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Plenel, journaliste en gilet jaune

Lien publiée le 1 juin 2019

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http://www.zones-subversives.com/2019/04/edwy-plenel-en-gilet-jaune.html

Edwy Plenel, journaliste en gilet jaune

Le journaliste et intellectuel de gauche Edwy Plenel propose ses réflexions sur le mouvement des gilets jaunes. Il en profite pour livrer son regard sur la société française et sur son épuisement démocratique. 

Le mouvement des gilets jaunes reste spontané, incontrôlable et inventif. Cette révolte a déjà permis de faire reculer un pouvoir arrogant. Cette lutte sociale s’invente au jour le jour sans agenda préétabli. Cette révolte s’appuie sur l’auto-organisation et la spontanéité. Sa composition sociale reste à l’image de la société française. Le journaliste Edwy Plenel, directeur de Mediapart, s’appuie sur ce mouvement pour analyser la situation politique et sociale en France. Il propose ses réflexions dans le livre La victoire des vaincus.

                    La victoire des vaincus - Edwy PLENEL

Les gilets jaunes et la société française

De nombreux commentaires ont accompagné cette révolte sauvage. « Comme tout surgissement spontané du peuple, elle déborde les organisations installées, bouscule les commentateurs professionnels, affole les gouvernants en place », observe Edwy Plenel. Ce mouvement ne doit pas pour autant être idéalisé. Les propos homophobes, misogynes et racistes ne doivent pas être occultés. Les discours complotistes et confus traversent ce mouvement. Néanmoins, cette révolte sociale permet aussi de recréer des solidarités et de tisser des liens à travers la lutte. « Comme toute mobilisation populaire, elle brasse la France telle qu’elle est, dans sa diversité et sa pluralité, avec ses misères et ses grandeurs, ses solidarités et ses préjugés, ses espoirs et ses aigreurs, ses beautés et ses laideurs », souligne Edwy Plenel.

Le contexte de la montée de l’extrême-droite inquiète fortement. Les discours identitaires, racistes et sécuritaires se diffusent. Dans ce contexte, un mouvement confus risque de renforcer la dérive populiste. Mais le meilleur moyen de combattre les crispations identitaires reste la lutte sociale et la solidarité de classe. Néanmoins, les commentateurs qui dénigrent ce mouvement manifestent un mépris de classe, depuis leur petit confort intellectuel ou militant.

Leur frilosité relève de la posture élitiste qui dénigre l’agitation de la plèbe. « Mépris de classe, crainte de l’inconnu, refus de l’inédit, peur de possédant, confort de sachant, posture d’avant-garde, crispations de politique professionnel : les raisons de ne pas faire le pari de cette colère ont été surabondantes », raille Edwy Plenel. Un mouvement spontané reste préférable à une mobilisation classique qui s’appuie sur la vieille gauche, avec ses partis et ses syndicats. Ce mouvement bouscule les certitudes et permet une ouverture des possibles.

Le président Macron incarne la longue dégénérescence des institutions de la Ve République. La concentration des pouvoirs aux mains du président dépossède la population de la prise de décision. Emmanuel Macron s’appuie sur une base sociale étroite et peut se faire élire grâce à un duel face à l’extrême droite. Sa politique défend les intérêts sociaux minoritaires de la haute-bourgeoisie.

Le mouvement des gilets jaunes est déclenché par l’injustice fiscale. Le gouvernement décide de supprimer l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune). Cette mesure incarne une politique qui multiplie les cadeaux fiscaux en faveur des riches et des patrons. En revanche, les taxes qui pèsent sur le plus grand nombre ne cessent d’augmenter.

Les gilets jaunes insistent sur l’égalité dans le domaine social comme dans celui de la démocratie. Le refus des récupérations politiciennes, le rejet des négociations avec le pouvoir, les nouveaux modes d’actions, l’auto-organisation et les assemblées révèlent une exigence démocratique. « A l’instar de ce peuple anonyme, sans représentants désignés ni porte-parole reconnus, qui a surgi aux ronds-points, la démocratie est le régime du "n’importe qui". Du moins la démocratie dans sa version radicale des origines, avec l’égalité pour moteur, avant qu’elle ne soit devenue le monopole de la représentation et de ses professionnels de la politique », estime Edwy Plenel.

