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La France insoumise entre autocritique et "digestion lente" après sa défaite
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Alors que Jean-Luc Mélenchon garde le silence, les tenants de la stratégie populiste et les partisans de l'union de la gauche se disputent la ligne du mouvement.
“La pente qui est prise est mauvaise. Il est possible de l’inverser. Mais cela est impossible si chacun ne prend pas pour lui-même ses responsabilités”. Ainsi avait réagi dimanche 26 mai Jean-Luc Mélenchon, la mine et le ton particulièrement graves, au soir de la sévère défaite enregistrée par la France insoumise aux élections européennes.
Depuis, le chef de file du mouvement anti-libéral, qui a espéré un temps détrôner la droite et qui s’est finalement retrouvé à une poignée de voix du Parti socialiste, n’est plus revenu publiquement sur le sujet, malgré les disputes qui ont surgi immédiatement autour de la ligne de la FI.
Un silence pesant, en écho au coup de tonnerre qu’a constitué le score de la liste menée par Manon Aubry: 6,31%, soit trois fois moins que celui enregistré par Jean-Luc Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle. Le choc est d’autant plus violent que la quasi-totalité des Insoumis considéraient comme acquis leur leadership sur les forces de gauche tout comme leur statut de premier opposant progressiste à la politique d’Emmanuel Macron.
“La France insoumise a mésinterprété son score de 2017. Elle a pensé qu’elle était propriétaire de ses voix alors qu’elle a bénéficié du vote utile”, résume auprès du HuffPost le politologue de gauche Rémi Lefebvre, qui avait quitté le Parti socialiste à l’automne 2018.
Si le retour sur terre est brutal, “très décevant” selon les propres mots de Jean-Luc Mélenchon, il ouvre surtout un fossé d’où s’échappent tous les mécontentements qui s’expriment mezzo voce depuis des mois sur la ligne et l’organisation de la France insoumise.
Ligne populiste contre union de la gauche
Dès dimanche soir puis dans les jours qui ont suivi, la députée Clémentine Autain, figure de la gauche radicale, a ouvert les hostilités en estimant que “ce qui est en cause, c’est la ligne politique”. Dans son viseur: la stratégie dite “populiste” visant à enjamber le clivage gauche-droite pour fédérer un électorat populaire autour d’une ligne souverainiste et sociale.
Favorable à un retour à une logique d’union de la gauche, l’ancienne conseillère de Paris apparentée PCF, aujourd’hui cheffe de file d’Ensemble!, accuse aussi le ton incendiaire et hégémonique de la FI vis à vis des autres partis de gauche, regrettant “la récurrence de formulations” visant à “cliver”, ainsi que “des murs” dressés “là où il aurait davantage fallu chercher à construire des passerelles”.
A ces critiques, la chroniqueuse et ex-porte-parole insoumise Raquel Garrido répond à la sulfateuse en prenant fait et cause pour la ligne populiste. Pour elle, pas question de renouer avec le “patriotisme de boutique” de la gauche et la “discussion mortifère du périmètre de la gauche”. “Un score ça vient sanctionner une campagne. C’est cette campagne, la façon dont elle a été pensée, qui a abouti à ce score”, tonne-t-elle en visant la cheffe de file Manon Aubry, trop timorée à son goût et pas assez en phase avec la ligne “dégagiste”. “Là, j’ai un vrai désaccord avec Clémentine Autain. Ce qu’elle dit c’est qu’il faut faire du Manon Aubry”, attaque Raquel Garrido au micro de la revue Regards, dont la directrice de la publication n’est autre que... Clémentine Autain.
Peut-on pour autant résumer la mauvaise passe des mélenchonistes à une simple dispute d’orientation? “Le débat est un peu schématique. Jean-Luc Mélenchon n’a jamais tranché le clivage populiste-union de la gauche. Pendant la campagne, il a même soufflé le chaud et le froid”, analyse Rémi Lefebvre en pointant l’interview accordée par le député des Bouches-du-Rhône à Libération en pleine campagne, dans laquelle “JLM” avait ouvert la voie à une “fédération populaire” de gauche au lendemain des européennes.
Si le credo populiste n’a jamais été désavoué, la décision de confier la tête de liste à une personnalité d’ouverture, la militante associative Manon Aubry, ”était déjà un choix en faveur de l’union des gauches”, renchérit-il.
Un choix qui, après les résultats de dimanche, est loin de faire l’unanimité. “Faire du Manon Aubry c’est avoir un peu honte de ce qu’on a été, les Insoumis”, étrille Raquel Garrido, pour qui Clémentine Autain cède aux injonctions de la “gauche bobo parisienne qui n’arrête pas de vouloir corneriser la France insoumise”. “Je ne fais pas partie de ceux qui critiquent la belle campagne de Manon”, nuance l’élue parisienne Danielle Simonnet, qui défend la ligne médiane d’un “populisme de gauche”.
Silence dans les rangs
En attendant, ce règlement de comptes entre deux lignes antinomiques, qui coexistent difficilement au sein de la FI, fait grincer des dents en interne. D’autant qu’il se fait publiquement alors que les Insoumis préfèrent généralement laver leur linge sale en famille. “Les incantations hors-sol, ça me gonfle. Surtout que Raquel et Clémentine Autain ne sont pas les plus investies dans l’action militante”, râle un cadre FI auprès du HuffPost.
