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"L’électorat français aujourd’hui est avant tout atomisé, avec des clivages multiples"
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Thibault Muzergues revient sur les principaux enseignements des élections européennes 2019 : montée du nationaliste et des écologistes, effondrement de la gauche et de la droite…
Propos recueillis par Kévin Boucaud-Victoire
Marianne : Le fait marquant de cette élection européenne est la progression des "populistes". A quoi est-ce dû ?
Thibault Muzergues : Il faut faire attention à regarder les résultats non pas au niveau national, mais au niveau global – en Italie, il est clair que Matteo Salvini enregistre une très forte progression. Mais en France, le Rassemblement national est stable, même en très légère baisse (avec néanmoins cette première place contre LREM qui marque forcément les esprits). En Autriche, le FPÖ est en forte baisse après l’affaire de l’Ibiza-Gate la semaine dernière, et en Espagne, si Vox entre au Parlement européen, c’est avec un score largement en-deçà de leur résultat aux élections législatives il y a un mois.
Alors oui, les populistes enregistrent une hausse sensible dans bon nombre de pays (et pas des moindres), mais ce n’est pas le raz-de-marée européen que Marine Le Pen et Matteo Salvini appelaient de leurs vœux. Au final, il semble que même avec le renfort de Viktor Orbán, les populistes de droite liés à Moscou, réunis autour de de Matteo Salvini et Marine Le Pen, sera en progression, mais loin derrière les trois gros groupes que formeront le Parti populaire européen (PPE), les Socialistes et Démocrates (S&D), et les Libéraux d’ALDE – et qui devraient gouverner à Bruxelles pendant les cinq prochaines années.
Comment expliquer la percée d'Europe Écologie Les Verts EELV et des partis écologistes en Europe ? L'écologie est-elle la nouvelle idéologie des "Millenial", jeunes urbains qui votaient plutôt pour la gauche radicale ?
Attention là aussi ! Les Verts font un bons (voire de très bons) résultats dans le quart Nord-Ouest de l’Europe (Allemagne, Pays-Bas, Autriche, mais aussi en France), mais ils sont très peu présents en Europe centrale (aucun élu en Slovaquie, en Pologne, en Roumanie) ou encore en Europe du Sud (pas d’élus non plus en Italie, Grèce, Espagne ou au Portugal).
Ils gagnent effectivement un grand nombre de voix dans les publics millenials d’Europe du Nord et du Nord-uest, mais au final, les Verts gagnent seulement un peu plus d’une vingtaine de places, restant loin derrière les poids lourds du PPE, du PES, et clairement derrière les libéraux d’ALDE et les nationalistes réunis autour de Matteo Salvini.
Ce naufrage électoral pour LR n’est pas rébarbatif car le parti jouera réellement sa survie l’an prochain aux Municipales (avec de bonnes chances de succès), mais il montre bien le dilemme de la droite française.
Au niveau national, Les Républicains (LR) a enregistré une baisse sensible depuis les présidentielles. Pourquoi n'arrive-t-il plus à mobiliser les classes moyennes de province, comme lors de la dernière élection européenne ?
C’est un résultat catastrophique pour Les Républicains, sachant par ailleurs que la taille de la Classe moyenne provinciale en France devrait lui garantir un résultat autour de 20%. Pourtant les sondages avaient régulièrement donné LR aux alentours de 13% ces derniers mois, ce qui semblait donner les signes que la Droite était en convalescence – on avait alors crédité Francois-Xavier Bellamy pour ces résultats encourageants. Mais non seulement l’engagement de Bellamy dans la Manif’ pour tous ferme la porte à un soutien de cette classe moyenne suburbaine plus centriste qui a voté Macron en 2017, mais son engagement clair en faveur des pro-vie dans l’affaire Vincent Lambert a rebuté les électeurs de la classe moyenne provinciale qui ont pour beaucoup assimilé l’héritage de Mai 68 (rappelons que nombre d’entre eux sont des baby-boomers).
Ce naufrage électoral pour LR n’est pas rébarbatif car le parti jouera réellement sa survie l’an prochain aux Municipales (avec de bonnes chances de succès), mais il montre bien le dilemme de la droite française : du point de vue du militantisme, elle est dépendante d’un mouvement social-conservateur catholique puissant, mais ce dernier limite son potentiel électoral auprès des baby-boomers, qui forment une grande partie de la classe moyenne provinciale et restent opposés à toute remise en cause des droits issus de mai-68, que ce soit sur l’avortement ou la fin de vie.
Vous aviez fait de Jean-Luc Mélenchon le leader des Millenials. La percée d'EELV explique-t-elle seule le recul de sa formation ?
