[RSS] Twitter Youtube Page Facebook de la TC Articles traduits en castillan Articles traduits en anglais Articles traduits en allemand Articles traduits en portugais

Agenda militant

    Newsletter

    Ailleurs sur le Web [RSS]

    Lire plus...

    Twitter

    Kouvelakis: Notes sur les élections en Grèce

    Grèce Kouvelakis

    Lien publiée le 28 mai 2019

    Tweeter Facebook

    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    https://npa2009.org/idees/international/premieres-notes-sur-les-elections-en-grece

    Crédit Photo: Par The Russian Presidential Press and Information Office — CC BY 4.0, Wikicommons

    Par Stathis Kouvélakis. Il faut être clair : c'est un désastre encore pire que ce à quoi s’attendaient les plus pessimistes.

    D’abord, the big picture : Syriza est sévèrement sanctionné, Tsipras a annoncé des élections anticipées pour la fin juin, pour limiter autant que possible les dégâts.

    1. Ces élections de juin seront une promenade pour la droite, sur le point sans doute d'avoir une majorité absolue. L'écart entre Syriza et ND est plus important qu'attendu (presque 10%, un record pour les normes des scrutins des dernières décennies), il est amplifié par les revers de Syriza dans les municipalités et les régions. Le désaveu de Tsipras et de son gouvernement sont nets. 

    Par ailleurs, une analyse plus fine montre que l'électorat de Syriza de 2019 a peu de rapports avec celui de 2015. La 2ecandidate avec le plus de voix préférentielles au parlement européen vient de parti de Kammenos, et a un discours clairement nationaliste et xénophobe. Le 4eest un acteur au profil de "jeune-premier" qui vient lui de la Nouvelle Démocratie. L'électorat Syriza ressemble plutôt à la clientèle d'un parti au pouvoir qu’à celui d’un parti de gauche. Il est par ailleurs évident qu’il hérite en partie du PASOK « social-libéral » des années 2000 : les 3 seuls départements dans le pays où Syriza est en tête sont les ex-bastions mythiques du PASOK: en Crète et dans le nord-ouest du Péloponnèse, autour de Patras, berceau de la famille Papandréou. 

    2. Un nouveau parti d'extrême-droite émerge, la « Solution Grecque », porté par les rassemblements nationalistes sur la Macédoine et l'usure d'Aube Dorée. Il fait d'excellents scores dans le nord de la Grèce (là où ces rassemblements ont été les plus significatifs), et quasiment jeu égal au niveau national avec Aube Dorée (4,1 et 4,8 respectivement). Il est possible que l’extrême-droite grecque ait trouvé un visage plus « présentable » que celui des criminels d’Aube Dorée, et qu’elle soit en mesure de réaliser de nouvelles percées dans l’avenir. Un autre indicateur inquiétant du potentiel de l’extrême-droite se trouve dans le score qu’Aube Dorée aurait réalisé parmi les primo-votant, autour de 13% selon un sondage.

    3. Le KKE se maintient tout juste par rapport aux résultats de 2015 (5,5%) mais perd des voix par rapport au score des européennes de 2014 (6,1%). Ses scores aux régionales indiquent également une nette baisse par rapport au scrutin de 2014, de l’ordre de 20% des suffrages. Le KKE est un parti dont l'influence s'érode lentement mais sûrement.

    4. La surprise des élections (pour moi et d'une façon générale) est le succès inattendu de Varoufakis (3%, sans doute un élu au parlement européen, mais cela reste à confirmer lorsque le décompte des voix sera achevé). Zoé Kostantopoulou sauve également les meubles d'une certaine façon avec 1,6%. L'examen des résultats de ces deux formations montre un électorat diffus, relativement homogène, avec des scores un peu plus importants dans les grandes villes, sans pointes mais sans déserts. En gros, un vote diffus de sympathie, basé sur la présence médiatique et la visibilité des personnalités qui dirigent ces formations qui reflète l'absence d'implantation en termes d’organisation. L’élection, si elle se confirme, de Sofia Sakorafa sur la liste Varoufakis, eurodéputée sortante, initialement élue en tant que Syriza, n’est pas une mauvaise chose, son nom reste lié dans la mémoire collective aux mobilisations contre les Mémorandums des années 2010-2012. C’est une belle prise assurément pour Varoufakis, la seule pour l'instant, mais il est probable qu’à partir de maintenant il soit en mesure d’attirer une partie importante des « déçus de Syriza », surtout au niveau de « cadres », de « personnalités » etc.. Il semble par ailleurs que sa liste ait fait de bons scores parmi les jeunesse (très certainement la jeunesse diplômée des classes moyennes): selon un sondage sortie des urnes parmi les primo votants, son score  serait autour de 4,5%, soit plus que le KKE, donné à 3,7% dans cette tranche d'âge alors qu'il dispose d'une vraie organisation de jeunesse.