Répression macroniste contre le peuple des gilets jaunes : un état d’urgence qui ne dit pas son nom

Peur et répression du pouvoir

La violence de la rue et les violences policières s’accompagnent d’une autre violence. La peur des possédants provoque un déchaînement de haine dans les médias. « Les gilets jaunes méritaient qu’on les mate et qu’on les fasse taire », observe Edwy Plenel. « Qu’ils se servent de leurs armes une bonne fois pour toute ! », lance le philosophe Luc Ferry aux policiers. Cette haine rappelle les discours contre la révolte de 2005 dans les quartiers populaires. L’état d’urgence est alors exhumé depuis la guerre coloniale. Même si, depuis les attentats de 2015, ce dispositif d’exception devient l’ordinaire de la répression policière.

« Racailles ou barbares ce sont les mêmes classes dangereuses qu’ont donc vues les regards affolés des classes dirigeantes », analyse Edwy Plenel. La lutte des classes s’accompagne souvent des discours hostiles des capitalistes. Louis Chevalier, dans le classique Classes laborieuses, classes dangereuses, évoque le discours de haine contre les pauvres supposés menaçants pour la bourgeoisie.

L’auto-organisation et la spontanéité peuvent faire songer à la Commune de 1871. Paul Lidsky évoque la panique des intellectuels dans le livre Les écrivains contre la Commune. En dehors de quelques figures comme Gustave Courbet, Jules Vallès ouArthur Rimbaud, les écrivains et journalistes détestent cette révolte populaire. Même George Sand ou Emile Zola dénoncent un mouvement irrationnel et se réjouissent de la répression. « L’affolement manifeste du pouvoir face au caractère inclassable de la révolte des gilets jaunes rejoint cet effroi de toujours des classes dominantes face au mouvement autonome des classes populaires », souligne Edwy Plenel. Le gouvernement fait le choix d’un durcissement de la répression. Les violences policières s’accompagnent de juges qui infligent des peines de prison et d’interdictions de manifester.

Les violences de rue s’expliquent par un pouvoir autoritaire qui campe sur ses positions. Sans appeler à l’émeute, Edwy Plenel rappelle que les droits et libertés ont été arrachés par des insurrections violentes. « De la Révolution française à Mai 68, en passant par juillet 1830, février et juin 1848, les grèves de 1936 ou les insurrections de la Libération, nos Républiques, nos libertés, nos droits, nos institutions ont toujours été affirmés, finalement conquis ou progressivement étendus par ces révoltes tumultueuses dont les transgressions, les audaces et les outrances permirent d’inventer de nouveaux horizons démocratiques et sociaux », indique Edwy Plenel. Même Nicolas Machiavel reconnaît l’importance des « tumultes » sociaux pour préserver les libertés.

  

Idéalisme de gauche

Edwy Plenel reste un personnage attachant et sympathique. Le voir ferrailler face aux crapules réactionnaires sur les plateaux télés se révèle souvent réjouissant. D’autant plus que la plupart des figures de la gauche intellectuelle et politique semblent moins enthousiastes à défendre les gilets jaunes face aux attaques du pouvoir. Cette révolte spontanée, en dehors des partis et des syndicats, se révèle beaucoup trop déroutante pour une vieille gauche plus attachée à la gestion d’Etat plutôt qu’aux mouvements de lutte autonomes.

Néanmoins, Edwy Plenel tient à rester une figure respectable de la gauche morale. L’ancien trotskiste tient à rester fidèle à son héritage révolutionnaire. Mais il veut aussi rester dans le cadre de la République et de ses valeurs qu’il semble idéaliser. Son livre s’appuie sur des références éclectiques. Edwy Plenel peut citer dans le même souffle Karl Marx et Pierre Mendès-France, mais aussi Walter Benjamin et Edgar Morin. Ce qui révèle un relativisme intellectuel et une confusion politique. Si le mouvement des gilets jaunes entretient un certain éclectisme, Edwy Plenel reste doté d’une solide culture politique qui devrait lui éviter une certaine confusion. Néanmoins, le journaliste veut défendre en même temps la rue et les institutions, sans dépasser certaines contradictions.