En France, comme en Allemagne, les Millenials sont clairement passés chez les Verts ! Ceci est dû à un très mauvais calcul de Mélenchon, qui en voulant chercher les voix des "fâchés pas fachos" de la classe ouvrière blanche et des gilets jaunes(sans grand succès d’ailleurs), a oublié que son cœur d’électorat, les jeunes, goûtaient très peu aux "La République c’est moi". Au final, les Millenials ont montré qu’ils étaient un électoral finalement assez peu fidèle, passant d’un parti à l’autre en France comme en Allemagne ou (mais aussi en Espagne, où ils sont en partie passés d’un soutien à Podemos au PSOE), et ils ont donc migré sur cette élection sur Les Verts, ce qui ne garantit pas d’ailleurs que ces derniers vont cristalliser ce vote. Les élections municipales de l’an prochain ne devraient pas être à leur avantage, et le cœur de la Gauche reste à prendre. L’enjeu est énorme : si l’on additionne les voix de tous les partis à la gauche d’Emmanuel Macron, on est à environs un quart de l’électorat, c’est donc un potentiel formidable pour qui sera capable de la rassembler derrière lui, comme François Mitterrand avait su le faire en 1989.
Beaucoup de médias de gauche ont salué la bonne campagne de Brossat. Comment expliquer qu'il soit aussi bas ?
Il y avait beaucoup de monde pour essayer de récupérer le vote "millennial" et associes. Ici, la campagne en soit importe moins que la "marque" PCF (qui ne fait pas vraiment nouveau) et la dynamique de fin
de campagne. Au final, Brossat n’aura pas eu d’événement significatif en fin de campagne pour pousser un nombre de jeunes de gauche à voter pour lui (là où les Verts ont clairement bénéficié d’un effet Greta Thunberg), et fait partie de ceux qui n’auront pas réussi à s’imposer dans la campagne, malgré de bonnes performances dans les débats.
En 2017, Emmanuel Macron a été élu avec un mandat clair pour raviver l’idéal Européen.
Que penser de la domination d'En Marche et du RN ? Est-ce la fin du clivage gauche-droite, au profit d'un nouveau clivage entre libéraux et nationalistes ?
Ce clivage est très artificiel, et Emmanuel Macron doit aujourd’hui regretter d’avoir voulu définir le débat des Européennes entre "nationalistes" et "progressistes" : non seulement cela a permis aux nationalistes de se rassembler derrière Marine Le Pen, mais le reste de l’électorat, qui n’est pas forcément progressiste (ou libéral) n’a pu que se disperser au vu des difficultés du gouvernement, de l’affaire Benalla aux gilets jaunes. Au final, on a certes deux pôles à plus de 20%, mais ils font à eux deux moins de la moitié des voix. On doit donc en conclure que l’électorat français aujourd’hui est avant tout atomisé, avec des clivages multiples. Cela se voit également au niveau continental : au Parlement européen, il n’y aura vraisemblablement pas moins de 8 à 9 groupes parlementaires, et il faudra une coalition d’au moins trois groupes (contre deux actuellement) pour obtenir une majorité de travail.
Ce scrutin est-il une défaite pour Emmanuel Macron ?
Clairement, et elle couronne une défaite plus générale pour En Marche et pour la France, malgré les éléments de langage utilisés par LREM durant la soirée électorale. En 2017, Emmanuel Macron a été élu avec un mandat clair pour raviver l’idéal Européen. Deux ans plus tard, l’heure est plutôt à la désillusion : avec cette défaite contre les nationalistes, Emmanuel Macron a perdu une grande partie de sa superbe, et ses partenaires à Bruxelles n’hésiteront pas à lui rappeler cette deuxième place (là où, par exemple, la CDU d’Angela Merkel aura terminé confortablement en tête en Allemagne). Et ce d’autant plus qu’en voulant faire exploser le système à Bruxelles, Emmanuel Macron s’y est fait de nombreux ennemis – notamment au PPE, mais aussi à la Commission. Au final, l’attitude hautaine d’En Marche avec ses partenaires potentiels (en premier lieu ALDE) laissent le parti isolé sur la scène européenne.
Ajoutez à cela un groupe parlementaire un peu plus petit que prévu après une campagne calamiteuse, et l’équation est complète : LREM avait tout pour faire un gros score et effectivement raviver l’idéal européen, au Conseil comme au Parlement. Mais pour cela il aurait fallu faire preuve de moins d’arrogance et de plus d’audace dans les choix de campagne. Au final, ces deux éléments manquent cruellement et expliquent ce résultat forcément décevant pour l’Elysée, qui devra se rabattre sur les questions nationales pour espérer convaincre les Français d’un bilan positif en fin de mandat. Dans tous les cas, le volet européen de la présidence Macron 2017-2022 est vraisemblablement d’ores et déjà terminé.