Même agacement chez le député Alexis Corbière qui déplore que Clémentine Autain soit “allée à la radio avant qu’on ne se réunisse”. ”Ça ne sert à rien de chercher à tirer son aiguille personnelle. Il n’y a que dans un grand mouvement collectif qu’on avancera”, tacle l’élu de Montreuil.
Au cœur de l’appareil mélenchoniste, beaucoup plaident donc pour une “digestion lente” (et hors caméras) des résultats de ces européennes. “Je ne suis pas d’accord avec Clémentine Autain. Certains, dont elle, disent que la ligne a été trop populiste et dégagiste. D’autres disent qu’elle ne l’a pas été assez. Quand vous entendez ça, c’est qu’en général vous étiez calés sur le bon” curseur, relativise le député Eric Coquerel sur Sud Radio.
Conséquence de cette reprise en main, rien n’a filtré de la réunion du groupe parlementaire du mardi matin, le principal lieu de discussion stratégique. ”Ça s’est bien passé, chacun a pu s’exprimer sur ce qu’il pensait de la campagne”, a résumé pudiquement Eric Coquerel. Même l’électron libre François Ruffin, qui n’a pourtant pas sa langue dans sa poche, n’a émis aucune analyse du scrutin de dimanche.
Du mouvement gazeux à “l’usine à gaz”
La tentation du déni existe, certains pointant pèle-mêle les trahisons, le “bashing du parti médiatique”, les attaques en dessous de la ceinture des partis de gauche et de “l’oligarchie”. Mais l’urgence de réagir s’impose malgré tout alors que la France insoumise a vu son score retomber au niveau de celui du Front de Gauche. “Il faut le prendre très au sérieux, il ne peut pas y avoir de piqûre de ciment et de dire qu’il n’y a pas de problème avec la ligne”, prévient Raquel Garrido, pour qui la FI doit “renouer avec ce qui a été fait en 2017” et son “rôle historique d’abolir la monarchie présidentielle”.
Mais sur ce point encore, les avis divergent sur la marche à suivre. Pour Danielle Simonnet, le scrutin européen s’annonçait quoi qu’il arrive compliqué pour la FI compte tenu de l’abstention de son électorat populaire et du désengagement de ses sympathisants vis à vis de l’UE. “Les masses ont identifié le vote RN comme le vote utile anti-Macron. Et il y a un risque que cela se reproduise aux prochaines échéances électorales”, prévient-elle, en insistant sur la nécessité pour les Insoumis de s’implanter durablement dans les territoires en menant des “micro-luttes” auprès des populations. “La stratégie populiste de gauche, ce n’est pas seulement brandir des slogans dégagistes. C’est s’ancrer dans notre base sociale. Et ce n’est pas encore le cas”, plaide l’élue au conseil de Paris.
D’autres insistent sur le flou entourant la prise de décision dans un mouvement sans direction claire. Dimanche, Manon Le Bretton, responsable de l’Ecole de formation insoumise, a tweeté sa colère en se disant ”épuisée par cette campagne”. “Pas tant par l’énergie déployée sur le terrain, que par les désaccords et alertes que j’ai exprimés en interne quant à la ligne adoptée, qui abandonnait le travail remarquable engagé en 2017”.
A ses yeux, c’est moins l’échec de la ligne politique que la gouvernance du mouvement et l’absence de démocratie interne qui sont sanctionnées aujourd’hui. Manon Le Bretton réclame notamment une “ligne co-construite avec les militants” alors que plusieurs figures de la FI ont claqué la porte ces derniers mois.
“En abandonnant le champ de l’expression populaire pour se corneriser dans la petite gauche, LFI s’est détournée de la tâche de la révolution citoyenne. C’est une faillite sur toute la ligne”, cingle le souverainiste François Cocq, “banni” par Jean-Luc Mélenchon après avoir été exclu de liste européenne.
Au-delà de l’orientation politique, “Clémentine Autain pose un problème politique sur la table, car la FI est passée d’un parti gazeux à une usine de gaz”, note Rémi Lefebvre qui pointe le flou autour de la prise de décision au sommet du mouvement, l’absence de structuration locale ou encore les nombreux départs de partisans de la ligne souverainiste et populiste qui n’ont pas pour autant contenté les apôtres de l’union de la gauche.
Le couperet des municipales
“Il va forcément se passer quelque chose. Car le plus dur est à venir avec les élections municipales où, contrairement aux européennes, les logiques d’appareil vont l’emporter”, pronostique le politologue. Or, compte tenu des relations très difficiles avec ses éventuels partenaires de gauche, “la France insoumise s’expose à un risque de marginalisation”.
Les municipales, une échéance couperet pour un mouvement politique encore jeune qui doit, tout comme La République En marche, s’implanter à tout prix pour espérer perdurer jusqu’à l’élection présidentielle.
Au vu des résultats des européennes, la marche semble inatteignable. A Marseille, fief de Jean-Luc Mélenchon où il était arrivé en tête à la présidentielle avec 24,8%, la liste de Manon Aubry n’a recueilli que 8,23% des voix, se classant en cinquième position.
Pour autant, personne ne veut croire à la FI que la carte électorale des européennes se transposera aux municipales. A Paris, où elle sera candidate, Danielle Simonnet se dit convaincue que le “communalisme” lui permettra de regagner les points perdus dans les arrondissements populaires de l’Est. “On va parler concret, de la quotidienneté des gens pour incarner le populisme de gauche. On ne l’a sûrement pas assez fait pendant ces européennes”.