    5. Le succès de Varoufakis, et le score relativement honorable de Kostantopoulou ne rendent que plus cuisantes les défaites d’Unité Populaire (UP) et d’Antarsya, de la première encore davantage que de la seconde, et cela dans un scrutin où la pression du vote utile joue nettement moins que dans les scrutins nationaux. Cette défaite va peser lourd car il s’agit des deux seules forces à disposer de réseaux militants, contrairement à Varoufakis et Kostantopoulou qui n’existent que sur les plateaux médiatiques.

    Antarsya fait un score très faible (0,66%) mais comparable en fin de compte à celui des précédents scrutins, européens ou nationaux. Son principal échec est aux élections municipales à Athènes, où deux listes se sont présentées, le SEK ayant fait bande à part. Les deux ont obtenu des élus mais l’électorat de 2014 s’est scindé en deux, et un capital acquis par des années de travail militant a été dilapidé.

    6. Unité Populaire obtient un score humiliant, (0,58%), surtout si on le compare à celui des législatives de septembre 2015 (2,93%). Il y a une dimension de rejet personnel de Lafazanis, mais aussi de la politique menée par son courant, et un échec collectif d’UP bien entendu. Plusieurs facteurs ont ici joué, je ne peux que les lister brièvement. 

    Il y a un problème de direction, même s’il est toujours réducteur de limiter la question à cela. Il faut dire néanmoins que Lafazanis est perçu comme particulièrement usé et discrédité non seulement à cause de son évident échec à s’opposer efficacement à la capitulation de l’été 2015 mais aussi pour les dérives de la dernière période, marquée par un flirt appuyé avec le nationalisme (sur la question de la Macédoine en particulier) et une apparition sur une chaîne télé d’extrême-droite (qui a déclenché une tempête interne dans UP). A noter que Kostantopoulou a été encore plus loin dans cette direction (elle a appelé à participer aux rassemblements nationalistes), mais elle ne s’adresse pas au même électorat.

    Par ailleurs, la monopolisation de la présence médiatique et publique d’UP par sa personne passait de plus en plus mal, toutes les tentatives de promouvoir des visages nouveaux s’étant heurté au refus de son courant.

    Le courant Lafazanis, majoritaire dans les instances d’UP (suite à un congrès marqué par des manœuvres malsaines), s’est montré peu soucieux de construire UP comme une « maison commune » pour l’ensemble de ses composantes, ce qui s’est révélé d’autant plus dommageable qu’il est composé de cadres vieillissants, issus de la scission de 1991 du KKE et véhiculant une culture marquée par un esprit bureaucratique et peu ouvert aux sensibilités (et aux pratiques) des mouvements sociaux. 

    UP et ses militants ont certes été présents dans toutes les mobilisations de la dernière période (comme les militants d’Antarsya) mais ils ont eu tendance à délaisser le travail de terrain et à le remplacer par des actions symboliques, ou des micro-actions, menées sous leur drapeau surtout dans le mouvement contre les saisies des logements. Le courant Lafazanis s’est particulièrement illustré dans ce type de pratiques.

    7. Enfin, last but not least, tant UP qu’Antarsya ont gravement sous-estimé la nécessité de présenter des propositions alternatives crédibles et travaillées, pensant que la seule dénonciation du gouvernement Syriza et l’appel à la sortie de l’euro et de l’UE pouvaient suffire. Dans une situation de démoralisation, où règne le There Is No Alternative, ce discours paraît comme un exercice de rhétorique et ne convainc personne. L’absence de projet de ce côté a permis plus particulièrement à Varoufakis d’apparaître comme porteur d’un message « innovant » et « sexy », jouant habilement sur la carte d’une opposition modérée et « euro-compatible » à Tsipras et Syriza.

    8. Dernier élément qui confirme le double échec des formations militantes de la gauche anticapitaliste : leurs listes aux élections régionales ont réalisé des scores certes faibles (en général entre 1,5% et 2%, avec parfois des pointes à 3% pour UP, ou des listes soutenues par UP) mais sensiblement supérieurs à leurs scores aux européennes et sont souvent parvenues à obtenir des élus dans les conseils régionaux. Cela indique bien l’incapacité irréversible à mon sens tant d’Antarsya que, davantage encore (vu que c’était la seule nouvelle force dans la gauche radicale à partir de l’été 2015) d’UP de structurer une force politique viable.

    L’avenir paraît d’autant plus compromis que, sur le plan électoral, Varoufakis semble en mesure de s’imposer dans cet espace « intermédiaire », à gauche de Syriza, mais modérément sans doute ouvert à des rapprochements lorsque Syriza passera dans l’opposition, et que seul le KKE continue à maintenir une base militante et une crédibilité électorale dans la gauche radicale – mais en s’enferrant dans un sectarisme délirant qui le condamne un lent (et à mon sens irréversible) processus de déclin. 

    Le travail de reconstruction se déroulera à l’évidence dans le temps long tout en appelant d’urgence à l’invention de nouvelles voies. 

    Paris, le 27 mai 2019