même avec de fortes torsions, a fonctionné et que la cohésion de l’appareil a tenu, malgré l’énormité apparente d’une telle alliance, qui n’avait, du point de vue de Staline, rien de circonstanciel.

On ne peut comprendre cette relative cohésion si l’on imagine que le pacte était en rupture radicale avec la politique qui l’a précédé, dite des «fronts populaires». Certes le discours antifasciste était soudain mis en sourdine (ou exalté et par là nié au point de présenter tous les pays belligérants comme «fascistes»), mais le fond contre-révolutionnaire, qui avait conduit en Espagne à faire gagner de fait Franco par l’écrasement des courants anarchistes, socialistes de gauche et poumistes et avec eux des ouvriers et des paysans dans le cadre du camp républicain, était déjà là. Les principales couleuvres avaient été avalées, l’appareil était rôdé à cautionner n’importe quoi venant de Moscou.

De plus, la répression prenant prétexte du pacte, a en fait aidé à son application : en France, un Albert Vassart, en désaccord en interne, refuse de se désolidariser devant les tribunaux.

Dans ce cadre, des pans entiers, sans s’opposer frontalement, tentèrent une autre politique sur le terrain. Au niveau européen, ce sont les PC des Balkans – Yougoslavie, Albanie, et, en se cassant sur ce point entre les zones de guérilla rurale et le centre, la Grèce – qui se sont engagés hors consignes de Moscou dans la lutte armée contre l’occupant fasciste ou nazi, créant ainsi les conditions politiques du futur conflit Tito-Staline et de la trahison de la résistance grecque. Et, en différant de quelques semaines le commencement de l’opération Barbarossa, ces désobéissants ont probablement sauvé l’URSS …

La lutte armée contre les nazis et les fascistes ou sa préparation, en opposition à toute union sacrée, était, on le sait aujourd’hui, la ligne politique conçue par Léon Trotsky à la veille de son assassinat sur ordre de Staline, un assassinat qui s’inscrit comme le point d’orgue du pacte Hitler-Staline mais qui soulagea aussi un Churchill.

En France, il faut souligner que par «sa volonté d’orienter l’action clandestine vers le travail de masse dans les usines aux dépens de l’application didactique des mots d’ordre pseudo-défaitistes prônés par Moscou»(Guillaume Bourgeois,Drôle de guerre et tournant de l’IC en 1939, in Cahiers Léon Trotsky, n°23, septembre 1985), le responsable syndical du PCF Benoît Frachon a probablement sauvé son parti et permis sa résurgence après l’invasion de l’URSS.

Affiche des autorités d’occupation contre la grève des mineurs – Juin 1941 (DR)

De fait, les deux principaux faits de «résistance» dans la vie sociale en France, avant celle-ci, ont été caractérisés par l’engagement massif des militants communistes : il s’agit de la manifestation «patriotique» des étudiants parisiens du 11 novembre 1940, puis de la grande grève des mineurs du Nord et du Pas-de-Calais qui démarre au puits Dahomey de Montigny-en-Gohelle le 26 mai 1941,«une grève organisée, mais sur la base d’un mouvement spontané» (Roger Pannequin,Ami, si tu tombes), dont Benoît Frachon saisit l’importance, qui affronte police française et armée allemande, grève qui remporte des victoires revendicatives et dégage les cadres de la toute prochaine lutte armée.

Numéro Spécial de la Vie Ouvrière saluant la reprise du travail des mineurs après 12 jours de lutte (DR)

Ce sont ces deux faits que les camarades communistes, soucieux de mettre en avant le rôle de leurs aînés dans la «résistance» avant juin 1941, devraient signaler, car ils relèvent autant de la lutte des classes que de la défense des revendications démocratiques et nationales, les deux étant indissociables. On parle parfois d’un «appel des communistes à la résistance» du … 17 juin 1940. C’est là en fait l’interprétation mythique, voire mensongère, d’un tract diffusé ce jour là à Bordeaux par Charles Tillon, futur dirigeant FTP puis ministre à la Libération, puis «purgé» avec André Marty, tract assurément anti-hitlérien, mais dont la phraséologie «anti-impérialiste» était typique, justement, de ce que pouvait écrire un cadre du parti voulant illusoirement surmonter les effets du pacte sans le remettre en cause.

Si l’on veut vraiment signaler un précurseur de la résistance armée avant juin 1941, alors il faut se tourner vers Georges Guingouin, instituteur et secrétaire de mairie à Saint-Gilles-des-Forêts dans le Limousin, qui anime la fédération communiste de Haute-Vienne en taisant ce qui le gène dans la ligne officielle et se retrouve bientôt, après avoir été révoqué par M. le Recteur d’académie, caché dans les bois de la Corrèze, dès avril 1941. Trois ans plus tard, il en sortira à la tête d’une armée de partisans de dizaines de milliers d’hommes. Mais justement il sera par la suite calomnié et exclu du parti : «Avec Guingouin nous avons affaire à un ennemi de la pire espèce.» (l’Humanité du 15 novembre 1952).

Georges Guingouin (1913-2005) (DR)

A partir de l’invasion de l’URSS par Hitler, le PCF tourne – sur une ligne «patriotique»- et lance dans la lutte armée ses militants notamment étrangers, les Manouchian et leurs camarades, internationalistes habillés en «patriotes» et par la suite longtemps oubliés de l’histoire résistancialiste officielle. Une autre histoire commence alors. Mais, pour des milliers et des milliers de militants communistes, militants ouvriers, elle avait commencé avant : partisans de la révolution, et combattants de la liberté, ils avaient tout naturellement engagé la lutte antinazie, dont ils savaient qu’elle devait se développer en lutte armée, dès le début de l’occupation.

En leur mémoire, dédions ces lignes à un jeune militant tué pour avoir choisi la lutte armée antinazie tout en discutant et en se déterminant librement : le jeune cheminot Paul Maraval, le cinquième «trotskyste» du maquis du Meygal, liquidé sur ordre des sommets de l’appareil stalinien «international», qui n’était pas trotskyste mais qui discutait librement avec ces militants communistes révolutionnaires qu’étaient Blasco et ses camarades, et dont le corps serait coulé dans le béton d’un viaduc (Pierre Broué, Raymond Vacheron, Meurtres au maquis, Grasset, 1997).

Pourquoi conclure ainsi ? Parce qu’épais est le fumier stalinien, et que c’est en le dissipant que la mémoire du communisme peut être restituée, contre tous les Riolo et autres lourdauds de bas étage.