Son rapport à Emmanuel Macron s’inscrit dans la même veine. Edwy Plenel n’est clairement pas porté vers l’auto-critique. Mais son livre rappelle son soutien au candidat Macron. Le jeune énarque a publié un article dans la revue Esprit contre le présidentialisme. Ce qui suffit à susciter l’enthousiasme d’un Edwy Plenel bien naïf. Le journaliste considère alors Macron comme un véritable disciple du philosophe Paul Ricoeur, et non comme un banal politicien arriviste qui veut étaler sa culture.

Edwy Plenel reste un indécrottable idéaliste de gauche qui a tendance à confondre ses rêves avec la réalité. On peut même critiquer le regard unilatéral du journaliste au sujet des gilets jaunes. Philippe Corcuff pointe le manque d’objectivité de Mediapart. Les aspects négatifs du mouvement sont systématiquement gommés. Même si Edwy Plenel tient à rappeler un article de son journal sur l’influence de l’extrême droite. Surtout, il propose un livre d'intervention qui relève plus de la propagande que de l'analyse objective. 

Edwy Plenel conserve également une vision idéaliste de la démocratie. D’ailleurs, le journalisme d’investigation ne fait que pointer les travers de l’ordre démocratique, sans s’attaquer à la racine des problèmes. Avec l’affaire Benalla, les journalistes pointent pertinemment une dérive autoritaire du pouvoir. Mais ils semblent aussi défendre une répression à visage humain qui tabasse les gens en respectant les valeurs de la République. La défense du préfet Grimaud en Mai 68 relève de la blague. Un préfet, même sympa, garde pour fonction d’écraser les mouvements sociaux pour défendre l’ordre social. Quel que soit son degré de délicatesse. 

La critique des travers du macronisme adopte surtout une posture morale. Edwy Plenel s’indigne des nominations d’ambassade qui sont le fait du prince. Mais cette critique n’adopte pas un point de vue de classe. Les ambassadeurs, quels que soient leurs qualités, seront toujours des grands bourgeois. Les bassesses et flagorneries de la société de cour n’intéressent pas les prolétaires. Edwy Plenel ne veut pas supprimer la classe dirigeante, mais simplement la rendre plus morale.

  Manifestation des «gilets jaunes» aux Champs-Élysées (Paris), le 24 novembre 2018. | Bertrand Guay / AFP

Limites de la révolution démocratique

Edwy Plenel reste un inlassable défenseur d’une démocratie idéalisée. Il évoque évidemment la question sociale soulevé par les gilets. Mais il s’attarde surtout sur les enjeux démocratiques. Edwy Plenel évoque Gambetta et les lois fondatrices de la IIIRépublique, notamment sur l’école. Mais il oublie que l’instruction obligatoire vise avant tout à domestiquer les ouvriers et les colonisés pour leur apporter la civilisation des Lumières. Au-delà de cette idéalisation républicaine, Edwy Plenel se penche sur les questions démocratiques.

Il rejoint alors le discours de la vieille gauche citoyenniste, bien critiquée par Samuel Hayat. Edwy Plenel reprend cette illusion, partagée par certains gilets jaunes, sur la réforme institutionnelle. C’est l’idée selon laquelle de simples concertations citoyennes et de meilleures procédures suffisent à régler les problèmes. Cette vision occulte les clivages entre les classes sociales qui ne partagent pas les mêmes intérêts.

Edwy Plenel reprend les analyses de Marx sur le bonapartisme, mais il oublie malheureusement son analyse de classe. Il adopte le vocabulaire populiste. Il se contente d'opposer le bon peuple à l’oligarchie. Mais le terme peuple se distingue de celui de prolétariat. Le peuple comprend évidement les ouvriers, les employés, les chômeurs et les salariés précaires. Mais le terme de peuple vise aussi à englober les cadres et les petits patrons pour créer un ensemble homogène face à « l’oligarchie » ou « la caste ». Le mouvement des gilets jaunes montre au contraire que ces groupes sociaux ne partagent pas les mêmes intérêts. Les cadres ont immédiatement rejeté un mouvement qui porte sur la vie chère et qui ne les concerne pas. Les petits patrons ont défendu les baisses de taxes, mais beaucoup moins l’augmentation du SMIC. Le peuple reste une fiction pour clientélisme électoral, mais ce n’est pas une réalité sociale.

