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André Gorz: un penseur à redécouvrir

décroissance écologie

Lien publiée le 30 mai 2019

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Deux textes inédits d'André Gorz, pionnier de l'écologie politique, adepte de la décroissance et penseur du travail, viennent d'être publiés.

André Gorz (1923-2007), pour les jeunes générations, c’est un nom qui se perd dans les limbes. Mais c’est un nom à part, dans la longue liste des inspirateurs de la critique du capitalisme et de l’écologie politique. Disciple intelligent de Jean-Paul Sartre, ami proche du décroissant Ivan Illich (1926-2002), lecteur assidu d’Herbert Marcuse (1898-1919), il était un journaliste de bonne tenue, à l’Express et au Nouvel Observateur, et il n’était pas enfermé dans l’Hexagone ; il a noué de profonds échanges avec les intellectuels et syndicalistes italiens ou allemands et fut dans les années 1960 un partisan de l’autogestion.

Partout, où le nouveau management, vient à bouleverser l’organisation du travail. Partout, où la précarité règne, le burn-out sévit, la fléxisécurité bat de l’aile.

Quand il est mort, en 2007, tout le monde a loué, surtout à gauche, sa probité, sa modestie, sa simplicité. Enfin un intellectuel qui aura vécu en accord avec ses idées ! Si son style de vie, autant que ses écrits, ont contribué à sa notoriété, dans les rangs des militants écologistes, et au-delà, c’est cependant par son dernier livre, Lettre à D. Histoire d’un amour (2006),où il déclarait son éternelle passion pour sa femme, qu’il a conquis un large public. Avant de devenir, un an plus tard, le symbole de l’intellectuel qui ne triche pas, en choisissant de se suicider avec elle, le même jour, pour l’accompagner dans sa maladie irréversible et mourir avec elle…

PENSEUR DU TRAVAIL

C’est ce nom, qui est aujourd’hui remis à l’honneur avec la publication de deux livres courts, l’un sous forme d’un entretien en partie inédit, daté de septembre 2005, avec le philosophe François Noudelmann, l’autre, reprenant un article paru en 1992, sous le titre : Éloge du suffisant(1). L’idée est bonne, et permet de comprendre les impasses et les avancées, de ce penseur qui a fortement influencé la CFDT, la deuxième gauche, Daniel Cohn-Bendit, et qui peut nous aider à comprendre où nous en sommes, en matière de travail – et pas seulement d’emploi - d’écologie politique et pourquoi pas de mieux vivre.Car André Gorz qui fut admiré autant que critiqué, par le sociologue Robert Castel (1933-2013) notamment, fut à la fois un pionnier de l’écologie politique, adepte de la décroissance, et par dessus tout un penseur du travail.

Il fut un des premiers intellectuels français - avant que le dossier de l’automatisation intégrale, via les Big Data et la robotisation, s’invite dans le débat -, à se démarquer du travail-emploi. Rejoignant ainsi, les préoccupations, de ce qui allait devenir, en 1999, le rapport commandité par la Commission européenne sur "les transformations du travail et le devenir du droit du travail en Europe", présidé par le juriste Alain Supiot ; rapport aujourd’hui enterré, tant il se situait à contre-courant de ce que signèrent les abandons successifs de la démocratie sociale et de l’humanisation par le travail.Ce rapport, que Gorz aurait pu approuver dans ses grandes lignes, il s’appelait : "Au-delà de l’emploi". Il fut réédité dans l’indifférence générale en 2016(2). Entendre le titre, serait pourtant un premier pas.

Le travail n’est pas exclusivement l’emploi. Ce qui était vrai du temps du compromis fordiste : je te protège et t’assure une sécurité, tu me donnes ta force de travail et tu es censé m’obéir. Cela s’appelle le travail subordonné, lequel assure une forme de sécurité, mais est de nos jours battu en brèche. Partout, où le nouveau management, vient à bouleverser l’organisation du travail. Partout, où la précarité règne, le burn-out sévit, la fléxisécurité bat de l’aile. Partout, où le travail, disait André Gorz, ne se présente pas comme "une activité créatrice, d’épanouissement de soi, pour chacun". Ce qui, au regard de la souffrance au travail, de l’actuel procès des suicides de France Télécom signifie que pour forcer les gens à partir, il suffit de détruire leurs conditions de travail et ignorer leur compétence.Cette situation est à l’ordre du jour.