Lorsque Marx critique le bonapartisme, il s’attaque à l’Etat. Edwy Plenel se contente de fustiger les dérives du présidentialisme. Il ne propose aucune analyse de classe de l’Etat. L’administration reste pourtant hiérarchisée, avec ses catégories et ses statuts. Mais le journaliste pointe uniquement le plus haut sommet de la pyramide. Pire, il reprend certaines analyses douteuses de La Boétie. Il évoque la servitude volontaire. Cette théorie peut décrire la routine de la soumission. Mais elle élude les contraintes sociales qui pèsent sur les individus. Si les salariés obéissent à leur patron, c’est avant tout pour conserver leur maigre revenu. Mais ils savent très bien que le patron les exploite. La servitude n’est donc pas uniquement volontaire. L’Etat repose avant tout sur une hiérarchie imposée entre dirigeants et dirigés, entre exploiteurs et exploités.

L’Etat n’est pas davantage un outil neutre au service de l’intérêt général. Edwy Plenel reprend la rengaine de la défense des services publics, des écoles aux commissariats. Mais les services publics sont avant tout au service d’un certain public : la bourgeoisie. Ils doivent permettre la reproduction sociale et la bonne marche de la société capitaliste.

Sur de nombreux sujets, Edwy Plenel reste englué dans l’idéalisme de la vieille gauche. Il perçoit bien la nouveauté et la spontanéité des gilets jaunes. Mais il n’imagine pas que ce mouvement peut ouvrir d’autres possibilités d’existence. Dans sa défense audacieuse de la violence de rue, Edwy Plenel estime que les insurrections doivent simplement permettre de gagner un peu plus de libertés. Les mouvements sociaux doivent se contenter de faire pression sur les gouvernements pour mieux orienter les politiques publiques. Mais la multiplication des révoltes peut aussi permettre d’inventer une société sans classes et sans Etat. Seule une rupture avec l’ordre existant peut permettre de réellement régler les problèmes politiques et sociaux.

Source : Edwy Plenel, La victoire des vaincus. A propos des gilets jaunes, La Découverte, 2019 

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Pour aller plus loin :

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Vidéo : Le grand face à face : Edwy Plenel, émission diffusée sur France Inter le 2 mars 2019 

Vidéo : Edwy Plenel et les Gilets Jaunes, émission C à Vous du 5 mars 2019

Vidéo : La moustache qui fait trembler la République, émission Les terriens du samedi du 30 mars 2019 

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Vidéo : Edwy Plenel, Réflexions sur les Gilets Jaunes, diffusé sur LCI

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Vidéo : Edwy Plenel - On n'est pas couché, émission du 22 décembre 2018 

Vidéo : Gilets jaunes: le long bouillonnement de la société, Les grands débats duFestival de Mediapart mis en ligne le 28 mars 2019 

Radio : Patrick Cohen, avec Edwy Plenel, François Dubet et Bertrand Blier, émission diffusée sur Europe 1 le 10 mars 2019 

Radio : Les Indignés, Edwy Plenel et Grégoire Bouillier, émission diffusée surFrance Inter le 8 avril 2019 

Radio : émission avec Edwy Plenel diffusées sur France Culture 

Ulysse Baratin et Pierre Benetti, Entretien avec Edwy Plenel, publié dans la revue en ligne En attendant Nadeau 

Edwy Plenel , «La Victoire des vaincus» : un livre à propos des gilets jaunes, publié sur le site Mediapart le 6 mars 2019 

Marie-Laure Thomas , Edwy Plenel : "Un engagement radicalement démocratique",publié sur le site du journal La Marseillaise le 10 mars 2019 

Laurent Joffrin, La vraie couleur d’un gilet, publié sur le site du journal Libération le 9 avril 2019

Henri Weber, «À propos des gilets jaunes»: réponse à Edwy Plenel, publié sur le site Slate le 24 avril 2019