Le mois de juin 2019, en effet, verra la commémoration du centenaire de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) – elle stipule dans son préambule, qu’il ne saurait y avoir de paix durable sans justice sociale et de travail décent qu’un travail réellement humain - il n’est donc pas hasardeux de souligner que l’OIT, demeure un rempart contre les partisans du plus malin des néolibéraux, j’ai nommé : Friedrich Hayek (1899-1992), le père du marché total, pour qui, précisément, le travail, n’était qu’un marché, un produit quantifiable. Comme si, par la magie d’un ajustement mutuel de toutes les économies individuelles sur un marché globalisé, il n’y aurait désormais aucun obstacle, merci à l’OMC, pour faire advenir un monde débarrassé de l’État et des réglementations internationales.

Il fut un penseur de la liberté. Mais il fut aussi, à ses dépens, le symptôme des difficultés et des errements de l’écologie politique, qui s’est pris les pieds dans le tapis de l’environnemental et du sociétal, en omettant de retisser les mailles du social…

LES LIMITES DE GORZ

La crise du multilatéralisme apporte un bémol à ce tableau. De même que la prise en compte du défi écologique. Mais ces deux écueils ne remettent pas en cause l’intuition de Gorz concernant l’effondrement de ce qu’il appelle dans son entretien "la société de l’emploi". Ou, à tout le moins, l’idée que la révolution numérique aidant, l’automation se développant, les politiques néolibérales agissant, il nous faudrait, avec l’érosion du modèle fordiste contractuel, repenser le travail à nouveaux frais. Ce que fit Gorz, mais en poussant le bouchon un peu trop loin. En privilégiant, "l’émancipation hors de la sphère du travail, plutôt que celle dans le travail"(Serge Audier).

Voulant anticiper sur la disparition de certains emplois industriels, il négligea les emplois protégés, et imagina une manière de société duale où il serait possible de conjoindre d’un côté la production efficiente, obéissant aux lois de la rationalité économique, et de l’autre, un maximum de temps libre, créatif si possible, réservé aux activités non contraintes, lesquelles incluaient le souci de son milieu de vie, son potager ou ses transports. Ce qui excluait l’idée que le travail en soi – qu’il opposait aux activités libres - puisse être source d’intégration sociale ou d’épanouissement.

Cela dit, et pour lui rendre justice, Gorz n’était pas qu’un doux rêveur.

Ceci l’entraîna à défendre un revenu d’existence et de citoyenneté, "un revenu suffisant", la fin du travail en somme, sans se demander comment le financer, et à dénier que le travail en soi puisse être autre chose qu’un simple marché. À dénier, qu’il était possible, à l’heure de la déréglementation, d’imaginer de nouvelles protections. Cela dit, et pour lui rendre justice, Gorz n’était pas qu’un doux rêveur. Il indiquait une direction, et en cela demeurait philosophe, pour qu’une vie meilleure, une vie bonne, à partir de son expérience quotidienne, puisse prendre forme.

On le disait utopique, ces deux livres démontrent au contraire qu’il était pragmatique. Il ne séparait pas le monde vécu – le milieu écologique compris - du monde à atteindre. En ce sens, il fut un penseur de la liberté. Mais il fut aussi, à ses dépens, le symptôme des difficultés et des errements de l’écologie politique, qui s’est pris les pieds dans le tapis de l’environnemental et du sociétal, en omettant de retisser les mailles du social…

(1) André Gorz, Éloge du suffisant, PUF, 96 pp., 9 euros et Penser l’avenir, La Découverte, 100 pp, 10 euros.

(2) Alain Supiot, Au-delà de l’emploi, Flammarion, 316 p., 23 euros.